La Guerre des Russes Blancs [1917-2017]

Un petit tour chez l’ennemi de classe

Un historien matérialiste - paru dans lundimatin#109, le 21 juin 2017

Cette semaine nous parlerons du livre La Guerre des Russes blancs 1917-1920, de Jean-Jacques Marie. Cet ouvrage est sorti en mars 2017 aux éditions Tallendier. Il s’agit d’un publication inédite. L’auteur est un historien français, que l’on peut qualifier de trotskiste. Il a écrit un certain nombre d’ouvrages sur la révolution russe, dont plusieurs biographies (Lénine, Staline et évidemment Trotski), et surtout une Histoire de la guerre civile russe, l’un des meilleurs ouvrages sur le sujet, qui montre bien la multiplicité des fronts dans la guerre civile, au-delà de l’affrontement principal entre Rouges et Blancs.

Ce livre, comme son titre l’indique, est un énième ouvrage traitant de la guerre civile telle qu’elle fût vécue du côté des Blancs – un certain nombre de travaux similaires sont sortis en France depuis cinq ans. Étrangement, celui-ci a des cotés intéressants ; il est par ailleurs d’une lecture facile malgré sa taille décourageante (500 pages grand format). Il commence avec une liste assez impressionnante des divers troubles qui ont éclaté lors de la mobilisation en août 1914, prémices des violences qui déferleront pendant la guerre civile.

« Au total, ces incidents se sont traduits par 21 cas de saccage et de pillage de magasins de vin, d’alcool et de produits alimentaires, 27 attaques et saccages de bâtiments administratifs et officiels, 4 attaques de prison et 8 tentatives de libérer des prisonniers. Le bilan est : entre le 1er août et le 13 août, 505 appelés et 106 membres de la police ou de l’administration ont été tués ou blessés. »
La Guerre des Russes Blancs, p. 37

L’auteur présente ensuite la laborieuse constitution de la première armée blanche, celle des Volontaires qui se forme au sud de la Russie. Dès le début, celle-ci souffrira des tares qui ne cesseront de l’accompagner jusqu’à sa défaite. L’armée des Volontaires est une armée essentiellement composée d’officiers, et gardera toujours son élitisme de caste. Elitisme malgré lequel la majorité des officiers qui rejoindront les zones contrôlées par l’armée des Volontaires ne se battront pas et resteront à l’arrière. La proportion sera d’un combattant pour cinq voire six planqués à l’arrière. Malgré cette bureaucratie de l’arrière, l’armée des Volontaires ne prend pas en charge l’administration réelle des zones qu’elle occupe, et ne dispose même pas d’un service d’intendance : ses soldats vivent sur le pays, grâce au pillage.

L’auteur présente bien les différentes dynamiques et limites des divers fronts occupés par les Blancs. Il est très complet, surtout sur les fronts de Sibérie et du Nord-Ouest autour de Pétrograd (il s’agit sans doute du livre en français le plus précis sur l’histoire de ces deux fronts). Malgré quelques petites imprécisions le déroulé de la guerre est assez clair. La présentation permet bien de saisir toutes les faiblesses profondes des divers mouvements Blancs ainsi que les raisons de leur défaite.

La dimension de violence quotidienne et de haine réciproque est très bien retranscrite. La violence est omniprésente même si au fur et mesure de la durée de la guerre civile, la guerre d’extermination n’est plus à l’ordre du jour (pas de prisonniers), en raison des mesures de conscription obligatoire dans les deux camps. Les transfuges ne sont pas rares La violence est évidemment présente entre les deux camps mais aussi entre les factions et la population. Le pillage est une pratique commune à tous.

« Les soldats rouges harcelés par la faim, pillent en général pour se nourrir. Les armées paysannes « vertes », elles pillent les villes par haine de la ville et par amour des objets qui s’y entassent, dont la campagne est totalement privée. Les Blancs pillent pour se venger et parce que l’intendance ne suit pas. »
La Guerre des Russes Blancs, p. 257

Mais le pillage est l’une des principales activités des armées blanches. Il finit par prendre une proportion énorme. Les chefs Blancs se trouvent dans l’impossibilité de lutter contre cette pratique qui leur aliène le soutien de la population et qui fait baisser leur capacité de combat. A la veille de l’effondrement de l’armée des Volontaires :

« L’ampleur du pillage peut se mesurer au fait qu’un régiment d’environ 200 guerriers possédait 200 wagons emplis de richesses, qu’il fallait bien entendu surveiller, puis acheminer le transport ». La Guerre des Russes Blancs, p. 337

Le livre finit sur une longue énumération de raisons toutes plus ou moins justes expliquant pourquoi les Blancs ont perdu. Cette démonstration est assez inutile : le livre étant suffisamment clair, il permet d’avoir un avis sur la question bien avant. Malgré quelques longueurs et imprécisions, ce livre est donc tout à fait lisible et assez complet, et permet de se faire un idée assez juste du camp contre-révolutionnaire dans la guerre civile.

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