De l’innommé...

ou : comment penser pendant/après Gaza ?
Philippe Tancelin

paru dans lundimatin#410, le 8 janvier 2024

Cette question ne s’adresse pas seulement à l’intellectuel, l’artiste, l’écrivain, le poète, le philosophe mais à tout humble et responsable penseur de sa vie.

Ne nous fermons ni la bouche ni les yeux, ni les oreilles et même si nous le faisions, n’en monterait pas moins des profondeurs de la mémoire postérieure à la seconde guerre mondiale, ce strident cri d’alerte à ce qu’il faut bien nommer, une « persécution » ; la persécution de tout un peuple que depuis 1948, on a déplacé voire chassé de la terre de Palestine, à qui on a refusé la création d’un état démocratique souverain, qu’on a leurré, trompé tout au long des quatre dernières décennies, en spoliant ses terres, asséchant ou souillant ses puits, en emprisonnant arbitrairement ses résistants, en séquestrant leurs cadavres, en créant des embargos.

A la persécution s’ajoute ce jour la cruauté à laquelle se livre une grande partie de l’Occident et de l’Europe en soutenant militairement et accompagnant d’encouragements, la guerre poursuivie par l’occupant contre non plus une faction armée mais une communauté de deux millions et demi d’âmes que depuis trois mois on a amputé de 9000 de ses enfants, vingt deux mille de ses mères et pères, des dizaines de milliers d’enfouis sous les décombres...

TOUT CELA SANS CESSE....

On continue de bombarder, déplacer, repousser vers le Sud de Gaza, coloniser, traquer, persécuter car comment nommer autrement lorsqu’on affame, altère, prive d’eau et de lumière une population entière, qu’on détruit ses infrastructures sanitaires, administratives, culturelles, cultuelles...

Comment qualifier les tirs sur les ambulances, les rares convois humanitaires filtrés ?

Nous ne sommes pas témoins ou plus ou moins acteurs de l’agression d’un Etat par un autre, d’une famine due à des facteurs économiques, d’une épuration, d’un conflit-massacre interethnique, tous circonstanciels. Nous sommes devant la répétition ordonnée de mesures discriminatoires, de privations calculées de ces besoins fondamentaux pour la survie de plus de deux millions d’êtres. Nous voilà au minimum engagés dans une participation silencieuse quand ce n’est pas le soutien moral et armé d’États censés représenter près d’un milliard d’âmes en Occident.

Face à cet effondrement d’humanité, il n’en va pas seulement d’un respect des consciences morales et intellectuelles mais de ce qui de fait, nous place soit dans la communauté des tortionnaires, soit dans celle des torturés car il ne saurait y avoir de demi-mesure dans l’évaluation de la cruauté.

A quoi se livrent ce jour, les prétendus « civilisés des Lumières » et leurs adeptes ? Dans quels yeux se trouve la poutre du bois de supplice ?

Qu’on ne nous qualifie pas de lyrique voire de pathétique quand le vocabulaire n’atteint pas même l’ombre de la nudité des faits.
Qu’on ne nous rétorque pas que « la guerre c’est la guerre » lorsque la haine et la fureur déchirent la respiration des mondes, obscurcissent les chants originaires...

Nous voici rendus dans les soubassements de la conscience où l’Homme est confronté à l’habitat de sa vie en le monde.

Je ne crois plus ce jour en une parole qui se voudrait poétique et nous sauverait demain de la honte quand déjà, elle ne le peut plus de nos impuissances.

Je ne crois plus en l’humanisme qui sut un temps offrir rivage aux présences naufragées

je ne crois plus en ces mots errant sur les lignes d’incommensurable mansuétude

Je ne crois qu’en l’AUTRE digne, debout sous le fléau, sublimant par sa lumière la hauteur de chacun de ses pas dans les décombres.

Comment écrire où tremblent les ruines
sous le silence des mots !

Philippe Tancelin
4 janvier 2024


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