BRASIL

Pérola Milman

paru dans lundimatin#242, le 12 mai 2020

Il s’agit d’un cri de souffrance face à la situation actuelle du pays d’où je viens, le Brésil, mené par son président ô combien détraqué. Hélas, il incarne si bien, finalement, tout ce qui est et a été le Brésil...

J’essaie de rappeler « notre » historique face aux virus (au pluriel) - qui ont décimé la population autochtone - face aux malheurs de l’esclavage, face au « premier monde », face au « développement ». Le parti pris étant que le Brésil peut incarner parfaitement ce monstre qui est partout - monstre qui n’a pas attendu le coronavirus pour s’implanter il y a plus de 500 ans- et qu’il innove en matière. Le Brésil, avec ses inégalités et ses richesses, sa joie et sa « cordialité », il est à la fois le visage caché et ce qui rend possible cette violence qui se répand à travers le monde. Son guide, le virus-président, le monstre suprême, est à son image.

— Vous savez quoi ? Ils ne savent rien. Et ça, depuis longtemps. Vous savez, ils sont enfermés depuis aussi longtemps que nous à cause de cette maladie importée par les riches, mais ils ne sont pas près de s’en sortir. On dirait que ça n’a même pas commencé. Oui, oui, ça se passe comme ça s’est déjà passé, autrefois : les Européens, eux, chargés de leurs virus à eux, des virus contre lesquels la population locale n’a pas de protection, transmettent ce mal invisible et déciment la population. Les autochtones en ont déjà subi, et la vague de la mort s’est répandue plus vite que les pas des conquistadores. Une simple grippe - une grippette, si vous voulez - pour eux, pour les tribus locales, ça les a tués. On n’a même pas eu besoin de trop dégainer le fusil. La poudre ne s’est occupée que des restes. Et aujourd’hui c’est pareil. Les fils d’Européens, ou bien ceux qui veulent être des Européens, ceux qui ont été en Europe, ils sont revenus après leurs vacances de Carnaval. Eux, ils voyagent loin… Ils sont rentrés chez eux, chargés de culture, chargés de dépaysement, vidés d’euros, chargés de virus. Et la population, comme tout le monde, l’a reçu. Sauf que accueillir un virus au Brésil ne se fait pas comme ça. Non… on ne va pas faire comme on le fait en Europe, on ne va pas le traiter comme un étranger, on ne va pas parler de guerre. Le brésilien est cordial par excellence, surtout avec ce qui vient d’ailleurs. Le virus, on va le laisser passer, le laisser rouler, tourner, nous lécher, faire bien ce qu’il veut, et nous… Nous on va tout simplement l’imiter, l’absorber, s’en déguiser, et le virus… le virus il deviendra nous. Nous, peuple mutant par excellence. Nous, qui allons où nul autre atteint. Nous, on n’a pas de nom, on les invente, les noms. Nous, on est la guerre. On s’en fiche de ces noms. Les noms de cette bête qui nous avale, pourquoi veut-on les connaître ? Le nom de celle qui nous enferme ? On va y passer, qu’est-ce qu’on s’en fout ? Et elle, on va la voir se construire et grandir autour de nous, dans sa phagocytose, salle bête, belle bête, tu es le Brésil ! Tu deviendras le Brésil. Tu es déjà ce qui est devenu le Brésil. Tu es ce que l’on laisse devenir le Brésil. Tu nous avale, et tu prends le visage de ce monstre qui te gouverne, pas crédible pour un sou et qui, finalement, étonnamment, surprenamment… donne l’exemple. Car il existe. Oui, pour être exemple, il suffit d’exister. Il est possible, il est devenu possible. Il étend par sa simple existence l’espace du possible. Et saches que toi, Brésil, tu es le futur, tu es l’avenir. Petit que tu es, tiers-mondiste que tu es, tu es en avance. Ainsi, tu te venges, et tu contamines le monde en retour. Oui… on pense que tu ne fais que subir mais non… tu es en pleine harmonie avec le tout, tu suis le cours du monde comme fait le meilleur élève de la classe. Oui, Brésil, tu es le meilleur élève de la classe de la mondialisation. Avec ton esclavage championne en chiffres, durée et violence, tu as innové ! Avec ton inégalité presque inégalable, tu te pointes fier en émergent ! Avec ton mensonge d’état qui inspire ô tant de grands chefs, tu défies ! Non, ton gouverneur n’est pas l’analogue de celui des Etats-Unis aux tropiques. C’est le contraire, Brésil. Tu es la source ! C’est le gouverneur américain qui est un brésilien du Nord. Le monde est venu ici pour faire demi-tour. Pour se voir face à soi même et ne plus avoir peur. Pour s’assumer et en partir plus fort. Pour s’habiller en cadavre et répandre la peste. Brésil, tu es le héros du monde. Et tu l’as toujours été. Tu as toujours été là pour le rassurer. Le pire, ça ne peut pas arriver. Le pire, ce sera toujours toi.

Car ici on peut même dire, comme a dit le président : et alors ? “Et alors ?” a-t-il dit. “Et alors ?” dit-on. Et alors…alors, ici l’alors a toujours raison. Parce qu’ici on sait qu’il y aura toujours un alors, il y aura toujours… il y aura toujours encore quelque chose. Nous, nous allons toujours en trouver à manger dans les restes. Nous, on est capable de tout, on ne craint rien. Nous on sait attendre, on a de la patience, on est le symbole de la force de la vie. La mort, on ne la craint pas, on la laisse, on la laisse mariner. On est plus patient qu’elle. Et on n’a pas peur de l’odeur des cadavres, on est né parmi eux, ils sont partout. Notre histoire est salle et elle est baignée de sang. Mais toi… toi, qu’est-ce que tu regardes ? Nous, nous sommes les mendiants du monde, nous sommes les moches, laissez-nous tranquilles maintenant. Tournez votre regard et portez-vous bien, rentrez chez vous et amenez avec vous votre espoir de bonne santé, car elle reviendra, nous en sommes sûrs. Pour vous, elle revient toujours. Et nous, on restera ici, toujours ici. Et c’est par ici que le monde verra son avenir. C’est par ici que l’on se rappellera des enfers. C’est grâce à ici que l’on pourra continuer à faire semblant que tout va bien.

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