PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°2

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#279, le 14 mars 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

 

Miettes 2

Critique du programmatisme
Nouvelle critique du principe de « l’éthique première »

Partons de la distinction (hyper) classique entre « programme », projet, idée, normativisme moral, tables de loi, ET « processus », comment se réalise un projet ou comment mettre « en réalisation » une idée.
Partons même de la liaison (elle-même hyper) classique ou positiviste entre programme et réalisation, la réalisation d’un programme ; le plan éthique vient d’abord PUIS ensuite on passe à l’action pour « appliquer » le plan ; liaison dangereuse ou fatale qui peut se caractériser comme « ingénierie politique » (élément de l’ingénierie sociale qui, elle, peut contenir les formules de « la conversion clandestine » aux idées) – pensons à l’ingénierie électorale et à ses départements, lobbies, propagande, manipulation des règles électorales, etc.
Et, finalement, partons de la forme standard de l’opération de réalisation, la forme (que nous nommerons) social-démocrate.
Pour cette forme, il s’agit de « populariser » l’idée ou le programme et d’obtenir l’adhésion « de masse », « la popularisation », qui est un long et lent « processus » de « conviction » (au sens actif, d’obtention de l’adhésion, par le mensonge, par exemple).
Processus technicisé par diverses méthodes, dont la propagande et le clientélisme, l’achat de l’acceptation.
Bien entendu, on reconnaît là, sans peine, le processus baptisé « démocratique », qui consiste à obtenir l’adhésion (et les moyens techniques ou financiers de cette adhésion sont cachés) pour « gagner » les élections (le processus électoral étant lui-même un processus technique d’ingénierie électorale) et accéder au pouvoir « démocratiquement », « pour changer les choses ».
La forme complète de cette structure idéaliste, et toute en dénégation (du rôle des techniques ou de l’argent) – programme convaincant, processus de conviction, obtention de l’adhésion, participation au jeu parlementaire (en acceptant l’omerta commune sur les moyens techniques), gagner les élections, puis la supposée mise en œuvre du programme ; qui se termine très souvent en « trahison », trahison nommée adaptation aux circonstances – la forme complète de la structure positiviste de réalisation est le parlementarisme ou la collaboration aux institutions politiques « démocratiques » maintenues en l’état.
Il existe une forme tronquée de cette structure idéaliste qui lie directement l’idée, le programme, l’utopie réaliste, à la réalisation (les trompettes de Jéricho) en faisant l’impasse sur le processus complexe et la mise en œuvre de techniques démultipliées ; mais c’est toujours un processus de type électoraliste qui est en arrière-plan.
Si l’on casse ou critique cette structure positiviste (de constitution de l’adhésion) et si l’on fixe l’attention sur les cuisines du processus, sur les techniques diversifiées comme la propagande, mais depuis la critique de l’électoralisme jusqu’à la suspicion ironique des « mises en œuvre », avec leurs compromis, reniements, trahisons, contradictions et la corruption inévitable, les pertes en ligne, on doit procéder à deux renversements :

1. Il devient nécessaire de mettre la question du processus et de ses techniques (psychologico-sociales) avant celle du programme ; car on est sûr que le programme se perdra dans les méandres du processus de réalisation.
Première inversion du positivisme.
Mais cette inversion est insuffisante. Elle nous laisse encore au sein de la structure positiviste, simplement inversée. Structure idéaliste qui peut se maintenir moyennant l’idéologie de « la technique neutre ».
Les moyens techniques mis en œuvre, ainsi que les sommes considérables dépensées, n’influeraient pas sur le processus ou ses résultats !

2. Il faut aller plus loin et transformer l’inversion en rupture radicale du positivisme.
Lorsque le processus est détaché du programme, est examiné critiquement (au moyen d’une critique des techniques mises en œuvre), lorsque le processus n’est plus une simple « application » (mais qu’il doit se penser comme développement d’un monde technique d’emprise ou de contrôle, « en autonomie relative ») comment alors penser ce processus de manière non positiviste ?
Nous avons traité cette question en présentant « la révolution copernicienne opéraïste » ; il faudrait compléter l’analyse en rentrant dans le dédale des techniques de conformation.

Ce que nous voudrions faire, ici, est développer un peu plus « les fondements théoriques » de cette inversion en rupture (ou de cette critique du positivisme).
Il s’agit non seulement de critiquer le positivisme, l’idéalisme des ingénieurs ou des militants pragmatistes réformistes, mais de repenser le matérialisme. Qui doit inclure une analyse des techniques de contrôle.

Indiquons le contexte.
Nous parlons depuis une Europe Occidentale défaite et en voie d’extinction, mais qui poursuit son œuvre mortelle à titre de zombie (pour garder cette formule populaire qui désigne, entre autres, l’inconscience ou le somnambulisme des Européens « possédés » et qui ne veulent pas abandonner leur mode de vie).
La critique du caractère mortel de l’Occident, colonisation, exploitation, domination, est bien connue ; il existe une bibliothèque entière sur ce thème, depuis les « livres noirs » du capitalisme, du colonialisme, etc., jusqu’aux nouveaux livres noirs de l’écologie.
Ce qui est moins bien analysé, par suite d’une focalisation perverse sur les programmes de rédemption ou de pénitence (les utopies écologistes, style Latour), est la poursuite (cachée et renforcée) de l’œuvre mortelle de l’occidentalisation du monde (ne retenons que le thème de la croissance sotériologique ou de la technique salvatrice, thèmes désormais partagés par tous, bien que largement critiqué par les économistes hétérodoxes de l’Europe agonisante).
Après être passé en Amérique, où elle s’est déchaînée, l’occidentalisation atteint l’Asie, la Chine et l’Inde. Permettant, dans cette phase de transition, de « délocaliser » cyniquement les désastres écologiques, pollutions, extractions, exploitations.
À quoi peut bien servir une nouvelle « morale écologique », si cette morale, hypocritement, ne concerne pas les plus gigantesques réservoirs de populations, qui attendent « l’enrichissement », promis mais « volé » (par les premiers arrivés, qui, peuvent, désormais avoir des « états d’âme ») ?
Les programmes, écologiques, par exemple, les mieux intentionnés ou les plus débridés, mais qui ne prennent sens (la réalisation) que pour des nations militairement et économiquement vaincues (et ne peuvent avoir aucun sens pour les futures forces émergentes, vues les dépenses militaires exigées par la conquête de l’hégémonie) [et notons bien, nous avons une première occurrence de l’inversion du positivisme : le processus de la défaite précède le programme de rédemption ou, inversement, la tentative hégémonique armée annule tout programme « bien intentionné »], ces programmes écologiques sont totalement « impotents », devant la recomposition géopolitique.
Encore une fois le thème de « l’exemplarité » (ou de la conviction, pensée à l’échelle des nations) doit être envisagé avec ironie, sinon franche poilade.
Le cercle, la circulation, le circuit de la souveraineté ou de la force (armée) se poursuit. Annihilant toute prétention « salvatrice » écologique (les jeux de rôles à la Latour sont franchement drôles).
Renvoyons aux « méthodes » de l’armement allemand PENDANT la guerre, disons en 1943-1944 (lire Adam Tooze, Le salaire de la destruction).
Combien de temps peut vivre et travailler un humain sans être nourri avec autre chose que de la soupe de navets ? De 100 à 300 jours.
Il faut donc articuler les calculs économiques sur cette donnée « biologique » de base. Et accélérer les déportations (les rotations) de populations ; tous les 100 jours amener de nouvelles cargaisons humaines (exigées par les entreprises auprès des fournisseurs SS).
Combien de temps peut-on continuer à araser la terre (sous toutes ses formes) pour conserver le mode de vie ? Et, peut-être, en jouant sur l’accroissement du caractère inégalitaire ?
Plus de 100 ans, sans doute, et plus, si les ingénieurs « innovent ».
Il faut donc articuler la conquête spatiale et la fuite hors de la terre (pour les plus riches, le programme sotériologique technopathe d’Elon Musk) à cette donnée.
Encore une fois, nous retrouvons l’inversion du positivisme.
Mais cette fois-ci l’inversion entraîne une rupture.
Lors du passage de la formule positiviste programme → réalisation à son inversion réalisation → programme se produit une cassure ou une rupture ; ce n’est plus du même programme dont on parle, ce n’est même plus d’un programme (sotériologique) dont on parle.
Lorsque « la mise en application », c’est-à-dire le conflit politique ou l’antagonisme, la contradiction, vient AVANT (la table éthique ou les inventions ébouriffantes), le projet éthique s’évapore ou devient un simple élément de la guerre (une technique supplémentaire).

 
L’évaporation des projets éthiques par leur réalisation (et corruption, dégradation), évaporation qui laisse face à l’antagonisme, et au chaos qui caractérise tout conflit, c’est-à-dire toute « histoire », voilà ce qu’il faut TOUJOURS analyser d’abord.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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