Dans le champ du possible

Apprentissages et réflexions pour une réarticulation antipatriarcale

paru dans lundimatin#410, le 8 janvier 2024

Un camarade, Lucas Amilcar, nous a transmis une traduction d’un texte d’Anibal Romo portant sur l’essor et l’effondrement d’un collectif antipatriarcal chilien accompagnée d’une longue introduction qui en précise l’argumentaire et l’articule au contexte français. L’absence de consensus sur l’affaire Depardieu ou l’affaire Quatennens, entre autres, manifestent le retard de la conscience féministe en France relativement à celle déployée massivement au Chili. En s’appuyant sur plusieurs références, dont un texte de Mark Fisher que nous avions traduit ici il y a quelque temps, Anibal revient sur le backlash qui a suivi les manifestations féministes massives de 2019 au Chili, la fragilité des collectifs d’hommes féministes, et tente de défaire le labyrinthe de certaines méthodes des organisations politiques antipatriarcales qui, parfois, semblent insuffisantes à maintenir à vif des groupes consistants, unités de bases d’une pratique révolutionnaire de haute durée. Leurs contacts sont en fin d’article pour celles et ceux qui souhaitent poursuivre la discussion.

Introduction

Anibal, dans ce texte, propose une réflexion critique sur certains piliers et pratiques du féminisme chilien et il le fait avec la volonté délibérée de proposer un nouveau pas en avant, et d’ainsi avancer plus massivement vers les conquêtes féministes qui manquent encore. Nous pensons tous deux que le séparatisme [1], la pratique de la funada [2], l’exclusion des hommes du mouvements féministe, la détermination des réponses aux viols et à la violence, sa radicalité donc, ont été des moyens fondamentaux dans le processus de lutte au sein duquel les femmes et les dissidences sexuelles ont pu construire ce niveau de puissance féministe.

Si ces questions sont particulièrement importantes il est difficile de les importer comme telles en France. En proposant ce texte nous n’entendons aucunement remettre en question la non-mixité, l’exclusion, les dénonciations publiques ou même les punitions contre les agresseurs sexuels au sein du milieu politique français.

D’autant plus depuis notre position d’homme cis français, qui n’entend pas donner des recommandations au mouvement féministe en France ou ailleurs, mais plutôt partager largement cette expérience passionnante qu’Anibal raconte et s’adresser plus spécifiquement aux hommes cis anti-patriarcaux pour penser, pour reprendre ses mots, comment « faire notre part du travail ».

J’ai hésité avant de traduire ce texte car je craignais des malentendus ou des utilisations malvenues. En France, j’ai pu participer ces dernières années à plusieurs moments de dénonciations publiques ou à des cas d’agressions sexuelles au sein du milieu politique. Et nous avons souvent été confrontés, de la part d’hommes impliqué.es indirectement (membres des mêmes groupes, amis etc.), à l’utilisation de textes et d’arguments théoriques et universitaires issus de la pensée de la justice transformatrice et réparatrice afin de justifier l’absence d’exclusion ou de sanctions.

Ces théories sont extrêmement importantes et constituent des matériaux nécessaires pour faire réfléchir le milieu révolutionnaire sur comment construire des avenirs justes, non carcéraux et donc réellement transformateurs. Le problème réside non pas dans leur utilisation mais souvent dans qui les utilisait et à quelle fin, au peu de place accordée à la réparation des victimes et enfin au manque de contextualisation. Des textes, en général en provenance de l’afro-féminisme des États Unis ou du féminisme anticarcéral de Abya Yala [3], et donc écrits dans des contextes souvent très différents de celui de la France.

Après plusieurs discussions avec Anibal nous nous sommes mis d’accord sur le fait que pour éviter ce genre de récupération patriarcale, une longue introduction était nécessaire pour expliquer à la fois les différences de contexte entre nos deux géographies ainsi que nos intentions de publication vers un public francophone.

Rapports de forces

Le mouvement féministe au sein des sociétés française et chilienne et plus spécifiquement au sein de leurs milieux politiques respectifs sont aujourd’hui à des stades très différents.

Au Chili, fort de l’exceptionnelle déferlement féministe de la dernière décennie, après des grèves féministes et des manifestations de millions de personnes, des occupations massives de collèges, lycées, universités durant plusieurs mois, des vagues de dénonciations sans précédents, des actions directes innombrables contre des meurtriers ou des agresseurs, le féminisme est parvenu à établir un rapport de force impressionnant qui a infusé la société de façon profonde malgré toutes les attaques en cours.

Durant toutes ces années, le séparatisme a été central dans la façon de s’organiser du mouvement. Anibal l’explique en partie dans ce texte : après une première vague de dénonciation massive en 2015, le mouvement féministe au Chili, et plus largement en Amérique Latine, pousse les hommes cis hors du mouvement et commence à s’organiser uniquement ainsi. C’est à dire entre femmes et dissidences sexuelles [4]exclusivement, des assemblées aux manifestations. Ce changement intervient pour une nécessité de protection vitale face à un niveau de violences sexistes et sexuelles si élevé de la part des hommes et en raison d’un niveau de défiance au plus haut après autant de dénonciations notamment auprès d’hommes se proclamant “féministes”.

Peu à peu, depuis cette période, funar, exclure les agresseurs des espaces militants ou de leur travail, prendre en compte et protéger les victimes sont quasiment devenus la norme au sein de la gauche si ce n’est au sein d’une large partie de la société (université, partis politiques, entreprises etc.). Au Chili, la peur a déjà commencé à changer de camp, pourrait-on dire.

En France nous en sommes loin, et l’impunité continue largement de régner. Au-delà des expériences du milieu militant (où gravitent encore plusieurs agresseurs reconnus) des affaires comme celles de Quatennens ou de Depardieu parlent d’elles même.

Il faut bien comprendre - au-delà du discours à vomir de Macron ou de ses soutiens - ce que nous apprend le reportage sur Depardieu : pendant des dizaines d’années, et même après Metoo et balance ton porc, ce dernier pouvait faire des réflexions obscènes et même toucher des femmes sur des plateaux de tournage devant des dizaines de personnes sans que personne ne bouge ou ne dise rien.

Je crois qu’il faut une fois de plus saluer et rendre hommage à Adèle Haenel qui a eu le courage de parler et ensuite de claquer la porte du cinéma français face à sa complicité totale. Et déplorer que ce genre de geste soit si exceptionnel.

De ce que l’on en sait, le milieu queer reste surement une exception concernant la généralisation de la dénonciation ou de l’exclusion (cancel culture) d’où le contexte d’écriture d’un livre certes important comme “faire justice”, mais qui selon moi ne peut pas être réutilisé sans précaution dans des d’autres milieux où le rapport de force est encore loin d’avoir été posé par les féministes.

On peut interroger à quel point la transformation d’une société et de ses normes passe par la négociation et le consensus ou par la construction d’un rapport de force qui force les dominant.es à abandonner leur pouvoir d’oppression. Nous appartenons à la tradition révolutionnaire, qui opte donc pour la seconde option, même si elle fait aussi une part importante à l’éducation (une éducation en direction en priorité des opprimé.es que des oppresseurs). Il n’y a pas de raison que le combat contre le patriarcat fasse exception.

Pour le mouvement féministe comme ailleurs, nous pensons que c’est à la résistance et aux révolté.es eux.elles mêmes de décider des formes de leurs luttes. Même quand cela amène à l’action directe offensive ou à l’utilisation de sécateurs. Comme le milieu du cinéma (au moins) en aurait surement besoin (visiblement).

Ré-articulations antipatriarcales ?

Ce sur quoi porte l’interrogation ici de Anibal depuis la masculinité, mais que partagent aussi de nombreuses compañeras féministes chiliennes et argentines avec qui nous avons conversé, serait : « comment poursuivre après la construction d’un tel rapport de force ? ».

Faut-il continuer le séparatisme de cette façon ? Les funadas doivent-elles continuer ainsi ? Quels processus de justice notre camp doit-il utiliser ? Quelles articulations sont-elles possibles entre le mouvement féministe et les hommes cis antipatriarcaux ? Est-ce que les questions se posent exactement de la même façon concernant les hommes de la nouvelle génération qui ont grandi avec le féminisme radical d’Abya Yala ? Et enfin quelles garanties les hommes cis ou des organisations mixtes peuvent ou doivent-elles fournir pour imaginer de telles ré-articulations ?

Et sur ce terrain, certaines choses se retrouvent aussi bien dans le contexte chilien que français, qui a lui aussi connu de profondes évolutions dans la dernière décennie. Pour ceux d’entre nous qui ont été élevés par des féministes des années 70, on nous a souvent appris qu’un homme se devait d’être féministe. En France comme au Chili, la dernière vague féministe a affirmé au contraire que les hommes cis devaient arrêter de se réclamer du féminisme, que ce n’était pas leur place, et que à la place, par leurs pratiques et une déconstruction active, ils devaient se mettre dans la position d’allié.

Deux positions symbolisées de nos jours par d’un côté l’affirmation de Bell Hooks qui défend que « tout le monde peut être féministe » (incluant les hommes cis) et que c’est même une des conditions pour pouvoir construire un mouvement féministe à l’avant-garde d’un mouvement révolutionnaire transversal. Au contraire du féminisme radical de Abya Yala qui a construit sa puissance en sortant les hommes cis du mouvement. On pourra se demander si ces deux approches du féminisme sont irréconciliables ou non ?

Plutôt que de vouloir répondre à une question qui est avant tout celle des protagonistes du mouvement, la publication de ce texte est un appel à penser en France aussi, aux côtés (sous le contrôle peut être ?) des féministes mais entre hommes donc, la façon dont nous pouvons participer, si ce n’est au mouvement féministe, au moins au combat contre le patriarcat.

Dans un combat collectif actif et pas uniquement par une déconstruction individuelle certes importante mais insuffisante.

Pour les intérêts des femmes, des dissidences sexuelles et enfin, de nous-mêmes, les hommes qui tentons de contribuer à construire un monde meilleur.

Pour tout cela, le texte de Anibal est particulièrement riche et inspirant. J’espère qu’il suscitera le même enthousiasme que chez moi et qu’il ouvrira des discussions en France aussi.

Lucas Amilcar


Apprentissages et réflexions pour une réarticulation antipatriarcale

De Anibal Romo ex-membre du Colektivo Tué-Tué (2015-2017)

Cet article s’inscrit dans un contexte d’avancement des agendas patriarcaux et autoritaires au Chili qui fait suite à la révolte d’octobre 2019. Bien que cet événement ait marqué un processus de politisation de masse avec un protagonisme féministe important au sein de la classe travailleuse, cette tendance a été contrée par un virage restaurateur de l’ordre et de la morale mené par les médias dominants, expressions de l’intérêt de la bourgeoisie nationale.

Étant donné que les mouvements sociaux ont été nourris par l’effort de la Convention constitutionnelle, mais ont été affaiblis depuis le triomphe du rejet en septembre 2022, j’espère que les pages qui suivent, pourront nous aider à ré-imaginer les possibilités d’organisation et de lutte anticapitaliste sur la base de certaines lacunes au sein des secteurs antipatriarcaux.

En particulier, en essayant de faire le point sur ce qu’ont été les collectifs d’hommes au Chili, une question que ceux d’entre nous qui ont vécu ces expériences ont repoussé pendant plusieurs années.

Sur cette base, je voudrais rassembler quelques leçons qui pourraient contribuer à activer des forces sociales latentes qui manquent encore d’espace pour se transformer en acteurs.trices politiques anti-patriarcaux, et faciliter de nouvelles rencontres dans un présent difficile fait de nombreuses crises. C’est pourquoi le texte se termine par quelques questions et propositions.

Les collectifs d’hommes

Il y a dix ans, alors que les marches du 8 mars n’étaient pas encore parmi les plus grandes de l’histoire du pays, ces manifestations se déroulaient généralement de manière ouverte, et les hommes qui n’avaient alors aucun problème à se déclarer ouvertement féministes y participaient également.

Au milieu de la décennie, la situation est devenue différente. En l’absence de mécanismes collectifs et de ressources théoriques pour lutter contre la violence patriarcale dans les espaces mixtes - qui était généralement suivie de revictimisacion [5]et d’impunité - une stratégie de féminisme séparatiste s’est répandue. Les manifestations féministes sont devenues de plus en plus massives et les hommes qui voulaient encore s’organiser dans ce combat ont commencé à créer des collectifs d’hommes motivés et orientés par le séparatisme féministe, dans lesquels nous avons entrepris de faire notre part du travail.

Ces groupes se sont formés à partir de membres d’organisations de gauche qui ne trouvaient pas d’espace suffisamment réceptif à cette agitation militante naissante. Des cercles, assemblées et collectifs d’hommes anti-patriarcaux sont nés dans de nombreuses régions. Dans de nombreux cas, il s’agissait du premier endroit où nous pouvions nous ouvrir émotionnellement à d’autres hommes dans un environnement constructif et solidaire, ce que nous ne trouvions pas dans l’amitié masculine conventionnelle ou dans la dynamique traditionnelle père-fils (dans le cas où nous avions un père), d’où l’importance biographique qu’ont eu ces espaces sur nous.

Le collectif auquel j’ai participé, et qui est l’expérience à laquelle je réfléchis aujourd’hui, commençait chaque réunion en demandant comment nous allions, de sorte qu’avant d’avoir des discussions politiques ou théoriques ou de planifier notre activisme, nous pouvions savoir si quelqu’un avait besoin d’un moment de contention. Cette attention portée au bien-être et à la santé mentale a donné de la stabilité au groupe. Ensuite, à travers un dialogue basé sur des situations quotidiennes et au sujet des auteurs que nous lisions, le phénomène d’exploration des angles morts personnels est apparu : nous nous sommes reconnus comme des hommes imprégnés de patriarcat et, en nous interrogeant, chacun d’entre nous a découvert certaines choses à changer, à abandonner ou à améliorer, et les a partagées avec les autres, en recevant à son tour les réflexions du reste du groupe.

Nous avons maintenu certains critères, comme par exemple l’équilibre entre la théorie et la pratique de telle sorte que nos réflexions soient intégrées dans un planning d’activités que le collectif organisait pour les diffuser dans la société.

Nous n’avons réalisé ces activités ou accepté des invitations que lorsque nous allions travailler avec des hommes, ce qui était difficile à gérer, car les femmes demandaient souvent à participer. Un autre critère que nous avons adopté était de nous positionner aux côtés de la dissidence sexuelle, à la fois dans les manifestations et dans tous les cas où nous pouvions remettre en question la notion hégémonique de diversité. Une notion qui nous semblait permettre aux élites de se concentrer sur le protagonisme gay blanc de classe élévé et de laisser de côté les lesbiennes, les trans, les travestis ou qui rendait invisible le lien entre le patriarcat, le capitalisme et le racisme.

Toutefois, si nous examinons la généralité des collectifs d’hommes de l’époque, nous constatons qu’ils pouvaient avoir des orientations différentes. Le plus connu aujourd’hui est probablement la version libérale-progressiste de la ’déconstruction’ menant à de ’nouvelles masculinités’ ; mais à gauche, il y avait aussi des collectifs qui visaient à préfigurer des masculinités ’dissidentes’, ’critiques’, ainsi que d’autres groupes qui visaient le dépassement/la destruction de la masculinité, en raisonnant qu’une humanité libérée de la violence de genre ne pourrait exister que lorsque la masculinité, sous quelque forme que ce soit, cesserait d’exister.

Ces différentes expressions depuis la gauche ont poussé les mouvements sociaux à faire du dépassement du patriarcat leur propre cause. En militant contre le patriarcat, nous sommes passés de la réflexion dans nos collectifs à la socialisation des problématisations de la masculinité dans de multiples espaces : par exemple nous organisions un ciné-club hebdomadaire où nous projetions seulement des films réalisés par des dissident.es sexuel.les dans notre université, suivis de discussions. Nous allions aussi dans des lycées pour expliquer ce qu’est le machisme, la violence sexuelle, que les règles sont normales, comment parler de sexe de manière non-patriarcale ou ce qu’est la pilule etc. Ou encore nous participions à des rencontres syndicales, politiques, culturelles, de hip hop etc. et y proposions des ateliers de “dynamiques corporelles” pour les hommes. Pour apprendre aux hommes à se toucher de manière ni violente ni virile, à fermer les yeux et à tomber dans les bras d’un autre homme. Pour montrer l’importance du soin. Que la communauté existe et survit grâce au fait que des gens peuvent compter sur les bras d’une autre (en général) pour accueillir ceux.celles qui tombent.

Nous les avons menées dans l’espoir de contribuer, petit à petit, à une transformation sociale de grande ampleur. Mais nous n’avons pas réussi à devenir un mouvement social et la durée de ces groupes a été éphémère. Cependant sont restés plusieurs articulations.

La rencontre latino-américaine d’hommes anti patriarcaux au Chili

Pour cette génération de collectifs, le moment où un niveau d’organisation plus élevé a été mis en jeu a été la sixième Rencontre latino-américaine des hommes antipatriarcaux (ELVA), qui s’est tenue au Chili pour la première fois en 2017 [6], après cinq rencontres organisées en Argentine [7]. L’événement dans notre pays a réuni environ 200 personnes, dont des collectifs et des individus, avec la présence de plusieurs pays de la région, en vue d’établir un diagnostic latino-américain sur lequel projeter notre travail [8]. Pendant le week-end où s’est déroulé l’événement, les organisateurs ont formé des groupes aléatoires et déployé simultanément de multiples activités ludiques facilitant la réflexion.

Toutes leurs activités tendaient vers un inconfort productif (Azpiazu Carballo, 2017), c’est-à-dire à faciliter des espaces dans lesquels parler, proposer et penser à nous-mêmes avec calme et tranquillité, mais dont nous ne sortirons pas confortables ou calmes, mais avec plus de questions, d’incertitudes et d’insécurités qu’au début et sans carte blanche pour rester immobiles de ne pas savoir quoi faire. Cela a été particulièrement utile pour ouvrir des discussions plus théoriques, comme celle sur le travail avec les privilèges masculins, mais cela a aussi accompagné des dynamiques d’exploration sans jugement de notre corporalité et de ses sensations dans des formes non masculines, guidées par des animateurs d’ateliers qui ont encouragé des danses, des jeux ou des mouvements où chacun pouvait se retrouver dans de nouvelles expressions, féminines ou en dehors du binarisme.

Je me souviens qu’avec le Colektivo Tué-Tué, nous avons voyagé de Concepción à Santiago pour proposer à la réunion certains cadres comportementaux fonctionnels au féminisme [9], tels que ne pas mettre en avant notre activisme anti-patriarcal devant les femmes et, d’autre part, le rendre plus visible dans les espaces masculinisés, en particulier parmi les hommes qui sont réticents à se remettre en question. Il s’agissait, d’une part, de briser la complicité machiste et, d’autre part, d’exercer la ressource de l’absence, qui peut avoir plus d’impact que toute autre action ; abandonner ou ne pas opter pour des espaces de pouvoir et de visibilité, sans se faire remarquer, sans chercher à être reconnus. C’était notre position, malgré et parce que l’auto-hypothèse était que c’était un vice que nous avions nous-mêmes, et que nous considérions comme répandu dans d’autres collectifs.

Pendant le week-end de l’événement, chaque participant a pris part à différentes dynamiques suivies d’activités de bilan dans lesquelles les différences d’opinion sur le travail pouvaient être exprimées. Ainsi, ELVA 2017 a été le corollaire d’un effort de coordination entre les organisations masculines anti-patriarcales qui maintenaient un fonctionnement stable dans le pays, ce qui a démontré la dépendance que nous avions à l’égard des organisations de Santiago, ainsi que les conditions précaires de ceux d’entre nous qui étaient membres des collectifs, qui manquaient de ressources pour financer l’événement ou y assister depuis différentes régions.

Certains espéraient qu’ELVA serait le moment de discussions à moyen et long terme, dans lesquelles les différences seraient clairement anticipées, tandis que d’autres espéraient qu’il s’agirait d’un événement initiatique, qui faciliterait le début d’une (auto)critique avec une perspective féministe pour ceux qui assistaient pour la première fois à un espace pour les hommes avec ces préoccupations. Cependant, l’événement n’a pas suffi à concrétiser ces intentions et, bien que des collectifs aient tissé des liens avec d’autres groupes latino-américains [10], la vérité est que la rencontre du Chili n’a pas permis d’élaborer un programme ni de passer à un niveau d’organisation supérieur, et donc de revenir dans les mouvements sociaux avec un nouvel élan.

Massification du féminisme et fin des collectifs d’hommes

En observant la trajectoire des efforts pour transversaliser l’anti-patriarcat, on voit le chemin parcouru par le mouvement féministe des femmes et des dissidentes qui, avec des articulations souvent séparatistes, a réussi à occuper un rôle de mouvement social de premier plan dans la politique du pays au cours des dernières années.

Rassemblant les femmes et la dissidence sexuelle, la Coordinadora Feminista 8 de Marzo (CF8M) a entrepris depuis avril 2018 de transversaliser le féminisme de manière à ce qu’il imprègne tous les mouvements sociaux (La Huelga General Feminista ¡VA ! Historias de un proceso en curso, 2021), ce qui, à ce jour, s’est déployé dans une perspective intersectionnelle entre syndicats, organisations de femmes, d’étudiant.es,d’écologistes, de militant.es des droits de l’homme, de peuples indigènes, d’artistes et de migrant.es.

Conformément à cet objectif, la marche du 8 mars 2019 à Santiago a été d’une massivité sans précédent par rapport à toutes les autres dans le Chili post-dictatorial ; par la suite, dans la révolte qui a débuté en octobre de la même année, le mouvement féministe a éclaté sous la forme d’une "révolte dans la révolte" dans tout le pays [11] ; et le 8 mars 2020, il a une fois de plus démontré son potentiel de mobilisation de masse, en étant la dernière manifestation d’envergure avant le début du confinement (spontanée) à laquelle la population s’est soumise face à l’arrivée du coronavirus, compte tenu de sa méfiance à l’égard de la gestion de la pandémie par le gouvernement Piñera, en pleine période des plus grandes violations des droits de l’homme depuis la dictature.

Comme nous l’avons souligné dans la partie précédente, les cercles d’hommes ont également cherché la transversalisation mais sans succès, et il convient de se demander pourquoi.

Face à la vague de plaintes pour violence de genre - un phénomène devenu mondial en 2017 - les collectifs d’hommes ont été confrontés à des accusations contre leurs propres membres. Faute de mécanismes anti-punitivistes efficaces pour traiter les exercices de violence patriarcale et les éventuels processus de réparation, ou encore en raison de protocoles de violence de genre qui n’ont jamais réussi à résoudre de manière satisfaisante les accusations [12], ces groupes se sont dissous, comme d’innombrables collectifs de gauche. De cette époque, il reste des questions toujours d’actualité, par exemple : Que faire de ses liens d’amitié et ses convictions anti-patriarcales lorsque c’est un ami qui commet un abus sexuel ? La seule option est-elle un désaccord irréconciliable ? Je crois personnellement qu’il y a une opportunité de transformation dans la résolution de ce dilemme, ce qui, bien sûr, n’enlève rien au fait que cela demande une volonté de changement et beaucoup de travail pour lequel nous n’avons aujourd’hui aucune recette ou garantie. Ça pourrait aussi peut-être être justement à des hommes antipatriarcaux de prendre en charge la majeure partie de ce travail pour qu’il ne repose pas autant sur femmes ou dissidences sexuelles comme c’est le cas aujourd’hui.

Dans cette période de paralysie, les collectifs anti-patriarcaux n’ont pas pu répondre de manière satisfaisante à la question de savoir pourquoi créer des espaces exclusifs, uniquement pour les hommes, dans la recherche de solutions à un problème social dans lequel les hommes eux-mêmes apparaissent comme un univers homogène de coupables.

Dans ces conditions, leur éthos consistant à rassembler les hommes était en contradiction insoluble avec leur telos [13]créatif d’espaces dissidents dépourvus de machisme ; en d’autres termes, la volonté et la chaleur mêmes de se rassembler pour conspirer étaient perdues puisqu’ils se percevaient eux-mêmes comme un groupe d’oppresseurs. La lecture qui s’est imposée est que tout espace masculin est intrinsèquement patriarcal, dans un contexte où il est devenu normal de définir de manière punitive l’identité d’une personne sur la base d’un commentaire ou d’un comportement erroné. Si vous avez fait quelque chose de macho, vous êtes un macho, et s’il y a un macho dans le collectif, c’est probablement un groupe de complices ou d’accessoires.

La masculinité en dehors de la gauche

Pour les hommes et les minorités qui militent en dehors de la gauche, les choses sont très différentes. Des fondations et des groupes comme Iguales ou MOVILH, régulièrement critiqués par nos collectifs à la fois pour leur libéralisme et pour leur composition de genre et de classe (hommes issus de secteurs aisés, typiquement de droite), n’ont pas connu cette crise. Entre-temps, au milieu de la révolte, un parti d’hommes est né, le Parti populaire (PDG), et après l’insistance du gouvernement actuel en 2011 à mener un second processus constitutionnel, même en sachant qu’il serait dirigé par la droite, le Parti républicain (PR)d’ultra-droite a repris le dessus.

Tant le PDG que le PR sont des partis d’hommes : dirigés par des hommes, avec des traits machistes, et votés principalement par des hommes. Ce profil, par coïncidence, est celui des partis d’extrême droite dans le monde entier (Rovira, 2023).

Fondé par une bourgeoisie astucieuse désireuse de profiter des difficultés économiques de la population, le PDG s’est organisé autour de Franco Parisi, débiteur de denrées alimentaires et accusé de harcèlement sexuel aux Etats-Unis, qui s’est présenté à deux reprises à la présidence chilienne. Cependant, ce parti se distingue des autres (et pas seulement de la droite) par la présence d’un président issu de la classe travailleuse : l’ancien docker Luis Moreno. Cela reflète la façon dont le PDG a capitalisé sur le malaise et les désirs néolibéraux des hommes de la classe ouvrière qui ont senti leur masculinité menacée par les avancées du féminisme dans une période de crise politique.

Au congrès, le PDG s’est allié au PR pour promouvoir un programme législatif visant à saper les avancées du programme féministe de ces dernières années. Cette stratégie visant à accroître la précarité des femmes, des dissidents et des enfants est aussi une manière de rendre le protagonisme de la politique aux hommes habituels, historiquement promoteurs du patriarcat.

Lors des élections présidentielles de 2021, lors du second tour entre Boric et Kast, le PR s’est distingué dans la presse par sa focalisation sur la question migratoire, adoptant des positions racistes qui ont attiré des voix à Kast. Cependant, un segment considérable de ses électeurs potentiels a choisi de ne pas soutenir Kast en raison de ses déclarations discriminatoires à l’égard des mères célibataires et de son intention de fermer le ministère de la femme et de l’égalité des sexes (Rovira, 2023). Ces électeurs, malgré leur appartenance à la droite, ont démontré que les préoccupations féministes en matière de genre transcendent le spectre politique dans la société actuelle. Ainsi, l’ultra-droite au Chili, comme c’est le cas de l’ultra-droite dans le monde entier, est principalement combattue par les femmes, tant sur le plan social que sur le plan électoral, où elles ont joué un rôle clé pour empêcher l’arrivée de Kast à La Moneda.

Aujourd’hui, au Congrès et dans larédaction d’une nouvelle Constitution, nous avons des forces qui, pour et par les hommes, soutiennent un projet patriarcal. Pendant ce temps, nous, hommes et dissidents masculinisés qui soutenons l’anti-patriarcat, restons politiquement désintégrés et, à quelques exceptions près, silencieux.

Un vide politique

Les collectifs d’hommes, positionnés en dehors des institutions étatiques, ont fonctionné sans articulation ni programme. Nos collectifs se sont dissous, incapables de gérer les plaintes pour violence sexiste adressées à leurs membres (facteur interne), au milieu des interrogations d’autres secteurs anti-patriarcaux (facteur externe) vers des espaces composés exclusivement d’hommes dans lesquels nous avons certainement maintenu une praxis réactive, car nous tendions vers l’immobilisme politique chaque fois que nous n’avions pas la certitude que notre travail recevrait une évaluation positive de la part des féministes.

Avec la dissolution des collectifs, la position politique que nous incarnions était sans possibilité de développement dans les espaces masculinisés du peuple (club de foot masculin, travail du bâtiment etc ;) . Une position qui affirme que le patriarcat n’est pas “inhérent à l’humanité, mais lui nuit dans son ensemble, même aux hommes, et que pour le surmonter, nous nous trouverons inévitablement confrontés au capitalisme et à son racisme. De manière géniale, Cinzia Arruzza (Réflexions dégénérées : patriarcat et capitalisme, 2017,) - que malheureusement beaucoup d’entre nous ne connaissaient pas à l’époque, mais qui nous apporte aujourd’hui des éclaircissements - a souligné que dans aucun pays capitaliste il n’existe un système patriarcal autonome du capitalisme et que, par conséquent, ni le capitalisme n’est un système simplement économique, ni le patriarcat ne fonctionne de manière autonome. Aujourd’hui, nous pourrions prendre comme bon point de départ réflexif le fait qu’il n’y a jamais eu de formation sociale capitaliste dépourvue d’oppression de genre, car là où il y avait des différences de genre préexistantes, le capitalisme les a utilisées, et là où ces différences n’existaient pas, il les a introduites.

Néanmoins, ceux d’entre nous qui étaient membres des cercles d’hommes à l’époque se rencontraient encore fréquemment dans d’autres instances : dans les luttes environnementales, dans les luttes pour le logement, la santé et des conditions de travail décentes, les droits de l’homme, pour une meilleure éducation, contre le racisme ou la discrimination à l’égard des migrant.es, etc. Bien sûr, nous étions et sommes toujours dans les mouvements sociaux, et aujourd’hui nous sommes confrontés à la tâche de préfigurer un projet anti-patriarcal dans ces mouvements. Les organisations de gauche ont découvert que leur maintien dans le temps dépendait de leur capacité à affronter le patriarcat en interne, elles ont remis en question leur réticence à se dépatriarcaliser, de sorte qu’il existe aujourd’hui une maturité collective différente, fertile pour des discussions stratégiques et organiques dans une perspective féministe.

L’énergie et la volonté d’affronter le patriarcat ne subsistent pas seulement chez beaucoup d’entre nous qui avons participé à des collectifs, mais s’étendent également au-delà, dans de larges secteurs masculinisés de la classe travailleuse qui ont souffert de la précarité de la vie dans une période historique de crise sanitaire, politique, écologique et économique. Le présent nous invite à réfléchir aux formes sous lesquelles nous pourrions rassembler, plus largement, celles et ceux d’entre nous qui n’ont pas aujourd’hui d’espace pour militer contre le patriarcat.

Politique identitaire

Organiser des collectifs d’hommes a été un essai, une tentative générationnelle - certes entachée par la complaisance et le moralisme de ces espaces - d’être à la hauteur des circonstances autour d’une éthique féministe, selon laquelle les hommes n’avaient pas un rôle de premier plan à jouer dans la lutte anti-patriarcale. Nous avons échoué, mais nous avons peut-être découvert qu’une grande partie du militantisme anti-patriarcal était, et est toujours, enveloppée dans le problème du paradigme libéral de la politique identitaire.

La politique identitaire, qui fait partie du sens commun de la gauche, établie que dans les luttes sociales, les seuls sujets valables - que ce soit en tant que membres, porte-parole ou dirigeants - sont ceux qui sont directement victimes de l’oppression en question. Elles opèrent au niveau individuel, car elles excluent de facto les projets fondés sur des identités collectives et transformatrices.

Comme l’explique Mark Fisher (Exit the Vampire Castle, 2019), dans le cadre des politiques identitaires, les luttes sociales ne cherchent pas à populariser une position ou à incorporer davantage de personnes. Selon leur logique, seuls ceux qui partagent les mêmes expériences particulières d’oppression peuvent embrasser la même bannière. Cela génère un moralisme diviseur dans les organisations, qui utilise un faux manteau intersectionnel, un désir de rester dans une position de supériorité morale, que l’on peut voir aujourd’hui dans des collectivités qui doivent constamment faire face au risque d’atomisation sur la base de critères de genre, de conditions de travail, de racialisation, de migration, de validisme, et d’un nombre infini d’autres critères.

Bien que cela n’en ait pas l’air, souligne Fisher, nous nous sommes habitués à ce que plus un activiste exprime de la culpabilité, mieux c’est, car se sentir mal est considéré comme un signe de compréhension des choses, de leur prise au sérieux. Au cours de la décennie précédente, utilisant nos sentiments de culpabilité et les orientant vers le sectarisme, les tendances identitaires ont rapidement répandu l’idée dans le monde de l’activisme anti-patriarcal que les hommes ne pouvaient pas être féministes. Je me souviens de la façon dont cette bombe nous a explosé à la figure : au sein du Colektivo Tué-Tué, nous avions l’habitude de montrer notre culpabilité pour souligner l’importance de nos positions, car montrer notre culpabilité était une façon de valider notre militantisme, mais dès qu’un camarade a été fuanado (canceled) nous sommes entrés dans une spirale d’accusations -sans suivi pour l’homme et sans réparation pour la femme- qui a désintégré le collectif en un temps record.

Je voudrais présenter deux brèves réflexions - sans certitudes - sur l’identitarisme, l’une spécifique au féminisme et l’autre sur la participation populaire dans la tentative constitutionnelle.

En ce qui concerne la discussion sur la question de savoir si les hommes peuvent être féministes, la réflexion n’est pas la mienne, mais je partage celle de Luciano Fabbri (2019) : "Je ne crois pas que les hommes cis doivent se disputer une place, une reconnaissance ou un titre de compétences en tant que féministes, mais faire du féminisme un regard pour problématiser nos relations et nos pratiques. En ce sens, je soutiens que l’homme féministe n’est pas une identité, mais une relation." Un comportement féministe et un activisme anti-patriarcale et donc une manière de se comporter avec les autres et de tenter de changer la réalité. Pas une forme de dire mais plutôt une forme de faire.

Deuxièmement, la collaboration entre différents mouvements sociaux durant le processus constituant a fourni un exemple de la manière de faire de la politique de gauche sans tomber dans l’identitarisme libéral. Les Mouvements Sociaux Constituants (MSC) ont défendu l’égalité réelle, qui a pris la forme d’une proposition constitutionnelle mettant fin à l’une des pires expressions de l’identitarisme dans une constitution : l’État subsidiaire, qui, dans son identité bourgeoise, se déploie constamment en atomisant le peuple. Paradoxalement, cette proposition a été en partie rejetée en raison de l’accusation - largement diffusée par les médias dominants - d’être une constitution centrée sur l’identité. Et ce, malgré la présentation d’un projet qui prônait la plurinationalité, soutenait le droit de se syndiquer et de faire grève, y compris la négociation de branche, avait une approche écologique, avec la parité hommes-femmes, la réinsertion sociale, et défendait la dignité des dissidents sexuels, etc. En d’autres termes, il visait structurellement à améliorer les conditions de vie, indépendamment de l’identité de chaque personne ou groupe.

Propositions pour le présent

Aujourd’hui, l’ultra-droite politise à son avantage le malaise masculin, qui n’est abordé avec empathie par aucun secteur politique. Le mandat d’être un homme fournisseur de ressource dans un contexte de crise économique est un calvaire pour les travailleurs pauvres ; le manque de moyens pour mener une vie sexuelle saine et agréable est fréquent ; les causes d’un taux de suicide plus élevé chez les hommes ne sont pas abordées publiquement, etc. Il serait idéal pour un projet dont l’horizon est l’émancipation humaine de parler de manière transversale des dégâts du patriarcat, en incluant les hommes et les dissidents masculinisés qui ne détiennent pas le pouvoir politique et économique dans une société capitaliste et racialisée. Sans en faire le principal protagoniste de la lutte contre le patriarcat bien sûr.

Je crois que l’identitarisme libéral nous détourne du fait qu’il n’y a pas de dominant sans dominé et vice versa : les femmes et les dissidents peuvent-ils se libérer de l’oppression de genre sans que les hommes fassent de même ? A cet égard, Clara Serra (2022) nous invite à penser que non, car c’est la structure qu’il faut dépasser. Il en va de même pour le racisme et les classes sociales. Négliger ces questions a permis à l’ultra-droite de s’en nourrir pour se développer, offrant un nationalisme et un patriarcat sans faille à des hommes qui, face aux remises en cause féministes de la masculinité hégémonique et à l’arrivée de migrants en quête de travail, se sont sentis attaqués dans certains piliers de leur identité virile.

Le patriarcat n’est pas un problème sectoriel qui ne concerne que les femmes et les dissidents, qui sont bien sûr les plus grands artisans de cette lutte. Personnellement, je pense que la manière idéale de nous réorganiser serait de le faire de manière transversale : femmes, dissidents et hommes, en dépassant organiquement le binarisme de genre avec un projet féministe à l’horizon émancipateur. Cette stratégie nous obligerait également à combattre le récit punitif et raciste qui laisse à la fois la population migrante confrontée aux pires visages du patriarcat et l’ultra-droite déguisée en avant-garde.

J’aimerais laisser ouverte la question de la manière de s’organiser : créons-nous quelque chose de nouveau, complétons-nous un projet existant, les avancées de certains féminismes sont-elles reproductibles, et quelles sont les conditions d’une saine coexistence dans un militantisme mixte/non binaire ?

En attendant, je crois qu’il existe des revendications à horizon programmatique qui peuvent rassembler des secteurs tels que ceux décrits dans ce texte et qui ne sont pas organisés aujourd’hui. Sans aller plus loin, pour les générations actuelles d’adultes, l’absence d’éducation sexuelle complète (ESC) est un pilier fondamental de leur construction de genre, et le système éducatif est également un lieu par lequel passe la grande majorité des hommes (Fabbri, 2019), ce qui renforce le potentiel programmatique de la lutte pour l’ESC en tant que droit. À ce problème et à d’autres, comme le refus de l’avortement libre, ou l’accès digne à la santé et au travail pour la population trans, ne serait-il pas bon que les hommes cis contribuent humblement avec les leçons apprises ces dernières années ?

Face à l’abondance des questions délicates dont nous devons débattre, je pense que nous devrions réapprendre à construire la camaraderie et la solidarité, afin que les désaccords, inévitables pour ceux qui incarnent un projet politique, puissent être traités sans crainte d’exclusion. Je voudrais que nous répondions à l’appel que nous lance Virginie Despentes dans King Kong Théorie et que nous donnions également aux hommes et aux dissidents masculins un projet émancipateur, en assumant la responsabilité de solidarité entre les résistances qui accompagnent naturellement les processus de changement. Nous pourrions ainsi dépasser les limites actuelles des mouvements anti-patriarcaux et faire entrer notre utopie, à une époque où la gauche en est profondément nostalgique (Traverso, 2022), dans le champ du possible.

Publié en espagnol le 30 septembre 2023 dans la revue numérique Posiciones
Traduction et introduction de la version française : Lucas Amilcar

Références

Arruzza, C. (2017). Reflexiones Degeneradas : Patriarcado y Capitalismo. En Grupo de Estudios Feministas,Género y Capitalismo. Debate en torno a Reflexiones Degeneradas(págs. 21-52). Grupo de Estudios Feministas.

Azpiazu Carballo, J. (2017).Masculinidades y feminismo.Barcelona : Virus.

Convención Constitucional. (2022).Propuesta Constitución Política de la República de Chile.Santiago de Chile : LOM ediciones.

Coordinadora Feminista 8 de Marzo. (2021).La Huelga General Feminista ¡VA ! Historias de un proceso en curso.Santiago : Tiempo Robado editoras.

Despentes, V. (2022).Teoría King Kong.Ciudad Autónoma de Buenos Aires : Literatura Random House.

Fabbri, L. (2018).Apuntes sobre feminismos y construcción de poder popular.Santiago : Proyección editores, Tiempo Robado editoras.

Fabbri, L. (15 de Octubre de 2019). « Varón feminista no es una identidad, sino una relación ». (C. Loyola, Entrevistador) Obtenido dehttps://elgritodelsur.com.ar/2019/10/nuevas-masculinidades-lucho-fabbri.html

Fisher, M. (6 de Julio de 2019).Salir del Castillo de Vampiros.Obtenido de Sinpermiso : https://www.sinpermiso.info/textos/salir-del-castillo-del-vampiro

Polémica. (11 de Octubre de 2017).ELVA 2017 en Chile. Obtenido de @periodicopolemica : https://web.facebook.com/media/set?vanity=periodicopolemica&set=a.1935181733410583

Rovira, C. (2023).La ultraderecha y el (anti) feminismo : el caso de Chile.Universidad Diego Portales. Obtenido de https://www.youtube.com/watch?v=wZtv6Duf2Rw&list=LL&index=4&t=2528s

Serra, C. (22 de Agosto de 2022).Por un feminismo para todo el mundo.Obtenido de JACOBIN : https://jacobinlat.com/2022/08/22/un-feminismo-para-desactivar-la-reaccion-3/

Traverso, E. (2022).Melancolía de izquierda. Marxismo, historia y memoria.Ciudad Autónoma de Buenos Aires : Fondo de Cultura Económica.


Un grand merci à Anibal Romo sa tendresse et sa pertinence.

Pour continuer à discuter :

anibalromoh@gmail.com

amilcaar@riseup.net

Au sujet du mouvement féministe au chili : https://cantinesyrienne.fr/ressources/les-peuples-veulent/feminist-coordinator-8m-retour-sur-le-mouvement-feministe-au-chili

Sur le mouvement féministe en Argentine en ce moment et certaines question similaire depuis le point de vu de Veronica Gago : https://lundi.am/Le-mouvement-feministe-a-remis-en-circulation-le-mot-revolution

Quelques modifications du texte d’origine et notes de bas de page ont été ajoutées par l’auteur et le traducteur pour le rendre plus clair pour un public qui n’est pas familier du contexte chilien.


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[1Séparatisme en espagnol décrit le caractère “non-mixte” ou en mixité choisie, c’est à dire sans hommes cis et nous avons préféré conserver ce terme qui est central dans le féminisme latinoaméricain.

[2Dénonciation publique

[3Le nom d’Abya Yalaa été adopté lors du IIe Sommet continental des peuples et nations indigènes d’Abya Yala, tenu à Quito en 2004, pour désigner le continent américain, au lieu de le nommer ainsi d’après l’explorateur européenAmerigo Vespucci

[4La dissidence sexuelle ou les dissident.es sexuel.les est le terme utilisé au sein du mouvement féministe en Amérique latine pour parler de LGBTQIA+ ou des Queers.

[5Des processus qui demandait aux “victimes de l’abus” de revivre cette position de victime en racontant à nouveau la situation d’agression

[6Pour l’anecdote, ce week-end d’octobre, des militants de Capitalismo Revolucionario, un groupe émergent de jeunes ultra-droitiers, sont arrivés sur le lieu de l’événement, avec l’intention de le saccager. Ce même groupe d’hommes a formé des groupes de choc en 2020, dans le cadre de la campagne pour le refus d’initier un processus de changement de la Constitution de Pinochet - illustre à petite échelle l’animosité de l’ultra-droite contemporaine à l’égard de l’anti-patriarcat.

[7En Argentine, les réunions sont passées d’une cinquantaine de personnes en 2012 à environ quatre cents en 2016, selon les documents de synthèse

[8[Le programme des activités de l’événement est toujours disponible sur le site web : Encuentro Latinoamericano de Varones Antipatriarcales. (lien :https://web.facebook.com/encuentrolatinoamericanodevaronesantipatriarcales/posts/pfbid0yddxAXp9BW6JKehFRKKxxsid8W4R4FAP6j6vzCbqpTXa3SycmJXLo6amt5dXLWKKl)

[9c’est-à-dire trouver et inventer des réponses propres aux problèmes que le féminisme pose. Ce ne sont pas aux femmes de trouver toutes les solutions aux problèmes que nous créons et qu’elles ont identifiés.

[10Ces collectifs n’étaient pas homogènes. En Argentine notamment, il y avait des groupes avec des perspectives sensiblement différentes sur la manière de militer contre le patriarcat, mais compte tenu de ma méconnaissance des courants politiques argentins qui s’y exprimaient, je m’abstiendrai d’approfondir le sujet

[11La mondialisation de la performance « Un violador en tu camino », du collectif LASTESIS, au moment où les manifestations au Chili bénéficiaient d’un grand soutien international, témoigne de ce phénomène : lien https://www.youtube.com/watch?v=aB7r6hdo3W4

[12Il convient toutefois de noter que les efforts visant à élaborer des protocoles pour lutter contre la violence à l’égard des femmes continuent d’être repris par des organisations de différents types qui cherchent à aborder ce problème d’une manière pas uniquement communautaire.

[13objectif

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