Le gros nécrotératoplasme extraterrestre [1/4]

Túpac & Micaela, Pérou
(Chants d’utopie, XXXII)
Brice Bonfanti

paru dans lundimatin#342, le 6 juin 2022

Voilà quelques années que les chants d’utopie de Brice Bonfanti, ses personnages et leurs horizons, nous baladent à travers le monde et les époques. Dans la continuité des trois premiers cycles parus chez Sens & Tonka, nous publions ces 32e chants : Le gros nécrotératoplasme extraterrestre. Divisés en 8 parties, illustrées par MajorMinuit, ils se racontent sur 4 publications [1].

Yo ya no tengo paciencia para aguantar todo esto
Je n’ai plus la patience de supporter tout ça

Micaela Bastidas Puyucahua
lettre à José Gabriel Túpac Amaru, [1780]

Finie l’attente du grand soir. Infinie l’attention, dans le petit matin. Le grand soir de l’attente est fini. Petit matin, dans l’infini vit l’attention. Matin, comme demain, c’est maintenant. Maintenant est matin, demain est maintenant : demaintenant, matintenant. Chaque demain est rapporté à maintenant, et aucun maintenant reporté à demain.

I

Derrière nous, la masse immense, qui difformait le spatiotemps, était dressée tout en restant par son essence : ratatinée, fourre-tout stratifié :
gouvernaille, bancaille et patronaille ; industriaille, agronomaille et pharmaceuticaille ; armaille, flicaille ; journalaille, flicurés de gauchaille et droitaille, artisticaille et culturaille :
de l’état la racaille, mixture : de machine, de minéral, de pourriture – mais sans vivance des machines, des minéraux, des pourritures
– légion de corps, sans vie sauf à sévir, aux bras qui rompent, sans souffle autre que gaz à tumeurs ; de globes d’yeux, qui épient guettent, qui épient fliquent, épient inspectent ; de cerveaux sans poumon et sans cœur, qui listent comptent, qui classent trompent.
Aux ordres – non : aux désordres – de malélite délitante incontrôlée par la pensée qui est poussière et renvoie tout vers la poussière, abstrait la vie des vies,
prête à trahir jusqu’à tarir : la minéralité, l’archéalité, la bactérialité, la protozoalité, la chromistalité, la végétalité, la mycolité, l’animalité, dont l’humanité, aux désordres
d’extraterrestres hors des terres, de nos terres, de la Terre, de tout sol, abstraits des terres, hors-sol, grouillant depuis
le hideux nid : la mégalomaniacopole, mégalodivisée, vile ville mondiale d’étroite réalité, ville mondiale morcelée en mégapoles, en pôles, polarisées,
la masse immense, mégagonale, avait grand nombre de côtés, gigagonale au géant nombre de côtés, ou tératogonale au nombre monstre de côtés, selon la distance perçue, plus ou moins bonne correction de notre vue.
Chaque côté, un bouclier – en polycarbonate diaphane, antiémeute et anticrâne, par des matraques traquant crânes ;
derrière chaque bouclier, fantôme opaque, carapacé – au mental aberrant, par excessive gravité, boîte aussi noire et photophage qu’un trou noir, grave à l’excès ;
en mouvement perpétuel et saccadé, par spasmes jaillissaient des boucliers, par jets : des matraques lancées à vitesse affolante, faisant folle la foule, des balles, l’eau gelée à vitesse violente, le sol en houle, vole la goule, la tôle roule.
Du gros monstre de mort, du gros nécrotératoplasme dévié d’humanité, phylogénique segment vain, coupé, et bénéfuge et malépète, amputé du prodige réel, bien résurrectionnel, du peuple champignon, mycodémie, règne mycète,
on soupçonnait que les fantômes camouflés derrière chaque bouclier avaient un jour été humains, vivants ; étrangers désormais même au règne animal, irrémédiablement, séparés diablement, divisés diables du vivant.
Bien qu’uniforme, tout côté à tout autre conforme, le gros nécrotératoplasme se scindait, morcelé
en malades mobiles modules, nécrotératodules – servant la maladie contraire à toutes qui adjuvent la santé –, morcelés, et cependant coordonnés en chaos d’actes répétés
pour aigrir, meurtrir, tarir, pour pestiler : la sueur, souveraine, impassible des haines, l’acide odeur des peurs.
Le gros nécrotératoplasme extraterrestre était derrière nous, le peuple de racines sans état, du nouveau monde, et pas le peuple à graines pour l’état de l’ancien monde,
et nous, jardiniers donateurs, sans massive arme, sommes devant le prédateur à massive arme, qui avait faim, pour fin, de polluer notre jardin :
de profaner notre jardin. Depuis les villes polluantes qu’il nous faut dépolluer, dévilliser des viles villes notre terre, Terre, à resacrer.

Vivre en commun, tous uns, comme l’Un. Et propager le potager de l’Anarchie sans fondement, commencement, de l’Un. Et sans commandement, à moins qu’obéissant : la loi à soi, du soi, outre le moi, intérieure à chaque un.
Nous avons les outils, pour vivre, des voix de cuivre. Les armes, pour propager la vie fériale – dans l’attente et agente et patiente. Les outils sans les armes, au-delà de l’attente.
Construire nos sylvilles, et nuire aux villes. La sécession sylvillisée à la sylville, la fission de la ville et des vils villisés.

La male herbe, étouffant nos plants
aborigènes de nos Andes
– pomme de terre ou haricot, poire de terre ou quinoa –
ou tomate ou manioc ou coca – de nos Andes –
ça s’arrache. S’évacue pas dans le vacant. Laissée sur plants, qu’elle étouffait :
Que la male herbe pourrisse, nourrisse
et vivifie ce qu’elle mortifiait.
Et le mal arraché, pas vacué, laissé pourrisse, le bien nourrisse, serve le Bien, le vivifie qu’il mortifiait.
Que l’état arraché pourrissant nous nourrisse. Que ce qui mortifie ce qui nourrit le vivifie.

II

Le bonheur des uns
fait le bonheur des autres.
Et le malheur des uns des autres.

Les idées musicales, communales, fondent le monde – qu’heureusement la mort émonde, quand dort le monde – bon, des bons enfants du monde enfant.
Les enfants prolétaires sans mots, les jardiniers, sortent de terre, Terre. Émissifs, réceptifs, la Terre qui les soigne, les jardiniers la soignent.
Comme le feu les domestique, la Terre, qu’ils domestiquent. Hôtesse Terre et Terre hôtesse, nous te sommes symbiotes : symbole, symbiose, du bol à liesses.
Nous ne planterons pas le maïs pour l’état, mais des pommes de terre et des poires de terre pour nous les béats, adéquats, sans incas.
Les élèves des plantes élevées, cultivés par les plantes cultivées ; sheripiari nous guérissons des cécités logorrhéiques des pensées.
La liane à l’âme Ayahuasca, liane aussi ligne que les lignes géoglyphes de Nazca, broyée pour une pulpe libérée, mêlée aux feuilles Chacruna, bouillie, donne à l’œil parolé la présence.

Comme nous les vivants
je marche un pied
sur l’eau cachée
et l’autre pied sur Terre mère vulve entière, sur Terre entière vulve mère, sur Terre vulve mère entière de prairies de l’Utopie substituées
à tout champ trituré.
La prairie d’Utopie jardinée pourvoit aux faims, aux soifs, aux formes inconnues des faims et soifs, de toute une et chaque une topie.

Comme nous les vivants
le sperme aux pieds, l’ovule aux pieds
pour que rien qu’en marchant : semer, et nidifier.

Sur les îles de roche là-bas, une strate de fientes d’oiseaux, leur habitat : le guano, comme engrais azoté, les vivants le prélèvent en tas, mais pas trop.
Plus exporté ni plus extorqué, notre guano ! par lequel nous vivons en commun. Plus extorqué ni plus exporté, notre salpêtre ! par lequel exploser le faux un.
À la Commune de bas en haut, par le guano, l’excrément vivifère enrichit : nos plus beaux fruits.
L’harmonique Anarchie peut paraître, par le salpêtre – qui démolit ce qui démolit : l’état suri.

Un Inca, pas d’incas. Qu’Un Inca, aucun inca. Dans le Ciel, sur la Terre. Un Inca, dans le Ciel. Et sur la Terre pas d’incas.
Métaphysique, physique. Qu’Un Inca métaphysique, source à physique, intra. Aucun inca physique.

Monarchie dans le Ciel, anarchie sur la Terre.
Monarchie dans le Ciel, métaphysique, anarchie sur la Terre physique.

Anarchie, harmonie sur la Terre, seulement si
est crue et vue et sue : la monarchie au Ciel.

Incrue invue insue, malcrue malvue malsue : la monarchie de l’Un au Ciel,
descend sur Terre et la dévaste : sa grimace,
monarchie fausse à fausses têtes, chefs qui mécheffent, cacomonarques.

Monarchie dans le Ciel est le Bien, monocalie ;
monarchie sur la Terre le mal : la cacomonarchie.
Anarchie dans le Ciel est un mal impossible ; anarchie sur la Terre, le meilleur bien possible.
Non je retire. Avance : Au Ciel, Anarchie, Monarchie sont Bien Un : MonAnArchie.

illustration : Majorminuit

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