Feu d’artifice

À propos de l’interview télévisée de M. Macron le 14 juillet 2020
[Brigade d’Intervention Linguistique]

paru dans lundimatin#250, le 29 juillet 2020

C’est toutes sirènes dehors et lunettes de soleil sur le nez pour survivre à l’éblouissement intense et au rayonnement radioactif dégagé du plateau que les équipes de la BIL découvrent, entre excès de lumière et de fond de teint, que deux « journalistes » posèrent alternativement des questions déroulant au président un long tapis rouge afin qu’il nous dévoile -encore !!- ses vues sur la vie (VV). L’Elysée est coutumier du fait. Notons un flagrant délit de récidive de dispositif dans le PV (procès-verbal) de la BIL, qui est donc intervenue à nouveau et de toute urgence en ce jour de fête nationale (FN, tout un programme), pour rétablir l’ordre et le sens des mots.

Ainsi c’est donc par voie télévisée que le président, tel un feu d’artifice, aborda tout, tous azimuts, comme le Roi-Soleil dont les rayons dardèrent longtemps et en tous sens autour de sa tête, ou de sa perruque. Dans un éblouissant spectacle pyrotechnique, raccord avec les ors discrets mais présents de la république et le blanc immaculé du plateau (long time no see, Versailles !), le président se livra à des lancers de platitudes et de quelques scuds de menace déguisée dont il est familier pour conclure sur un bouquet final d’auto-promo.

Après moult circonvolutions on apprendra finalement que rien n’a changé, qu’on se parle toujours d’homme à homme au sommet de l’État après avoir vu défiler de puissants avions et passé en revue les troupes sur un beau véhicule motorisé à quatre roues motrices (Jeep), cheveux au vent.

Ouf ! Rêve accompli de l’enfant-président, qui a bien cru que sa revue des troupes lui passerait sous le nez cette année !

Et puis on apprendra que tout sera pareil en ce cher pays de France...

...Mais aussi que l’on y fera attention à l’avenir à ne pas se faire « déborder » à nouveau par tous ces gens méchants, « ennemis de la démocratie », qui étaient pourtant venus dire courageusement dans la rue qu’ils étaient en train de mourir à petit feu et/ou à l’étouffée (selon les cas).

Mais le président d’un ample moulinet du bras qui balaie l’espace et les mouches le redit : RAF ! (Rien à Foutre, et non Royal Air Force, doute possible en cette période de déploiement militaire).

Cerise sur le gâteau : ce peuple qui ne comprend rien est « l’ennemi de la démocratie » (bis) que Nous, président, représentons.

« Ach ! s’écrie Lallemant, il répète che que che dis tous les chours ! »

Hilarité chez les linguistes ! Bel écran de fumée doublé d’une pirouette fallacieuse : le peuple ennemi de la démocratie, c’est proprement magique. Formule dont le revers n’est que trop limpide : L’État c’est moi.

Adage chéri par nos amies les reines et nos amis les rois, qui a le charme de la clarté et dénote ici que non, vraiment, l’enfant-président (qui s’était révélé à nous en une visio-conférence du 6 mai dernier) n’est plus tenu mais bien soutenu par des communicants et communicantes qui doivent ainsi apprécier nécessairement de servir celui qui se présente comme leur chef.

Et qui se permet une classique pirouette auto-complaisante là-dessus au sujet du ministre de l’intérieur et des affaires en cours d’instruction qui le concernent, dont le président dit que « cela » le concerne « au premier chef si je puis dire » (petit sourire, ronron intérieur, yeux qui brillent, rictus, rire irrépressible de surpuissance, petite toux, reprise) : mais oui, c’est bien cela, être « le premier chef de France », qui le fait rire dans sa tête, pendant cette interview-discours.

Chef donc des communicantes et communicants qui le servent mais surtout qui le vénèrent comme leur roi, et que nous devrions toutes derrière l’écran réel et de fumée qu’il établit tous les jours vénérer à notre tour, nous pauvres gueuses qui n’avons encore rien compris à la vie ni à la marche de l’État. Normal, ce n’est pas nous l’État, CQFD.

Alors nous pensâmes aux images précédemment vues du défilé où tout le monde tourna en rond autour de l’obélisque, dear phallus au gland doré, place de la Concorde (concorde donc union nationale donc flagrant délit de répétition symbolique) avant de s’arrêter devant le président qui les applaudit et se retira ensuite chez lui (à l’Elysée). Pas d’homme qui vole sur un hoverboard cette année. Un simple drapeau tenu par les « vaillants soldats de la nation au quotidien », les soignantes et soignants qui peuvent aller chercher là où l’on pense une revalorisation de leurs salaires et sont par la manœuvre-piège habilement relégués au rang de héros. Héros, donc : médailles, défilé, applaudissements, et toujours le SMIC, si vous n’êtes pas à temps partiel bien sûr. Heureusement ces héros ont vu de près ou presque le bienfaiteur-président qui se fit roi en ce jour. Si distanciation il n’y avait eu, combien de mains serrées et d’âmes soignées par l’apposition de ces paumes thaumaturges ? Hygiène oblige, nous ne le saurons pas cette année.

Mais qu’est-ce à dire, un président qui se pense roi d’un peuple qu’il lui faut tenir et maintenir ?

D’abord qu’il est en plein délire, qu’ensuite il commet encore et toujours un délit d’esbroufe : se prenant pour ce qu’il n’est pas, accomplissant un rituel vide de sens, prononçant des paroles sybillino-creuses déguisant mal des intentions contraires à ce qu’elles expriment.

Un faisceau d’indices concordants nous indiquera que cette stratégie dite de l’écran de fumée, bien maîtrisée par les HSE (Hautes Sphères de l’État) se répétera encore longtemps. En attestent ces quelques maximes lâchées ça et là : « Que chaque français et chaque française puisse trouver sa vie dignement dans la République ». Vœu pieu qui ne mange pas de pain certes, mais qui sous-entend bien qu’il s’agira de trouver sa vie dans la bonne voie déjà tracée pour chacune et chacun, en traversant la rue par exemple. Maxime corroborée par la suivante : « Le cap est le même, il s’agit simplement d’emprunter un autre chemin pour y arriver. » Nous voilà prévenues, tout sera pareil.

Nous sommes donc en présence d’une énième logorrhée caractéristique de l’abus de pouvoir d’un tyran en pleine puissance.

Pour autant, un nouveau faisceau d’indices nous indique non plus seulement le chemin d’une tyrannie mais bien aussi d’une tyrannie teintée de Royalisme Grand Siècle (RGS). Ah ! l’irrésistible attraction du Roi Soleil ! Son amour du pouvoir absolu, des défilés, mais surtout des feux d’artifice et des jeux d’eau !

Nous avions pu relever un premier indice de royalisme perçant lors du discours du 14 juin, prononcé devant une fenêtre donnant sur les jardins de l’Elysée et, surtout, sur une fontaine. Mouvement perpétuel de l’eau qui coule, hypnose douce en arrière-plan : idée saugrenue d’un amateur de jets d’eau ? Plutôt clin d’œil sympathique aux grandes eaux de Versailles, dont on n’a pas encore osé la délocalisation dans les jardins de l’Elysée.

Il en ira de même pour les feux d’artifice et la passion de la chasse : le président lorgne l’œil torve vers les allées droites du château, les bals et tout ce qui brille. Flagrant délit de délire.

Après cet instructif voyage au pays des interviews-discours présidentielles télévisées, nous savons que :

— L’enfant-président qui nous tyrannise est en phase Roi-Soleil,

— Si vous n’êtes pas Emmanuel Macron, il ne fait pas bon vivre en France,

— Nous n’avons toujours pas besoin d’être gouvernées et encore moins matées,

Et qu’ainsi la lutte continue.

La Brigade d’Intervention Linguistique

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