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Réflexions critiques sur le mouvement qui vient

paru dans lundimatin#487, le 9 septembre 2025

Les commentateurs de tous bords ont déjà beaucoup glosé sur ce qu’était le mouvement du 10 septembre dont personne ne sait pourtant encore, s’il existe déjà. Il a été dit et écrit, qu’il était au départ confus et souverainiste, puis qu’il s’avérait finalement de gauche voire d’extrême gauche. Chacun voit midi à 14h, il n’en est pas moins que tout à sa virtualité, ce mouvement est dans ses formes même d’organisation, anarchiste ; soit horizontal, acéphale et enclin à l’action directe. Qu’en pensent celles et ceux qui en-deça ou par-delà cette réalité se disent anarchistes. C’est le propos et la signature de cet article que nous avons reçu.

« Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. »
Ivan Illich

I – CONSTAT

L’importance de la détestation provoquée par la grande bourgeoisie, les gouvernements et leurs laquais médiatiques n’est plus à démontrer. Le rejet épidermique du travail, de l’enrichissement sans limite des grandes fortunes, des formes les plus agressives de la marchandise, du broyage induit par la machine et de ses logiques écocidaires apparaît majoritaire selon comment la question est posée. La crise du Covid a fini de confirmer l’évidence déjà abondamment relevée au siècle dernier par les tenant.e.s de la critique du travail et du Capital : le capitalisme est une perte de sens. C’est jusque dans les corps que cette répulsion se manifeste. Burn out, dépression, déréalisation sont le lot commun d’une foule de producteurs-consommateurs aliénés, atomisés au dernier degrés. Pour quiconque tenterai de regarder au-delà du Mensonge, plus rien de séduisant dans l’éthos de la modernité. Rien que le juste mépris de soi, de notre devenir larve et du devenir cocon de notre maison commune. Plus rien pour contredire le désenchantement et la pauvreté d’expérience. Rien que des ersatz numériques, derniers agents de l’accumulation du Capital dans la société-écran. Plus aucun espoir en l’avenir à l’heure de la crise perpétuelle et de la catastrophe écologique. Plus la moindre capacité des prestataires du désastre à convaincre, ni du bien fondé de leurs actions, ni de leur nécessité, encore moins de leur légitimé. La civilisation à bout de souffle ne souffre d’aucun faux semblant. Elle est largement vu pour ce qu’elle est, et nous sommes de plus en plus nombreux.se.s à en prendre acte.

« Le spectacle ne chante pas les hommes et leurs armes, mais les marchandises et leurs passions. C’est dans cette lutte aveugle que chaque marchandise, en suivant sa passion, réalise en fait dans l’inconscience quelque chose de plus élevé : le devenir-monde de la marchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise du monde. »
Guy Debord

II – CONTRE-CONSTAT

La généralisation de ce sentiment de frustration et d’insatisfaction désormais établie, nous constatons avec amertume qu’il peine à se formuler en rejet radical de l’ordre existant. Le préjugé gouvernemental, l’aliénation marchande et l’écrasante hydre technologique rendent presque impossible d’imaginer un monde débarrassé du joug du capitalisme et de l’autorité. Loin de l’optimisme mécaniste reposant sur de prétendues conditions objectives ou sur un seuil d’insupportabilité critique mainte fois déjoué, le constat de notre capacité presque illimité d’auto-aliénation s’impose. Le totalitarisme conjoint du monde-marchandise et du monde-machine a façonné un être hybride, pur produit du capitalisme tardif : le zombie-cyborg. Apathique, errant dans un monde d’objets fétichisés et de relations désincarnées, rendu obsolète par l’outillage même qu’il loue, c’est farouchement qu’il se fait le défenseur bénévole du Mensonge.

Synthèse efficace des intuitions d’Orwell et d’Huxley, le spectaculaire intégré dispose aujourd’hui des moyens les plus absolus de contrôle à la fois répressifs et participatifs. Drones, caméras à reconnaissance faciale, seront bientôt le lot commun des métropoles, sous le regard desquels se côtoieront boutique de fast- fashion et de divers gadgets connectés. Avec comme prix à payer la destruction impitoyable de ce qu’il y a de vie en nous, de notre environnement commun, des mondes animaux, de la beauté, de l’harmonie.

La victoire presque totale du désert a produit un double effet ambivalent : l’avènement du communisme anarchiste devient absolument nécessaire, en même temps qu’il semble particulièrement improbable.

Chaque jour la machine de mort avance. Chaque jour nous ne la détruisons pas.

« Je ne crois pas que cela puisse plaire, car ce sera douloureux, long, difficile à comprendre, et ils ne nous comprendront pas, mais nous devons avoir conscience qu’il est nécessaire de détruire le Capital, qu’il est nécessaire de ne pas faire de compromis, de ne pas accepter de changements, de concessions, d’améliorations. Et à qui pouvons nous demander une conscience de ce niveau, sinon aux anarchistes, à qui pouvons nous le demander ? »

Alfredo M. Bonanno

III – PROPOSITIONS

Pourtant, à l’heure où ces lignes sont écrites, partout en France, des milliers de personnes s’organisent horizontalement, au-delà du jeu politique et syndical traditionnel, dans l’idée de faire chuter le régime. Difficile de prédire l’impact du mouvement à venir et de ses débouchés pour le camp révolutionnaire, mais l a spontanéité des réflexes d’indépendance et d’autonomie autorisent un certain optimisme. Toutefois, c’est sans surprise qu’avant même le début de la mobilisation les éternels écueils du mouvement social se font jour. Alors il semble important de rappeler ici aux compagnon.e.s que la structure policière et patriarcale du nom d’État doit être abolie. Que les chaînes de l’exploitation capitaliste doivent être détruites, non pas rallongées ou repeintes en couleur. Que l’argent et le pouvoir corrompent et qu’ils sont autant d’obstacles à l’avènement de la société libre et heureuse. Que face à l’hégémonie du Spectacle et de son appareillage technique il apparaît vain de croire le subvertir en parlant son langage. Ainsi réformes sociales, pouvoir d’achat et négociations ne sont rien d’autres que des tartufferies visant à pacifier, encadrer et orienter la contestation dans le sens d’une exploitation acceptable. Ce serait construire les conditions de la défaite que de reproduire l’illusion électorale, cette sentence de mort ; ou encore de miser sur la possibilité de l’amélioration de nos conditions de vie par les outils de nos ennemis mortels.

C’est à nous, par nous même, de profiter du moment historique pour développer les capacités de notre autonomie collective, d’enfin se doter des moyens de saper les fondements de l’aliénation et de renouer avec l’offensive. Partout, sans relâche, essaimons sur tout le territoire. Collectivisons la nourriture, organisons la grève sauvage générale, réapproprions nous les fruits de notre labeur pour les distribuer équitablement selon les besoins de chacun.e.s. En chaque lieu de la production, détruisons le travail et la raison marchande au profit d’une autogestion intransigeante émancipée des logiques de profit et de valorisation. Partout des communs, partout La Commune, cette fois-ci déterminée à planter le poignard dans le cœur du vampire, résolument convaincue d’en finir avec la finance et l’économie devenue folle.

Retrouvons nous, éprouvons nous, dans toute notre puissance collective, et portons des assauts répétés au capital et à ses agents. Bloquons les flux, artères sur-irriguées du poison marchand. Bloquons-tout. Occupons les lieux du pouvoir fantoche, faisons y des cantines et des fêtes. Construisons sur les ruines et les cendres, en rhizomes, des communautés de vie conviviales, à notre mesure et selon notre désir. Dégageons les exploiteurs. Sabotons les machines de la guerre portée au vivant.

Détruisons ce qui nous détruit.
Créons l’évènement

« Même s’il gagne une grève, le travailleur n’aura rien gagné, car l’augmentation de salaire qu’il aura obtenue, le bourgeois la lui reprendra d’une autre manière, en augmentant, par exemple, son loyer ou le prix des denrées. Ainsi, le pauvre esclave est toujours trompé. Que l’expérience serve, enfin, pour que les peuples ouvrent les yeux et qu’ils comprennent que l’effort et le sacrifice que suppose la lutte pour un morceau de pain sont exactement du même type que ceux qui président à la lutte pour mettre, une fois pour toutes, à bas ce système criminel et faire que toutes choses appartiennent à tous. »

Ricardo Flores Magón

Des anarchistes

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