Non, Kenosha, je ne veux pas mourir

Storytelling & conflits armés dans l’Amérique du début du XXIe siècle

paru dans lundimatin#316, le 6 décembre 2021

Le 19 novembre dernier, le jeune Kyle Rittenhouse est acquitté par un tribunal de l’état du Wisconsin. Il était poursuivi pour un double homicide commis dans la nuit du 25 au 26 aout 2020.
Petit retour en arrière : le 23 aout 2020, à Kenosha, Jacob Blake, un afro-américain de vingt-neuf ans, se fait tirer dessus à sept reprises par un policier alors qu’il rentre dans sa voiture (il est depuis paralysé à vie). En réponse à cet acte, des manifestations s’organisent et des émeutes éclatent dans cette petite ville dortoir au Nord de Chicago. L’Amérique est alors alors secouée depuis plusieurs mois par un incroyable mouvement contre la police et le racisme suite à l’assassinat de George Floyd. Kyle Rittenhouse, dix-sept ans à l’époque, se rend sur place dans la nuit muni d’un fusil d’assaut et abat deux manifestants lors d’une altercation.

Il est interpellé calmement le lendemain, puis remis en liberté. L’extrême-droite trumpiste s’est en effet mobilisée et a lancé une cagnotte de soutien pour payer sa caution : deux millions de dollars. Il est depuis devenu le héros de la droite américaine. Sur Facebook, les groupes de policiers et de suprématistes l’encensent. Depuis son acquitement, il enchaine les interviews et les plateaux télé, en répétant à qui veut l’entendre que son procès a été celui du droit à l’auto-défense tout en ne craignant pas d’affirmer qu’il soutient Black Lives Matter (avant la tuerie, il affichait plutôt ses préférences pour Blue Lives Matter).

Lors du procès de Kyle Rittenhouse qui s’est tenu du 1er au 19 novembre 2021, le juge interdit aux avocats de qualifier les deux morts et le blessé de « victimes » car il s’agit pour lui d’une affaire de « légitime défense ». Il interdit également à l’accusation de produire une vidéo où Rittenhouse explique vouloir se procurer un pistolet pour tuer des « voleurs » quelques jours plus tôt – prouvant pourtant la préméditation de son geste.

Dans ce texte écrit avant le rendu du procès, les camarades du collectif Inhabit reviennent en détail sur cet épisode à partir du contexte historique de la ville de Kenosha et des alliances avortées un demi-siècle auparvant entre mouvement ouvrier et mouvement des droits civiques. Leur analyse éclaire le présent tout en laissant présager de quoi seront faits les prochains mouvements de lutte outre-atlantique ; et à quoi s’attendre quant à l’évolution du conflit entre partisans de l’émancipation et défenseurs de l’ordre actuel. Si l’analyse a sans doute tendance à vendre un peu vite la peau de la police « à l’ancienne » – avant de l’avoir aboli ! – et à accorder une place très importante à la figure du milicien-citoyen-justicer (très prégnante outre-atlantique), sa lecture n’en est pas moins inspirante.

Le procès

Le 25 août 2020, Kyle Rittenhouse a tué Joseph Rosenbaum et Anthony Huber et a blessé Gaige Grosskreutz [1]. Il n’est pas le sujet de ce texte, et si on avait pu, on aurait évité de mentionner son nom. Au centre de cette histoire, se trouvent tous ceux et celles qui ont pris part au mouvement George Floyd, un soulèvement composé de milliers de manifestations et de centaines d’émeutes à travers les États-Unis. C’est cette composition qui a illuminé le ciel pendant ces nuits sauvages à Kenosha l’année dernière, et c’est depuis la force de cet événement que nous parlons.

Kenosha est un moment d’ébullition dans cette histoire. Trois nuits d’émeutes dans cette ville du Wisconsin ont été la réponse que le mouvement a donné à l’ordre social raciste qui permis à un policier de tirer sept fois sur Jacob Blake le 23 août. Si Rittenhouse figure dans cette histoire, ce n’est que comme un symptôme : l’enfant d’un ordre en déclin qui a hérité de l’anxiété liée à la propriété privée. Il est finalement assez logique qu’un adolescent apeuré, s’accrochant à l’illusion de la « thin blue line » [2], ait contribué au maintien de l’ordre dans une société coincée dans un infantilisme perpétuel.

Le verdict de Rittenhouse est attendu d’un moment à l’autre, mais le véritable procès de notre époque ne fait que commencer : les forces forgées dans les feux de l’été dernier resteront-elles fidèles à l’esprit du soulèvement pour George Floyd ? Saisiront-elles à temps les signes annonciateurs des tempêtes qui se profilent à l’horizon et agiront-elles en conséquence ? Dans ce qui suit, nous cherchons à faire les deux : porter un regard rétrospectif sur l’événement, se rappeler ce qui était puissant en lui et ainsi arracher sa mémoire aux tentatives de capture judiciaire ; mais aussi y lire les signes d’un futur encore à construire.

Nous pensons que, lorsque elles se pencheront sur ces événements, les générations futures n’y verront pas un « dernier souffle » mais un saut, un moment de transition dans le régime de pouvoir qui prévaut dans ce pays. La vérité de cet événement est celle d’un monde qui manie la violence comme un moyen de muer, de se dépouiller de sa vieille peau. Ce que les batailles à venir doivent tirer du soulèvement, c’est moins sa forme que son esprit. Elles doivent surtout éviter les pièges qu’il nous a tendus.

Le combat et la cale [the hold]

L’esprit de la révolte George Floyd a animé les émeutes de Kenosha dès leurs premiers instants [3]. Les vidéos virales du flic envoyé au tapis par un pavé, ou du Molotov lancé par la foule spontanément rassemblée sur le lieu où Jacob Blake s’est fait tiré dessus, témoignent de l’intrépidité grandissante de la population à travers tout le pays. L’ambiance de cette première nuit était électrique. C’était comme une tâche inachevée depuis sept ans, à l’époque où #Ferguson saturait nos fils d’actualité. Chaque mesure prise par la police pour calmer la colère s’est retournée contre elle. Un par un, les camions-poubelles par lesquels la ville cherchait à bloquer l’accès au palais de justice ont été transformés en barricades enflammées par la foule déchaînée. La foule a transformé les infrastructures destinées à sa pacification en source de puissance : un renversement du dispositif logistique policier. Les batailles rangées et les destructions itinérantes se sont poursuivies jusqu’à l’aube.

Nous pouvons encore entendre l’écho des pierres et des bouteilles qui rebondissent contre la carrosserie des blindés de la police, lors de la deuxième nuit. Une foule d’un millier de personnes devant le palais de justice tentait de forcer la ligne de policiers, en répondant aux lancés de grenades par des tirs feux d’artifice ; un sentiment de férocité et d’exubérance nous emportait littéralement.

De nos jours, chaque fois qu’un soulèvement, où qu’il se produise, élabore des innovations tactiques, la leçon est retenue en temps réel partout. Par conséquent, les techniques du black bloc qui se sont répandues comme un mème (https://lundi.am/Memes-sans-fin) il y a vingt ans sont maintenant largement reprises. Comme les adolescents noirs de Chicago qui ont revêtu des masques de Guy Fawkes [4] à Ferguson après avoir vu des gens faire ça à Occupy, les parapluies, les boucliers et les casques de Hong Kong apparaissent désormais un peu partout dans les manifestations.

Dans certaines grandes villes l’été dernier, on avait l’impression que les modalités de la manifestation étaient décidées à l’avance. Mais pendant les trois premières nuits à Kenosha, il n’y avait pas de leaders noirs ou de militants qui s’autorisaient à dire pourquoi ou comment quelqu’un avait le droit de participer. Il n’y avait aucun leader militant à mobiliser, et personne ne s’est chargé de réprimer la rage des autres : pas de genoux à terre, pas de « bons flics », pas de « mauvais manifestants ». Chacun était invité à se battre, de la manière qui lui convenait le mieux.

Ces moments ont quelque chose d’uniques et de complets, un interlude qui suspend nos doutes individualistes et la paranoïa ambiante. Plus ils éprouvent leur courage, plus les gens commencent à repenser leur environnement, bricolant des armes de fortune et du matériel de défense improvisé. L’expérience partagée a existé au-delà des nécessités techniques du moment. Elle pu permettre l’émergence d’une autre vérité sur laquelle il est important d’insister : une expérience partagée peut très vite rendre envisageable une vie en commun.

La façon dont on se déplace ensemble dans ces moments d’émeute semble aussi normale et sereine qu’elle parait impossible dans les moments sans agitation. C’est dans ces « états d’urgence réels », alors que l’ancien contrat social s’effondre, que la catastrophe expose l’incompétence du gouvernement et qu’un soulèvement impose sa nouvelle polarité, que nous commençons à identifier nos propres besoins et assurer notre propre défense avec ceux qui nous entourent. Les gens tissent des liens sans effort, fondés sur la base d’un contact réel. C’est avec une rapidité déconcertante que nous commençons à faire partie d’une communauté improvisée et dangereuse.

Par ailleurs, des événements comme celui de Kenosha compliquent les hypothèses raciales. Ce n’est pas seulement la loi qui semble s’évaporer – au sein de l’émeute, les codes raciaux de notre société commencent aussi à dysfonctionner. Si l’impact de l’urbanisme après les années soixante a été d’instrumentaliser l’architecture et les infrastructures comme un moyen de concrétiser et de confirmer matériellement les partages raciaux, alors en attaquant l’urbanisme et la police qui fait respecter cette ségrégation du paysage, ces événements exceptionnels peuvent ouvrir un espace de communion au-delà des lignes raciales. Dans la chaleur des incendies de Kenosha, le voisinage et l’éthique ont supplanté la race comme base de toute rencontre immédiate. D’un côté, vous étiez plus susceptible d’être confronté à la suspicion si vous n’étiez pas du quartier, mais vous étiez tout aussi susceptible d’être accueilli à bras ouverts si vous sembliez correspondre à l’idée que quelqu’un se faisait d’un « antifa ». La même personne qui vous regardait de travers auparavant se mettait à vous soutenir une fois que vous lui aviez fait comprendre que vous étiez impliqué dans le bordel.

Ces moments sont transformateurs au sens propre du terme. Les Blancs nés à l’écart de la violence, qui peuvent avoir honte de leur manque de lien avec l’expérience des Noirs et des Latinos, ou qui ont appris à respecter la police et à craindre les Noirs, rencontrent le désir de ces derniers sur le terrain commun de la résistance à la captivité. De même, les Noirs qui n’ont connu que des Blancs racistes, ou qui n’en connaissent qu’une poignée de « déconstruits » mais toujours gênants ou maladroits, se retrouvent maintenant en territoire inconnu. Lorsque des Noir-e-s tombent sur des Blanc-he-s disposés à se battre alors qu’ils sont confrontés, dans le même temps, à d’autres personnes de couleur qui agissent comme des clowns et qui tentent de calmer la colère de la foule, de telles rencontres peuvent briser les idées d’identités trop simples et figées – qu’il s’agisse du personnage blanc ringard dépeint dans les comédies noires ou du sujet révolutionnaire de la tradition radicale noire. Le résultat est un cocktail contradictoire de « pessimisme et d’optimisme, de spécificité et d’universalisme » entièrement subordonné à un délicat mélange de violence sociale et antisociale, qui a le pouvoir de nous secouer et de nous rendre momentanément conscients du cauchemar racial. « Le terrible don de la cale [the hold] a été de réunir une communauté de sentiments dépossédés... » [5] »

Dans les rues cette deuxième nuit, les gens veillaient les uns sur les autres, se rappelaient mutuellement de porter un masque et criaient « couvre-toi le visage ! » lorsque du verre se brisait pas loin tout en checkant aussi les caméras. Comme personne ne donnait d’ordres ou ne disait aux gens comment se sentir, quoi faire ou bien où aller, les besoins du corps collectif étaient faciles à sentir et à anticiper. De parfaits inconnus ont intuitivement proposé et demandé de l’aide. La fluidité de ce changement montre combien il est facile pour les gens d’agir de concert une fois qu’un pacte tacite sur le type de liberté auquel nous participons a été conclu. À un moment, une caravane de voitures couvrait la foule en empêchant concrètement les véhicules blindés de la police d’entrer dans le quartier. Ce que les gens ont décidé de faire dans ce soudain moment de liberté n’est pas ce qui compte. Les biens qui sont détruits ne sont que les reflets de ce qui nous pousse à créer un début d’espaces de liberté. De tels actes sont toujours infiniment moins violents que ce à quoi ils répondent.

En revanche, lorsque les mégaphones rivalisent entre eux pour prononcer le même genre de discours pacifiant, ou que les activistes essayent de forcer la foule à suivre leurs propres objectifs, une sorte de posture morale sectaire émerge et fracture la communauté improvisée. Seul-e-s ceux et celles dont les penchants ingouvernables s’alignent se retrouvent ensemble, mais le tissu de l’expérience commune est déchiré par la méfiance. C’est aussi le cas lorsque la police fait des incursions en véhicules blindés en tirant des balles en caoutchouc, ou lorsqu’une série de groupes armés non-étatiques forment la mer dans laquelle un adolescent adorateur de flic comme Rittenhouse peut se baigner : cette communauté fugitive éclate alors, et les contours de la situation se font plus tranchants, plus conflictuels.

Lors de la deuxième nuit, les liens nés de la révolte étaient toujours aussi forts. Pendant que la foule se dirigeait vers le bâtiment du DOC (Departement Of Corrections), le magasin de meubles en flammes éclairait la route. L’absence de chefs désignés a laissé place à des excès généreux. Des mortiers de feu d’artifice ont illuminé l’obscurité et la façade s’est couverte de slogans : « Can you hear us now ? », « Prison demolitionism now » et « Rusten Sheskey [6] you did this ». La caravane de voitures est arrivée, en jubilant, musique à fond, avec des gens assis sur les fenêtres criant et riant. Quelqu’un a mis au défi la foule de « brûler ce bordel », un appel accueilli par des acclamations. La vitre de la porte d’entrée a été brisée et des silhouettes masquées ont pénétré dans le bâtiment. Les portes latérales ont été forcées et d’autres ont suivi. Le DOC brûlera longtemps dans la nuit - un microcosme de cet enfer particulier sur terre, maintenant consommé dans un brasier révélateur. Alors que la foule s’éloignait, un fêtard s’exclama : « Je ne reverrai plus jamais mon agent de probation ! »

L’enfer américain

Les banlieues du Midwest constituent un véritable enfer dans lequel les cauchemars du vingtième siècle tourmentent les vivants. Deux illusions déchues, la promesse de fortune pour les Noirs et les rêves de la classe moyenne noire cohabitent dans l’une des zones les plus ségrégués des États-Unis]. Des quartiers lugubres, une pauvreté visible et un sentiment omniprésent d’impossibilité de s’en sortir forment la toile de fond culturelle de villes comme Kenosha.

En combien de temps ce pays s’est-il transformé en zone de guerre ? L’effusion de sang en elle-même n’était pas nouvelle : il y avait eu des coups de feu depuis le début du soulèvement, avec plus de vingt morts entre mai et novembre. Rappelons qu’il y a cinq ans seulement, deux vétérans noirs d’Irak ont ouvert le feu à Dallas et à Baton Rouge [7]. Trois ans auparavant, Chris Dorner avait provoqué à lui seul une crise à l’échelle du comté en menant une « guerre non conventionnelle et asymétrique » [selon ses propres termes] contre la police de Los Angeles en raison de sa corruption interne et de son racisme [8]. Il y a des centaines de millions d’armes à feu en Amérique, et une population qui y est largement habituée du fait d’une histoire de défaites, de guerres perpétuelles et de massacres connus. Nous avons du mal à donner du sens à ce qui s’est passé à Kenosha parce que la vérité est plus terrifiante que n’importe quelle théorie du complot.

Les origines de Kenosha donnent le ton de son histoire sordide. Dans les années 1830, les Potawatomi, qui étaient à l’origine hostiles aux forts américains, étaient de plus en plus désespérés. Voyant la situation se dégrader, leurs chefs espéraient qu’en s’alignant sur les États-Unis lors de la guerre de Blackhawk [9], ils obtiendraient des faveurs, ce qui leur permettrait de conserver leurs terres alors que le projet colonial progressait vers l’ouest. Au lieu de cela, la pauvreté engendrée par la guerre les a contraints à vendre les terres qui leur restaient dans le Wisconsin et ils se sont retrouvés relogés dans des réserves dans l’Iowa et le Nebraska. Leur expérience n’était en aucun cas une anomalie, mais seulement la répétition tragique de l’application primaire de la loi, vue maintenant du point de vue des vaincus.

La classe ouvrière américaine allait bientôt suivre le mouvement. Suite aux compromis syndicaux de l’après-guerre, Kenosha était l’une des nombreuses villes industrielles vendant le rêve américain aux ouvriers. À l’instar des banlieues proches et éloignées de Détroit, ce pacte s’est fait sur la base du rejet des solidarités de classe et, en particulier, de la suppression de tout lien entre la lutte des classes et le mouvement des droits civiques. Cette fissure n’a fait que s’exacerber tout au long des tumultueuses années soixante et soixante-dix. La position réactionnaire de l’AFL [10] résume la faiblesse de la stratégie démocrate au cours du dernier demi-siècle : leur abandon de la lutte des classes au profit d’une position plus réformiste et surtout de la défense exclusive ou presque des ouvriers blancs leur a fait tout perdre. Ce marché catastrophique n’est nulle part plus évident qu’à Kenosha. Impuissante à arrêter la vague d’automatisation, l’usine d’assemblage automobile de Kenosha est passée de 16 000 travailleurs dans les années 60 à 6 000 en 1988, lorsque Chrysler a finalement fermé l’atelier. En 2009, 800 travailleurs seulement ont dû se contenter de se rassembler et d’agiter des pancartes depuis leur zone déserte peuplée seulement d’autoroutes et de centres commerciaux, tandis que les PDG de Chrysler empochaient leur plan de sauvetage gouvernemental et mettaient fin à toutes leurs activités.

Ce n’est pas une coïncidence si la révolte George Floyd a été initiée dans le Midwest, avant de s’étendre aux villes côtières. Cette rébellion plonge ses racines parmi les petits-enfants du mouvement ouvrier vaincu. Il s’agissait d’une rencontre attendue depuis longtemps entre des gens qui luttaient depuis des lustres, des militants inspirés par des images de soulèvement national qui savaient qu’ils avaient encore beaucoup à apprendre, des gangs fonctionnant sur des trêves informelles et des bande de jeunes qui vivent dans un temps sans avenir.

Plus de quarante incendies ont fait pleuvoir des cendres sur Kenosha. Le brasier a englouti des parkings, des banques, des bureaux d’encaissement de chèques, des salons de beauté, des pound shops, le DOC et des petits commerces. La destruction était gratuite, mais semble légère comparée à ce que signifie ne plus pouvoir marcher, ou à l’ablation définitive de certain de vos organes ; ce que les flics ont infligé à Jacob Blake.

La sympathie exprimée par certains propriétaires d’entreprises qui ont perdu leurs magasins dans les incendies - « Brûlez-le vingt fois s’il obtient justice ! » s’est écrié l’un d’eux – révèle l’enfer qui se cache habituellement à la vue de chacun. Pourquoi les policiers n’ont-ils pas pu arrêter ces émeutes, pourquoi les pompiers n’ont-ils pas pu tout éteindre ? Les émeutes n’ont fait finalement qu’exposer ce que la plupart des gens voudraient pouvoir ignorer : les fortunes qui ont fui Kenosha ont signé l’arrêt de mort de la ville il y a bien longtemps.

Violence fraternelle

Les politiques néolibérales ont épuisé Kenosha, promettant l’accès au rêve américain à un minuscule groupe de travailleurs pendant qu’elles décimaient le reste. Cette vérité, les citoyens armés arrivés dans la soirée du 25 août l’ont perdue de vue. Les figures spectrales qui rodaient autrefois à la périphérie des manifestations américaines sont maintenant sorties du bois et se présentent comme une force amrée réactionnaire. Dans les années qui ont précédé l’élection de 2016 [de Trump], l’extrême-droite a connu une puissante résurgence. Trump a exploité le sentiment diffus de se sentir orphelin de la modernité, laissé pour compte et en colère, et a réussi à le reformuler sous un angle ethnique et racial. La droite libertarienne a commencé à montrer une sympathie croissante pour les fascistes sur la question de la liberté d’expression. Alors que ces derniers se lançaient dans des affrontements de rue, des groupes miliciens comme celui des « III percenters » restaient le plus souvent à l’écart [11]. Mais maintenant, parce que le mouvement a remis en question le caractère sacré du droit à la propriété des blancs, ils sont entrées dans la mêlée. L’appel sur Facebook aux citoyens armés « pour protéger les vies et les biens » à Kenosha était une invitation faite aux angoissés du coin, aux miliciens LARPers [12] et à n’importe quel taré de QAnon à moins de cent kilomètres à la ronde. Les formations politiques réactionnaires et leurs démonstrations de force ne sont pas seulement le résultat de la « fragilité blanche » [13]. Elles sont aussi la conséquence de ces mêmes compromis faits par les travailleurs il y a des décennies [14].

Il existe une colère terrifiante que avons tou-te-s en nous, une capacité de violence qui nous est accessible soit par des canaux « légitimes » comme les flics et l’armée, soit par des canaux illégaux comme les gangs et les milices. Ce n’est pas une coïncidence si ces organisions capables de faire usage de la force font de la fraternité en leur sein un principe fondateur. Le désir d’un sentiment d’appartenance et de communauté est, au fond, le véritable moteur de cette violence : les gens sont prêts à tuer pour appartenir à une communauté. Cela étant dit, personne ne devrait être surpris que Kyle Rittenhouse – un potentiel candidat à la tuerie scolaire de masse (https://www.vice.com/en/article/7kpj4b/alleged-kenosha-killer-loved-cops-guns-trump-and-triggering-the-libs-classmates-say), plongé dans une guerre culturelle qui s’intensifie ait élevé son amour de la police jusqu’au meurtre de manifestants.

Kyle Rittenhouse est un exemple de ce que peut produire le désespoir ordinaire passé à la moulinette de la fiction ignoble de la guerre culturelle. Alors que les démocrates ne sont que trop heureux de poursuivre leur l’exclusion de la classe ouvrière et de préparer leur monture pour la course à la colonisation de l’espace qui s’échafaude actuellement dans la Silicon Valley, les républicains se sont alignés sur l’industrie pétrolière et extractiviste et ne veulent que faire du fric pendant que le monde brûle. Exagérer les différences culturelles en les présentant comme politiques - ou même ethniques - est avantageux pour les élites, car si l’Amérique devait faire face à la ruine qu’elles ont provoquée, ces centaines de millions de fusils [en circulation] pourraient trouver de nouvelles cibles. Elles préféreraient que nous commettions un fratricide parce qu’une guerre civile gauche-droite est bien plus facile à gérer que la possibilité que nous désertions leur civilisation en phase terminale, et que nous arrêtions de produire les produits et les service dont ils ont besoin pour survivre.

La guerre culturelle est une tentative de réinterpréter les secousses de l’époque à travers deux visions de l’histoire américaine. Selon l’un de ces points de vue, l’Amérique est le chef de file de la liberté et de la démocratie dont les institutions ont été momentanément discréditées par des brebis galeuses et par un multiculturalisme cruel, obligeant le pays à rendre compte de son passé et le projetant dans un avenir sans lien avec sa tradition. Dans l’autre point de vue, l’Amérique est un melting pot de riches traditions qui façonnent sa culture par leur mélange et dans lequel l’oppression historique peut être résolue par une intégration heureuse dans ses institutions et le marché. Chacun de ces récits passe à côté de ce qui fait la force de l’Amérique. Les conservateurs ne voient pas qu’une pratique solide de la liberté se nourrit de la prolifération de nos attachements, et que ce n’est qu’à travers eux que nous créons des traditions pour lesquelles il vaut la peine de se battre. Les gens de gauche ne voient pas que c’est précisément la pulvérisation des cultures par le marché qui crée les contradictions qu’ils tentent de résoudre par un système représentatif cynique. Il n’y a pas de culture américaine, seulement un vaste continent sur lequel une multitude de formes de vie prennent forme.

Gouverner les hostilités

Rittenhouse préfigure un avenir fait de conflits armés et de récits mensongers, d’enfants soldats et d’erreurs funestes. D’effusions de sang dans l’arrière-pays [hinterland] sur fond de mégapoles siliconées sur les côtes. Cet horizon ne promet que la catastrophe, qui prend forme dans le langage du droit. Ce qui est en jeu n’est ni la « légitime défense » ni le « meurtre ». La véritable signification du procès de Rittenhouse réside dans la manière dont il encadre et redéfinit les identités pour les futurs luttes à venir. Citoyen ou terroriste - c’est une distinction à laquelle contribue chaque tweet à demi-réfléchi.

Le procès dépasse la salle d’audience. Pour briser le fonctionnement de la loi, il ne suffit pas de se rebeller contre l’excès de violence de l’État. Plus profondément, il s’agit de refuser de jouer le jeu des identités bonnes et mauvaises que la gouvernance impose - refuser de tomber amoureux de son reflet. Ce n’est pas une erreur que la loi distribue inégalement la justice au service de l’ordre régnant. Nous devons apprendre à voir les procès et plus largement les machinations spectaculaires du droit comme des techniques politiques qui tissent et raccommodent le tissu social, tout en opérant directement sur notre imaginaire collectif de l’hostilité.

Bruce Schroeder, le juge qui préside l’affaire Rittenhouse, s’est récemment exclamé : « ce n’est pas un procès politique ». Si le politique est l’événement de la confrontation entre deux groupes s’affrontant – par lequel l’ami et l’ennemi apparaissent au grand jour et dans lequel la force létale ne peut jamais être écartée – alors rien n’est plus politique que la façon dont la loi façonne et définit ces collectivités en tant que telles, et comment elle les oriente pour agir politiquement. Ce procès est un instrument pour façonner les identités collectives dans la mascarade de la guerre culturelle, et il remet une pièce dans la machine.

L’issue de toute cette affaire est susceptible d’entraîner davantage de confrontations armées. Le caractère injuste des jurisprudences et de ce verdict rendront les manifestations de plus en plus armées, avec des participants plus équipés et à même de se défendre contre la force létale. De même, dans le cadre d’un affrontement à l’aide d’armes à feu, cela créera un précédent sur la manière d’être perçu comme un citoyen plutôt que comme un terroriste - car les gouvernements savent qu’ils ont besoin des deux. L’imaginaire révolutionnaire est remplacé par des images de The Purge [15].

Ces discours paranoïaques sont l’expression d’un monde dans lequel la réalité consensuelle s’est effondrée. Nous perdons non seulement les bases épistémologiques qui fondent nos perceptions, mais aussi la capacité même de nous poser des questions nuancées et difficiles. Les avocats de Kyle Rittenhouse affirment qu’il a agi en état de légitime défense. Ses partisans croient en une version selon lequel il est venu à Kenosha tel un bon samaritain à l’esprit civique, qui a alors été agressé et a dû tirer. Les commentateurs de droite pensent qu’il n’est rien de moins qu’un héros qui a donné aux antifas ce qu’ils méritaient. L’accusation affirme qu’il a agi de manière imprudente et a commis un homicide. Les démocrates et une partie de la gauche pensent que Rittenhouse est un suprémaciste blanc venu à Kenosha pour mettre en pratique ses convictions fascistes. Mais la nuit du 25 août, rien ne semblait si clair. Il y avait des signes de chacun de ces récits – des messages subliminaux adressés à qui voulaient bien les entendre – tandis que la vérité était obscurcie par un nuage sombre d’hypothèses et de tensions. Pour celles et ceux qui étaient là, la conflictualité contre la police s’est soudainement détournée et le visage de l’adversaire s’est déformé. Il fallait regarder dans un brouillard de lumières clignotantes, de rage et d’hommes armés pour tenter de saisir la réalité.

Rittenhouse est la fusion logique des narratifs de gauche et conservateurs entourant le mouvement George Floyd, qui ont toujours convergé dans leur conviction paranoïaque que tout ce qui s’est passé cet été-là était le fruit d’agissements extérieurs malveillants et opportunistes. Rittenhouse a-t-il agi en état de légitime défense ? Peut-être, je m’en fous. A-t-il agi sans réfléchir, tué deux personnes et blessé une autre ? Oui. Est-ce que vous voulez qu’un adolescent meure en prison ? Pas vraiment, mais bon sang, qu’il aille se faire foutre. Je n’en sais rien. Cette histoire est une tragédie auxquelles les théories conspiratives ne peuvent pas faire face. La douloureuse question éthique est la suivante : aurait-il été préférable que Kyle Rittenhouse rencontre le jugement cette nuit-là, en dehors de la loi ? Peut-être, non ? Je ne sais pas. Deux personnes seraient quand même mortes. La tragédie aurait peut-être été ressentie plus clairement, le cosmos plus équilibré dans le traumatisme, et peut-être que certaines personnes auraient reconsidéré à quel point elles étaient prêtes à se sacrifier pour la cause.

Police citoyenne

Dans les moments déterminants du déclin de cette civilisation, lorsque l’État risque de perdre le contrôle et que le maintien de l’ordre soft s’avère inefficace, les gouvernements joueront le rôle de chef d’orchestre. Ils rétabliront la violence brute et mobiliseront les citoyens pour qu’ils s’entretuent. Le nationalisme et le devoir civique progressiste seront tous deux invoqués pour éloigner les pseudo dangers. Chacun de ces principes fournit à ceux qui veulent une « sécurité » désuète le discours leur permettant de justifier leurs angoisses raciales, sociales et économiques. Ici, l’image de la guerre civile fonctionne comme un fantasme pornographique pour purifier le l’espace. En réalité, n’importe quel conflit armé dans ce pays sera multipolaire.

Le transfert de la force étatique vers le citoyen se produit dans un contexte de fragmentation accéléré des États-Unis, d’un tissu social profondément polarisé par les questions culturelles, d’une pandémie qui accumule les cadavres et de l’effondrement du consensus mondial mis en place après la Seconde Guerre mondiale. La violence qui vient, et à laquelle nos sensibilités politiques s’acclimatent du fait de la rhétorique de la guerre civile, porte en elle une série de pièges. Il ne s’agit pas d’une bataille décisive entre la liberté et le fascisme, mais d’une parenthèse entre le libéralisme et la gouvernance technologique.

Dans une société démocratique, le pouvoir de décider de la vie ou de la mort et de l’exception à la loi est confiée à la police, dont la fonction économique particulière est de réduire les populations excédentaires en tuant ou en incarcérant. Le néolibéralisme met l’État moderne sans dessus dessous. Pendant ce temps, l’État se plie aux exigences du progrès technologique. Au fur et à mesure que la capacité de la police à recourir à une force excessive et létale est officiellement réduite - que ce soit par la nécessité du marché, des revendications populaires ou des crises imprévisibles - elle sera structurellement transférée aux citoyens et au secteur privé. La violence raciste archaïque et irrationnelle des syndicats de police commence déjà à céder la place à la police du futur, plus sophistiquée sur le plan technique et guidée par les données.

À l’instar d’autres institutions redondantes remplacées par des applications, la police defunded sera de plus en plus incapable de remplir sa fonction publique et ne servira que d’avatar vide, tandis que le contrôle sera réparti dans une série de solutions privées et technologiques. Dans l’avenir que nous réserve Big Tech, la police fonctionnera moins comme une force d’occupation militarisée que comme une composante d’une interface utilisateur dans des environnements urbains remodelés comme un réseau d’expériences prédictives, et soumis au principe d’une traçabilité généralisée. L’avenir du maintien de l’ordre consistera à recevoir une notification push [16] sur votre téléphone portable vous demandant « êtes-vous sûr de vouloir voler cela ? ». Puisque tout ce que vous faites aura été enregistré dans des fichiers, le visage vulgaire du pouvoir pourra être remplacé sans frais par des agents formés à demander votre pronom préféré tout en vous faisant une clé de bras douloureuse mais conforme.

La véritable épreuve de l’époque est de comprendre comment mener et gagner une guerre différente.

Donner et prendre

Après la longue année 2020, les enjeux semblent plus importants. Kenosha résonne dans mon oreille chaque fois que je tire avec mon fusil d’assaut AR-15. Le mouvement de cet été, redoublé par la pandémie, a été un épisodes fatidique qui a permis de renvoyer le flux de l’actualité politique à ce qu’elle est : un épouvantail puissant qui ne cesse de rappeler à quel point tout est fragile. Les lames de fond se répercutent toujours aux États-unis et nous avons tou-te-s rejoint la mêlée.

Dans un avenir pas si lointain, il se peut que les centaines de millions d’armes à feu en circulation aux États-Unis, tous les nouveaux magasins d’armes tenus par la gauche et tous les joueurs de jeux de rôle en plein air en gilets tactiques et qui pratiquent des exercices de tir à couvert et de combat rapproché, déclenchent une situation encore plus sanglante que celle de 2020. Si le libéralisme qui favorise grandement la possession d’armes à feu aux États-Unis continue d’imprégner et d’empoisonner de plus en plus la culture « de gauche » des armes à feu, les adolescents mécontents et sympathisants de la gauche pourraient être incités à commettre des atrocités nihilistes similaires à celles de leurs homologues de 8kun [17]. Ce n’est pas le terrain sur lequel nous voulons nous battre. Dans ce futur, la violence continue d’être spectaculaire et les questions éthiques au cœur de l’usage de la force restent sans réponse.

Si notre représentation de la guerre ne peut se détacher d’un fantasme d’anéantissement, nous nous retrouverons toujours à lutter pour comprendre une tragédie que nous avons nous-mêmes créée. Existe-t-il au contraire un monde où nous ne fuyons pas la violence - où les guerrier.e.s sont appelé.e.s à la guerre - mais où cette disposition à la mort est une extension de la célébration de nos vies intensives et exubérantes ? Comment pouvons-nous faire face avec sérénité à l’avenir sombre qui nous attend avec sérénité, tout en continuant à célébrer l’esprit du 28 mai (https://www.sm28.org/), la nuit où le Third Precinct a brûlé [18] ?

D’une certaine manière, la culture des armes à feu qui s’est développée dans la sphère de la gauche depuis 2020 relève plutôt autour de ses faiblesses politiques que de la force de la technique. S’il est vrai que « nous assurons notre sécurité [safety] », le fait de prendre les armes modifie notre rapport au monde d’une manière plus fondamentale que la capacité à se protéger ou à protéger notre communauté. Nous devons vivre avec notre capacité de violence - un appendice dont nous sommes censés être amputés depuis longtemps. Nous devons être responsable et prendre soin de cette capacité, en exerçant notre technique, en nettoyant et en entretenant nos armes et en affinant notre habilité. De même, quelque chose demeure bien au-delà de ce que l’on vise avec notre canon. La façon d’utiliser une technique est une question d’éthique (https://illwill.com/weapons-and-ethics). Y répondre en pratique nous attache à un monde. Cet attachement est aussi la façon dont les technologies nous utilisent en retour. Il ne suffit pas d’ajouter des gilets tactiques et des lunettes de vision nocturne à notre répertoire pour se préparer à une guerre civile – une impulsion vers laquelle les technologies qui prennent notre vie en main nous précipitent. Au contraire, un séjour assumé dans le monde des armes pourrait nous amener à apercevoir à travers l’arme l’autre versant de ce monde : celui de donner la vie. Voilà ce que nous devons enseigner à la prochaine génération, nous devons leur raconter nos histoires et montrer que l’apprentissage de l’entretien de notre pouvoir est le résultat de la gratitude envers une terre qui nous nourrit. Le chasseur le sait, tout comme les conseils de guerre des Haudenosaunee [19]. Ce qui est caché par la silhouette rougeoyante du combattant armé, c’est la terre sur laquelle elle se tient.

Cet article a d’abord paru en anglais chez nos amis de Ill Will

[1Le titre original de l’article « Kenosha, I Do Mind Dying » est une référence au livre Detroit I Do Mind Dying. Ce dernier retrace la naissance et le développement du Dodge Revolutionary Union Movement et de la League of Revolutionary Black Workers, qui étaient deux des organisations politiques afro-américaines phares des années 1960 et 1970.

[2La « mince ligne blue » est un emblème utilisé par les forces de l’ordre aux États-Unis. Historiquement originaire du Royaume-Uni, il sert à commémorer les policiers morts en service. Il symbolise également la place de la police dans la société et leur rôle de protecteur des citoyens face aux criminels. Chaque bande de l’emblème a une signification précise : la ligne bleue du centre représente les forces de l’ordre, une des lignes noires les citoyens et la seconde les criminels.

[3The Hold est un concept à double sens de Frank Wilderson dans sa théorie de l’afro-pessimisme. Il désigne à la fois la cale du bateau d’esclaves et la prise que nous avons sur le monde.

[4Célèbre masque blanc utilisé par les anonymous et popularisé le film V pour Vendetta.

[5Fred Moten & Stefano Harney, Les sous-communs – Planification fugitive et étude noire, Brook. À paraître en février 2022.
https://www.minorcompositions.info/wp-content/uploads/2013/04/undercommons-web.pdf

[6C’est le nom du policier qui a tiré sur Jacob Blake.

[7. À Dallas, le 7 juillet 2016, Micah Johson ouvre le feu et abat cinq policiers. Pour la première fois aux Etats-Unis, la police utilise un robot tueur télécommandé (lesté d’explosifs) pour « neutraliser » Micah. Dix jours plus tard, Gavin Long, vétéran d’Irak lui aussi, tue trois policiers avant d’être abatu par les forces de l’ordre. On est alors en plein cycle de manifestations Black Lives Matter suite aux morts d’Alton Sterling à Baton Rouge le 5 juillet et Philando Castile, le 6 juillet dans le Minnesota, tués tous les deux par la police.

[8Christopher Dorner était un agent de la police de Los Angeles, renvoyé en 2008 après avoir accusé sa supérieure d’« usage excessif de la force » contre un malade mental pendant une intervention. En février 2013, il publie un texte sur facebook adressant toute une série de reproches à ses anciens collègues comme le fait de chanter des chants nazis glorifiant l’extermination des Juifs ou de s’amuser entre eux à prendre des photos de cadavres les plus horribles.... Il les accuse de toute une série de comportements racistes et explique que le LAPD n’a finalement « pas changé depuis l’affaire Rodney King ». Il explique aussi se lancer dans une « guerre non-conventionnelle et asymétrique » contre le LAPD », se disant prêt à traquer ses cibles où elles « travaillent, vivent, mangent et dorment ».Déterminé à se venger, il tue trois agents de police et la fille d’un gradé. Dans le même texte, il se justifie : « Malheureusement, il s’agit d’un mal nécessaire que je n’apprécie pas, mais auquel je dois participer et que je dois mener à bien pour que des changements substantiels se produisent au sein du LAPD et que je puisse laver mon honneur ». Le refuge de montagne dans lequel il se retranche est pris d’assaut quelques jours plus tard et partiellement détruit avec des engins de chantier. Il finit par prendre feu en raison des multiples grenades lacrymogènes utilisées par la police. Le corps de Dorner sera retrouvé sans vie dans les cendres. Alors que sa traque mobilisait plusieurs milliers de policiers, trois civils sans lien avec Dorner ont été blessés par des tirs policiers.

[9Conflit qui opposent colons et autochtones en 1832.

[10L’American Federation of Labor est une coalition qui réunit plusieurs syndicats de branche. Autrefois très puissante (elle représente 25 % des travailleurs au moment de sa création en 1955), l’AFL a progressivement décliné et ne compte aujourd’hui que 10 % des employés du pays.

[11. Groupes para-militaires anti-gouvernementaux qui défendent notamment le droit à détenir des armes. Créé suite à l’élection de Barack Obama en 2008, leur nom vient de l’affirmation (inexacte) selon laquelle seuls 3 % des colons américains ont combattu et finalement renversé les forces britanniques pendant la Révolution américaine. Si lors des affrontements à Charlottesville (en 2017) entre néo-nazis et manifestants antifas, les « 3 percent » optaient encore pour un positionnement « neutre », c’était largement moins le cas lors de l’assault du Capitole, le 6 janvier 2021, par une foule trumpiso-quanonino-suprématiste blanche. Leur organe central s’est d’ailleurs auto-dissout peu après.

[12. LARP = Live-Action Role-Playing = joueur de jeux de rôle grandeur nature.

[13Terme inventé et popularisé par la sociologue et « consultante anti-raciste » Robin DiAngelo. . La « fragilité blanche » part du postulat que le racisme étant particulièrement visible dans les interactions personnelles, c’est principalement sur elles qu’il faut opérer en « formant » les personnes (à la peau blanche), pour qu’elles s’auto-controlent et se remettent en question dans leurs rapports personnels avec des personnes à la peau pas blanche. La lutte politique se trouve réduite à un problème de formation individuelle et de compétences à développer, une sorte de développement personnel pour devenir une « meilleure personne »…

[14Pour creuser sur le sujet on peut lire Asad Haider,

Mistaken Identity : Race and Class in the Age of Trump (2018) qui sortira en français en 2022.

[15Americain Nightmare en français. Série de films qui repose sur un principe simple : pendant douze heures, tout crime y compris le meurtre devient légale. Tout ce qu’on pouvait faire en étant jusqu’alors considéré comme un terroriste, on peut désormais le faire en étant considéré comme un citoyen.

[16La Notification Push est le message qui apparaît sur l’écran de votre appareil mobile lorsque vous n’utilisez pas forcément d’application. Leur utilisation date depuis un certain temps maintenant. Elle se traduit, par exemple, par des notifications provenant de compagnies aériennes qui vous rappelle de vérifier votre vol ou du rappel d’un événement de votre calendrier électronique.

[178kun, anciennement 8chan, également appelé Infinitechan (parfois écrit ∞chan), est un forum américain dédié au partage d’images. Il est très utilisé par l’extrême droite internationale. Il a contribué à propulser des mèmes comme « Pepe la grenouille » utilisé comme symbole raciste par l’alt-right pro-Trump.

[18.Commissariat incendié à Mineapolis en mai 2020, pendant les premières nuits d’émeute suite au meurtre policier de George Floyd.

[19Les Haudenosaunee, ou « peuple des maisons longues », plus connus sous le nom d’Iroquois regroupent cinq nations indiennes : les Sénécas, les Cayugas, les Oneidas, les Onondagas, les Mohawks et les Tuscaroras. Ils vivaient dans le nord-est de l’Amérique du Nord et avaient des conseils d’anciennes qui prenaient les décisions relatives à la guerre.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :