Pour un certain Noël, Hebel.

Hebel-Kolportage (suite : [36], …, [45])

paru dans lundimatin#222, le 23 décembre 2019

Lundimatin a, plusieurs fois déjà, colporté des historiettes de Hebel, notamment ici et .

Mais il s’agit cette fois de proposer du Hebel pour Noël.

Janvier 1934. Walter Hasenclever, 43 ans, est en exil en France depuis quatre mois, à Paris encore, s’apprêtant à gagner Nice en voiture [1]. Tucholsky s’était déjà exilé en Suède, comme préventivement, en 1928. Pour Hasenclever et d’autres, l’exil ne fait que commencer. Le Noël 33 a été le premier Noël nazi pour les Allemands en Allemagne, et le premier Noël de l’exil pour les exilés. Les deux hommes sont liés d’amitié depuis dix ans ; ils ont écrit ensemble pour le théâtre un Christophe Colomb. Le 5 janvier 1934, en réponse à un courrier du 25 parvenu de Paris, Tucholsky écrit à Hasenclever une longue lettre, désordonnée, touffue [2], à la fin de laquelle on lit ce conseil :

Ne dites pas que vous travaillez dans un espace dénué d’air. Vous ne le feriez que si vous lâchiez « présentement » la bonde. Ce sage Kracauer a écrit quelque part : « Qui se commet trop profondément avec le temps, vieillit vite [3]. » Voilà ce que vous ne faites plus depuis longtemps – et sans lui tourner le dos. De la prose ? Très bien. Si je puis me permettre de recommander en guise de bain purifiant, pour l’âme : beaucoup de Hebel (avec un b [4]), Kleist et Schopenhauer – ça fait le ménage dans les coins.

*

Trois semaines plus tôt, depuis Paris, Walter Benjamin, pour un journal qui paraissait à Prague et Vienne (Die Welt im Wort), se prêtait le 14 décembre 1933 (comme d’autres écrivains, autrichiens ou allemands en exil : Hermann Broch, Thomas Mann...) à l’exercice : „Was soll man zu Weihnachten schenken ?“ [Que faut-il offrir pour Noël ?] Sa réponse (très explicitement articulée sur les circonstances) : les historiettes de Hebel [5].

Frédéric Metz

*

« Voilà les histoires de Hebel. Elles ont toutes un double fond. »
Walter Benjamin

[36] Le gibet de Thalhausen

« Mais quand donc amènera-t-on les juifs ? Personne ne vient », dit pour finir au prévôt de Gillmannshofen [6] le capitaine. C’est que le prévôt, lui, avait la veille été en ville, et s’y était pour une quelconque affaire enquis des conseils de Monsieur le bailli. « Voilà qui tombe bien, dit le bailli, que vous soyez ici, j’ai là pour vous quatre mandats du grand bailliage, vous pouvez ainsi les emporter vous-même. » Lorsque le prévôt s’en fut retourné au Lion rouge, et tandis qu’il reprenait là où il en était resté, c’est-à-dire : à la cinquième choppe, il tira de sa poche les quatre ordonnances, si toutefois l’on ne pouvait pas déjà voir du dehors ce qu’il y avait au dedans, comme bizarrement on le fait parfois. Après quoi, il remit les ordonnances dans la poche de sa veste. Après quoi, rendu à la sixième choppe, il étendit les bras sur la table et mit sa tête sur ses bras, et s’endormit. De gais messieurs se trouvaient à une autre table, et le plus madré parmi eux, un du genre de Monsieur Théodore [7], dit : « Je m’en vais faire quelque plaisanterie ». Et le voilà qui se met à écrire une fausse ordonnance selon laquelle, étant donné que, demain, au 15 du mois, trois juifs devaient être pendus, le prévôt de Gillmannshofen avait à se trouver sans faute au gibet de Thalhausen avec vingt-quatre hommes et un capitaine, le matin à 9 heures, aussi bien qu’avec l’ensemble des enfants de l’école. Après quoi il retira en douce une ordonnance de la poche du prévôt et y mit la fausse à la place. Sur le chemin du retour vers Gillmannshofen cependant, le prévôt commença à ouvrir les ordonnances, voir un peu ce que le bailli pouvait bien encore lui vouloir, et quand il commença à lire la fausse ordonnance : « Ce doit être une erreur », se dit-il à lui-même, et il retourna à la ville pour interroger là-dessus le bailli. Le bailli et son épouse, et Monsieur le Réviseur général [8] et son épouse, après les peines et labeurs du jour, se récréaient autour d’un jeu de cartes. « Que voulez-vous donc encore, le rabroua le bailli, ne voyez-vous donc pas que je reçois ? » Le prévôt voulut lui expliquer qu’il était heurté par l’une des ordonnances et qu’il pensait que… « Une tête brouillonne, voilà bien ce que vous êtes ! » dit le bailli, et certainement qu’il en était une en effet. « Vous n’avez rien à penser… Vous avez à obéir et à accomplir-leisten cela qui vous est ordonné ; et là-dessus point final. N’avez-vous pas encore été puni assez jusque là ? » Alors le prévôt se remit en chemin, et le lendemain matin il se mettait en marche, lui avec une troupe de vingt-quatre hommes et avec un capitaine, et Monsieur le maître d’école avec la jeunesse écolière, ainsi qu’avec nombre d’autres venus de leur gré, en direction du gibet de Thalhausen, qui se trouve sur un petit surplomb, à main gauche quand venant du moulin de Neuhausen on marche en direction de la ville. « Il est dommage, dit le prévôt au capitaine, qu’il pleuve aussi terriblement. Il y en a qui seront restés chez eux. » Lorsqu’ils sortirent du bois de Thalhausen et virent le gibet encore seul comme âme en peine au milieu de la campagne : « Nous sommes les premiers, dit le prévôt au capitaine, il n’y a encore personne. » Ceux venus de gré se cherchèrent chacun une bonne place, d’où voir au mieux. Certains, pour être au plus près, s’installèrent dans des arbres alentour ; d’autres, pour le moment, se tenaient au-dessous. Mais il n’arrivait rien. Des gens de passage, qui pour leurs affaires empruntaient le chemin, s’arrêtaient à leur tour puis se mettaient à attendre sous la pluie, voulant voir ce qui adviendrait de ce cortège singulier. Mais il n’arrivait rien. « Ils doivent attendre, dit le prévôt, que ça cesse de tomber autant. » Monsieur le maître d’école, en guise de passe-temps, enchaînait des sermons à destination de la jeunesse écolière, affirmant que, bien que ce ne fussent que des juifs, ils avaient, eux, à en tirer une chrétienne leçon. Mais toujours rien ne se décidait à venir. Midi sonnait déjà à tous les villages, mais les cloches ne firent arriver personne. C’est pourquoi le capitaine finit par dire au prévôt : « Mais quand donc amènera-t-on les juifs ? Personne ne vient. À moins, ajouta-il, que nous soyons finalement vos dupes ? Il ne serait pas si étonnant que nous vous y pendions vous, alors, pour que les gens ne soient pas venus pour rien. » – Bref, personne ne vint.

Depuis ce temps, celui qui traverse Gillmannshofen et s’enquiert, de bonne foi ou par malice, de savoir si personne n’a de longtemps été pendu au gibet de Thalhausen, ou quelque chose d’approchant, celui-là prend des coups.

[1815]

[37] Le conscrit

Un conscrit, à qui faire le planton après quinze jours à peine semblait déjà d’un grand ennui, observa alors la guérite en dessous et au-dessus, et à l’arrière et au devant, comme un garde-forestier évaluant un arbre, ou un boucher une tête de bétail. Il dit pour finir : j’aimerais seulement savoir ce qu’ils peuvent trouver à ce stupide caisson pour obliger quelqu’un à s’y tenir toute la journée et à veiller dessus. C’est qu’il pensait qu’il se trouvait là à cause de la guérite, non la guérite à cause de lui.

[1811]

[38] Souvarov

L’être humain doit pouvoir exercer sur lui-même une certaine herrschaft-maîtrise, sans quoi il n’est un être ni brave ni digne d’estime, et ce qu’une fois pour toutes il reconnaît comme juste, il le lui faut faire, et non pas une fois pour toutes – mais toujours. Le général russe Souvarov, que connaissent bien Turcs et Polaques [9], Italiens et Suisses, ce général exerçait un strict et sévère commandement. Mais ce qui était le plus vornehm-distingué, c’était que lui-même se plaçait sous son propre commandement comme s’il avait été un autre, et non Souvarov lui-même, et il arrivait fort souvent que ses aides de camp dussent lui ordonner ceci ou cela en son propre nom, ce à quoi il obéissait alors fort exactement. Un jour, il était entré dans une colère furieuse à l’encontre d’un soldat, qui avait en son service commis quelque manquement, et il commençait déjà à le prügeln-gourdiner. Alors un aide de camp prit courage, se dit que ce serait rendre un bon service au général et au soldat, accourut vers eux et dit : « Le général Souvarov a ordonné qu’on ne devait jamais se laisser posséder par la colère. » Aussitôt Souvarov s’arrêta, et dit : « Si le général l’a ordonné, il faut obéir. »

[1809]

[39] Accommodante juridiction

Tandis qu’un fonctionnaire de justice, tout frais émoulu, au temps de la République, tenait séance pour la première fois, se présenta à la barre de son prétoire le meunier d’en bas, lequel dans l’affaire des frais d’endiguement exposait ses griefs, contre celui d’en haut. Quand il eut terminé, le juge admit : « L’affaire est tout à fait claire : c’est vous qui avez raison. » Là-dessus une nuit passa, et une très légère soûlerie... Puis le meunier d’en haut arriva, et lui aussi exposa sa cause et sa défense, et avec plus de verve encore que celui d’en bas. Quand il eut fini de parler, le juge admit : « L’affaire ne saurait être plus claire : vous avez entièrement raison. » Ce sur quoi, lorsque le meunier se fut retiré, le sergent du bailliage s’approcha du juge : « Votre Honneur, dit le sergent, il se trouve que votre prédécesseur, aussi longtemps que nous avons ici dit le droit et prononcé des verdicts, jamais n’a jugé de la sorte. Sûr qu’on ne s’en sortira pas si on s’y prend ainsi : les deux parties ne peuvent ensemble gagner le procès, sans quoi il faut aussi qu’elles le perdent toutes deux – ce qui ne saurait être. » À quoi le juge répondit : « L’affaire n’a jamais été si claire : tu as raison, toi aussi... [10] »

[1815]

[40] Un cheval avantageusement vendu

L’authentique histoire qui va suivre est racontée ici non pour donner quelque idée à des fils frivoles, mais pour mettre en garde des pères par trop crédules. Un homme crédule et dépourvu d’expérience – un érudit certes, mais justement… – avait un petit cheval bai, et un fils joyeux. Mais du fils et de la conduite du ménage, il se souciait moins que de ses livres chaldéens. En conséquence le fils se souciait moins du père que des pichets et des verres de taverne, et moins du payer que du boire, et il était étudiant. Si quelqu’un demandait au père, au sortir de table, s’il avait eu pour déjeuner de la choucroute ou de la compote, il ne savait le dire. Si quelqu’un demandait au fils à quel endroit de la petite ville était tiré le meilleur vin, il le savait fort bien. Mais un soir, tandis que se trouvant au Lion le fils s’apprêtait à rentrer chez lui, le tenancier du Lion le prit à part : « Monsieur Bénédicte, où en sommes-nous vous et moi à la longue ? Cela fait maintenant quatre mois... » Tandis qu’il rentrait à la maison, il rencontre le tenancier du Chevalier  : « Ah ! Vous voilà monsieur Bénédicte ! Comme on se retrouve !... Il semblerait que vous ne puissiez plus trouver la ruelle du Chevalier  : que gagez-vous que je saurai, moi, trouver la vôtre ? » Quand il passa le coin de la rue, il tomba entre les mains d’Anschel Hirsch : « Eh bien Monsieur Bénédix, combien de temps faudra-t-il encore que j’attende la saint-Jean ?... ou bien dites quel calendrier c’est-y donc que le vôt’ ? Le calendrier de cent ans, peut-être  [11] ? » Alors, arrivé à la maison, la première chose qu’il fit fut de sortir le cheval de l’écurie, puis de convenir de quelque chose avec le valet ; et le lendemain, quand le vieil homme eut dit sa chaldéenne prière du matin, le fils lui demande : « Savez-vous aussi, monsieur mon père, que le petit bai a crevé cette nuit ? » « – Mais qu’a-t-il donc eu ? demanda le vieil homme, non sans douleur. Il faut en racheter un autre. » « – Si seulement nous en pouvions rapidement trouver un pareil... », repartit le fils.

Le lendemain ou surlendemain, il attache le petit cheval de nouveau dans la cour et crie au vieil homme à sa fenêtre qu’il est en train de négocier un petit cheval. « Si une goutte d’eau ressemble à une goutte d’eau, dit-il quand le vieil homme fut descendu au dehors, de même alors l’ancien cheval et le nouveau. Et pour seulement 18 louis d’or. Si vous l’achetez, dit-il, vous faites un bénéfice net de 12 louis d’or : car en dessous de 30 louis, vous n’auriez pas cédé l’ancien, or il est devant comme derrière tout pareil comme l’autre... » Le père dit : « Il est, je dirais, un peu plus petit » – comme l’on peut se tromper... « Mais c’est pour qu’on puisse les reconnaître », répondit son rusé de fils. Bref, le petit bai plut au vieil homme, et l’affaire fut conclue. Le vieil homme donna au fils les 18 louis d’or et le fils paya le tenancier du Lion, celui du Chevalier, et le juif ; il a aussi depuis appris à boire de l’eau, devenu clerc en un comptoir de Wurtzbourg.

[1819]

[41] Pieve

Tout le monde connaît les marchands d’images et de cartes géographiques qui à travers le pays colportent leurs marchandises, images de saints, portraits d’empereurs et de rois, ou encore images de champs de bataille. Mais pour beaucoup ces marchands leur arrivent au pays comme les cicoignes [12], c’est-à-dire qu’ils ne savent d’où ils leur viennent. Ils viennent de Pieve, dans le canton du Tessin, dans le Tyrol romand [13], et ce Pieve sert de preuve par l’exemple de ce qu’il est possible qu’advienne d’un pauvre village, quand à des pères économes et âpres à l’ouvrage succèdent d’aussi braves fils et petits-fils – et voilà pourquoi il y a plus à apprendre d’un tel marchand d’images que de toutes ses images mêmes ! Pieve a des sols ingrats. La terre n’y nourrit pas ses habitants. Longtemps, les pauvres gens vécurent péniblement et petitement du commerce de la pierre à feu, qui alors ne rapportait guère. Mais lorsque le propriétaire de la célèbre enseigne de livres et d’estampes, Remondini, à Bassano [14], vit que ces gens-là étaient à ce point âpres à l’ouvrage et fleißig-travailleurs, il leur confia ses gravures et ses helgen-saints, des mauvais d’abord, mais par la suite de toujours meilleurs, pour qu’ils se lancent avec dans un petit négoce. Avec cette marchandise ils se mirent à sillonner le Tyrol, la Suisse et l’Allemagne frontalière, et cela produisit déjà un mieux. Eux-mêmes prirent un plus grand plaisir aux empereurs et aux rois peints, aux prophètes et aux apôtres, qu’aux stupides pierres à feu. Ils avaient aussi moins lourd à porter et faisaient de meilleurs gains. Ils furent bientôt si avancés que le commerce des estampes n’eut pour eux plus de secrets et qu’ils le pouvaient pratiquer désormais avec leur propre argent. Et, chose à peine croyable, ils établirent en peu de temps des sociétés commerciales sédentaires à Augsbourg, Strasbourg, Amsterdam ; à Hambourg, Lübeck, Copenhague, Stockholm, Varsovie et Berlin. Dans toutes ces villes et dans d’autres encore on les trouve désormais à longueur d’année, avec vaste achalandage de très précieuses estampes et cartes géographiques. Une telle société arriva même jusqu’à Tobolsk en Asie [15], et une autre, laquelle cependant échoua, jusqu’à Philadelphie en Amérique – et partout rien que des gens venus de ce pauvre petit village de Pieve. Mais en plus de ces enseignes sédentaires, nombreux sont les habitants de Pieve qui continuent de sillonner tous les pays de l’Europe, en particulier les Allemagnes, la Pologne, la Prusse, la Hollande, le Danemark, la Suède, la Russie, l’Angleterre et la France. Tous les hommes à Pieve connaissent ce négoce et s’y emploient. Avant la Révolution française, quand leurs affaires allaient au mieux, on ne trouvait au moment de l’été, hormis les enfants et les vieillards, plus aucun homme dans les foyers : mais tous y rentraient un jour ou l’autre avec un pécule bravement acquis. Les femmes, pendant ce temps, accomplissaient les travaux des champs. Depuis la révolution, et la guerre qui s’est propagée aux quatre coins du monde, ce négoce, prospère autrefois, a fort souffert. Et pourtant toute famille à Pieve a constamment un homme sur les routes. Dès sa plus tendre jeunesse, le fils accompagne le père dans ses expéditions et quand celui-ci se fait vieux il remet l’affaire au fils et passe retiré chez lui le reste de ses ans, dans le repos et dans l’aisance, et honoré.

Voilà les marchands d’images de Pieve. L’Ami de la maison rhénane connaît presque tous ceux qui à descendre ou remonter le Rhin vont par les routes, et devant chacun tire son chapeau [16].

[1808]

[42] Mise à l’épreuve

Dans une ville assez grande où tous les gens ne se connaissent pas entre eux, non plus que tous les sergents, l’un de ceux-ci, fraîchement nommé, entra en un petit mastroquet un peu louche – et il portait un surtout de couleur brune. Car il pensait : « puisque je ne suis pas en poste de longtemps, personne ne me connaît et personne ne fait attention à moi : peut-être y a-t-il en ces eaux quelque chose à pêcher... » Un homme d’un certain âge, en habit de bourgeois, le suit et entre à son tour dans le petit mastroquet. Le nouveau sergent commande une chope, l’homme âgé s’assied à la même table et commande une chope lui aussi. Tout à l’entour d’eux, à d’autres tables, s’en trouvaient plusieurs qui devisaient de choses et d’autres, dans la concorde et l’harmonie : de l’éléphant, du grand cambriolage, des opérations militaires... L’un, avec le doigt, tira de son vin quelques gouttes et les étalant sur la table dit : « Admettons que ce serait par exemple le Danube... » Il déposa dessus un petit bout de croûte de fromage et dit : « Et ça, ce serait Ulm. » Un autre, entendant nommer Ulm, dit à l’homme âgé : « Je suis d’Ulm, et j’aurais là-bas ma maison et mon commerce.... Mais les temps anciens ne sont plus. » L’homme âgé dit : « Compère, Ulm est partout, et le bon temps n’est plus nulle part », et il commença alors à pester ; puis s’enhardissant s’en prit bientôt à l’époque, aux impôts, et aux autorités – d’une manière qui n’est point convenable. Le sergent dans son surtout brun se fit alors attentif et coi, puis dit enfin : « L’ami, je vous mets en garde... » Mais l’homme âgé dit : « Qu’avez-vous à me mettre en garde ? », puis vidant coup sur coup plusieurs verres de vin outragea les autorités plus rudement encore. Le sergent déguisé dit : « L’ami, je ne vous connais point. Mais je veux vous avoir mis en garde encore une fois... » L’homme âgé répliqua : « Mise en garde ou pas mise en garde ! Il faut quand même bien qu’on ait le droit de dire la vérité. Qu’est-ce qui nous reste, sinon la libre parole ?, etc., etc. » Alors le sergent déguisé entrouvrit son surtout brun et se montra tel qu’il était, c’est-à-dire en sa veste gris-de-brochet, à parements rouges et baudrier. « Et maintenant, l’ami, dit-il, maintenant suivez moi ! » Alors l’homme, quand il eut à ce vêtement reconnu le sergent, d’un seul coup changea d’attitude, comme umgewendet-retourné. « L’ami, dit-il, vous n’aurez quand même pas pris ma plaisanterie pour argent comptant... et vous n’êtes certes pas né de la dernière pluie. Je le vois bien, dit-il, il nous faut vider ensemble une petite bouteille et vous apprendrez ainsi à me connaître mieux... » Et il commanda une nouvelle bouteille, en faisant un signe à la patronne : « Du bon ! » Mais le sergent dit : « Je n’ai de vin à boire avec vous » et le saisissant fermement au haut du bras le conduisit vers la porte pour sortir. Le prisonnier, en chemin, continuait son discours : « Vous me croyez, ma parole, un ennemi des impôts parce que j’ai pesté contre les impôts... Mais non ! Et je veux vous prouver le contraire, à vous qui êtes aussi un représentant de l’autorité : j’ai du respect pour les gens comme vous... » Alors il tira de sa poche un écu de six livres, voulant par ce moyen acheter sa liberté. Mais le sergent dit : « Vous n’avez pas d’impôt à me payer à moi. » Une ruelle plus loin, le prisonnier reprit : « Gageons alors que vous n’êtes point encore marié, et n’entretenez ni femme ni enfants : puisque vous n’avez pas besoin de mon petit impôt... Laissez-moi vous conduire auprès d’une jolie femme... » Le sergent répliqua : « Vous n’avez à me conduire auprès d’aucune femme ; moi en revanche auprès d’un homme, vous allez voir... » Mais lorsqu’ils furent arrivés à la caserne de police, et qu’ils se présentèrent devant Monsieur le prévôt, celui-ci commença par éclater de rire – c’était un homme fort joyeux –, et dit : « Lequel de vous deux m’amène l’autre ? » Et il est temps maintenant de dire à notre bienveillant lecteur que le prisonnier était lui-même un vieux sergent ; et qu’il s’était déguisé ; et qu’il s’était mis sur les pas du nouveau, dans le seul but de vérifier que celui-ci ferait bien son devoir. Voilà pourquoi le prévôt déclara : « Lequel de vous deux m’amène l’autre ? » Le jeune sergent voulut répondre, mais le plus âgé, le présumé prisonnier, le toisa d’un regard impérieux, et dit : « C’est à moi de parler, j’ai le plus d’ancienneté... Monsieur le prévôt, dit-il, ce jeune homme est fiable ; nous pouvons compter sur lui : il m’a interpellé avec l’art et la manière, et ne s’est par moi laissé soudoyer ni embobiner par aucun moyen : ni par le vin, ni par l’argent, ni par les femmes. » Alors le prévôt sourit très affablement, se déclarant fort satisfait de tout cela, et à chacun offrit un petit écu.

Item, en un lieu comme celui-ci, il se peut qu’il ne fasse pas bon jouer les spitzbubs-gredins, où même un sergent ne saurait se fier à un autre.

Cette petite histoire faisait encore partie de ce qu’à son départ nous a légué l’adjoint, maintenant à Dresde [17]. N’a-t-il pas envoyé en souvenir depuis Dresde à l’Ami de la maison une fort belle tête de pipe – où l’on voit un petit amour ailé et une damoiselle, fort occupés l’un de l’autre... Mais il reviendra, l’adjoint.

[1814]

[43] Un art de maigre profit

Il est en la ville d’Aix-la-Chapelle une manufacture dans laquelle il n’est rien fabriqué qu’aiguilles à coudre. Voilà un art qui n’est pas sans profit. Sont en effet confectionnées chaque semaine deux cents livres d’aiguilles, et comme il en faut cinq mille pour faire une livre, cela nous fait en tout  : un million. Et le maître tailleur, et la couturière, et toute ménagère, savent parfaitement combien l’on vous en donne contre un kreutzer ; et il n’est pas bien difficile de calculer la quantité d’argent qui est par an encaissée et gagnée sur les aiguilles aixoises, dans la manufacture elle-même, comme ensuite par leur handel-commerce. L’ouvrage est accompli par des machines, et la plupart des ouvriers sont des enfants de 8 à 10 ans [18].

Un étranger visita un jour ces travaux et s’étonna qu’il fût possible de faire au travers des plus fines aiguilles, au moyen d’un instrument plus fin encore, un trou par lequel ne se peut couler que le fil le plus fin, fil presque invisible même.

Mais une fillette, qu’observait justement cet étranger, s’arracha alors de la tête un long cheveu et avec l’une des plus fines aiguilles y perça un trou au travers, saisit l’extrémité du cheveu, recourba celui-ci et le passa au-travers de l’ouverture pour en faire un joli petit nœud, ou bien comme on dirait pareillement une « boucle », une « ganse ».

Ce n’était pas non plus tout à fait sans profit. Car la fillette offrit à l’étranger, en souvenir, le cheveu ainsi industrieusement mis en boucle et y gagna un joli présent ; et cela se sera produit plus d’une fois dans l’année. L’on peut bien faire le plaisir d’un tel petit nebenverdienst-appoint à un enfant bien fleißig-travailleur.

Mais pendant que d’honnêtes parents et enfants, en tous lieux, travaillent à quelque chose d’utile et gagnent leur pain honorablement, et qu’ils le mangent en bonne conscience, un tagedieb-fainéant allait en son temps à travers le monde, s’étant exercé à l’art de faire passer à travers le chas d’une aiguille des lentilles lancées depuis quelque distance. Voilà qui était un art de peu de profit. Pourtant, il ne s’en tirait pas complètement bredouille. Car quand ce franc-tireur de lentilles arriva à Rome notamment, il se fit présenter au pape, lequel était aussi un grand amateur d’arts seltsam-saugrenus ; il espérait en recevoir un beau petit paquet d’argent et poussait déjà des regards prodigieusement affables quand le trésorier du Saint Père s’avança vers lui un petit sachet à la main – et il se courba effroyablement bas lorsque le trésorier lui remit ce sachet.

Mais qu’y avait-il là-dedans ? L’équivalent d’un demi-godet de lentilles, que le pape en sa sagesse lui faisait remettre en guise de récompense et d’encouragement pour son zèle-fleiß, et afin qu’il pût continuer à s’exercer en son art et à y faire, encore, de plus amples fortschritts-progrès.

[1808]

[44] Confection rapide

Maint lecteur bien disposé, non plus que le tisserand, le teinturier, le tailleur, ne croira qu’un même jour le mouton ait porté la laine sur son dos, et l’homme le manteau. Certains penseront qu’il y a quelque chose de caché sous ces mots, de quoi berner les dupes. « C’est tout entendu, dit l’un, le mouton portait la laine et l’homme le manteau, mais le manteau n’était pas fait de cette même laine ; ou peut-être même était-il de lin ! » « Peine perdue, dit un autre, c’était la même laine. On aura étendu le manteau sur le dos du mouton. Et puisqu’il portait le manteau, il en portait aussi la laine. Les chevaux de la cavalerie russe, pendant la dernière guerre, ne portaient-ils pas des bottes ? Pardi, mais comment ? Aux pieds de leur cavalier ! » « – Peine perdue, répond l’Ami de la maison, le mouton porta ce même jour sa propre laine naturelle, comme elle lui avait poussé dessus la peau ; et l’homme le manteau, flambant neuf, et fait de cette même laine exactement. Bien des gens de la ville de Meinungen, en Saxe, ne voulurent croire que cela fût possible  [19]. « C’est qu’il faudra faire ceci et cela... », dit l’un. « – Il en sera fait ainsi qu’il faut, dit Monsieur Georg Wagner, fabricant de toile en ce lieu. Et alors celui-ci commença par faire tous les préparatifs nécessaires. Les préparatifs une fois faits, un mouton fut tondu à trois heures et demie le matin, puis la laine fut feutrée et graissée à l’huile d’olive. L’Ami de maison s’y entend quand il s’agit de causer arts et métiers... Il était alors quatre heures [20]. À quatre heures, on apportait la laine dans la salle des machines : on la passa à la machine à détricher, puis à la cardeuse, puis on la fila une première fois sur la machine à filer, puis elle fut filée plus finement, avant que dévidée. Il n’était alors que cinq heures et demie : c’est que sur la machine tout se fait en quantité et à grande vitesse. La laine filée fut alors portée dans l’atelier à tisser, et le fil de chaîne une fois ourdi sur l’ensouple, elle fut graissée et empesée. Tout cela fut accompli en une demi-heure. Mais jusqu’à ce qu’elle pût être extraite, séchée, puis montée sur le métier, huit heures sonnaient dans le pays. Alors on noua le fil, on apprêta la trame, et l’on tissa. À dix heures, la laine était devenue toile. Et maintenant sur le moulin à foulon. Et maintenant au tondeur de drap, où la toile fut chardonnée et apprêtée. À une heure et demie de l’après-midi, la toile fut plongée dans la teinture verte, et bien qu’on la refroidît à trois reprises, on put encore avant deux heures la dresser sur la rame, la sécher et l’enduire. Déjà le maître tailleur attendait les ciseaux à la main, ainsi que six compagnons, le fil déjà passé aux chas des aiguilles. La mesure en était déjà prise, la doublure déjà découpée. À six heures, le manteau était fait, et mis sur le corps. Dictum factum.

Peut-être bien que certains ne voudront toujours pas y croire. Mais :

Note bien, premièrement : que tout ce qui peut être travaillé par des machines se fait autrement plus vite qu’entre les mains de l’homme. Voilà ce que monsieur Wagner voulait précisément mettre en lumière.

Deuxièmement : que tout était commandé et préparé à l’avance. Une main attendait l’autre.

Troisièmement : que pour chaque besogne s’affairaient autant de mains que possible et qui y pouvaient atteindre.

Quatrièmement : que peu de marchandises est plus promptement façonné que beaucoup. Aucune main n’est assez preste, aucune machine assez artificieuse, pour confectionner et travailler cent aunes dans aussi peu de temps qu’il ne lui en faut pour une.

Cinquièmement : que tout se fit d’une manière fort réfléchie et avec la lenteur requise. Jamais il ne faut moins s’ébriver pour accomplir une tâche que quand l’on veut s’en tenir au délai imparti.

Note bien : avec tout ça, notre petit manteau revient à cher malgré tout.

[1815]

[45] Grand incendie

On fait ce récit, parvenu d’Italie : le 5 avril 1808, un paysan du village de Bevra [21] met le feu à un hallier, non loin du village, sur une pente de la montagne, afin que le bétail puisse y trouver par la suite meilleure pâture. Pareille chose s’est déjà faite souventefois ici et là, et a été bénéfique. Mais cette fois un fort vent soufflait ; le feu prit rapidement, irrésistiblement tout alentour. La flamme crépitait, montant toujours plus haut, le vent soufflait toujours plus fort ; et en quelques heures furent détruits par le feu dans toute la contrée, à plusieurs heures à la ronde, tous les halliers, toutes les forêts, tous les fructueux vergers, toutes les étables, tous les logis. Le jeu des flammes en tous lieux et places, les effroyables nuages de fumée... et les cris d’alarme et de détresse des malheureux, tout était effroyable ; et d’aussi loin que l’on pouvait courir et prêter l’oreille, partout on entendait sonner les tocsins. Certes les habitants de tout le voisinage comme aussi de contrées lointaines accoururent à la rescousse. Mais le vent, toujours plus violent, et l’ampleur de l’incendie, pendant un long temps rendirent vains tous les efforts et les peines. Ce n’est que le 10 qu’on parvint à éteindre le feu. Et tout se trouvait alors dans un état véritablement pitoyable. Toute la contrée n’était plus qu’affreuse dévastation. Là où auparavant paissaient d’heureux troupeaux, l’on voyait maintenant des cadavres à demi calcinés. Là où quelques jours plus tôt de gais bergers chantaient encore leur chanson ; là où le laborieux paysan, plein d’espoir, accomplissait sa besogne, les malheureux, désespérés, se tordant les mains, se tenaient maintenant sur les restes de leur logis et de leur propriété emportés par les flammes.

Quel a pu être le sentiment de cet homme peu raisonnable (unverständig) qui, par son imprudence, sur lui-même, sur ses voisins et ses compatriotes, a fait s’abattre un pareil malheur !

[1809]

Sources : J. P. Hebel, Die Kalendergeschichten, éd. Hannelore Schlaffer et Harald Zils, Munich, DTV, 1999/2001. Sauf : « Der Handschuhhändler », in Gesammelte Werke : Kommentierte Lese- und Studienausgabe in sechs Bänden, Carlsruhe, 2019. // Traduction : Frédéric Metz, novembre 2019 [22].

[1Hasenclever est un écrivain allemand reconnu, d’origine juive, auteur du Fils (Der Sohn, 1914), texte fondateur de l’expressionnisme littéraire. Au cours de l’année 33, les bibliothèques d’Allemagne sont expurgées de ses livres.

[2Il est question de bien des choses dans cette lettre, en vrac : des conditions de vie des exilés allemands à Paris ; de l’amitié ; des Péchés capitaux de Brecht et Weill représentés en France en juin ; de Florent Schmitt ; de Londres et des Anglais ; des nuances entre diplomaties russe, allemande, anglaise ; de la Pologne, du corridor de Dantzig et de la guerre à venir ; des thèses de Heinrich Mann ou d’Ernst Toller sur Hitler (s’il est l’Allemagne ?...) ; de la presse de l’émigration allemande ; des communistes ; des intellectuels ; de lettres d’amour de la main de Göring que Tucholsky a eues en Suède entre les mains ; de la sœur de Nietzsche et de son attitude à l’égard des Nazis ; de Nietzsche lui-même (dont un volume d’inédits, paru deux ans plus tôt, lui passait entre les mains)... Tout cela sur un ton désabusé, fatigué, et d’une plume que l’humour n’a pas entièrement abandonnée pourtant. La santé n’est pas très bonne, dit Tucholsky, et il évoque la possibilité d’une cure. (Dans les Pyrénées ?) (L’occasion de passer en France cette année, et de revoir l’ami ?)

[3Ce que Tucholsky a dû lire dans un article de Kracauer paru le 16 décembre 1932 dans la Frankfurter Zeitung : « Straße ohne Erinnerung  ».

[4Tucholsky, ironiquement, distingue ici Hebel de Hebbel, plus connu et plus lu que l’autre...

[5Pour une présentation de Hebel : voir lundimatin#180, le 26 février 2019  : https://lundi.am/HEBEL-KOLPORTAGE.

[6« Thalhausen » dans le titre, « Gillmannshofen » ici, plus bas « Neuhausen » : tous ces noms de lieux sont inventés par Hebel.

[7Herr Theodor apparaît dans d’autres historiettes : voir par exemple [26] « L’intercesseur (Une manière de faire la paix) » (trad. in lundimatin#180, le 26 février 2019  : https://lundi.am/HEBEL-KOLPORTAGE).

[8« Revisor » : dans l’administration du grand-duché de Bade, fonctionnaire d’un rang important, inspecteur ou contrôleur général (cf. Badisches Wörterbuch). (On en trouvera aussi de cette sorte en Russie...)

[9En allemand « Polacken » : comme en français, sans tonalité péjorative à l’époque.

[10Quelle a été ici la source de Hebel, on ne sait (et la toute récente édition des Œuvres de Hebel, sortie en septembre cette année, n’en dit rien non plus) : mais une histoire très semblable est connue dans le monde musulman parmi les célèbres espiègleries de Nasrettin hodja (le Mollah Nasroddine chez les Perses). Voir par exemple pour une version turque : « Sen de haklısın » [tu as raison toi aussi], in Nasrettin hoca Fıkrarlar, Ankara, Özlem yayınevi, 2016, p. 12. Il est possible, dans le cas de Hebel, que la colportation juive hassidique ait servi d’intermédiaire. « Nous avons même pu constater que certaines histoires typiquement nasreddiniennes, c’est-à-dire nées en terre d’islam, ont parfois été ‘naturalisées’ par d’autres cultures – ainsi dans les recueils de contes hassidiques colportés par les Juifs d’Ukraine, de Pologne, de Russie. » (Jean-Louis Maunoury, in Divines insanités de Nasr Eddin Hodja, recueillies et présentées par Jean-Louis Maunoury, Phébus, 1998, p. 13)

[11La Saint-Jean (24 juin) : date à laquelle étaient payés dettes et intérêts.

[12Hebel emploie la forme alémanique « Storke » (cigogne) ; nous utilisons pour la rendre une forme française ancienne.

[13Il s’agit du village de Pieve Tesino, village de montagne situé dans le sud des Dolomites, dans le Trentin en effet (ou Tyrol romand). C’est par erreur en revanche que Hebel situe le village dans le canton du Tessin.

[14Les Remondini furent une famille d’imprimeurs et libraires italiens, sis à Bassano del Grappa (arrière-pays de Vicence), dont l’activité dura de 1650 à 1860. À partir de 1670, ils se spécialisèrent dans la diffusion d’images de saints et d’écrits satiriques. Suite à une querelle avec le roi d’Espagne Charles III au sujet d’une caricature, querelle qui conduisit à la menace d’une interdiction des exportations des estampes vénitiennes vers l’Espagne, Giovanni Battista Remondini se retira en 1772 à Castello Tesino (dans les montagnes du Trentin, à cinq kilomètres de Pieve...) ; là, l’activité reprit sous la direction du fils, puis du neveu de celui-ci, jusqu’à ce que les révolutions de 1830 et de 1848-49 viennent mettre un terme à ces activités. (Informations prises à Hannelore Schlaffer et Harald Zils, in Hebel, Die Kalendergeschichten, Munich, DTV, 1999/2001, p. 762)

[15Tobolsk : en Sibérie, 400 kilomètres après l’Oural.

[16« L’Ami de la maison rhénane » : l’auteur se désigne ainsi dans son almanach (qui porte lui aussi ce nom). // Il existe à Saint-Nicolas-de-Véroce, dans la vallée de Montjoie en Savoie, jouxtant l’église baroque, un petit musée : on y explique que la plupart des richesses de l’église et des chapelles de la paroisse ont provenu de l’émigration commencée au XVIIIe siècle : à Saint-Nicolas, on était colporteurs ; on partait « aux Allemagnes » (c’est-à-dire : Autriche, Bavière et Suisse alémanique). Des réussites sont attestées à Munich, Nuremberg, Vienne : l’adolescent part garde-balle, c’est-à-dire porte les marchandises pour un autre, puis se fait « trafiquant » à son tour, se sédentarise dans une ville et devient négociant ; enfin il est marchand – ce qui fait de lui dans sa ville d’émigration un notable. (On lit dans ce musée un texte de marchands souabes adressé à la Diète de l’Empire pour se plaindre de la concurrence de ces colporteurs étrangers.) // Du petit colporteur venu des montagnes existent des esquisses de Watteau.

[17Celui que Hebel, dans plusieurs historiettes, appelle l’« adjoint » est Kolle, son ami, qui à l’occasion fournissait l’auteur en anecdotes et autres matériaux utiles à la fabrication de l’almanach. Au service du royaume de Wurtemberg, Kolle, en 1812, avait été envoyé à Dresde comme secrétaire d’ambassade.

[18Voir l’exemple de la manufacture d’épingles dans Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations de Smith (1776), livre I, chapitre 1. Après White Chappel, faubourg de Londres, pour l’Angleterre, Aix-la-Chapelle était en effet devenu un centre important de production d’aiguilles pour l’Allemagne, avec dix à douze mille ouvriers en 1801 (cf. Annales des arts et manufactures, tome IV, An IX de la Rép., p. 170-172). « Il ne serait pas exagéré de dire que la qualité d’une simple aiguille exprime le degré de perfection de l’industrie d’une nation. » (G. Simondon)

[19Hebel transforme le nom de Meiningen (ville de Franconie), qui est dans sa source (Der Freimüthige oder Unterhaltungsblatt, Berlin, 1814). « Meinungen » : en allemand, des « opinions »...

[20Quelle blague ! Ici Hebel se vante (mit Verlaub !). « Krempelmaschine  », « Lockmaschine », « zum Zeddel spulen », « Walkmühle », etc.  : pas un mot qu’il ne pompe à sa source (cf. note précédente). Merke : Le traducteur, derrière, en a bavé pour rendre. [N. d. T.]

[21« Bevra » : sans doute pour Beura, entre Simplon et Lac Majeur, dans les hauteurs du Piémont.

[22Traductions dédiées à Xavier, le pontcerq-zerkbrück, le camarade, l’ami... Noël 2019.

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