Chroniques de la Macronie ordinaire

Poèmes contre l’ordre qui vient
Victor Martinez

paru dans lundimatin#397, le 5 octobre 2023

« Toute cette haine. Toute cette haine, cette misère et cet amour. C’est un miracle qu’ils ne fassent pas exploser l’avenue. »

James Baldwin, Face à l’homme blanc

Samira me dit
on y va
bras en l’air
ils ne pourront rien faire
on était
face à 50 CRS
peut-être
500 ou 1000
un peu dispersés
en fin de manif
on voulait
juste passer
la rue
n’appartient pas aux
fascistes de la répression
néolibérale
on va se faire exploser
mais je gueule quand même
hé on y va ils sont pas 50
les gens
regardent ailleurs un
black bloc
commence à entasser
poubelles et cartons
mais
les autres
n’embraient pas
n’empêche
voilà une idée
pour la prochaine baston
une déculottée de CRS
par répartition
pour leur garantir
le droit à la retraite
par poings.

Jour de grève
un poème de plus
une main de moins
une joie collective de plus
un œil de moins
une consistance sociale de plus
48 heures de garde à vue et
une convocation au tribunal
c’est bien d’arracher
au vide néolibéral
des plus
quand
ses moins
il militarise
en multipliant
comme des petits pains
les droits de l’homme
en moins.

Je suis monté sur un homme
non ce n’est pas ce que vous croyez
je veux dire
je suis vraiment monté sur un homme
c’était à Paris je
devais joindre la gare du Nord
depuis St. Supplice
parce
qu’on avait braillé poésie &
pol i t i i i iq u e
ou quelque chose du genre
lors du rassemblement annuel du cheptel de ruines
nommé marché de la poésie
j’étais à la bourre
plusieurs hommes garés attendaient
en coin de rue mais de préférence
dans l’encoignure des portails
tous de
couleur
comme on m’a appris qu’il fallait dire
« la course combien ? »
« 3 euros pour gare du Nord » il
lance son horodateur (vissé sur son casque) me
met aussi un casque j’enfourche donc
l’homme
auto-entrepreneur qu’il me dit je
le félicite lui
parle de la sensation de vitesse
à dos sur son dos
et ainsi en 20mn
j’arrive à temps gare du Nord
qui me permet de joindre ma ville

j’ai pour travail
de porter d’autres hommes sur mon dos
mais peut-être plus blancs que moi
et plus auto-entrepreneurs qui sait
dans cette ordure de
société néolibérale.

Poème anti-flic

J’ai tué un policier
il m’a arrêté m’a demandé mes papiers
en règle m’a interrogé sur
mon bronzage mon nom mon
origine il était
je ne sais pas
énervé il insistait je ne
répondais pas faisant mine
de ne pas savoir je suis
devenu comme
nerveux il m’a tutoyé m’a
dit alors t’es illettré j’ai
pris un carnet fait
semblant de noter des courses
pour attendre
déjà paniqué poireaux courges
navets ma
tête savait que je notais
pour répliquer et que c’était
trop tard il
m’a
arraché le papier a
rugi outrage à agent garde
à vue alors
j’ai sauté
sur lui
fou
archaïque
sophocléen
terrifiant comme
Ajax
incontrôlable je l’ai pris
par
la gorge lui ai
enfoncé le doigt
bien profond
dans la glotte
c’est imparable
en
trois secondes
il était
mort
après je me suis
réveillé hagard
mais ce rêve
je ne l’ai pas fait
tout est vrai sauf
après la liste de courses
je le note
en pensant
à ceux qui sont tombés
entre les pattes de ces ordures
sanctifiées et bénies par
leurs commanditaires post-démocratiques
et la masse citoyenne bêlante
pire
que les commanditaires
en hommage à toi Houssam.

Une idée neuve en Europe

L’avantage des hordes de réfugiés
de préférence musulmans
qui envahissent massivement
la piscine de mon depute
et de son fils
est qu’elles m’ont appris
de nouveau à regarder mes frères
et que j’ai de nouveau compris
la fraternité la plus profonde
Etan était ingénieur il
parlait anglais mais à peine français il
tentait de l’apprendre mais les crises
d’angoisse
l’envoyaient directement à l’hôpital
Boubacar va bien ainsi que
Moqtassir ils
réussissent parfaitement
leurs études ont
de meilleurs résultats en français
que nos nationaux de naissance Faïza
se bat encore
pour être régularisée
elle qui
a de l’énergie à revendre succombe
aux milices idéologiques d’Etat
envoyées de la préfecture les
hordes de réfugiés
je ne les ai vues nulle part dans ce pays
j’ai vu
des visages et des corps
de sœurs et de frères
passer au compte-gouttes entre les grilles
de la mort
et tenter de reprendre
une esquisse de vie les
seules hordes que je connaisse sont
macrono-lepénistes elles
ont envahi médias et corps d’Etat elles
sont dans le petit bacille neuronal
dont les ex-amis ont fait leur cerveau
ces hordes-là qui sévissent
régulièrement en Europe
lorsque le capitalisme financiarisé appuie
sur le petit bouton rouge de la mort
sont des produits
de l’histoire coloniale fasciste
qui bousille le proche Orient
l’Afrique et le Maghreb
depuis deux ou trois siècles et
tout en voulant parler l’histoire
sont parlées par elle sont
le nœud toujours nouveau
de la lanière du maître
ou de cette mort
qui est toujours une idée neuve en Europe.

Chant de la main arrachée

En dépit de récents interdits alimentaires
comme disait Paz
les classes riches aiment bien la chair
des bipèdes domestiques
la classe bourgeoiseredivivus
vivant pour la défense de ses privilèges
nue dans sa vérité
de classe
jouit ce soir au spectacle total
et affirme sa passion fascisante
et sa préférence
toujours nazie plutôt que sociale
pour les Bolsanaro en herbe arracheurs de mains
« je ne parle pas Lallement » nous dit Porte
et les Salpétrière version bfm où l’on dissèque
sec
le prolo en sang
avec le journal de la dictatureLe Monde
qui aura toujours une passion d’avance
pour le milliardaire qui finance
la vérité
soutient tout un régime
le Second Empire et demi
vaut la peine il
a créé la Nation qu’importent
les Hugo les Rimbaud les Courbet on a
des Mérimée des Verne des Daudet des
Macron ça suffit bien et puis
les colonies
dedans
je vous en prie dans nos métropoles
et dehors
bien entendu avec nos Totaux
le régime qui vaut
tous les Anthropocènes
et les collapses que vous voudrez
depuis que l’homme est loup c’est-à-dire
la fin du néolithique quand
il lève l’arme sur son frère
puis
viole sa femme et sa fille
nous vivrons sous les dômes dans l’enfer
que nous aurons créé
d’aucuns disent
que nous vous suivrons de près
bah nous les loups le sang
nous excite
la mort
nous pare
nous rêvons au fond
d’en finir avec notre lâcheté
de poule planquée derrière nos miradors
nous
petits bourgeois blasés
derrière nos lampions massacreurs
arracheurs de mains et d’yeux
qui vous retournons à la gueule
le langage
République ha ha
nous prenons vos vies
et celles de vos enfants
et ce qu’on nomme la vie en général
parce que c’est peut-être nous qui ne sommes rien
historiquement
et anthropologiquement
d’où notre férocité
notre dangerosité
notre inutilité fondamentale
et ce chant de la main arrachée comme
une insulte à tout ce qui a sens et vie
que nous vous envoyons à la face.

A paraître dans Manifeste d’action directe. Poèmes contre l’ordre qui vient, de Victor Martinez, éditions La clé à molette.

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