Faut-il abolir le journalisme ? Une interview

« Si l’AFP disparaissait (et j’espère vivre assez longtemps pour voir ça), la plupart des rédacs se retrouveraient comme un cracké sans sa pipe. »

paru dans lundimatin#27, le 13 septembre 2015

Dans notre édition du 25 mai, un journaliste lecteur de Lundimatin s’était fendu d’un manifeste pour l’abolition du journalisme..

Cette tribune relevait autant de l’analyse que du témoignage. Comme souvent sur les réseaux sociaux, un large spectre de réactions s’exprima : de l’enthousiasme à l’indignation, en passant par le désespoir.

Plus tôt dans l’année, alors que Radio France était en grève, nous avions interviewé une de leurs pigistes à propos de ses conditions de travail
Nous avions aussi eu tout le loisir d’entendre les considérations de l’otage Pierre Torres sur ce métier qu’il s’était malgré lui retrouvé à incarner.

Afin de prolonger ce débat, nous avons décidé d’interviewer une journaliste d’une autre rédaction afin qu’elle nous parle de son métier et de la nécessité ou non, de l’abolir.

Depuis combien de temps êtes-vous journaliste ? Combien d’heures travaillez-vous par mois en moyenne et pour quel salaire ?
Je suis dans la tranche “cinq à dix ans d’expérience” et je gagne entre 2000 et 2500 euros par mois, pour environ 50 heures par semaine. Le temps de travail est difficile à estimer, et surtout difficile à séparer du reste, parce qu’il y a toujours un peu de boulot en dehors du boulot : répondre à des mails ou passer des coups de fil le soir, lire la presse pour trouver des idées ou des bouquins en rapport avec les sujets qu’on traite.
Comment vous est venue cette vocation ? Votre travail actuel correspond-il à l’idée que vous vous faisiez de la profession ?
Tant pis pour le cliché, mais je voulais devenir journaliste depuis l’enfance, comme beaucoup de gens (qui le sont devenus ou pas). Sans doute parce que ce boulot est facilement identifiable pour des gamins - médecin, journaliste, prof, pompier on voit davantage à quoi ça peut ressembler que contrôleur de gestion -, qu’il est très représenté dans la fiction avec un côté aventurier / justicier / baroudeur très séduisant. La première intention, c’est de devenir Rouletabille ou Tintin : parcourir le monde, résoudre des énigmes, enquêter pendant des mois pour découvrir une vérité cachée, vivre des expériences palpitantes et au final avoir une utilité collective. Quand l’idée mature un peu, des motivations un peu moins infantiles remplacent les premières. Pour moi, c’était principalement une soif de pouvoir apprendre des choses toute ma vie, de ne pas rester bloquée dans une routine et dans un milieu dont il est impossible de sortir. Les premiers stages m’ont convaincue qu’il y a quelque chose de très précieux dans ce boulot : la possibilité de découvrir en permanence des mondes sociaux qu’on ne connaît pas, de discuter avec des gens extrêmement différents qu’il est quasiment impossible de tous rencontrer quand on fait un métier plus classique. Je ne suis pas devenue journaliste par amour pour l’humanité toute entière. Par contre c’est une chance de pouvoir naviguer entre des gens et des groupes qui ont des modes de vie, des statuts sociaux et des opinions irréconciliables. Au début, on veut tout voir et tout raconter, schématiquement faire savoir au plus large lectorat possible que plein de choses se passent et qu’on peut les mettre au courant. Ensuite, plus on travaille, plus on sait ce qui nous intéresse ou pas, ce qu’on estime important à traiter. Il y a des sujets qui nous tiennent sur le long terme, sur lesquels on a envie d’enquêter. Parce qu’il n’y a rien de plus con que de redécouvrir tous les matins ce que nous - ou d’autres - avons déjà écrit la veille. En travaillant un minimum intelligemment, on peut éviter ça. Evidemment que les conditions d’exercice de ce métier sont délirantes. La pression à la productivité, le conformisme, la paresse intellectuelle et la médiocrité n’épargnent pas plus le journalisme que les autres secteurs. Vu la nature de ce métier-là, c’est même certainement plus gênant que si on fabriquait des voitures. Donc non, ça ne ressemble pas à ce dont on rêve en commençant. Les options sont simples : soit se plier au sens du vent et y trouver son compte, soit arrêter et faire autre chose parce que c’est insupportable, soit se débattre dans des contradictions et des accommodements qui permettent de créer un équilibre précaire, mais pas trop compromettant.
Vous avez fait une école ? Si oui, pouvez-vous résumer ce qu’on y apprend, et comment vous avez vécu cette période ?
Oui. Les écoles de journalisme fonctionnent avec peu de personnel permanent et l’essentiel des cours est donné par des journalistes en activité qui viennent donner une session de quelques jours sur leur média (presse écrite, télé, radio, agence, web) ou leur “spécialité” (journalisme culturel, politique, économique, sportif, etc.). Au-delà des recommandations théoriques et techniques, la plupart des cours ressemblent à des simulations. Par exemple en cours de “télé”, on trouve un sujet le matin, on le tourne, on le monte, le “prof” (qui a pris un jour de congé à France 2 pour venir) est là pour visionner le reportage, apporter des conseils et des corrections. Les vacances scolaires correspondent à des périodes de stages dans des rédactions. L’idée générale est que cette période permet de “trouver sa voie” dans le journalisme, en choisissant progressivement quel média et quels sujets nous attirent. C’est un sas - plus ou moins bien vécu - entre les études universitaires et la vie professionnelle. En ce qui me concerne j’ai trouvé cette formation beaucoup moins prétentieuse, “formatante” et plus pratique que les études qui ont précédé. Le travail de groupe et l’intérêt de chacun pour tel ou tel sujet étaient encouragés.
Vous parlez « du lectorat ». Avez-vous été confrontée, parfois, à vos lecteurs ? Est-ce qu’il s’agit pour vous d’un lectorat un peu immatériel, comme on dit l’« opinion publique » ou d’un rapport plus proche ?
Oui, bien sûr. On n’est plus au temps où les journalistes pouvaient ignorer leurs lecteurs. Non seulement parce que l’importance croissante du marketing nous conduit à savoir (qu’on le veuille ou non) à quelles grandes catégories ils appartiennent, mais aussi parce qu’on a bien plus de moyens que les générations précédentes d’en rencontrer et d’avoir un retour sur notre travail. Je pense surtout aux commentaires et à la facilité avec laquelle des lecteurs peuvent nous écrire en privé. Je discute souvent (à distance ou en vrai) avec des lecteurs et je leur demande leur avis. Je ne prétends pas pour autant connaître “le lectorat” comme je connais ma cousine.
Vous parlez d’informer le « plus large lectorat possible » de « plein de choses » au début, puis d’un recentrage sur « ce qu’on estime important ». Est-ce à dire que lorsqu’on se recentre sur l’essentiel, on abandonne l’idée du « plus large lectorat possible » ?
Sans doute. En parlant de sujets très différents d’un jour à l’autre, un journaliste peut aussi espérer que le sujet du lundi intéressera certains lecteurs, celui du mardi d’autres, et celui du mercredi ceux qui ne se préoccupaient pas des deux premiers. Donc en quantité pure, ça peut ramener du monde. C’est ce que j’entendais par “le plus large lectorat possible” : faire des articles grand public, sur des sujets variés. Mais le traitement risque d’être superficiel, et les lecteurs peuvent n’être satisfaits aucun jour de la semaine, parce que celui qui écrit les articles ne connaît bien aucun des sujets qu’il traite. En partant de là, je pars du principe qu’en se recentrant sur une palette de sujets plus restreinte mais qu’on juge très importants, on parle peut-être à moins de monde, oui. Sauf à supposer que notre immense talent réussisse à créer une passion collective pour des questions qui auparavant attiraient un nombre limité de personnes.
Sur ce thème, vous arrive-t-il souvent d’être confronté dans votre rédaction aux phrases-types péremptoires du genre : « les lecteurs aiment/n’aiment pas tel ou tel type de sujet », « les lecteurs veulent lire tel type d’info », « non, ça, ça fait chier les lecteurs » ?
Tout le temps, et dans toutes les rédactions. Si j’avais noté au fur et à mesure tout ce que les lecteurs n’aiment pas et veulent, j’aurais certainement une méthode pour faire fortune. Selon les cas, ce genre de phrases est enrobé dans des chiffres d’audience, dans l’expérience de celui qui parle (et donc sait ce que les lecteurs veulent) ou dans la simple mauvaise foi du rédacteur en chef qui ne comprend pas un sujet et préfère ne plus en entendre parler. A l’inverse, les sujets pourris et racoleurs sont validés par l’idée que les lecteurs veulent des histoires nazes. Personnellement je ne sais pas s’ils les veulent, en tout cas une fois qu’ils sont publiés ils les regardent.
Sur la paresse intellectuelle, pouvez-vous développer ? Ça concerne quel type de sujet, ça recouvre quel type de comportement ?
Le principal signe de paresse consiste à prendre pour acquis ce qu’écrivent les confrères sans revérifier : soit parce qu’on pense que tel journal ne se trompe jamais (surtout s’il s’appelle AFP), soit parce que si on recopie une connerie, on se dira que c’était de la faute du premier à l’avoir écrite, soit parce que ça prend du temps et c’est difficile de vérifier, soit parce qu’on s’en fout. Parfois tout ça en même temps. Ainsi on a pu retrouver sur une bonne dizaine de sites français cette histoire de gamine qui se noie à Dubaï parce que son père n’a pas voulu qu’elle soit sauvée par un homme, alors que c’est un truc non vérifié d’il y a vingt ans. Mais il y en plein d’autres : refuser un sujet inédit parce qu’on n’y croira que quand il sera passé à la télé ; réclamer un sujet déjà fait cinquante fois et/ou inintéressant, parce qu’il vient de passer à la télé ; reprendre des citations dans les articles des autres parce que passer un coup de fil c’est trop fatiguant ; appeler le même pseudo-expert que les autres journaux qui l’ont déjà interviewé dix-sept fois parce qu’au moins on a déjà son nom et son numéro de téléphone (et que, quelque part, c’est rassurant d’avoir le même que les autres) ; refuser un sujet parce qu’il risque de prendre du temps ; interviewer un auteur sur son livre sans avoir lu son livre ; croire un préfet sur parole ; considérer que le sujet le plus traité est le sujet le plus important… De ce point de vue là, franchement, l’AFP rend les gens dingues. Si ça disparaissait (et j’espère vivre assez longtemps pour voir ça), la plupart des rédacs se retrouveraient comme un cracké sans sa pipe.
Vous avez des exemples, autour de vous, de confrères qui ont préféré tout arrêter ? Quel est le déclencheur : la vie de la rédaction, le salaire, le rythme de travail ?
Oui, quelques-uns. Ça dépend des cas… Le rythme quand il devient absurde, la hiérarchie si elle se montre vraiment incompétente, le salaire s’il est ridicule, l’angoisse de se retrouver dans un bureau qui ressemble à n’importe quel autre bureau, avec une machine à café, des collègues neurasthéniques, pas d’horizon, pas de projets à long terme.
Les « accommodements », c’est quoi par exemple ?
Acheter de la tranquillité en donnant satisfaction sur certains points pour avoir la paix sur le reste. Accepter un sujet qu’on trouve nul, en calculant le nombre de jours de liberté éditoriale qu’on pourra avoir ensuite, et considérer que dans certains cas la balance est positive.
Quel regard portez-vous sur le milieu des journalistes en lui-même ? Vous en fréquentez beaucoup, y a-t-il une forme de consanguinité, d’entre-soi parfois ?
Il n’y a pas de “milieu des journalistes”. Un reporter de guerre n’a rien à voir avec le présentateur du journal de 20 heures, un précaire de Radio France avec un secrétaire de rédaction du Courrier Picard, un pigiste pour un magazine spécialisé dans la chasse et un critique de ciné. Ils ont beau tous avoir une carte de presse, seuls des segments de ce prétendu ensemble peuvent créer un milieu avec des normes et des références partagées. Bien sûr que je fréquente beaucoup de journalistes, c’est facile de se rencontrer quand on fait le même boulot. Mais mes amis, journalistes ou non, sont des gens avec qui je partage autre chose qu’une similarité professionnelle.
Un sondage de 2014 estime que seulement 77% des français ne feraient pas confiance aux journalistes alors qu’ils ne seraient que 65% à ne pas avoir confiance en leur banque. Quel rapport entretenez-vous avec votre banquier ?
Je n’en ai pas.
Certes, cela semble solutionner une éventuelle crise de conscience mais pour revenir au cœur de notre question, que pensez-vous du décalage qu’il semble y avoir entre la perception que se font les journalistes de leur métier, ainsi que l’importance institutionnelle et symbolique de celui-ci et l’espèce de désamour d’une « opinion publique » que l’on imaginerait d’ailleurs pas exister s’il n’y avait pas de journalisme ?
Il est impossible de discuter sérieusement à partir d’un sondage, donc évitons de nous lancer dans la détestation comparée de différentes professions. Au préalable, je crois que vu l’état général de tension, si l’on descendait dans la rue pour demander aux passants s’ils font confiance aux boulangers, aux profs, aux médecins, aux commerçants, aux agriculteurs, sans parler des policiers, la plupart du temps la réponse serait non. Il faudrait avoir des œillères pour isoler les journalistes du reste de cette défiance, non seulement à l’égard des “institutions” mais aussi des “autres”. Mais partons du principe que les gens ne font pas confiance aux journalistes, c’est sans doute vrai. Dans votre “Manifeste pour l’abolition du journalisme”, il y a un passage qui me semble très juste : la loi sur le renseignement assimile dans un article qui se veut protecteur les journalistes aux magistrats, avocats et parlementaires. Personne ne s’est ému de les voir assignés du côté du pouvoir. Pour citer le texte : “les quatre professions participent également de ces trois axiomes : pouvoir, confort, prestige. La précarité de nombreux journalistes ne doit pas nous égarer. (Presque) tous recherchent ces trois éléments. Et refusent de les abandonner une fois qu’ils les ont.” Cette posture adoptée par les journalistes est en partie responsable du “désamour” dont on parle. D’ailleurs, si l’on va un un peu plus loin, certains journalistes bénéficient au contraire d’une grande sympathie de la part des non-journalistes : les journalistes d’investigation, les reporters de guerre les plus doués, ceux qui font des articles particulièrement originaux et fouillés, ceux qui démontrent en acte leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs, etc. On leur reconnaît un talent et surtout une utilité. Finalement, ceux qui font bien leur boulot et se détachent de la masse des “journalistes qu’on n’aime pas et qu’on ne croit pas”. C’est ce qui me laisse croire que le problème n’est pas la profession de journaliste en elle-même, mais son niveau insatisfaisant, en partie lié d’ailleurs à ses conditions d’exercice.
En général, la critique des médias porte sur deux aspect. Le premier est le caractère idéologique de l’information. L’information serait manipulée à dessein afin de satisfaire les intérêts de la « bourgeoisie », du néo-libéralisme ou des illuminatis-talmudo-sionistes. La seconde est plus d’ordre structurelle, notamment chez Bourdieu ou Chomsky, pour qui c’est la forme même de l’information, du fait des effets de marché, qui la rend inepte ou creuse et ne permet pas le déploiement d’une pensée critique. Si vous êtiez, disons, Vincent Bolloré, que feriez-vous différemment ?
Etant illuminati moi-même, je me garderai de répondre à la première critique. Supposons donc que je sois Vincent Bolloré, c’est-à-dire bretonne et immensément riche. J’imagine qu’au lieu de racheter Canal Plus pour y censurer les seules enquêtes valables de la télé française, je donnerais tout mon argent à Lundi Matin.
Certes, nous nous réjouissons de tant d’humour et de générosité mais vous éludez la part non ironique de notre question. Si à l’exception de ceux qui en profitent le plus directement, il est communément admis qu’il y aurait quelque chose de pourri au royaume de l’information, comment cela « opère » selon vous ? Par ailleurs, la tribune de l’un de vos confères que nous avions publiée se terminait ainsi : « Mais il faut surtout fermer les écoles de journalisme. Dépasser les médias constitués, les ramener à leur fonction de base, et rien de plus : des entreprises commerciales de divertissement. Reconnaître enfin une bonne fois pour toutes que l’information est ailleurs. Et après, une fois que le journalisme sera aboli ? On verra bien. » Sans augurer que vous partagiez intégralement cette perspective, cela pose tout de même une question cruciale : un autre journalisme est-il possible dans la situation présente ?
Le constat que l’information telle qu’elle est ne fonctionne pas est largement partagé, y compris chez ceux qui en vivent. Nous sommes nombreux à déplorer les comportements moutonniers, l’uniformisation créée par les grands groupes de presse, le consensus “centriste” et faussement neutre de nos grilles de lecture, l’info-divertissement, la course à une rentabilité inatteignable mais qui justifie toutes les entorses aux règles que la profession s’est elle-même fixées. Partageant avec mes confrères une formation intellectuelle généraliste et superficielle, je n’ai pas les clés qui me permettraient de trouver une solution. Et même si ce n’est pas ce que vous souhaitez entendre, je ne pense pas que parce que le monde médiatique est boiteux, la seule solution soit de le quitter. Dans beaucoup de rédactions, il existe des niches de liberté. Il suffit de quelques collègues au fond d’un couloir, affublés d’un chef qui se souvient de l’idéal pour lequel il fait ce métier. Ou d’une bande de copains qui décide de fonder un journal, sachant que ça durera le temps que ça durera, dans l’intervalle il y a moyen de faire des choses qui en valent la peine. Quand l’étau de la normalisation se resserre sur cette liberté, on peut arriver à repousser les murs qui s’approchent pour faire durer l’expérience un peu plus longtemps. Une fois que plus rien n’est possible, que l’histoire est morte, il faut recréer une niche ailleurs. Si je n’arrivais plus à trouver d’autre repaire, si je ressentais physiquement l’oppression de passer mes journées à retailler des dépêches, j’arrêterais.

Imaginons ce qui se passerait si le métier de journaliste dans son ensemble était “supprimé” demain. Je n’ai aucune opposition de principe à cette proposition. Le besoin d’informations, par contre, reste entier. Non seulement pour savoir qu’il y a la guerre en Syrie et comment ça se passe, mais aussi parce qu’avoir une idée de ce qui se passe près de chez soi demeure relativement essentiel. Pour tout un tas de raisons il serait suicidaire de disqualifier par principe l’acte d’informer. L’information rend possible la critique, ouvre la voie à la comparaison des situations, à la construction d’une perspective historique et à l’action ; elle dévoile ce que des autorités (politiques, économiques, répressives) peuvent avoir intérêt à dissimuler sous peine de voir leur légitimité vaciller ; une collectivité privée d’information, en perdant la mémoire et la capacité d’agir, se retrouverait dramatiquement affaiblie.

Dans l’ancien monde donc, lorsque le journalisme constituait une occupation rémunérée, des personnes passaient leur temps à chercher des informations et les livrer aux autres, en appliquant des techniques (de collecte, de vérification, d’écriture) qu’elles avaient apprises. Peut-être qu’on peut s’en passer, qu’au sein d’une collectivité des informations peuvent être trouvées et relayées bénévolement par des gens qui font autre chose en parallèle et qui ont un don naturel pour l’information. C’est l’hypothèse la plus optimiste. Maintenant regardons ce qui existe à ce jour en dehors du journalisme, dans les médias dits “alternatifs”, “libres” ou toute autre appellation. Certains publient des articles très intéressants, du contexte sur un événement local mal traité ou sous-traité par la presse classique, des analyses riches sur une situation, des textes de réflexion critique, des rendez-vous militants, etc. Il manque tout de même quelque chose d’important : ces médias apportent très rarement des informations inédites, par méconnaissance ou rejet des techniques dites “journalistiques” telles que passer un coup de fil, faire une interview, aller en reportage là où il se passe quelque chose. A mes yeux, ces techniques ne sont pourtant pas réservées aux journalistes. Elles ont souvent été inventées par d’autres et peuvent servir à tous ceux qui au-delà du commentaire, ont envie ou besoin de faire de l’information. Elles n’empêchent ni le regard critique, ni l’empathie lors d’un entretien ou d’un reportage et les formes consacrées peuvent être réappropriées, améliorées. Toute expérimentation dans ce domaine est bonne à prendre. Et pour répondre au manifeste qui nous appelle à “replacer les journalistes dans le milieu dont ils doivent rendre compte : le monde”, je ne l’ai jamais quitté.

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