Assaut du Capitole : Une base de masse pour le fascisme ?

CrimethInc.

paru dans lundimatin#270, le 11 janvier 2021

Il va falloir un peu de temps pour prendre la mesure du basculement historique qu’a inauguré l’envahissement du Capitole, cœur symbolique de la démocratie américaine par des partisans de Trump. En introduction à ce texte des amis de Crimethinc. qui tire déjà les conséquences de l’épisode pour la recomposition des forces politiques dominantes aux USA et sur ce qu’elles préparent aux dépens des forces anticapitalistes et antifascistes, on avancera quelques remarques :

— Ce coup de force était une pantalonnade, conséquence ultime de la tentative par Trump d’imposer une réalité alternative. Bien sûr, il y avait bel et bien quelques groupes armés prêts à en découdre mais même si la confirmation de l’élection de Biden avait été empêchée, par exemple en volant les bulletins de vote comme il semble que c’était le projet de certains, dans et hors de la Maison Blanche, Trump, à la différence de Hitler, Mussolini et tous les aspirants dictateurs, ne disposait d’aucun appui significatif dans des secteurs importants de l’armée et du patronat. Certes, le traitement de faveur accordé dans un premier temps aux émeutiers manifeste, comme il est dit dans le texte de nos amis américains, une forme de sympathie de la part des forces de l’ordre et aussi, ce qui n’est pas dans le texte, un certain flottement au plus hauts sommets quand il s’est agi d’intervenir durement contre des partisans de celui qui était encore le président, et qu’il avait lancés.

— Il y avait quand même quelque chose d’assez ironique à voir, en France, tant de partisans de gauche, s’épouvanter de l’envahissement d’un symbole de la démocratie libérale alors même qu’ils avaient pu se réjouir, par exemple, de l’occupation en 2011 de la MaisonBlanche de l’Etat du Wisconsin par des profs en grève et par leurs soutiens, ou de celle, plus récemment, du parlement de Hong-Kong. De même, il y a quelque chose comme une farce grotesque dans le spectacle de divers gauchistes, qui, à travers les Etats-Unis, s’emploient à identifier sur photo certains des facsites présents au Capitole pour les signaler directement au FBI. L’agence d’Hoover transformée en alliée objectif des antifas, il y a là, quelque chose qui devrait coincer à brève échéance, comme on peut le deviner à la lecture de l’article qui suit. L’un des destins possibles d’une certaine gauche sera toujours de se retrouver dans la peau des « girotondini », ces grotesques partisans italiens d’un mouvement éphémère lancé jadis par Nani Moretti, qui faisaient la ronde autour des palais du pouvoir (tribunaux et ministère) pour les protéger contre ce Berlusconi dont ils n’avaient cessé, politiquement et culturellement, de préparer l’accès au pouvoir.

— A part Le Pen, personne ne pleurera sur la limitation de la liberté d’expression de Trump. Mais, comme dit le New-York Times :

« En retirant son mégaphone à Trump, Twitter montre où se tient maintenant le pouvoir - La capacité d’une poignée de gens à contrôler nos discours publics n’a jamais été aussi évidente. Pour finir, deux milliardaires californiens ont fait ce que des légions de politiciens, de procureurs et de critiques du pouvoir ont essayé en vain de faire pendant des années : Ils ont débranché le Président Trump. »

Même si on peut imaginer que la brusque interruption de la jusque-là si profitable lune de miel entre les réseaux sociaux et Trump présage la nécessité pour les Gafam de donner des gages avant les négociations qui s’annoncent, suite à une initiative de… Trump, pour savoir si par hasard les dispositifs des lois antitrusts ne pourraient pas s’appliquer aux géants d’Internet, ce qui vient de se passer signale une forme de rééquilibrage au sommet des pouvoirs ultimes. Tout comme l’intervention de la fondation Bill Gates pour pallier l’opposition de l’Etat étatsunien à l’OMS, en continuité avec des interventions sanitaires mondiales, ce transfert de souveraineté ne devrait pas rester sans conséquences.

6 janvier : Une base de masse pour le fascisme ?

Tandis que les Républicains se fracturent, un nouveau Centre politique émerge – plus à droite

Conséquence de l’occupation du Capitole par les supporteurs de Donald Trump après un rassemblement de soutien à ses affirmations sans fondement de fraude électorale, le Parti Républicain se fracture, préparant le terrain pour la consolidation d’un nouveau centre bi-partisan – quoique beaucoup plus à droite qu’auparavant. Cela ouvre aussi la voie à la rupture de fractions massives de la base de Trump avec la démocratie représentative, qui embrasseront une option explicitement fasciste. Les événements du 6 janvier leur offrent des martyrs des une narration revancharde qui leur servira dans les années à venir, et leur fournira un mythe interne pour le recrutement et une justification chaque fois qu’ils auront besoin d’user de la force.

Les événements du 6 janvier discréditeront les supporteurs de Trump aux yeux des centristes et forceront certains Républicains à déplacer leurs allégeances vers le centre, mais ils pousseront aussi la limite de ce qui est acceptable. Cela pourrait aider l’extrême-droite à recruter partout dans le pays et pourrait normaliser des actions semblables à l’avenir.

Il s’agit en fait d’un problème très ancien qui n’a jamais disparu. Comme l’explique Mike Davis, « les structures profondes du passé ont été déterrées pendant la présidence de Trump et ont reçu la permission de revenir étrangler l’avenir ».

Mais ce n’est pas le seul problème qui nous attend. Au nom de la guerre à l’extrémisme, les centristes vont demander à étendre les mêmes mécanismes de répression étatique que le prochain Trump utilisera inévitablement contre nous. C’est pour l’essentiel ce qui s’est passé dans l’Allemagne de Weimar, et qui a préparé le terrain à la naissance du Troisième Reich. De même, l’arme principale de Trump tout au long de 2020 a été le Department of Homeland Security (Ministère de l’Intérieur), créé sous la présidence Bush en réponse aux attentats du 11 septembre, et qui a aussi bénéficié d’une plus grande centralisation sous Obama. Les appels des centristes à combattre le « chaos » serviront à éloigner de la rue beaucoup de nos alliés, tout en justifiant de nouvelles actions répressives qui nous viserons nous, aussi bien que l’extrême-droite.

Après ça, le tour de vis étatique supprimera vraisemblablement des libertés de manière générale, en visant toutes les formes de dissensus. En Turquie, quand Erdogan a réprimé une tentative de coup d’Etat militaire de droite, cela a ouvert la voie à la répression de toute forme de protestation. La répression étatique de la droite suivra le scénario qu’ils utilisent contre notre mouvement – incorporer les éléments réformistes tout en isolant et détruisant les éléments « extrêmes ». Si la seule pression contre le gouvernement vient de l’extrême-droite, l’Etat leur fera des concessions.

Nous avons déjà vu nos anciens alliés abandonner la rue durant les événements du 6 janvier. Les gens de gauche incitaient à ne pas aller à Washington, en se reposant sur les autorités pour s’occuper des supporteurs de Trump. Mauvais calcul. Les forces de sécurité ne sont pas particulièrement enclines à résister à la partie de la population avec laquelle elles sympathisent le plus – et même si elles choisissaient de le faire, leurs mains seraient effectivement liées par l’habitude profondément enracinée dans les institutions, de traiter les blancs conservateurs avec beaucoup plus de respect que les gens de couleur, les pauvres, et les anticapitalistes.

En bref, personne ne viendra nous sauver. Nous devons nous préparer à la possibilité qu’un mouvement fasciste encouragé continue à mener des attaques à travers les Etats-Unis tandis qu’un nouveau consensus centriste de gouvernement mettra en œuvre des mesures qui nous viseront tout autant. Si nos mouvements doivent survivre, cela nécessitera une organisation locale à une échelle jamais vue jusqu’à présent.

Nous avons déjà vu les signes d’un virage bipartisan vers la répression des anarchistes et des antifascistes. Par exemple, après avoir remporté les élections, le maire de Portland Ted Wheeler – un démocrate – a annoncé de nouveaux efforts pour viser, discréditer et réprimer les antifascistes et les anarchistes, en usant le même langage que Trump. Le New York times fit de même il y a trois mois, en répétant presque mot à mot les arguments de Trump.

Trump lui-même a menacé les antifascistes avant le 6 janvier, en leur enjoignant de se tenir à l’écart de Washington et de ne pas interférer avec le spectacle qu’il préparait et mettait en scène. La quasi-totalité des plateformes d’extrême-droite se rejoignent dans la lutte contre les « antifa », notamment parce que les alliances contre un sujet négatif permettent de produire de l’unité en temps de polarisation politique, mais aussi parce que les antifascistes ont remporté jusque-là beaucoup de victoires dans la rue, ralentissant leur essor. Le 5 janvier, un mémoire de la Maison Blanche copié directement sur le scénario fasciste annonçait qu’ils essaieraient de réactiver la Loi d’exclusion des anarchistes de 1903-1918, essayant de chasser des États-Unis les opposants au fascisme. Une telle politique, commencée sous Trump, pourrait continuer sous Biden – par exemple, à travers ses anciens supporteurs qui ont rejoint le centre politique à condition qu’il adopte certains points de son programme.

La tradition des opprimés nous enseigne que « l’état d’exception » dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons parvenir à une conception de l’histoire qui rende compte de cette situation. Nous découvrirons alors que notre tâche consiste à instaurer le véritable état d’exception ; et nous consoliderons ainsi notre position dans la lutte contre le fascisme.

Walter Benjamin, Sur le concept d’Histoire

Les événements du 6 janvier : une chronologie sommaire.

Pour la postérité, nous avons composé une documentation de certaines des scènes les plus importantes qui se sont déroulées hier. Plus tard, quand ce récit sera contesté, il pourrait être utile d’avoir tout cela rassemblé au même endroit.

Cette séquence montre le début de l’incursion. D’après différentes informations, beaucoup de ceux qui se trouvent au premier rang de la charge étaient des fascistes endurcis :

Certains ont exagéré la bonne volonté de la police à ouvrir les portes aux supporteurs de Trump. Voici une autre vue des affrontements initiaux :

Des scènes confuses se sont déroulées quand certains supporteurs de Trump ont tenté de protéger les agents contre d’autres supporteurs de Trump, tout en continuant à repousser en arrière les policiers.

Cette vue aérienne montre une ligne de policier en train de se battre sans réussir à repousser les supporteurs de Trump, en nombre bien supérieur.

Les supporteurs de Trump faisant irruption dans la partie nord du bâtiment du Capitole.

Ils sont entrés dans le bâtiment par le premier niveau et ont poussé jusque à l’extérieur de la salle du Sénat.

Nous les voyons ici arriver dans la Rotonde. Comme beaucoup l’ont remarqué, ces cordons de velours les ont contenus beaucoup plus efficacement que la police :

Des supporteurs de Trump ont vidé un extincteur à l’intérieur du Capitole et on commencer à s’affronter encore avec la police.

Des agents ont sorti leurs pistolets pour défendre la grande salle de la Chambre des Représentants.

Les supporteurs de Trump qui sont entrés dans le Sénat vide ont trouvé un vide à l’épicentre du pouvoir – ils s’étaient emparé du temple, mais pour découvrir l’absence de Dieu. Le pouvoir ne réside pas dans des lieux physiques fétichisés ; il est plutôt inclus dans les diverses manières dont nous sommes habitués à obéir, dans les innombrables gestes non pensés par lesquels nous cédons notre capacité d’agir aux autorités chaque jour, et chaque heure.

Mais lorsque les insurgés parviennent à investir les parlements, les palais présidentiels et autres sièges des institutions, comme en Ukraine, en Libye ou dans le Wisconsin, c’est pour découvrir des lieux vides, vides de pouvoir, et ameublés sans goût. Ce n’est pas pour empêcher le « peuple » de « prendre le pouvoir » qu’on lui défend si férocement de les envahir, mais pour l’empêcher de réaliser que le pouvoir ne réside plus dans les institutions. Il n’y a là que temples désertés, forteresses désaffectées, simples décors – mais véritables leurres à révolutionnaires. L’impulsion populaire d’envahir la scène pour découvrir ce qu’il se passe en coulisse a vocation à être déçue. Même les plus fervents complotistes, s’ils y avaient accès, n’y découvriraient aucun arcane ; la vérité, c’est que le pouvoir n’est tout simplement plus cette réalité théâtrale à quoi la modernité nous a accoutumés.
Comité Invisible, À nos amis

Certains des supporteurs de Trump brandissaient des serflex, qu’ils avaient sans doute apportés pour prendre des otages.

Pendant ce temps, le New York Times rapportait que des engins explosifs avaient été découverts aux sièges des Partis Démocrates et Républicains.

Une « source proche de la Maison Blanche » qui était en contact avec les supporteurs de Trump qui avaient pénétré dans le bâtiment ont répandu le bruit que les participants entendaient rester à l’intérieur du Capitole durant la nuit. Selon des récits ultérieurs, la foule comprenait des policiers hors service et des militaires, dont certains brandissaient leurs badges d’identification.

La police avait barricadé une porte pour protéger certains des politiciens qu’ils avaient évacué ; une poigné d’agents montaient la garde à l’extérieur mais des supporteurs de Trump les ont persuadé de s’écarter. Quand ils ont tenté de défoncer la porte, un policier de l’autre côté a tiré une seule balle, tuant Ashli Babbit, ex-policière. A ce moment des agents d’appui tactique arrivaient de l’autre côté de la porte, immédiatement derrière Babbitt et les autres supporteurs de Trump. Cette troublante vidéo montre le moment où la police a tiré sur elle.

Voici le coup de feu sous un autre angle. De nouveau, le contenu est extrêmement choquant.

A regarder l’interview du supporteur de Trump qui était à côté de Babbitt quand elle a été tuée, il est difficile de déterminer la part de la naïveté et la part d’artifice. Ça apparaît d’un coup comme une œuvre de propagande consciente et en même temps, comme étrangement naïf – par exemple sur les conséquences de donner son nom comme participant à l’intrusion dans le Capitole.

Pendant ce temps, il semble que la police ait utilisé ds gaz lacrymogènes.

Les affrontements continuaient pendant que la police tentait de reprendre la Rotonde.

Certains des participants étaient probablement allés plus loin qu’ils ne s’y attendaient et, surpris par leur succès initial, n’étaient pas capables de consolider leur avantage pour tenir leur territoire. D’autres, qui avaient annoncé sur des forums publics qu’ils exécuteraient des politiciens et occuperaient le bâtiment en furent apparemment empêchés par l’évacuation que la police réussit à mener et par sa défense des poiticiens, ce qui donnaient aux envahisseurs peu de raison de recourir à la force létale pour défendre les parties du bâtiment qu’ils avaient conquises.

Ici, un grand nombre de supporteurs de Trump quittent le Capitole à visage découvert.

Pendant ce temps, des scène semblables se déroulaient dans d’autres capitales d’Etat à travers le pays.

C’est le vice-président Mike Pence qui a approuvé l’ordre de déployer la Garde nationale, pas Trump. Ceci semble renforcer l’hypothèse selon laquelle Trump ou ses supporteurs se seraient arrangés pour que la sécurité soit impréparée ou que la réaction soit autrement retardée. Dans certaines parties du Mexique ( ?), on a dit que si la police ou les militaires étaient ostensiblement absents, c’était parce les paramilitaires allaient venir faire le sale boulot pour eux. Cela reste des spéculations, mais il est certain que Trump avait fait en sorte, en novembre, d’éloigner des officiels en place depuis longtemps du Département de la défense et d’autres agences en les remplaçant par des loyalistes, dès que son échec face à Biden a été confirmé et avait restructuré la chaîne de commandement pour concentrer le pouvoir directement entre ses mains. Au risque de répandre nos propres théories complotistes, nous rappellerons comment le 18 ovembre, à Fort Bragg, quand le Secrétaire à la Défense en fonction, Christopher C. Miller a annoncé que désormais, les Opérations Spéciales dépendraient directement de lui, il s’est interrompu pour dire : « ceci est un présage ».

En exécutant les ordres du président, nous reconnaissons que cette transition et cette campagne sont lourdes de risques et de défis et d’occasions inattendus. C’est pourquoi je suis ici pour annoncer ceci – ceci est un présage… Je suis ici pour annoncer que j’ai ordonné à la direction civile des Opérations spéciales de s’adresser directement à moi au lieu de suivre la chaîne bureaucratique courante.

Certains officiels alliés ont avancé que ce qui s’était passé avait des relents de coup d’Etat. Notre propre interprétation est que plus tôt en 2020, Trump a effectivement envisagé de prendre le pouvoir quel que soit le résultat des élections – mais, craignant sans doute que le soulèvement consécutif à l’assassinat de Georges Floyd ne soit qu’en avant-goût de ce qui pourrait arriver en cas de tentative de coup d’Etat, d’importants éléments de la classe dominante ont choisi de ne pas le soutenir, avec pour résultat que le 6 janvier, il n’y avait pas de possibilité réelle d’en réaliser un, et que tout ce qui restait à Trump comme possibilité, c’était de lancer ses supporter dans un dernier baroud pour punir le reste de la classe politique de ne pas lui avoir permis de garder le pouvoir et pour leur montrer que, même hors du pouvoir, ses supporteurs et lui étaient une force dangereuse.

En tous cas, le 6 janvier, à la tombée de la nuit, un nombre important de policiers ont été enfin déployés :

Dans l’obscurité, la police a pourchassé les partisans de Trump avec une violence très comparable à celle habituellement employée contre les manifestations Black Lives Matters.

Un témoin visuel rapporte que 15 véhicule portant des autocollants Trump, qui avaient été garés sur un parking dans le quartier de Fort Totten à Washington ont eu leurs pneus crevés – deux par véhicule, de manière à ce que le problème ne puisse pas être résolu.

Plus tard, dans le bâtiment du Capitole :

(En réalité, toutes les statues du Capitole sont trempées de sang – mais les caméras ne montrent que le sang répandu par des Blancs)

Le champ de bataille des réseaux sociaux

Pour sa part, M. Trump a félicité les participants, sans toutefois aller jusqu’à cautionner explicitement l’incursion, et ce afin de conserver un démenti plausible : “Ce sont les choses et les événements qui se produisent lorsqu’une victoire électorale massive et sacrée est si peu cérémonieuse et si vicieusement retirée à de grands patriotes qui ont été mal et injustement traités pendant si longtemps”. Il a ajouté un message identifiant l’événement comme une étape fondamentale confirmant l’émergence d’un nouveau courant politique : "Souvenez-vous de ce jour pour toujours !

En réponse, Twitter et Facebook ont finalement imposé un embargo sur les comptes de Trump. Les modérateurs de l’un des espaces d’organisation en ligne du rassemblement ont également été mis sous pression :

Facebook a déjà interdit de nombreux anarchistes il y a quelques mois, mais tout de même, si tout malheur qui arrive à Trump est un obstacle bienvenu à ses efforts totalitaires, il est inévitable que cela conduise finalement à une plus grande censure des anarchistes et des autres participants aux mouvements sociaux. Il est donc d’autant plus urgent que nous établissions et promouvions des alternatives dès maintenant.

Les républicains vont-ils se séparer ?

À la suite de ce coup d’éclat, les républicains se sont déjà effectivement divisés en deux camps, l’extrême droite pro-Trump et les “centristes” qui ont finalement été contraints de rompre avec Trump, bien qu’il ait été à cheval sur ses positions pendant les quatre dernières années.

L’une des réalisations les plus inquiétantes de Trump pour faire avancer la cause réactionnaire est qu’aujourd’hui les républicains qui se sont déplacés vers l’extrême droite grâce à son influence peuvent être salués comme des héros de la démocratie par une base bipartisane - simplement parce qu’ils ont choisi de ne pas le soutenir dans une tentative de coup d’État explicitement antidémocratique. Alors que les démocrates et les républicains qui retirent leur soutien à Trump consolident un nouveau centrisme politique bipartisan, le milieu de ce centrisme aurait été considéré comme extrême droitiste il y a quelques années seulement. L’adversaire républicain d’Obama lors de l’élection de 2008, John McCain, est maintenant détesté par la base de Trump, mais est un héros pour de nombreux démocrates.

À cet égard, le départ de Trump du centre du Parti républicain ne fait que consolider les acquis de l’extrême droite, en les libérant de toute association avec son caractère polarisant. Si l’extrême droite est maintenant représentée par des néo-nazis féroces qui se livrent à une insurrection armée pure et simple, il sera plus facile pour les capitalistes qui veulent déporter des millions de personnes et en expulser des dizaines de millions de se présenter comme des partisans éminemment raisonnables du point de vue dominant. Le chaos d’hier à Washington a déjà permis aux partis d’extrême droite européens de se positionner comme des défenseurs consternés de la démocratie.

Il est tout à fait possible que certains partisans de Trump ressentent les événements du 6 janvier comme un signal d’alarme. Mais il est peu probable que ce changement soit une amélioration. Certains d’entre eux pourraient décider qu’ils sont vraiment convaincus de la démocratie d’État et de l’État de droit après tout ; dans ce cas, ils feront appel à des partisans comme Lindsay Graham et, au mieux, appelleront à la répression des fascistes purs et durs ainsi que des antifascistes. D’autres - ayant enfin appris ce que c’est que d’être victime de la répression policière - concluront qu’ils détestent la démocratie et les flics, eux aussi, mais pour des raisons exactement opposées à celles des anarchistes, et rejoindront des groupes explicitement fascistes.

Cette rupture avec les autres républicains dérangera les partisans de Trump, car elle les sépare d’une grande partie de leur pouvoir et de leur légitimité perçue ; mais c’est une étape nécessaire pour ceux qui ont cherché à établir une base de masse pour le fascisme pur et simple. Ils ont établi un pôle fasciste dans la politique américaine - avec des martyrs et un récit revanchiste - qui leur servira pendant des années à venir, en leur fournissant un mythe interne pour recruter et une justification à chaque fois qu’ils auront besoin d’utiliser la force.

Comme nous l’avons soutenu lorsque Trump est arrivé au pouvoir, si l’État n’est pas capable de résoudre les problèmes auxquels les gens ordinaires sont confrontés aujourd’hui, il pourrait être stratégique pour eux de se positionner en tant qu’ennemis du gouvernement en place, afin de recruter parmi des blancs désespérés et privés de leurs droits, dont les privilèges raciaux les ont amenés à croire qu’ils ne devraient pas être ceux qui sont abandonnés par l’État et exploités par l’économie.

Comme nous l’avons soutenu par ailleurs, en réponse au soulèvement de George Floyd, Trump et ses partisans se sont retirés du contrat social, déclarant en fait : “Si nous ne conservons pas nos privilèges, c’est la guerre civile”.

Une mainmise sur le pouvoir

Dans le même temps, comme nous l’avons soutenu le mois dernier, bien que les milices d’extrême droite se décrivent comme des rebelles contre le statu quo, c’est une erreur de les considérer comme s’opposant à l’État lui-même. Au contraire, paradoxalement, les participants au mouvement autour de Trump ont cherché à se qualifier à la fois d’ennemis de l’“État profond” et de partisans du pouvoir de l’État. Par conséquent, ils bénéficient du soutien de l’intérieur de l’État, même s’ils prétendent le contester.

Sept sénateurs et 121 républicains de la Chambre des représentants - plus de la moitié des républicains de la Chambre, et plus d’un quart de la Chambre des représentants au total - ont soutenu le challenge de la validation de l’élection, après l’incursion d’hier - quand il est devenu clair que, ce faisant, ils fournissaient intentionnellement une couverture narrative à ce qui était soit une tentative de coup d’État extrêmement maladroite, soit la fondation d’un nouveau parti fasciste. Au moins six élus, dont un membre de la Chambre des délégués de Virginie occidentale, ont participé à l’assaut du Capitole, ainsi qu’un grand nombre d’officiers de police en civil venus de tout le pays.

Tout ceci est une preuve suffisante que le mouvement autour de Trump ne va pas disparaître de sitôt, et il sera très difficile pour les autorités d’exercer contre lui le type de force qu’il faudrait pour en stopper l’élan.

Prenant exemple sur Trump, le député Matt Gaetz et d’autres républicains ont répandu l’absurde mensonge selon lequel le mouvement incontrôlé au Capitole était en quelque sorte le fait d’acteurs “antifa” sous fausse bannière. Bien entendu, de nombreuses preuves confirment que l’incursion était composée de partisans avoués du Trump. En répandant hardiment des mensonges éhontés, Gaetz et ses acolytes constituent ainsi une base large et solide qui répand des mensonges pour démontrer leur loyauté et cracher aux yeux des politiciens et des journalistes démodés qui prennent encore la crédibilité au sérieux. Ils visent à hâter l’arrivée d’un jour où la vérité ne sera plus qu’un enjeu d’appartenance politique, et non l’inverse.

Malheureusement, Gaetz est seulement un exemple parmi tant d’autres, de personnes occupant des positions variées au sein du spectre politique qui tentent de brouiller les pistes concernant l’identité politique des partisans de Trump qui ont envahi le Capitole. Erin Burnett et Dana Bash se sont joints à Fox News et Vanity Fair et aux politiciens Marco Rubio et Elaine Luria dans leur description des partisans de Trump comme des “anarchistes” - en écartant l’inévitable effort à venir pour impliquer “les deux côtés”, fasciste et antifasciste, comme étant également responsables des problèmes qui affligent les États-Unis.

Et les anarchistes ?

Ayant appris des deux derniers rassemblements de partisans de Trump à DC, les anarchistes et antifascistes qui circulent dans le centre-ville de DC en groupes affinitaires ont pu empêcher des attaques brutales contre des activistes racisés et d’autres qui risquent d’être pris pour cible au hasard par les fascistes et les partisans de Trump. Mais il y a eu très peu de bonnes nouvelles en cette sombre journée.

Les anarchistes font face à une double épreuve en tentant de répondre aux événements du 6 janvier. Ce n’est pas cohérant de risquer nos vies pour défendre les institutions qui dirigent l’oppression de l’État, ni de donner aux fascistes des occasions faciles de nous tuer ou de nous blesser. En même temps, si nous cédons tout le terrain du conflit à la droite extrême insurgée et à un État policier répressif, quel que soit le tort qu’ils se causent mutuellement, l’horizon politique se rétrécira pour devenir vraiment petit. Au minimum, nous devrions proposer une alternative anti-autoritaire à ces deux forces, en établissant de nouveaux modèles d’action et en trouvant des points d’intervention qui minimisent la vulnérabilité.

Il ne sera probablement pas possible pour les partisans de Trump de faire deux fois la même action. Le 20 janvier, lorsque Joe Biden sera inauguré président, nous nous attendons à ce qu’il y ait une présence policière et militaire considérable à Washington, DC. D’autre part, les partisans de Trump pourraient tenter de reproduire ce qu’ils ont fait à Washington dans les capitales des États du pays. Ceux qui s’opposent à la fois au fascisme et à la répression étatique pourraient devoir revenir à la case départ afin d’identifier les objectifs les plus stratégiques dans ce nouveau scénario.

Une erreur que nous ne devons pas commettre est de supposer que toutes les cartes sont sur la table. Cela n’est pas vrai - il y a encore des secteurs massifs de la société qui n’ont pas joué leur jeu avec l’un ou l’autre camp. La fuite en avant vers la guerre civile augmente la probabilité que nous arrivions à ce point avant d’être prêts. La guerre civile est peut-être inévitable, si tel est le cas, c’est une raison de plus pour se concentrer sur la construction de réseaux et sur l’appel à ceux qui n’ont pas encore choisi leur camp tant qu’il est encore temps.

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