Bordeaux : la préfète Buccio poursuit sa carrière dans la chasse aux migrants

« Impossible pour les migrants et Mme la Préfète de cohabiter dans la même ville. Il est temps de choisir la solution la moins dramatique et d’exiger son départ, le plus tôt sera le mieux. »

paru dans lundimatin#202, le 2 août 2019

Dire que le mouvement des Gilets Jaunes a changé bien des vies parait être une affirmation d’une banalité confondante. Mais on pense rarement qu’il ait pu bouleverser le chemin de ses plus durs détracteurs. C’est pourtant ce qu’il a produit lorsque pour secourir Paris en flamme, le Préfet Lallement a été muté de Bordeaux à Paris.
Qui de mieux pour le remplacer que la Préfète de Calais Fabienne Buccio tristement célèbre pour son opération d’évacuation de la Jungle de Calais en 2017 ? Celle qui a annoncé lors de son investiture en tant que Préfète de la Nouvelle Aquitaine, vouloir traiter les dossiers, notamment des migrants, avec « bon sens, clairvoyance et honnêteté » promet aussi « d’être à l’écoute ».

Mais les expulsions, c’est un peu comme pour les accros au café, on n’arrive pas à se réveiller le matin sans sa dose. Alors que la canicule rend nos métropoles irrespirables, que les mois de juillet et d’août sont synonymes de congés pour les employés des services sociaux et de fermetures concernant les établissements d’accueil, il devient difficile d’avoir une journée de répit dans le calendrier de la Préfète. Les mauvaises habitudes reprennent et le même scénario se répète : des lignes de CRS quadrillent un quartier et vite fait bien fait le sale travail peut commencer. Sud Ouest, pourtant pas considéré comme un journal à la fibre sociale, ne peut faire autrement que de relater jour après jour l’obstination de Madame la Préféte à mettre tout le monde dehors.

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Ça parle de 2000 personnes délogées, peut-être plus. Mme la Préfète annonce à tort et à travers que des relogements sont proposés systématiquement. Surtout à tort d’ailleurs. Car les migrants sont chassés, dispersés, perdent parfois leurs papiers durant les évacuations et se retrouvent dans la rue, sans pouvoir compter sur le soutien des associations, dépassées, quand elles ne sont pas tout simplement en vacances. Mme Buccio qui avait pris soin de préciser que les réfugiés « ne sont pas des animaux » les traite pourtant comme tels, jouant même sur de faux espoirs. La préfecture promet un gymnase mais retarde toujours plus son ouverture, rendant celui-ci toujours plus illusoire. Alors que les températures dépassent les 41 degrés, record jamais égalé dans l’histoire de Bordeaux, la situation devient dramatique.

Certaines personnes bien avisées (dont certains syndicalistes) décident d’investir la Bourse du Travail, siège de la CGT, et de l’occuper. Cette dernière se retrouve acculée dans ses paradoxes. Comment faire semblant qu’on soutient une lutte alors qu’on veut simplement virer ses participants de son lieu ? Comment faire bonne figure quand on s’est fait avoir ? Cela passe par une réécriture de l’histoire. On n’a qu’à faire croire qu’on leur a ouvert les portes, ça fait comme si on maîtrisait la situation. Puis il suffit de noyauter les AGs, histoire de bien tout contrôler. Ensuite, il faut simplement mettre une pression à toutes les autorités pour trouver une solution. Non pas des papiers pour tous mais simplement un autre endroit où les caser. Ce fameux gymnase où il fera 60 degrés à l’intérieur, pourquoi il n’est pas encore ouvert ? Ce serait plus simple après tout. Et ça pourrait ramener la tranquillité dans ce bâtiment historique du mouvement ouvrier, inoccupé en grande partie et inactif durant tant de luttes. Non, au lieu de la morosité habituelle qui l’habite, plus de 80 personnes y dorment chaque nuit depuis presque trois semaines (dans le hall, les pièces inoccupées restent fermées, il ne faut pas exagérer non plus). Quand la CGT refuse la construction d’une nouvelle douche pour répondre à la situation, quelques ingénieux bricoleurs la fabriquent en deux temps, trois mouvements. En fait, il suffit d’arrêter de demander, et faire.

Et c’est justement cela qu’une partie de la population bordelaise et des alentours a bien compris. La CNT a ouvert les portes de ses locaux pour accueillir des expulsés. Après une plainte d’un voisin et la menace d’une résiliation de bail, il a fallu arrêter l’initiative. Ce sera l’Athénée Libertaire, bâtiment historique anarchiste, un peu en retrait ces dernières années qui servira de dispensaire, qui met au service ses trois niveaux, qui vit, revit, magnifie son espace pour s’adapter à l’urgence. Le rez-de-chaussée sert à l’accueil et se transforme en salle à manger pour cent personnes deux à trois fois par jour. Le premier étage recueille tout le matériel de soin et un espace pour l’aide juridique. Le second comporte des douches, les réserves de vêtements et de nourritures et la cuisine pour les cantines. Autant dire que de 10h du matin à 10h du soir, ça fourmille dans tous les sens. Les exilés qui viennent manger, les gens qui veulent aider, les urgences à traiter, l’organisation à mettre en place, les informations à se faire passer...


Toutes les dix minutes, des gens débarquent avec des dons, le téléphone sonne en continu. Un restaurant amène une grande gamelle de Bolognaise, les boulangeries offrent leurs viennoiseries, les boucheries du poulet à mini-prix, des maraîchers filent des cagettes de légumes. Un club de rugby ouvre ses douches pour ceux qui en ont besoin pendant l’entrainement, un restau 2.0 sert une cantine gratuite pour une centaine de personnes tous les dimanches, un éco-quartier propose d’héberger plusieurs familles avec enfants. Les ultras du club de foot lancent une cagnotte en ligne, certains réparent et fournissent des vélos avec et pour les exilés, quand d’autres numérisent les pièces administratives pour ne plus avoir peur des les perdre lors d’une expulsion, les Gilets Jaunes rejoignent un rassemblement de soutien, un groupe d’expulsés occupe une semaine la flèche Saint-Michel, haut lieu touristique en pleine période estivale. C’est sûr qu’elle est moins belle la photo-souvenir avec des banderoles qui demandent le départ de la Préfète ! Après s’être fait de nouveau expulser, ils prennent place dans la basilique voisine, avec l’accord du curé. La préfecture, avec son dédain habituel, parlera seulement de « vagabonds avec leurs chiens ».

D’une certaine manière cela rappelle le mouvement des Gilets Jaunes, où la ville est marquée dans sa chair, où les stigmates sont visibles où les clivages sont révélés. Où les gens se parlent et se rencontrent sans s’être connus la veille mais vont dans une direction commune. Où le camp n’est plus celui des militants ou de son appartenance politique, il est celui de ceux qui refusent l’inhumanité, qui refusent de regarder ailleurs quand on nous le demande, qui s’organisent concrètement pour mettre un terme à une situation inacceptable et qui dans l’urgence apportent leur solidarité à ceux que l’on cherche perpétuellement à invisibiliser. Alors pour en revenir à Mme Buccio, puisqu’il semble viscéralement impossible que les migrants et Mme la Préfète cohabitent dans la même ville, il est temps de choisir la solution la moins dramatique et d’exiger son départ, le plus tôt sera le mieux.

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