Désir de vide

Sur la loi anti-squat et l’orgueil des puissants
Leila Chaix

paru dans lundimatin#363, le 12 décembre 2022

J’ai entendu dire quelque part qu’on tombe à la rue aussi vite qu’on tombe amoureux. Je trouve la formule pas terrible, mais faut dire qu’elle a le mérite de faire appel à un sentiment commun, répandu, tristement rendu ridicule et désuet pour le comparer à un autre phénomène, lui aussi ridiculisé, bafoué, réduit. Je fais partie des personnes qui déplorent que l’on ridiculise l’amour, mais qui prend pourtant part aussi à sa ridiculisation. Ce qui me plaît dans cette formule c’est le verbe tomber, qu’on utilise également pour dire que quelqu’un tombe enceinte.

Ce texte m’a été inspiré par la prise de parole d’un parlementaire, ancien SDF, qui s’insurgeait face à la nouvelle loi anti-squat, appelée Kasbarian-Berger.

Novembre. En France, le gouvernement cherche à faire passer une nouvelle loi anti-squat. Dans les médias dominants, ceux qu’on voit et ceux qu’on entend, ce sont les quelques proprios qui se retrouvent avec des impayés de loyers. On parle des personnes qui occupent des logements libres comme d’une vermine qui empêche les honnêtes gens de jouir de leur droit de posséder. On ne donne aux pauvres qu’un seul devoir : faire de la place et dégager. Je le rappelle : les personnes qu’on appelle squatteurs sont des personnes qui (dans l’immense majorité des cas) occupent des logements VIDES, inutilisés, vacants, non meublés, non loués, abandonnés, désaffectés, et donc : pas habités. Hantés, peut-être, pas habités. Les personnes visées par cette loi sont des gens qui cherchent un espace et un toit pour (ré)exister, vivre ou survivre, et résister ; donc faire des choses. C’est un problème d’utilité publique, le fait que chacun ait un toit, l’envie de vouloir que tout le monde se loge, devrait concerner tout le monde. Pourtant on n’ose même plus le dire tellement on craint d’être moqué.e.

Exposons d’abord quelques nombres pour les mettre face à quelques chiffres : 3 millions de logements vacants, 4 millions de personnes mal-logées ou pas logées, 170 cas de petits propriétaires squattés ne pouvant pas rentrer chez eux.

Les 4 millions de mal-logé.e.s ce sont plus d’1 million de personnes ne disposent pas d’un logement personnel, elles sont sans domicile fixe, vivent dans des habitations de fortune, sont hébergées chez des tiers ou en chambres d’hôtel ; et plus de 2 millions de personnes qui vivent dans des logements sans confort (pas d’eau courante, pas de chauffage).

À Vence dans la ville où j’ai grandi, 500 appartements sont à rénover, mal isolés, insalubres et pourtant loués chaque mois. Les gens mettent tout ce qu’ils gagnent dans le paiement mensuel d’un droit essentiel : se loger. Pourtant la mairie décide d’investir dans des résidences « innovantes » dont les loyers ne seront pas modérés. Aucun loyer n’est modéré, surtout pas dans les Alpes Maritimes.

La nouvelle loi anti-squat, appelée Kasbarian-Berger, est un cadeau pour les grands bailleurs qui détiennent les HLM et les logements sociaux. Un outil d’oppression pratique pour les proprios, et une matraque vernis de pouvoir pour la police et les préfets. La loi ASAP était déjà dégoulinante de cruauté, mais la nouvelle loi anti-squat franchit encore un nouveau pas : occire le peuple, voilà le projet.

On parle de personnes qui n’ont pas de logement. Le logement c’est la base de tout, c’est la peau entre nous et le monde, c’est là où l’on peut se laver, se faire à manger, se reposer, boire de l’eau quand elle est potable.

Qui n’a jamais fait l’expérience de n’avoir pas de logement ne peut comprendre qu’avec son cœur, mais peut comprendre.

Punir + vite, frapper + fort, devenir + dur mais avoir l’air toujours + souple, tel est le projet de l’État Start-up. Il n’a pas de cœur. Messieurs et mesdames les ministres sont des logiciels froids, gelés. Leur sang circule pour l’ordre, la propreté, un monde qui fabrique du déchet humain ; un monde où chaque pauvre, chaque vielle, chaque fou, chaque clocharde est en établissement fermé, voire en prison, voire décédé.e. Qu’on puisse enfin marcher en paix sur des rues pavées sans mégot avec des boutiques luxuriantes pleines de personnes diplômées, fort bien peignées, automatisées et lissées. Ils veulent des robots cultivés qui peuvent podcaster du Houellebecq pour ne plus avoir à se fader les femmes de ménage qui font grève, et se battent pour leur dignité.

Les + précaires se voient risquer 3 ans de prison et 45 000 € d’amende s’iels ont la mauvaise idée de sauver leur peau, de vouloir vivre, de réquisitionner un bien pour continuer d’exister. Le seul relogement proposé : la rue ou la prison.

La pauvreté qu’elle soit subie ou bien choisie est criminalisée sans cesse.

À la télé chez mes parents, je vois qu’on monte les citoyen.ne.s contre les autres : les étrangers, les vagabonds, les va-nu-pieds, les abusifs, les tire-au-flanc, les anarchistes, les activistes, même les grévistes.

La Doxa néolibérale capitalistic soft-killing dresse les honnêtes citoyen.ne.s salarié.e.s contre les pauvres malhonnêtes non employé.e.s, non inséré.es ou insurgé.e.s. La doxa néolibérale morbide & cool chauffe les esprits pour qu’ils haïssent les paresseux, les paresseuses, les gens qui croient en un autre monde, ou qui du moins ne veulent pas du leur. On est poussé.e.s quotidiennement à se moquer des personnes faibles, timides, hésitantes, fatiguées. Les gens qui ne veulent plus y aller, les gens qui n’ont plus envie de rien, les dépressives, les toxico, les flemmardes et les écolos.

Le capitalisme acronyme est un envoûtement quotidien. Il aligne continuellement des sigles, des logos, des COP, des CROUS, des CAF, CARF, des DRAC, des slash, des EDF, des PIB, des APL, des JPP, des JLM, des KKK ; suites de lettres incompréhensibles qui sont des codes comme des contes pour qu’on s’endorme ; on ne sait pas ce que ça veut dire, on n’sait plus ce que rien n’veut dire.

Le mépris social continue, les pénuries et les sécheresses nous font comprendre que le confort occidental est menacé, les respirateurs artificiels n’auront plus d’électricité, et pendant ce temps les stations de ski sont assurées de manquer de rien.

La bourgeoisie technocratique se pince le nez. On ne parle plus de sans abris, on parle de bonne ou de mauvaise foi.

Les médias dominants au service d’un gouvernement libéral-trash-autoritaire font en sorte que cessent d’apparaître pas mal de choses, pas mal de gens. La télévision ne nous montre qu’une portion réduite et orientée de la réalité, évidement. Combien de squatteuses interviewées ? Combien de SDF ? Combien de Roms ? Combien d’enfants et de parents qui dorment dans des caves ? Combien de travailleuses sociales ? Ce sont des voix qu’on n’entend pas. Non pas parce qu’elles ne sont pas fortes, ou pas audibles, ou pas vivaces, c’est qu’on ne leur tend pas le micro.

Je sais que je vis dans un pays où de nombreux enfants dorment dans la rue, où des gens dorment dans des voitures pour pouvoir aller travailler. Je sais que je vis dans un pays où les personnes qui ont migré jusqu’à l’Europe se font détruire, pas par la masse « réactionnaire » et aliénée, mais par des flics qui ont des ordres et le droit de tuer.

On pourrait donc parler de malheur et de survie. On pourrait dire la vérité, et arrêter de faire semblant de positiver. C’est aussi ça le communisme, c’est aussi ça la lutte de classes, c’est arrêter de voir la vie depuis le point de vue des possédant.e.s.

Pourtant, certes, il arrive parfois que les occupant.e.s soient des personnes qui ont choisi de ne pas louer. Des gens qui auraient pu « mieux » vivre ou s’insérer, des personnes qui sont validées mais qui décident de prendre, voler, squatter, saboter, abuser. Il arrive que ce soit des jeunes à peine adultes qui veulent juste faire des choses drôles ou artistiques, plus ou moins nécessaires et ouvertes sur un quartier. Dans ce cas là c’est moins survire, mais plutôt vivre, braquer la vie, punir les vieux et les vieux les murs qui détiennent tout, s’accaparent tout.

J’assume avoir moi-même fait partie de cette mouvance irresponsable. Ça m’a conscientisée à plusieurs niveaux. Je sais qu’il y a des gens qui ont terriblement moins de chance que moi. Qui sont + opprimé.e.s que moi, plus aliéné.e que moi. Faire l’expérience privilégiée d’une forme intense de précarité et de stress, ça fait comprendre des trucs. Je conseille d’ailleurs aux ministres d’aller squatter un bâtiment et d’y animer des soirées, ça les changerait. À moins qu’ils ne le fassent déjà, et force est de le constater : ils le font déjà. Je ne peux donc que les enjoindre à essayer de faire des choses sans que ça soit pour leur carrière, leurs intérêts, ou leur capital financier.

En ce moment, l’alliance des droites travaille et vote pour qu’en deux temps, trois mouvements, les squatteur.euse.s soient mis.es dehors. En 40 heures et sans procès, ça sera plié : punition puis disparition. J’ai honte de laisser faire cela. J’ai honte d’assister à cela. Ces personnes ne me représentent pas. Je n’ai rien à voir avec eux.

La loi française protège déjà la bourgeoisie et la propriété privée. Ça n’est pas de + de privé dont on a besoin, ça n’est pas de + de répression, ni de la gestion dictatoriale des flux humains. On a besoin de réfléchir, d’agir ensemble pour de reconstruire des mondes nouveaux, qui sont nouveaux mais très anciens, toujours en friche, toujours en lutte et combattus. C’est d’amour et de force vitale qu’on a besoin. Et c’est c’que l’État semble combattre.

Les plaintes pour viol sur le corps des femmes et des enfants sont quasi systématiquement classées sans suite (à moins de défrayer la chronique et de servir quelque intérêt de démolition), mais le viol de la propriété privée d’autrui est systématiquement puni.

Le gouvernement macroniste trouve pertinent un amendement qui propose de considérer un logement vide comme « domicile », et un propriétaire absent comme une « victime ». Le fourchelangue n’a pas de limite. On détruit tout de la vie des gens, et on appelle ça « politique » ; on baisse les aides et les allocs, tout ce que notre fonctionnement social peut contenir de communiste ou de réellement socialiste, et on appelle ça « simplifier » ; on accroît chaque jour la dépendance des gens au système qui les annihile, et on appelle cet accroissement « économie ». On criminalise les personnes parce qu’elles sont étrangères ou mal loties, et on appelle cela « justice ».

L’autre jour une collègue m’a raconté qu’il y a peu de temps, son compagnon, d’origine tunisienne, rentrait tranquillement chez lui tandis que des flics surveillaient l’entrée de l’immeuble. Alors qu’il passait à côté d’eux, ils l’ont acculé contre le mur et lui ont tout de suite demandé « qu’est-ce que vous faites ici, monsieur ? ». Elle me racontait ça à la pause déjeuner, dépitée, blasée, mais je sentais aussi dans ses paroles la honte. La honte d’appartenir au pays qui finance cela.

C’est ça la France. Un flic viriliste mal payé qui veut débusquer les arabes et déteste les gens mal peignés, qui est déformé au racisme, à la détestation des autres, à la reproduction d’un passé colonial, qui visiblement ne passe pas, n’est pas passé.

Un lieu a toujours un propriétaire. Cette affirmation devenue règle est déjà critiquable en soi, mais ok, soit, mettons que nous soyons résilient.e.s au point d’accepter cette bassesse. Un lieu est toujours possédé. Il appartient à quelqu’un. S’il est vide depuis 5 ans et le restera très certainement ça ne change rien : sacro-sainte loi de propriété et désir dingue de possession. On met la personne qui possède au dessus de celles qui ont besoin. Ça s’appelle le capitalisme.

Tout le monde est d’accord pour penser que sans un toit au dessus de la tête et une petite superficie qu’on nomme « chez soi », on ne peut pas vivre, on ne survit peut-être même pas.

L’espérance de vie d’une personne qui vit dans la rue est d’environs 42 ans. Il n’y a pas de progrès, il y a diverses réalités sociales, et des façons de dire l’histoire.

Vous voulez protéger les petits propriétaires ? Ok, tout humain mérite d’être pris en considération. Que faisons-nous pour les 14 millions de personnes victimes du mal logement, les 300 000 personnes sans abris, les 12 000 enfants qui dorment dans la rue ? Vous les criminalisez, leur proposez la prison comme cellule de dégrisement, alors que des millions de logements restent vides, vacants, inusités.

Dans le département où j’habite (Alpes Maritimes) il y a des résidences secondaires qui ne voient jamais une âme humaine, et tout ce que les journaux impriment c’est des articles complaisants pour défendre les riches parvenus dont les villas se font squatter par des familles de sans abris. La majorité des personnes disent prendre parti pour les riches. On prend le parti des héritiers, des dominant.e.s., alors qu’on ne domine rien du tout, qu’on n’est pas riches. Pendant ce temps les expulsions se multiplient, la répression augmente, il n’y aucun débat sur le problème des prix du logement et le malheur et la misère et des milliers de bâtiments restent murés, désaffectés, abandonnés, sacralisés et inutiles, interdits, inoccupables et inviolables.

À cette appellation (déjà bizarre) « occupation sans droit ni titre » — à laquelle j’ai envie de dire que le seul fait d’être vivant légitime un droit à vivre bien et donc un titre : être vivant digne de respect — j’ai entendu un député du parti les républicains ajouter récemment « de mauvaise foi ». Occupation sans droit ni titre de mauvaise foi. Je n’en reviens pas. La mauvaise foi est de tous les camps, mais là je dois dire qu’ils battent des records. J’en arrive presque à regretter le temps où j’étais endormie, où je pensais que le monde allait mal, mais pas si mal.

Occupation sans droit ni titre de mauvaise foi. La stupéfaction dans laquelle cette expression minable m’a plongée m’a fait me souvenir d’autre chose. J’ai rencontré un jour un propriétaire qui – lorsque dans l’un de ses hangars désaffectés se construisait un bar de quartier accueillant, chaleureux, avec des repas à prix libre et des spectacles toutes les semaines — préféraient faire un procès long, coûteux, pour qu’il puisse n’y avoir plus rien dans son hangar.

Son désir de vide, de néant, la jouissance qu’il se procurait par le fait même de posséder quelque chose qui ne sert à rien ni à personne, m’avait alors laissée pantoise. Cette volonté inextricable de vider un lieu de sa joie, des gens qui le font vivre et des activités qui s’y déroulent, de le vider de vie finalement, m’avait fait carrément flipper. J’ai tout de suite pensé à son âme, et m’suis dit qu’il était perdu ; tant ce désir de nudité, de mort, de rien, de nullité, d’absence de tout, était profond – révélateur.

Aujourd’hui, lorsque j’y repense, il est clair que ce désir mène à la souffrance et au malheur. Mais faut-il comprendre ce désir ? Faut-il essayer de savoir ce que ça fait que de posséder (et de se perdre) à un tel point qu’on en devient super taré, et qu’on en arrive à aimer cette tare même ? Est-ce que c’est de la cruauté ? Est-ce que c’est un symptôme typique de perversion patriarcale capitaliste ? Est-ce un effet de l’éducation ultra-catho avec ses églises vides et glauques et Jésus l’anarchiste arabe crucifié systématiquement ? D’où vient cette mise à distance ? Quelle est cette angoisse angoissante ?

Pour pouvoir refuser d’aider, et dans la continuité, refuser d’aimer, il faut penser qu’on n’a rien à voir avec la personne qui demande de l’aide. Pouvoir dire « c’est le malheur des autres », c’est penser que le malheur des uns ne fait pas le malheur des autres. C’est penser que sa liberté commence là où s’écrase celle des autres. Nous sommes éduqué.e.s à penser, malheureusement, comme cela.

Il y a peu d’expressions que je déteste autant que « la liberté commence là où s’arrête celle des autres » et « les absents ont toujours tort ». Je trouve ces expressions moisies, pourries, dégueulasses de méchanceté. Elles sont l’illustration parfaite d’une certaine manière de penser, qui est une fabrique à esclaves, à opprimé.e.s, à vies de merde, à existences minorisées. C’est une pensée qui détruit l’âme, qui la compresse et la comprime.

Cette pensée fabrique de l’ennemi, du surplus, du dehors, de l’autre, de l’étranger, du sale, du diable. Elle fabrique de la hiérarchie, des échelles de valeurs humaines. Toute vie ne vaut pas celle d’un autre. Cela dépend.

Pour pouvoir posséder infiniment, on plonge des millions de personnes dans la détresse, et on est possédé.e.s nous-même. Ça vaut aussi pour les pays du Sud qui payent chaque jour le train de vie de l’occident.

Derrière le patriarcat, le capitalisme, l’impérialisme, le suprémacisme et le colonialisme, il y a la peur. La peur de : la ruine, des animaux, des bactéries, des femmes, du sexe, des insectes, des enfants, de la maladie, de l’amitié, de la nourriture épicée, des odeurs de la pourriture, de la sorcellerie, de la magie, du sang menstruel, de la graisse, de la paresse, du communisme, de l’orgueil, du plaisir, des larmes, et de beaucoup d’autres choses jusqu’à ce qu’on en arrive (encore) à la communauté.

Nos communautés les ministres les veulent comme des bidonvilles, ils ne souhaitent pas les rénover. Ils veulent que ça, comme les hangars, comme les logements, comme nos cœurs, restent vacants, vidés, béants, privatisés, et puis : payants.

Seulement voilà, un cœur de se privatise pas, pas + qu’un corps. Nos corps sont publics, politiques. Un corps capturé par l’État est peut-être encore + politique que n’importe quel autre. Un corps emprisonné à vie, capturé, pris, privatisé, mis sous l’emprise de l’entreprise qu’est devenu notre État de droite, est un corps encore politique.

Les corps des hommes dans les prison, les corps des femmes dans les prisons, les corps des malades à l’hosto, les corps des bébés à l’hosto, les corps des autistes à l’ESAT, les corps des ados en clinique, les corps des enfants à l’école, les corps des SDF à la rue, les corps des schizophrènes dans les HP, les corps des putes dans les allées, les corps des migrant.e.s dans les centres de rétention qui sont des centres de détention, sont des corps ultra-politiques. D’autant + politiques qu’ils sont des corps haïs, traqués, détestés, pourchassés, surveillés, contrôlés et punis, disparus, inaudibles, annulés, jetés, interdits.

Ce qui suit vient de l’association Droit au logement (DAL) : « La crise du logement est une conséquence de plusieurs phénomènes, qui sont aussi des choix politiques : la cherté des loyers, des charges et de l’énergie ; les 3 millions de logements vacants ; la baisse des APL et des salaires ; l’insuffisance de logements sociaux. À cause de la crise du logement, le nombre de demandes pour des HLM, le nombre de sans-abris, de mal-logé.e.s, d’expulsions n’a jamais été aussi élevé. Il faut lutter contre la crise du logement, pas contre ses victimes »

Ça n’est pas d’une loi répressive qu’on a besoin, mais d’une politique d’entraide faite avec les associations et les personnes concernées.

Des lois existent qui protègent les sans-abris, les mal-logé.e.s, les locataires. Des lois existent qui permettent même la réquisition de logements vides. Ce sont des outils de bon sens. Pourquoi certain.e.s pourraient avoir 5 maisons quand des millions de personnes n’ont rien ?

Poser cette question à l’enfant que vous avez ou que vous êtes, et vous verrez.

Je fais donc partie des personnes qui ont squatté impunément ; sans droit ni titre mais avec panache et mauvaise foi. Je ne le revendique pas toujours, mais ça fait partie des actions que j’ai fait pour vivre dignement, avec joie, avec élan. Évidement qu’il faut jouir d’un certain nombre de privilèges pour décider de désobéir. Je l’ai compris en le faisant. La sous-bourgeoisie déclassée et bifurquante, j’en fais partie, ça n’est pas ce dont j’ai le + honte, honnêtement. Appelez-nous islamo-gauchistes, éco-terroristes, anarchistes, vous ne faites que salir nos vies, et ne savez pas c’que faire veut dire.

Je fais comme le capitalisme : j’récupère tout, je transforme tout, je suis née dedans, je suis comme lui. Je retourne le stigmate et le porte. J’incorpore ce contre quoi je lutte. Mais je ne suis qu’une personne, je n’suis pas une super structure. Je passe mon envie de dominer, d’annihiler sur autre chose. J’essaie de ne pas exercer mon pouvoir-sur.

Peut-être bien qu’il faudrait avoir une réflexion critique poussée sur la question de l’occupation illégitime de bâtiments par des enfants de la bourgeoisie. Mais j’vous avoue qu’ça m’fout la flemme. Car peut-être que la bourgeoisie dont il faudrait que nous parlions n’est pas celle qui est prof en fac ou dont les marmots squattent des bâts. L’occupation bourgeoise existe, la classe moyenne j’en sais trop rien. Je commence simplement à croire qu’à force de diviser les gens, il va plus se passer grand-chose. Combien de grands changements advenus parce que des gens privilégiés se sont alliés à des personnes plus opprimé.e.s et à d’autres personnes aliénées qui entre elles par le biais du monde se sont éduquées ? On n’apprend pas ça à l’école, mais la réponse c’est : beaucoup.

S’il fallait apprendre que tout soit écrit, pensé, dit, compris, on mourra avant que ça arrive. Alors oui je veux bien parler de la posture bobo dépravée. Moi-même j’dois dire que ça me secoue, ça me dérange. Aristoschlag, c’est compliqué. Mais faire de nous des coups d’État, des impostures, faut pas pousser.

On fait juste ce qu’on a vu faire depuis toujours. On prend ce qu’il y a à prendre. On a la sainteté donnée aux « personnes de la classe moyenne » et on s’en sert pour foutre le zbeul. C’est un style. On fait les poubelles. On profite d’avoir une gueule que le déli de faciès cherche pas pour se mettre en solidarité avec les chassé.e.s d’aujourd’hui.

Je pourrais dire que nous savons de quel côté se trouvent le vol, le viol, la violence, la domination. Mais j’ai bien peur de trop savoir que ça infuse, partout, tout le temps. On sait que la violence s’inculque, que le viol et le vol aussi. On apprend aux enfants à se taire, à obéir, à ne pas penser. On apprend aux garçons « ta gueule » et pour jouir, tu n’as qu’à dire « ta gueule » aux autres. On apprend aux gamines à plaire, et on apprend aux étrangères à se cacher.

Ce qu’on nous apprend en grande école c’est à voler de façon légale, à violer de façon morale, à ne rien dire, à respecter cette omerta patriarcale, capitaliste, impérialiste, suprémaciste. Ce sont des mots qui vous font rire ou bien frémir ? Interrogez-vous si c’est le cas. Ils sont très loin d’être périmés.

Je critique en m’incriminant. Je ne cherche pas à faire la morale. J’ai été moi-même kleptomane. J’pourrais m’en vouloir, m’excuser, mais je n’écris pas à propos de ça. Je ne recherche pas le pardon abstrait, je cherche d’abord à mieux comprendre. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que mes larcins, tout immoraux qu’ils aient été – je ne pratiquais pas, à l’époque, un vol de gauche – ne sont qu’une façon de dupliquer ce que chaque jour la machine fait. J’étais prise d’une fureur de prendre parce qu’en moi-même infusait le désir de marchandise, et le désir de dominer.

Klepto dans un système voleur, expropriant, exploiteur, malfaisant ; comment – si on le peut – ne pas en faire autant ? Comment résister à l’envie ? Comment s’armer de la vertu de la résistance quand on a 18 ou 20 ans ? On nous inculque des valeurs qui sont toute habillées de mensonge, tachées de sang et de mépris. On le sent, enfant. Les fantômes des guerres impériales, colonialistes, flottent en classe. On n’en parle pas. On ne dit pas que nos nations européennes ont fait avant eux, ce qu’on fait les nazis, un peu plus tard, sur leurs propres terres. Épuration raciale, extermination. On ne parle pas de cet héritage, on ne parle pas de catastrophe. On ne se demande quasi jamais comment est-ce qu’on hérite de ça.

Je sais maintenant qu’le vrai klepto, le grand klepto, ça n’est pas moi, ça n’est pas nous. Je ne vais pas dire que c’est l’État, parce que j’aime bien ces phrases là. Mais le problème c’est bien qu’elles plaisent, qu’elles innocentent, et ne font peser que d’un côté le poids du crime. Je ne crois pas que ça fasse flancher quoi que ce soit. Dire le système dans son ensemble est kleptomane me semble déjà + inclusif, ça fait de la place.

Je crois qu’on doit se demander, puisqu’on respire l’air qu’on respire, quand est-ce qu’on est dans le « pouvoir-sur », nous, lorsqu’on agit, interagit ? Quand est-ce que l’État intérieur, qu’on a en nous, agit, agite et persécute ?

Je n’vais pas dire Bernard Arnault paye tes cotiz, même si j’aime bien ces phrases là. Je n’vais pas dire qu’on s’adapte pas et qu’on reste fongibles fugitives, même si j’ai très envie d’le dire. Dire ça serait encore fournir des slogans au grand rapt-marché à la punchline. Et pourtant, voilà, je l’ai dit. Et je trouve même que ça sonne bien.

J’vais donc me laisser divaguer et délirer ne serait-ce qu’un peu, histoire de voir si le poème fluide, dans le gros bloc de la pensée, creuse un chemin crypto-psychique.

J’ai toujours trouvé que Macron a la peau lisse, pas la peine d’avoir fait science-po. L’inconscient est un flic hors pair, mais il est aussi analyste, et fort lucide. Mais dire cela ne suffit pas. Macron n’a pas que la Police. Macron n’est que la marionnette d’une police plus grande que lui, dont les flics qu’on voit dans la rue ne sont que les microbe-soldats d’un grand système immunitaire. Cette police est l’air qu’on respire, c’est l’ambiance dans laquelle on naît, c’est tout l’air qui nous environne et qui nous gonfle toute la journée. C’est l’idéologie lubrique et plasmatique, l’État gonflable comme les châteaux sur lequel glissent les arrière-trains et les enfants. C’est dégueulasse. Avec la canicule ça fond, le château gonflable fond au sol. Ça fait des vagues de lave plastique. C’est tout ça la patrie-arka. La patrie qui nous brûle le cœur, toute la journée, et qui nous ronge les pieds la nuit. C’est la patrie qui nous bouscule, nous met en rangs, nous agenouille et appelle ça « un équilibre ». C’est la patrie qui, comme un père, abat la main, traite de tarlouze, se branle en douce tout en pleurant. Arka en arabe ça veut dire ... brûler, je crois.

*

Décembre. Le gouvernement Meloni, en Italie, démontre en grand ses tentations autoritaires et son style sado-gaz-de-schiste.

Prétextant la nécessité de mettre fin à une fête techno, un décret a institué un délit d’un tout nouveau type, pouvant atteindre une punition de 6 ans de prison : « l’invasion de terrains ou bâtiments (privés ou publics) en vue de rassemblements dangereux pour l’ordre public la sécurité ou la santé publique. » Une définition pouvant s’appliquer à toute occupation d’usine, d’école ou d’université. Ce gouvernement post-fasciste (et donc fasciste) nous rappelle la Macronie, qui sous ses fringues bien repassées, et ses costards bien bleu marine, nous font avaler des boas. Des lois qui tuent, empêchent, répriment, criminalisent l’envie de vivre.

Ils nomment publique ce dont nous sommes, en spermanence, privé.e.s.

J’avais déjà pris position – vaguement, j’dois dire – au moment du confinement 2, sur le fait que les cloportes en France, sont mieux logés que les français.es. À l’époque je squattais une grosse maison, mais légalement entre guillemets, puisque ce bien immobilier était encore à ma famille. Le temps de la vente on l’habitait. On vivait à 7 là dedans. J’ai écrit là-dessus également, histoire de m’faire moins d’illusion, et de pas m’raconter d’histoire sur les vertus de cette aventure. À l’époque je montais à Paris, et je regardais les manifs.

J’y reviens parce qu’être hébergé.e.s, sans avoir à payer de loyer, ça fait également partie des façons d’habiter visées par la loi Kasbarian-Berger. Ce gouvernement ne supporte pas le moindre écart d’entraide possible menant au plaisir sans passer par l’État, l’argent, la soumissions aux règles administratives, bureaucratiques, technocratiques.

Hébergé.e.s à titre gratuit, c’est une case qu’on peut cocher sur le site de la Caf. C’est mon statut depuis des années, de lieu en lieu. J’adopte la posture enfantine irresponsable d’être chez les gens et prise en charge. En même temps si j’étais pas là les logements seraient dégueulasses et envahis par des cafards et des lianes comme dans Jumanji.

Je ne suis pas, pour ainsi dire, une SDF, puisque je jouis de domiciles (des fois banals, parfois grandioses), je vis plutôt SRDF : sans rien de fixe. C’est chiant, pesant, ça n’aide pas à faire des textes qui se tiennent bien. Mais j’ai de la chance.

J’habite maintenant dans du tissu, dans une tente de 20 mètres carrés, posé sur un terrain très long, dans la vallée de la Roya. Il y fait froid, l’hiver arrive. Je ne suis pas la + mal lotie, dans le coin, faut dire. Y’a une maison suréquipée sur le terrain. J’vais m’y réchauffer la journée. Je ne suis dans ma tente que la nuit, ou quand j’écris. Il y fait froid, mais quand ça sera la canicule, il y fera chaud, trop chaud, c’est sûr.

Plus loin, en bas, il y a la communauté Emmaüs Roya et des tas de personnes migrantes qui demandent l’asile et se font héberger gratuitement chez des gens qui s’organisent en réseau de solidarité. Des flic zombifiés robocop pratiquent quotidiennement des délits de faciès interdits sur toutes les personnes noires qui passent. Je ne sais comment les empêcher. Je les vois faire, ils sont armés. J’écris sur des groupes d’observation via l’application Signal pour signaler ce que je vois.

J’ai appris hier que depuis 2004 il y a des quotas d’expulsion des personnes étrangères. Et chaque année les quotas d’expulsion augmentent. Les ordres que l’État donne aux flics sont donc d’expulser un maximum (toujours croissant) de gens. Ces dernières années les quotas sont allés de 20 000 à 40 000.

L’industrie de la punition qu’est la police est donc obligée d’accomplir ce triste exploit que de ruiner 40 000 vies de « demandeur.euse.s » chaque année. C’est obligé. Ça fait partie de leur fonction, il faut que ça gicle pour que ça chiffre.

Je ne peux m’empêcher de remarquer ce qui semble déranger les dominant.e.s. C’est la demande. C’est le fait qu’on s’adresse à eux, et qu’on leur demande quelque chose. Le fait qu’on veuille d’un autre État, voire pas d’État, qu’on veuille d’autre lois, voire pas de Police, le fait qu’on s’interroge, s’insurge, réclame.

Est-ce cela qui les insupporte au point d’éborgner, violenter, tuer pour finalement anéantir ? Est-ce la demande ? L’énergie ?

Il y a là un rapport de force, un soulèvement des pensées, par les questions, un désir ardent de remplir, de mieux comprendre, de faire des phrases, des arguments, et puis même des explications. C’est peut-être cela qui les rend fous, certains grands chefs, si sûrs d’eux. C’est peut-être cela que détestent les réactionnaires conservateurs passeurs-de plumeaux-sur-les-vitres. Le fait de brûler des questions, disait ce lucide délirant qu’était Mr. Antonin Artaud.

Je m’interroge. Je remarque de + en +, et dans des milieux très variés, qu’on pose de moins en moins de questions. Les gens ne s’interrogent pas, pas oralement. Je remarque que plein de personnes se fréquentent sans rien se demander. Qu’on a peur de se questionner, d’être dans une posture questionnante, curieuse, tournée, encline, penchée, curieuse. Qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire ?

Qu’est ce qui est si insupportable dans le fait d’être interrogé, interpelé, questionné ? Qu’est-ce qui est inconfortable lorsqu’on nous fait une demande, ou lorsqu’on sent être demandé.e ? Qu’est-ce qu’une demande ?

Je m’interroge. Qu’est-ce qui semble unir les grévistes, les migrant.e.s, les enfants, les hébergé.e.s, les squatteur.euse.s, les militant.e.s, les occupant.e.s, les activistes, les anarchistes, les communistes, les SDF, les fous, les minorités de genre, les femmes, les vieux, les vieilles, les travailleur.euse.s sans papiers, les déserteurs, les chômeur.es, les bénéficiaires des aides sociales ?

Est-ce une façon de demander pour que la demande fasse la réponse ? Est-ce une façon de formuler de la demande qui produit d’elle-même une sorte d’offre, de début d’offre, de matière d’être, de façons de faire ? Est-ce une façon de formuler et d’incarner un certain nombre de problèmes ? Sommes-nous des problèmes dans le sens que nous sommes d’ardentes questions ?

Est-ce que c’est ça qu’les dominant.e.s haïssent au max : le fait d’être destitués, mis face à des contradictions, à des demandes, à des questions ? Est-ce ça qui les insécurise ?

La question renverse le pouvoir, la demande crée une inversion. Les questions produisent des effets.

À partir du moment où iels demandent, revendiquent, interrogent, sortent, occupent, restent, résistent, désobéissent et tiennent bon, répondent, les dominé.e.s ne sont plus tant des dominé.es.

Interroger, c’est résister. Interroger, c’est déjà répondre.

Parfois il ne reste que le suicide pour résister à l’oppression. Et dans ce cas-là, même le suicide est perçu comme une infraction. Même un suicide paraît trop libre aux yeux des gens qui nous oppriment.

Les squatteuses et les gens qui restent dans leurs logements, les gens qui bloquent les autoroutes, reprennent, récupèrent, revendiquent ; les gens qui ne lâchent rien et ne lèchent aucune botte, les gens qui font grève, ne se lèvent pas, les gens même qui ne se lavent pas : les oppresseurs détestent ça, enferment ça, éliminent ça.

L’oligarchie des ultra-riches fait ça à longueur d’existence : protéger ses propres intérêts, occuper les postes de pouvoir, garder les décisions pour eux, réquisitionner les espaces, ne faire qu’en fonction de leur caste et des privilèges de leur classe. Pourquoi ne supportent-ils pas quand en face une demande émane, l’orgueil émane ? Une solidarité égale, déborde, dépasse.

Que représentent la figure de l’hébergé.e et du squatteur ? Le délit de vagabondage ? Une posture d’échec assumé, le refus de la candidature, l’enfantillage ? Le désir de faiblesse ? La lascivité de l’abandon ? La sorcellerie ? L’abandon total de la course ? Une sensiblerie ? La preuve par le fait que la solidarité et la réquisition sont possibles, et donc que le monde tel qu’il marche n’est pas unique, obligatoire, irrémédiable ?

Pourquoi sommes-nous des ennemis ? De quoi sommes-nous les ennemis ?

Ils veulent le monopole de l’orgueil et de la dignité. Ils veulent le monopole des armes et de la violence. Ils veulent le monopole de l’esprit et de l’espace. Ils veulent le monopole sur tout, surtout ce qui crée du pouvoir.

Or tout pouvoir n’est pas malsain. Il y a des pouvoirs qui sont bons, et qu’il nous faut fort cultiver. Le pouvoir de faire, le pouvoir d’aimer, le pouvoir d’agir, de transformer, de créer, de modifier, d’imaginer. Si nous abandonnons ces pouvoirs là, nous sommes perdu.e.s. Il faut les réquisitionner.

Nos élans de solidarité sont des refus d’obtempérer. La simple volonté de penser ou de changer est pour ce vieux monde un danger. Nos élans révolutionnaires sont des virus dans le logiciel. Un tel conflit n’est pas léger, on n’en sortira pas indemne. Le fascisme est bien habillé, il tire sur les gens qui demandent et qui refusent et qui résistent. Il tue les gens qui veulent changer.

On appelle « désobéissance » le simple fait de refuser de tout détruire, et de chercher à continuer de vivre sans nuire. On appelle « simplification » le fait d’ôter aux personnes qui n’ont presque rien le presque rien qui leur restait. On appelle gouvernement un groupe de malfrats mythomanes malades du cœur.

La personnes hébergée, squatteuse, occupante sans droit ni titre, est comme un fongible fugitif, un champignon qui pousse là, de mauvaise foi, gratuitement, dans les ruines de leur monde toxique. L’ancien monde refuse de mourir, et donc encore de nous nourrir. Mais on ne veut pas du vieux vomi de ces zombies. Ce qu’ils détestent c’est nos sourires, notre sommeil, nos pyjamas, et nos odeurs de dessous de bras. Nous représentons la paresse, et ça ils ne supportent pas. C’est de notre anxieuse insouciance dont ils ne se remettent pas. Ce qu’on représente c’est la ruine, mais leur ruine. Nous les ruines nous aimons bien ça.

Que représentent les paysan.ne.s et maraîchères qui vivent en habitats légers pour rester prêt.e.s de leurs légumes ? les diplômé.e.s qui désertent les bullshit jobs pour aller planter des courgettes et saboter des pipelines ?

L’absence de calcul ? Le refus de la domination ? L’envie de faire partie du monde ? L’insupportable détournement des capacités d’accaparement mises au service du plus grand nombre ?

Les personnes qui sont hébergé.e.s, les demandeur.euse.s d’aides, d’asile, de logements sociaux (les pauvres en somme), les sous-classé.e.s, les déclassé.e.s, les anges déchus, les gens qui n’ont et ne sont rien, mais aussi les non vacciné.e.s, les profs qui se syndiquent encore, font encore grève, les grévistes, les ouvriers, les ouvrières, les intérim, les militant.e.s, les insurgé.e.s, les gilets jaunes, les communistes sans parti, les insoumis.e.s sans patriarche, le gouvernement des technocrates et des journalistes d’extrême droite nous voit comme une masse informe, mendiante, dégueu et désireuse.

Ça n’est pas seulement qu’on représente la passivité éhontée et les slips sales des bénéficiaires d’aides sociales mais plutôt l’affront de vouloir encore se soumettre à demander, à s’indigner et à vouloir, à réclamer. C’est nos appétits qui les tuent, nos vieux désirs d’égalité. Notre refus de réussite si réussir veut dire tuer, créer le vide.

Ce qui vexe les dominant.e.s (et peut aussi nous rendre fou, du genre lucide) c’est qu’on attend encore tout de la bienveillance d’impitoyables autorités.

Il ne faut surtout plus se fier à ce que les agents d’autorité disent aujourd’hui. Dire c’est mentir pour eux. La vérité n’a pas de valeur lorsqu’il s’agit de garder le pouvoir. Il faut choisir. Entre vérité et pouvoir, ils ont choisi. Les mots sont inversés, vidés, écartelés, écorchés, dépecés et modifiés. La plasticité de leur langage, de leurs mensonges est infinie. La plasticité de nos langages, de nos manières, de nos désirs et de nos fuites, de nos fragilités coriaces, de nos envies de justice et de rire, est infinie également.

Que représentent les poètes ? Les SDF ? Les squatteur.euse.s ? Une très active passivité ? Le refus de l’efficacité ? Le refus de devenir adulte, au sens où les adultes dominent, s’approprient, contrôlent, gèrent, conviennent, priorisent, organisent, ordonnent, projettent, prennent part, deviennent (cadres, larbins, exécutant, obéissants, indépendants), et se débrouillent ? Le SDF ne se débrouille pas, ne s’en sort pas, il est en demande. Il n’est pas indépendant, il est même supra-dépendant. C’est cette dépendance là, c’est le refus de tout projet tout en cherchant la dignité, qui semble les rendre dingues de rage. La personne qui est à la rue, ou qui occupe un bâtiment, s’enlise dans un immobilisme plein de passion, elle vagabonde efficacement. Elle est refus et devenir, adolescence, obsolescence non programmée, tout ce que les gens qui font carrière dans l’art de gouverner les autres haïssent le +.

Et puis le reste, les autonomes, les personnes qui ne demandent plus rien mais continuent d’être des questions, c’est l’anarchie : leur pire ennemie. Le refus de l’activité capitaliste, et la passivité mystique. Je ne suis peut-être pas de ceux-là, je ne sais pas desquels je suis, je sais desquels je ne suis pas. Je suis de celles qui ont de l’orgueil, et qui le cultivent. Or l’État, le gouvernement, le désir dingue de dominer, d’exterminer, de faire le vide, ils détestent qu’on ait ce qu’ils ont : l’orgueil de se battre.

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