Critique d’une transparence sans fin

L’intelligence des villes, Tyler Reigeluth
[Bonnes Feuilles]

paru dans lundimatin#384, le 22 mai 2023

Smartphone, smartcar, smartbuilding, smartlight, smartcooling et même smart dust, tout ce qui nous entoure semble devenir intelligent, smart, jusqu’à la ville de demain, la smart city promue par les ingénieurs et les politiques urbaines. La smart city se présente comme un nouvel espace de vie accessible et régulable en temps réel, totalement transparent et saisissable. Un nouvel espace qui répondra à tous les enjeux de notre temps, écologiques, sociaux, politiques et économiques.
Mais quelle est la part de fantasmes dans ces visions post-cybernétiques ?
Quels mondes produisent-elles ? Pour qui et pour quoi ?
Contre une vision mystifiée et inerte de l’intelligence des villes, en mobilisant Henri Lefevbre, Gilbert Simondon, mais aussi J. G. Ballard et Italo Calvino, ce livre entend redonner à l’intelligence toute sa dimension matérielle, faire voir de quoi son image de transparence est faite. Il se propose de fragmenter et d’épaissir la notion d’intelligence, pour défaire un discours contemporain sur l’intellience des villes qui ne semble tenir à rien, ni à la ville ni à ses habitant•es et s’imposer partout.

Sortie le 26 mai, aux toutes nouvelles et excellentes éditions Météores.

Scènes de villes intelligentes

L’image d’une ville dépeuplée nous hante. L’historien Patrick Boucheron propose une analyse du célèbre frontispice du Léviathan de Thomas Hobbes. Une ville déserte (sans doute ravagée par la guerre ou la peste) s’étale devant le corps immense et immonde du Léviathan, corps artificiel du souverain composé de tous les corps d’habitant·es, comme aspirés par sa volonté. Ils l’habitent autant qu’ils sont habités par lui. On aperçoit un rideau de théâtre qui sertit le paysage et des coulisses qui le flanquent. Tout cela n’est qu’un spectacle. Une coupe sur les coulisses nous expose les symboles et techniques de gouvernement spirituel et temporel. Boucheron y voit une des caractéristiques du mode de gouvernement moderne : on ne gouverne plus dans l’ombre ou de manière spectaculaire ; les coulisses deviennent plus intéressantes que la scène. On sait que c’est là que tout se joue. Le spectacle et la mise en scène sont dépréciés et soupçonnés de détourner le regard du vrai jeu de pouvoir. L’action gouvernementale doit être visible, elle doit exprimer une certaine rationalité, on doit pouvoir suivre ses enchaînements causaux comme on suivrait ceux d’un méca- nisme [1]. Son efficacité ne réside plus dans son secret mais dans son exposition permanente [2] . À beaucoup d’égards, les discours et projets de smart cities témoignent d’un aboutissement de cette logique d’une transparence technologique du monde. La ville intelligente avec tous ses capteurs, données et prédictions serait celle où il n’existerait plus de zones d’ombre, plus de secrets, où tout serait immédiatement visible et accessible [3].

Le frontispice peut nous apprendre encore autre chose sur la ville intelligente : seule la tête du Léviathan est individuelle, comme pour dire que l’intelligence qui gouverne le collectif est autre chose que ce corps, elle ressort de la masse de son corps individualisée (qui n’est qu’un composé indifférent d’autres corps). Et cette intelligence surveille, contemple, protège une ville déserte, une ville où il ne reste presque plus de vie, une ville abandonnée à ses ressorts techniques. Et en retour nous pouvons contempler, situer l’intelligence dans une entité clairement identifiable : une tête pensante. C’est cette tête qui donne une unité au corps, qui lui donne un ordre. Mais, en fixant la tête du souverain, on sent un malaise s’installer : l’unité est artificielle. C’est une intelligence artificielle. Il me semble que cette conception de l’intelligence est encore celle qui gouverne les projets de la smart city  : une fonction qui englobe et surplombe, qui s’exerce sur, qui opère sur les choses. Ces projets frappent par la distance instaurée entre les technologies qui lui confèrent son intelligence et la matérialité de la ville qui est rendue intelligente par ces technologies. Tout se passe comme si la technique était en dehors de la réalité qu’il s’agit de gouverner, comme si les coulisses de la scène s’étaient refermées et que le spectacle de l’intelligence artificielle se suffisait à lui-même. À l’heure où tout semble devenir intelligent et où la ville s’étend à une échelle inédite, la cohabitation des termes « ville » et « intelligent » est particulièrement floue. C’est sans doute cette labilité et cette indétermination qui lui garantissent un si grand succès, car dans les faits on peut vraiment y mettre ce qu’on veut. Cela ne veut pas dire pour autant que ce discours est creux ou sans effets. Tout d’abord, le concept a permis l’émergence d’un nouveau marché de la ville intelligente estimé à lui seul (sans compter tous les autres sous-marchés de l’intelligence) à plus de 15 milliards de dollars en 2021 à l’échelle mondiale, avec des projections de 160 milliards en 2027. Ensuite, derrière des solutions qui paraissent parfois de bon sens et pour lesquelles on n’imaginait pas nécessairement de termes (souvent anglophones) spécialisés (ex. le freecooling dans un smart building pour parler d’un système de ventilation et de refroidissement qui ressemble beaucoup à la pratique d’ouvrir les fenêtres la nuit en période de grande chaleur), le concept de la smart city produit un certain ordre gestionnaire avec ses classements, ses bonnes pratiques, ses labels et ses certificats, ses régulateurs et ses auditeurs, et ses nouveaux métiers comme le smart building manager. Le « smart », c’est tout un univers sémantique. Il offre enfin un vecteur de développement pour une économie de l’innovation dont la durée d’attention et l’horizon de rentabilité ont tendance à se compresser toujours davantage [4].

William Gibson imaginait déjà cette course technologique débridée dans son roman culte, Neuromancer  : « Il y avait d’in- nombrables théories quant à savoir pourquoi Chiba City tolérait l’enclave Ninsei mais Case penchait vers l’idée que les yakuzas la préservaient comme une sorte de parc historique, un rappel des origines rudimentaires. Mais il y voyait aussi la notion que les technologies émergentes ont besoin de zones hors-la-loi, que Night City n’était pas là pour ses habitant·es mais comme un terrain de jeu délibérément non supervisé pour la technologie elle-même [5]. » Ce « terrain de jeu » technologique se dessine à l’intérieur ou aux abords de villes existantes, souvent dans des quartiers anciennement industriels, reconvertis à l’intelligence.

La ville de Dublin aménage des smart districts – un petit rappel que l’intelligence n’est pas distribuée dans l’espace de manière égale. Le projet de Hudson Yards de New York, plus gros projet immobilier privé dans l’histoire des États-Unis, propose une « ville 100 % connectée et écologique » sur un ancien site portuaire. Les cas de nouveaux quartiers intelligents dans des villes anciennes cherchant à reconvertir leurs reliques d’une industrialisation délocalisée sont autant d’exemples de quartiers qui jurent par leur remarquable absence d’habitant·es. Voilà une évidence bien encombrante pour l’ingénieur de l’intelligence : on a beau construire un bâtiment ou un quartier intelligent, encore faut-il que les habitant·es sachent l’utiliser « correctement ». En effet, il s’agit avant tout de revitaliser, pour ne pas dire coloniser, ces nouvelles terra nullius que sont les friches urbaines et les bâtiments abandonnés avec l’arrivage – on parle de « pôles d’attractivité » comme si un espace exerçait un pouvoir magnétique sur la population – de classes créatives, innovantes… les classes de la ville intelligente. Cette tendance à l’attractivité ne va pas sans résistances. En 2017, Sidewalk Labs, une filiale de Google, est chargée d’expérimenter une nouvelle intelligence urbaine à l’échelle d’un quartier de Toronto en déployant un arsenal de dispositifs numériques et de services prédictifs. Les boucliers se lèvent de toute part contre le manque de concertation citoyenne, l’usage obscur des données récoltées et la privatisation techno- logique d’un espace public. À qui appartiendra réellement le quartier ? Pour qui et pour quoi doit-il être rendu intelligent ? Le projet sera discrètement abandonné en 2020.

L’intelligence dessine ainsi une nouvelle frontière, entre le monde « civilisé » et le monde « sauvage » ou « barbare », cette fois- ci à l’intérieur même de l’espace urbain. Le fait est massivement documenté : les quartiers les plus populaires ne sont que très faiblement considérés comme des viviers de cette nouvelle intelligence [6]. Ainsi un problème complexe comme la congestion et la pollution de l’air serait résolu par une Zone à basse émissions (LEZ) surveillée par des caméras intelligentes aux entrées de la ville sans que soit posée la question du renouvellement du parc automobile qu’une telle politique risque d’accélérer ni que soit abordé le fait que ce sont les populations les plus pauvres qui détiennent les voitures les plus sales et souffriront le plus de leur remplacement. Frontière socio démographique mais aussi nouvel horizon de croissance financière à repousser sans cesse et sans cesse réclamée par l’économie de l’innovation. Rendre la ville intelligente serait finalement une manière de maintenir la richesse des espaces urbains et leur emprise sur tous les autres espaces. Cette incroyable hypertrophie urbaine ne va pas sans un accroissement de vulnérabilités liées à la dépendance accrue envers des médiations techniques de plus en plus complexes dont le nombre de couches et d’opérations multiplient les occasions de panne, de défaillances ou de hack.

Quand il ne s’agit pas de réaménager des quartiers bien délimités, c’est tout l’espace urbain qui se trouve maillé de dispositifs techniques censés le rendre adaptatif, gérable en temps réel, optimisé et automatisé. Ici, des poubelles connectées pour optimiser les passages de récolte des déchets ou des places de parking qui signalent leur disponibilité à une application sur smartphone ; là, des détecteurs de fuites sur les réseaux de distribution d’eau et une couverture sans fil continue, ou encore là-bas un accès à distance et réactif aux services publics permettant de désengorger les administrations locales. Les personnes isolées, à risques ou âgées peuvent être accompagnées d’un robot social qui signale une détresse ou une chute à un proche ou aux services de secours. Les médecins peuvent consulter en ligne tous les dossiers médicaux de leurs patient·es et rajouter une prescription médicale directement sur leur carte d’identité. L’éclairage public peut se moduler la nuit en fonction de l’occupation des trottoirs ou des routes. Le réseau électrique intelligent (smart grid) peut anticiper les pics de consommation et les client·es produisant de l’énergie solaire peuvent la réinjecter dans le réseau au meilleur moment de la journée. Les applications mobiles des compagnies de transports en commun sont des plateformes intermodales où tous les itinéraires possibles (trains, bus, métros, vélos ou trot- tinettes électriques, voitures partagées) sont indiqués en temps réel. Dans la ville intelligente, le temps se gagne dans l’espace. Au-delà de l’expérimentation par quartiers ou de l’augmentation technologique de toute une ville, la ville intelligente, c’est aussi la promesse de villes flambant neuves défiant toute notion de mesure que semblent pourtant exiger les crises sociodémographiques et écosystémiques que l’urbanisation débordante a en grande partie engendrées.

L’intelligence sort du sable. Dans le désert, aux portes du Caire, une nouvelle cité administrative annonce mettre de l’ordre dans une métropole devenue impraticable. Une fois achevée, elle accueillera 6,5 millions de nouvelles·aux habitant·es. Conçu d’après un obélisque pharaonique, un gratte-ciel, l’Oblisco Capitale, battra un nouveau record mondial de hauteur en 2030. La démesure a sa signature. Le chantier de la nouvelle ville est sponsorisé et planifié par les nouveaux dieux, un consortium de sociétés privées d’investissement et de développement qui prendra aussi en charge sa gestion. Toute une ville sous-traitée afin d’occuper une meilleure part de l’intelligence planétaire.

L’intelligence gagne sur la mer. En Corée du Sud, dans la zone métropolitaine d’Incheon, la ville de Songdo a inauguré la course aux smart cities en 2003. Construite sur un polder artificiel, elle repose massivement sur des technologies numériques pour optimiser la gestion de l’électricité, des déchets, de la sécurité et des transports. De nouveau, le projet a été piloté par des entreprises privées, comme si toute cette intelligence, trop onéreuse pour les pouvoirs publics, devait à coup sûr provenir des fleurons de l’innovation technologique bénéficiant de montages et de largesses fiscales. L’intelligence doit elle aussi ruisseler et il faut toujours protéger la source. La ville franche d’antan, où l’on pouvait exercer et communiquer son intelligence à l’abri des princes et des évêques trop pressants, est devenue la ville franche où l’intelligence amortit les investissements de multinationales et lisse tous les rapports des habitant·es et des choses.

L’intelligence est durable et zéro déchet. À côté de l’aéroport d’Abou Dhabi, la ville de Masdar City se présente comme une oasis de palmiers et de gratte-ciels qui rêve d’être sans impact, d’être neutre, comme si ses excès n’étaient compensés que si elle s’agenouillait devant la crise climatique et vouait tous ses artifices à être le moins présente possible, à être légère, détachée comme un mirage miroitant à l’horizon et, comme lui, à être toujours déjà en train de s’évaporer en nuage. La ville intelligente est sans cesse hors d’elle-même, en train d’être gérée, analysée, traitée dans d’immenses centres d’hébergement de données qui n’existeraient qu’en nuage. L’intelligence s’exerce de plus en plus à distance, depuis le cloud vers lequel toute donnée produite doit se dissiper en laissant derrière elle sa place, sa ville, son cadre.

(….)

Hors-champ

J’aimerais revenir à cette main qui hante les moteurs de recherche et qui nous présente (ou se sert de ?) la ville « intelligente ». Au-delà de sa poésie éculée, l’image frappe parce qu’elle nous donne à voir une ville qui possède quelque chose comme une objectivité identifiable, une certaine individualité : voilà une ville, elle tient dans le creux de la main. À l’heure où la ville éclate, s’étend, s’étale sans forme apparente, une telle représentation a de quoi interpeller. Quelque part, elle aide à donner corps à cette idée extraite de la pensée de Canguilhem de la ville comme moyen ou outil. Mais on sent immédiatement en quoi cette image est déliée de toute expérience vécue de la ville, qu’elle manque de concrétude. Bien loin d’avoir l’impression de la tenir dans leurs mains, les habitant·es ou « usager·ères » de la ville n’ont-elles·ils pas davantage l’impression d’être contenu·es et englouti·es par elle ? Alors peut-être cette image signifie-t-elle avant tout cela : un désir de puissance regagnée sur l’espace par une maîtrise technique à l’heure où la ville semble nous filer entre les doigts.

L’autre image de la smart city évoquée est celle d’une interface graphique, composée d’un ensemble d’icônes, de boutons et de connexions jaillissant d’une ville réduite à ses fonctions, services et infrastructures génériques (hôpitaux, médias, commerces, énergie, etc.). La ville, dont la présence fait défaut, est ici littéralement rehaussée, augmentée par une couche de représentations graphiques et symboliques. On sent bien l’enjeu : donner corps à quelque chose qui semble ne plus en avoir, faire voir un espace qui ne tient plus en place.

Les médiations numériques sont de plus en plus omniprésentes mais elles tendent en même temps à se rendre

imperceptibles, à devenir le fond sur lequel se détachent des formes, plutôt que les formes qui se détacheraient d’un fond. Les technologies numériques se retirent et nous invitent à faire comme si elles n’étaient pas là. Or cette discrétion numérique, ce self-effacement pour utiliser un terme anglais qui traduit bien une sorte d’humilité dans la minimisation de sa présence, n’a rien de fortuit ni de spontané. Elle est liée d’une part à une idéologie de la transparence cultivée par les grandes plateformes numériques et d’autre part à un processus d’urbanisation qui tend à externaliser toute une série de processus et d’infrastructures « hors de ses murs », créant par là même les conditions de son extension au-delà de ses murs.

En ce qui concerne la transparence, il faut remarquer qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même transparence que celle des critiques réclamant qu’on puisse ouvrir les boîtes noires algorithmiques. L’idéal de conception, de design, des applications et interfaces « intelligentes » est qu’on puisse pouvoir agir à travers elles, tout comme on voit à travers le verre optique qui corrige notre vue et nous permet de voir mais qui n’est pas immédiate- ment perceptible lui-même. Cette logique d’une transparence se retrouve à tous les niveaux : les consignes données par Google aux éditeurs de contenus d’agir comme si Google n’était pas là, de manière « naturelle », « communicationnelle » serait-on tenté de dire, sans essayer de déjouer l’algorithme [7] ; la conception des interfaces ergonomiques, user-friendly, du seamless design. Or compte tenu de l’« intelligence » de ces médiations, de leur caractère performatif pris dans des boucles de rétroaction et de prédiction entre comportements humains et machiniques, cette transparence me paraît inquiétante. Je ne réclame pas qu’on oppose à celle-ci la transparence de la critique qui exige d’ouvrir la boîte noire et de révéler l’intériorité, la vérité du fonctionnement technique. En revanche, ce dernier doit pouvoir être le terme d’une expérimentation sociale, qu’il puisse être traité toujours aussi comme fin sensible et jamais simplement comme moyen invisible de l’action. Qu’on soit en droit d’interagir avec ces systèmes « intelligents » comme les partenaires sociaux qu’ils sont déjà en passe de devenir.

En analysant cette même logique de transparence, Shanon Mattern fait remarquer :

Mais la présence plus large [d’infrastructures numériques], sous forme de centres de données, n’est pas censée être ostentatoire. Des rivières de fils percent ces centres à travers leurs « voûtes câblées », et des zettaoctets de données entrent et sortent, mais plutôt que de servir de pivots civiques tournés vers le public, ces installations adoptent une forme de monumentalité anti-monumentale, s’effaçant elle-même de manière ostentatoire [8].

Ainsi, la localisation et l’apparence des infrastructures de stockage et de traitement des données n’exhibent a priori aucun signe marquant de leur fonction (contrairement à la tour Reyers, par exemple), il n’y a aucune volonté d’attirer l’attention, de constituer un « point clé » symbolique. C’est l’antenne télépho- nique sur une colline qui surplombe une ville et sur laquelle on trouve aussi un vieux fort ou une ancienne chapelle ; c’est le moulin qui rehausse la chute d’eau ; c’est le chemin de fer qui serre le flanc d’une montagne. Ces points clés participent de ce que Simondon appelle une techno-esthétique : toute réalité technique comporte autre chose qu’une simple utilité ou instrumentalité, elle est dépositaire de gestes, vectrice d’histoire, mode d’expérience d’un monde. Ces points clés ne doivent pas être spectaculaires ou singuliers. Au contraire, ils sont de plus en plus banals et interchangeables. Simondon évoque le télé- phone que nous prenons en main, que nous « utilisons », mais qui n’est finalement que le symbole d’un réseau téléphonique bien plus vaste auquel il nous fait participer et qui est composé d’éléments dont la forme globale dépasse de loin l’échelle de l’utilisateur ou utilisatrice. Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que les symboles techniques que nous portons presque toutes et tous dans nos poches ne semblent renvoyer à aucune réalité matérielle, aucune objectivité, aucune effectivité technique. Pourquoi ne doit-on pas percevoir ces infrastructures ? Tout se passe comme si c’était dans le silence de ces organes numériques que la santé de nos villes devait forcément s’exprimer. Or ce silence est brisé en permanence et c’est bien normal ; l’idéal d’automaticité technique est sans cesse déçu dans la vérité effective de ses opérations concrètes.

[1Yaron Ezrahi, « Technology and the Civil Epistemology of Democracy », Technology and the Politics of Knowledge (éd. A. Feenberg et A. Hannay), Indiana University Press, Indianapolis, 1995.

[2Thomas Berns, Gouverner sans gouverner. Une archéologie politique de la statistique, Presses universitaires de France, Paris, 2009.

[3Tyler Reigeluth, « Dans le temps de la ville intelligente », De la ville intelligente à la ville intelligible (éd. E. Caccamo et al.), Presses de l’université du Québec, Québec, 2019

[4Sur la compression et l’épuisement de l’attention dans les sociétés hyperindustrielles, voir Bernard Stiegler, De la misère symbolique, Flammarion, Paris, 2013 ; et Yves Citton. (éd.), l’Économie de l’attention, La Découverte, Paris, 2014. Sur le rythme de l’innovation qui viendrait remplacer celui du « progrès », voir Thierry Ménissier, Innovations. Une enquête philosophique, Hermann, Paris, 2021.

[5William Gibson, Neuromancer, Harper Voyager, New York, 1984, p.10. Sauf mention contraire, les traductions des citations sont de Tyler Reigeluth. 

[6Shannon Mattern, A City Is not a Computer : Other Urban Intelligences, Princeton University Press, Princeton, 2021.

[7Dominique Cardon, « Dans l’esprit du PageRank. Une enquête sur l’algorithme de Google », Réseaux, vol. 1, no 177, 2013.

[8Shanon Mattern, Code + Clay… Data + Dirt, op. cit., p. 31.

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