les liaisons s’entendent fort pour laisser passer
l’eau du discours intérieur
le ridicule ne tue pas mais le mépris assassine
et noie les voix intérieuresla musique ne s’entend pas comme une fuite
de gaz explose en silence extérieur
les fantômes vivants de l’amour ne se voient pas
s’entendent dans la nuit extérieure
[…]
pendant que les services se perdent dans les faux calculs
que tu prends la couleur vive pour faire vivre la vie
de chaque jour rendue invisible derrière les écrans de fumée
voilà qu’une autre fumée fait monter l’encens identitaire
les têtes de Paris-France se légionnent d’horreur
à la sérotonine et envoient leurs hommes d’armes
leurs toutous détruire le portrait au rond-point de Dions
de Marcel Sanchez les yeux ne leur suffisent pas
ils ont prévu de se racheter une conduite historique
en défiscalisant leur générosité acquise aux bondieuseries
des poutres dans l’œil de Notre-Dame qui aveuglent
d’un feu de paille les héros de l’information en continu
alors ce cri qui court dans la nuit comme fluorescence
d’une comète revient plus proche peut-être elle éclaire
comme un peu de futur rendu présent quand les murs
de la police seraient quel testament notre héritage c’est
de les crever
avec les vérités de fait de tous nos possibles
et de se défier de l’éxécutif
serait-ce que le poème
donne plus que tout autre
discours l’envolée qui ne vient
qu’en bas de l’escalier
quand les pouvoirs et savoirs
ne valent de rien et te voilà
sans un sou ou sans le bon mot
mais n’est-ce pas la condition
de tous ceux qui n’ont ni
pouvoir ni savoir à faire valoir
et toujours à la dernière marche
trouvent ce qui aurait renversé
la situation parce que le roi
est nu surtout vu d’en-dessous
et celui qui s’envole là-haut
règne certes un bon moment
avant que ses ailes ne fondent
et qu’à la dernière marche
l’endophasique hurle comme
peuple en révolte et danse
sur l’air des bégaiements
il faut en effet que discourant
on boite pour trouver la réplique
qui manquait là-haut et ici
serrés comme dans une république
les vers répondent librement
toutes les solidarités des corps
meurtris de tes peuples
je te ferai la peau encore
plus belle toute noire je
t’aime sur l’escalier de nos
renversements intersectionnels
viens voir nos voix surgir
à travers tous les barreaux
je crie ton prénom Adama
Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Élysée
(…)
mais je ne sais plus qui est ce tu
quand ça court les rues et fend les rangées de flics
et surtout quand ça bat à plat de couture les campagnes
de communication
et tout l’agenda des gouvernants le doigt sur le pli
d’un uniforme capitalisme mondial
et je ne sais plus qui est ce tu qui déplie
à son rythme une utopie tous les samedis
de la consommation sans fin
autre que la marchandisation de tout
est-ce le prolétariat comme écrivait l’Aragon
mais aussitôt il le réduisait à la non-personne
ce singulier collectif sans pluriel : Il prépare son jour
sont-ce les misérables
du vieux père Hugo sa cathédrale a pris feu
comme pour divertir dans une énième production
les fortunes charitables avides de défiscalisation
au prix d’un Gavroche ou d’une Esméralda
les horribles travailleurs de Rimbaud
illumineront-ils à coup de rimes les prud’
hommesques spadassins ou encore mieux
les corps enseignants qui roulent dans la bonne
ornière de l’herméneutique avec toute la rhétorique
seul le poème inconnu sur les ronds-points
pas prévu prophétise ce tu
et je comprends alors qu’on ait voulu faire sauter
l’Arc de Triomphe car dans tout ce silence
que tu fait s’entend le cri feu sur
les politiques les tueurs les massacreurs
du commun et de la Commune
je te suis donc tu est mon peuple
nous tenons voix et volerons le feu
(salut double à Ghérasim Luca)
je confine, tu finis mes finasseries
tu confines, je finis tes conneries
nous confinons, finissez nos confins
j’ouvre les fenêtres et tu m’enfermes
sans sortir, je te sors et tu m’entres
infiniment sans en finir avec nos fins
et depuis nos débuts, tu me continues
dans des étendues que j’attendais
depuis les petites fins de moi
et de ta fin du monde confiné
comme tu m’attendais étendue
à mourir de lire les confitures et
les fritures sur les ondes financières
tu me fondes depuis tous nos confins
a-t-il un jour boulonné dur
autrement qu’à toucher des jetons
en émargeant aux conseils d’administration
dans des tours de régimes insécuritaires
où s’accumulent les revenus d’actions
pour polluer nos vies avec jets et piscines
a-t-il un jour boulonné dur
autrement qu’à décompter des vies
sur le dos des femmes africaines
au ménage avant tout le petit
monde des écrans et musées
comme dans ces chambres novotel
ou les amphithéâtres du collège de
France et les ateliers d’écriture
des poètes qui travaillent au spectacle
de l’effacement des classes et races
a-t-il boulonné celui que les jeunes
des banlieues pauvres détrôneront
pour aller rouiller dans les banlieues
riches protégées par des milices et polices
incultes dirigées par les déculturés
des écoles payantes de communication
viens déboulonner avec mes mains le présent
des passés effacés chaque jour que le macron
se reboutonne en costume éthique alors
le roi est nu dans les yeux de nos peuples
bon ! nous irons nous irons
nous irons les déboulonner
celui qui s’abaisse il s’élèvera
l’égalité partout règnera
[…] Dans le poème, il est resté une goutte de politique. Nous verrons ce que l’avenir en fera. Peut-être, toute politique est si sale, qu’une seule goutte d’elle trouble et altère tout le reste […].
Alexandre Blok, Note sur les Douze, 1er avril 1920 (trad. de Sophie Laffitte)