De l’Ukraine à la Palestine, le poison du déni

David Finkel

paru dans lundimatin#388, le 19 juin 2023

L’invasion russe de l’Ukraine et l’escalade de la violence et du nettoyage ethnique d’Israël en Palestine sont devenues, au cours de l’année écoulée, les deux pôles d’une crise mondiale qui ne cesse de s’aggraver. Pour la gauche internationale, la guerre en Ukraine et la catastrophe en Palestine, qu’elles soient appréhendées isolément ou conjointement, constituent des tests très importants pour la théorie et, plus important encore, pour la politique.

Une question taraude la gauche : est-il possible de soutenir les luttes ukrainienne et palestinienne et de s’opposer en même temps à l’impérialisme ? En fait, la question devrait être inversée : comment est-il possible pour une gauche authentiquement internationaliste de ne pas soutenir ces deux luttes pour l’autodétermination et la survie nationale ?
De toute évidence, la spirale sanglante qui dégénère dans les territoires palestiniens occupés et la volonté de la Russie de détruire l’Ukraine sont toutes deux des urgences internationales. Au-delà de cela, les situations sont bien sûr très différentes. Je soutiens toutefois qu’il existe également des ressemblances et des liens importants.

À première vue, la plus grande différence réside dans la position de l’impérialisme américain et de ses alliés, qui apportent un soutien militaire massif à la guerre de défense de l’Ukraine et appliquent des sanctions économiques contre la Russie, tout en permettant à l’État israélien, depuis plus de cinq décennies, d’écraser les aspirations du peuple palestinien à la survie et à l’autodétermination.
Pour une partie de la gauche, malheureusement, la lutte mondiale ne tourne qu’autour des crimes de l’impérialisme américain et de ses alliés - au point que non seulement le rôle des autres oppresseurs impériaux, mais aussi l’action des personnes réelles et des peuples opprimés qui luttent pour leur propre liberté, perdent de leur importance. De ce point de vue, pour la gauche, soutenir simultanément l’Ukraine et la lutte palestinienne semble être une contradiction sans espoir.
L’hypocrisie de la rhétorique occidentale sur « l’ordre international fondé sur des règles » et « la démocratie contre l’autoritarisme » est, bien sûr, accablante. Mais ce n’est ni nouveau ni surprenant à la lumière de siècles d’histoire coloniale et impériale.
Pour ceux d’entre nous qui s’efforcent d’être des anti-impérialistes cohérents, le point de départ n’est pas le camp impérialiste le plus fort ou « l’ennemi principal » dans un quelconque schéma global, mais plutôt les droits des nations et des peuples et leurs luttes légitimes.

C’est pourquoi cette réflexion commence par une comparaison entre les luttes ukrainienne et palestinienne - le déni de la nation ukrainienne par Vladimir Poutine, qui la qualifie de création artificielle des bolcheviks impies, et le déni de la nation palestinienne par tous les idéologues israéliens et du mouvement sioniste qui soutiennent que « les Palestiniens n’existent pas » (Golda Meir) et qu’« il n’y a jamais eu d’État palestinien ».

Les idéologies du déni

Sommes-nous en train de mettre sur le même plan l’Ukraine et la Palestine ? Certainement pas - nous parlons de déni. Dans les deux cas, nous sommes confrontés à un même déni du droit à l’autodétermination. Ce type d’idéologie tordue a des conséquences, qui peuvent aller jusqu’à des formes de déshumanisation ouvrant la voie aux crimes de masse.

Dans le cas de la Palestine, le déni favorise un mythe - absurde à première vue et discrédité depuis longtemps, mais encore largement répandu - selon lequel la population palestinienne autochtone était principalement composée de nouveaux arrivants attirés par la prospérité générée par la colonisation sioniste. Bien que vide de sens, ce mythe sert d’appui idéologique commode à la confiscation continue des terres et des biens palestiniens au nom de la ’reconstruction de la patrie juive’.
Ce récit s’étend à travers le temps et transcende les familles politiques, puisqu’on le retrouve aussi bien chez la sioniste travailliste Golda Meir que chez l’actuel ministre israélien des finances, le nationaliste religieux extrémiste Bezalel Smotrich : « La nation palestinienne n’existe pas. Il n’y a pas d’histoire palestinienne. Il n’y a pas de langue palestinienne. »
Les nationalistes chrétiens américains de droite reprennent le thème : « Les Palestiniens n’existent pas », a déclaré l’ancien gouverneur de l’Arkansas, Mike Huckabee.

Cette tentative d’effacement de la réalité du peuple palestinien a atteint son apogée, du moins dans les cercles américains, avec la publication d’un article de Joan Peters, From Time Immemorial (1984). Le contenu de cet ouvrage a été entièrement démenti par Norman Finkelstein et discrédité par des universitaires, dont l’historien israélien Yehoshua Porath, qui l’a qualifié de ’pure contrefaçon’, mais il a continué à circuler en tant que récit sioniste utile.
La thèse de Peters a pris un nouvel essor lorsque ses mensonges ont été repris, sans mention des sources, par Alan Dershowitz dans son livre de 2003 intitulé The Case for Israel (Plaidoyer pour Israël).
Pour de nombreux amis libéraux (juifs et autres) d’Israël, la brutalité de l’occupation, lorsqu’il est impossible de l’ignorer, devient une source d’inquiétude, mais l’idée selon laquelle les Palestiniens ne forment pas réellement une nation permet d’apaiser cette inquiétude. Ils peuvent ainsi présenter la ’violence des deux côtés’ comme si elle était le fruit du ’rejet’ déraisonnable des Palestiniens (c’est-à-dire le refus d’accepter le vol de 80 % de leur patrie).
L’occupation affaiblit également la politique israélienne, comme nous le verrons plus loin.

Dans la guerre d’Ukraine, l’affirmation de Poutine selon laquelle l’Ukraine fait naturellement partie du « cœur de la Russie » est historiquement ridicule, mais comme elle est promue par une puissante propagande d’État, elle n’a pas besoin d’être étayée par des faits. Ce mythe donne un vernis aux revendications annexionnistes de Moscou sur les provinces de Louhansk, Donetsk, Zaporizhzhia et Kherson, ainsi que sur la Crimée.

Dans son essai de juillet 2021 intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », M. Poutine parle de la « bombe à retardement » placée dans l’Union soviétique lors de sa fondation :

« Le droit des républiques à se séparer librement de l’Union a été inclus dans le texte de la déclaration sur la création de l’Union des républiques socialistes soviétiques et, par la suite, dans la constitution de l’URSS de 1924. Ce faisant, les auteurs ont placé dans les fondations de notre État la plus dangereuse des bombes à retardement, qui a explosé dès que le mécanisme de sécurité fourni par le rôle dirigeant du PCUS a disparu, le parti lui-même s’effondrant de l’intérieur ».

En avril 2008, lors d’un sommet de l’OTAN à Bucarest, M. Poutine aurait déclaré : « L’Ukraine n’est même pas un État ! Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une partie de son territoire se trouve en Europe de l’Est, mais une partie, une partie considérable, est un cadeau que nous lui avons fait ! »

Le célèbre spécialiste de l’histoire européenne, Donald J. Trump, se serait exclamé lors d’un point presse en août 2017 que l’Ukraine « n’était pas un ’vrai pays’, qu’elle avait toujours fait partie de la Russie. » [1].

La négation de la nationalité ukrainienne permet aux secteurs les plus ignorants et malhonnêtes de la gauche mondiale de dire que le nationalisme ukrainien est dominé par des nazis qui méritent d’être exterminés, tandis que des éléments plus pacifistes considèrent le territoire ukrainien comme une monnaie d’échange à négocier afin d’arrêter le carnage.
Si l’Ukraine est considérée comme une construction artificielle - indépendamment de ce que les Ukrainiens peuvent penser - dans quelle mesure le fait que Donetsk fasse partie de l’Ukraine, de la Russie ou qu’elle soit semi-indépendante devrait-il avoir de l’importance ? Ainsi des groupes comme CodePink, qui appelent à la « paix », refusent systématiquement de répondre à la simple question suivante : « L’Ukraine est-elle un ‘vrai pays’ et a-t-elle le droit de se défendre ? »

Ce refus permet aux pacifistes qui compatissent aux souffrances des Ukrainiens, mais ne comprennent pas la profondeur populaire de la résistance ukrainienne, de plaider pour des ’négociations de paix’ qui équivaudraient à l’amputation territoriale de l’Ukraine. Ils ne semblent pas non plus avoir conscience que ce type de ’paix’ conduirait à un réarmement massif de toutes les parties en vue d’un nouveau round plus sanglant.
La question ici n’est pas de savoir à quelles conditions le peuple ukrainien pourrait décider de négocier - ce qui est son droit exclusif - mais de comprendre la faillite politique et morale des partisans de la ’paix’ qui lui font la leçon sur la nécessité de se rendre.
La question de savoir si les puissances impérialistes occidentales, dont nous savons qu’elles sont infiniment perfides, finiront par imposer une ’solution’ au nom du ’réalisme’ reste ouverte. Pour la gauche, cela ne devrait pas affecter la défense de principe du droit des Ukrainiens à déterminer leur propre avenir.

Les principales différences

Le fait que l’identité nationale et le droit à l’autodétermination des Palestiniens et des Ukrainiens soit nié ne signifie pas que ces luttes soient identiques. Il est évident que l’Ukraine n’est pas la Palestine - et encore moins Israël, comme l’a prétendu le président ukrainien Zelensky lorsqu’il espérait obtenir davantage de soutien de la part de ce pays :

« En 2020, Zelensky a retiré l’Ukraine du Comité des Nations unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien et, dans un discours à la Knesset, il a associé le droit de la nation ukrainienne à exister à celui de la nation israélienne, en affirmant que les deux combattaient un ennemi déterminé à ‘détruire totalement le peuple, l’État et la culture’. Dans une réponse passionnée, Asad Ghanem, professeur à l’université palestinienne de Haïfa, a accusé Zelensky d’inverser le rôle de l’occupant et de l’occupé. Tout en exprimant le soutien palestinien à la résistance du peuple ukrainien à la brutale invasion russe, il a déclaré que les paroles de Zelensky étaient une ‘honte en ce qui concerne les luttes mondiales pour la liberté et la libération’ ». [2]

Les experts en géopolitique peuvent expliquer toutes les différences entre la guerre en Ukraine et le soi-disant ’conflit’ israélo-palestinien. Mais dans le fonds, les différences entre ces États et nations modernes sont très claires. Attention : nous parlons d’États et de nations "modernes", il n’est pas question ici des guerres portant sur des conflits frontaliers menées par les royaumes ou les États européens des siècles passés, et encore moins de la Rus médiévale de Kiev ou de l’histoire chargée de mythes de l’ancien Israël. Tous ces sujets sont intéressants, mais relèvent d’autres débats.
La principale différence entre l’Ukraine et Israël est que l’État ukrainien moderne n’a pas été fondé sur la dépossession et la terre d’un autre peuple, qu’il a expulsé en masse et auquel il a imposé un régime d’occupation brutal présentant des caractéristiques coloniales et d’apartheid.

Par ailleurs, la grande différence entre l’Ukraine et la Palestine est que l’Ukraine est un État-nation qui a démontré sa capacité à défendre son territoire contre un envahisseur impérial. Sa situation au cœur de l’Europe lui a également permis d’obtenir l’assistance militaire nécessaire. Les Palestiniens n’ont pas d’institutions étatiques, ni d’armée, ni d’option militaire stratégique pour gagner leur liberté.
Qui plus est, les Palestiniens n’ont pas d’amis parmi les grandes puissances, et l’impérialisme américain en particulier est totalement indifférent à leur sort tant que les choses restent relativement "calmes" (c’est-à-dire invisibles). En fait, la Palestine apparaît avant tout comme un dommage collatéral dans chaque crise internationale, y compris dans la guerre actuelle en Ukraine.
Le peuple palestinien bénéficie d’une importante solidarité populaire mondiale, mais ne reçoit aucun soutien de la part des acteurs ’géopolitiques’ de la région ou d’ailleurs. Il s’agit d’une population essentiellement désarmée qui affronte, seule, l’énorme puissance de l’État colonial israélien.
Pour ses propres intérêts, bien sûr, l’impérialisme américain soutient la guerre en Ukraine tout en permettant à Israël d’écraser la Palestine. Cette attitude illustre la politique cynique des grandes puissances, mais ce n’est pas une raison pour que la gauche en inverse tout simplement les termes. L’héroïsme largement reconnu du peuple ukrainien et l’héroïsme généralement méconnu du peuple palestinien méritent tout autant la solidarité de la part de ceux d’entre nous qui s’opposent à tous les impérialismes et colonialismes. C’est d’autant plus important aujourd’hui.

Le ’feedback’ réactionnaire

Un autre parallèle est que l’invasion de l’Ukraine et le désastre en Palestine ne peuvent être séparés des crises politiques internes en Russie et en Israël. Dans chaque cas, les efforts des régimes pour écraser une autre nation se répercutent directement sur leurs propres sociétés.
Trop d’ « amis » libéraux d’Israël n’arrivent pas à comprendre que le mélange de nationalisme de droite et d’extrémisme religieux des suprémacistes juifs présents au sein de la nouvelle coalition gouvernementale israélienne représente la destination authentique vers laquelle le sionisme politique se dirige depuis très longtemps.
On peut avoir une discussion longue et complexe sur la question de savoir si une destination différente était possible - si l’occupation post-1967 avait pris fin rapidement - mais cette possibilité est morte depuis longtemps, de même que la ’solution à deux États’.

Alors que les meurtres commis par l’armée israélienne et les colons sont une réalité quotidienne dans les territoires palestiniens occupés, une confrontation sans précédent a éclaté dans le monde politique israélien à propos de la décision péremptoire du gouvernement de s’emparer du contrôle de la nomination et des pouvoirs du système judiciaire du pays. L’avertissement de ’guerre civile’ lancé par le président de l’État d’Israël, M. Herzog, montre l’ampleur de la crise.
La menace de la "réforme" a fait descendre des centaines de milliers de citoyens israéliens (presque tous juifs) dans les rues, bloquant les autoroutes et les ports, qualifiant ouvertement le régime gouvernemental de "fasciste". Ils considèrent qu’il s’agit d’une lutte à mort pour sauver la démocratie israélienne. Alors que les capitaux fuient le pays, Amjad Iraqi, dumagazineisraélien en ligne+972, qualifie ironiquement la révolte qui s’étend de ’l’une des campagnes BDS les plus impressionnantes jamais observées’.

La démocratie existe bel et bien, pour les citoyens juifs d’Israël, dans une mesure beaucoup plus limitée pour les citoyens arabes du pays, et pas du tout pour les Palestiniens des territoires occupés qui vivent dans des conditions d’apartheid militaire. Un mouvement en faveur de la démocratie israélienne est inévitablement limité tant que le déni de la nation palestinienne reste en place, soit ouvertement, soit par défaut.
Pour le premier ministre Netanyahou, la "réforme" judiciaire signifie s’exempter de poursuites pénales pour de multiples accusations de corruption. Netanyahou est effectivement captif de ses partenaires de coalition extrémistes sur le plan religieux, pour qui il s’agit de prendre le contrôle des questions relatives à l’"identité juive" et d’éliminer tout frein (faible) aux assauts meurtriers de l’armée et des colons contre les villes palestiniennes, à l’expansion illimitée des colonies et au pouvoir d’interdire aux partis dirigés par des Arabes de participer aux futures élections (comme les commissions électorales parlementaires ont déjà tenté de le faire mais ont été déboutées par la Cour suprême d’Israël).

Les critiques palestiniens et progressistes ont souligné avec justesse que la lutte pour ’sauver la démocratie israélienne’ consiste essentiellement à maintenir un statu quo qui est déjà mortellement antidémocratique pour les Palestiniens. Compte tenu de ces limites, ses perspectives de succès substantiel sont floues - bien que la perspective d’un affaiblissement de l’autorité judiciaire provoque une grave fuite des capitaux, tandis que le protecteur suprême d’Israël, le gouvernement des États-Unis, semble désormais sérieusement préoccupé par les implications des appels explicites au génocide des ministres sionistes et religieux du gouvernement. Ces deux facteurs sont mauvais pour les affaires et la "stabilité".

Une comparaison intéressante entre Israël et la Russie est l’indifférence publique de la plupart de leurs citoyens - dans le cas des Israéliens juifs, face à la catastrophe qui se déroule dans les territoires occupés, et dans le cas de la Russie, face à l’horreur qui se déroule en Ukraine.
Depuis de nombreuses années, la majeure partie du public juif israélien a été conditionnée à ignorer les faits de l’occupation, même lorsqu’ils sont librement accessibles. En Russie, les médias d’État et la répression policière dissimulent la brutalité de la guerre. Le degré de liberté en Israël permet un éveil civique, tandis qu’en Russie, l’invasion de l’Ukraine s’est accompagnée de la disparition des derniers vestiges de la démocratie.

Le régime de Poutine est désormais le vaisseau-amiral mondial du nationalisme chrétien blanc, ce qui explique qu’il soit admiré par une grande partie de la faction MAGA du parti républicain américain. Comme cela a été largement débattu, la Russie se dirige de plus en plus vers une forme de fascisme, une tendance qui ne fera que s’accélérer à moins que son invasion ne soit vaincue. (Nous avons discuté de cette tendance dans le récent article de Zakhar Popopvych intitulé ’Russia’s Road Toward Fascism’).
Quant à l’impasse dans laquelle se trouve la société russe elle-même, elle est aggravée par la catastrophe de la guerre menée par Poutine. Comme l’écrit le sociologue Boris Kagarlitsky :

« L’année qui s’est écoulée depuis le début de la guerre a clairement montré que le système politique a besoin d’un changement radical. L’alternative aux réformes ne peut être que la désintégration croissante des institutions étatiques et la dégradation d’une économie déjà malade, ce qui n’arrange personne. Mais le seul moyen de changer de cap est de chasser Vladimir Poutine du pouvoir. » (A l’occasion du premier anniversaire de la guerre.)

Perspectives

En effet, toute perspective d’avenir démocratique pour la Russie est inséparablement liée à l’issue de la guerre - en particulier, elle dépend de la défaite de ses ambitions impérialistes et annexionnistes en Ukraine. La démocratie ukrainienne dépend également des résultats de la guerre - mais dans son cas, de la victoire a résistance à l’invasion. Les résultats de ces événements auront des répercussions sur chacun d’entre nous.

Alors qu’en Ukraine le monde du travail et la gauche sont pleinement engagés dans la guerre, ils sont également contraintes de résister aux atteintes au droit du travail du gouvernement Zelensky. Une victoire de l’Ukraine ouvrirait la possibilité (sans garantie) de surmonter définitivement le cycle des politiques oligarchiques de factions qui ont dominé le pays après son indépendance post-soviétique en 1991. En revanche, une défaite tragique ou une amputation de l’Ukraine est plus susceptible de briser son unité nationale émergente - et d’entraîner une résurgence des forces d’extrême droite.

Pour Israël, la préservation de sa démocratie formelle dépend de son expansion substantielle. Cela signifie tout d’abord un mouvement qui s’attaque à la réduction des droits des citoyens arabes - et au régime colonial d’apartheid dans les territoires palestiniens occupés - dans la loi et dans la pratique. Cela ne nécessite rien de moins qu’une révolution politique pour briser la doctrine de "l’État-nation du peuple juif" que la coalition gouvernementale actuelle conduit à son aboutissement logique et inavouable.

Comme dans tout autre régime ethno-religieux, la suprématie juive et la démocratie ne peuvent coexister pacifiquement. Les colons violents qui ont perpétré le pogrom de Huwara et qui commettent quotidiennement des atrocités qui ne font pas la une des journaux internationaux l’ont parfaitement compris. Il ne fait aucun doute qu’ils s’empresseront de rejoindre la "garde nationale" dont Netanyahou a fait cadeau au membre du cabinet Itamar Bem-Gvir, un raciste extrémiste.
La question qui se pose à la société israélienne est de savoir si elle peut faire face aux conséquences de la négation par le mouvement sioniste, dès sa création, de la nation palestinienne. Cette lutte nécessite une aide extérieure, par le biais du BDS (boycott/désinvestissement/sanctions) et d’autres actions de solidarité en faveur des droits des Palestiniens.

Dans le même temps, le déni russe de la nation ukrainienne ne peut être vaincu que sur le champ de bataille, ce qui nécessite une solidarité internationale, y compris par les armes, avec la guerre de l’Ukraine pour sa survie. La Russie et l’OTAN mènent peut-être une sorte de ’guerre par procuration’ - que l’OTAN est en train de gagner grâce à Poutine - mais ce qui est d’une importance décisive, c’est que l’Ukraine mène une guerre populaire que toutes les forces de gauche devraient soutenir.
Contrairement à ce que suggère la rhétorique de M. Biden, cette guerre n’oppose pas les « États démocratiques » aux « États autoritaires ». Il ne s’agit pas d’une lutte entre États, mais au sein de chaque société, y compris (et surtout) la nôtre. Il ne s’agit pas non plus de l’imposture pieuse d’un ’ordre international fondé sur des règles’, où les États-Unis établissent les règles et donnent les ordres.
L’attention de la gauche ne doit pas être détournée : en Ukraine et en Palestine, la lutte porte avant tout sur les droits des peuples et des nations, et sur les conséquences néfastes de la négation de ces droits.

Cet article a d’abord paru en anglais ici

[1Washington Post, 2 novembre 2019, ’A presidential loathing for Ukraine is at the heart of the impeachment inqury’

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