Gros plan sur le « 34e Congrès HR » du 12 octobre, au Pré Catelan, à Paris.

Et pourquoi et comment d’aucuns prétendent le perturber.

paru dans lundimatin#117, le 11 octobre 2017

« Une priorité à toujours avoir en tête c’est que le meilleur levier de votre business ce sont vos ressources humaines ! »
DRH (pardon, DG en charge des RH) du Groupe Randstadt

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Ce jeudi aura lieu à Paris le 34e congrès HR. Le quoi ? Tout simplement « l’évènement phare de la communauté RH » :

Le Congrès HR’, c’est avant tout l’esprit d’un club, où l’on se retrouve entre pairs pour réfléchir à des problématiques métiers.

On y trouvera une centaine d’intervenants, dont des DRH (et autres DDRH ou DGARH) de Carrefour, McDo, Macif, FdJ, La Poste, etc. Par exemple, puisqu’il faut bien en citer un, Gilles Gateau, « nouveau » DRH d’Air France, ex-conseiller « social » de Valls, remplaçant du désormais célèbre homme à la chemise arrachée, fait partie des conférenciers.

Contrairement à ce qu’ont pu sous-entendre certains détracteurs de l’événement (nous allons y revenir) il ne s’agit pas d’une petite sauterie. On n’y rongera pas l’Os à moelle de Frédéric Anton (chef trois étoiles du Pré Catelan, assiette facturée à la carte 95€). Le Congrès aura lieu dans les « salons » du Relais et Chateaux. Même si, à écouter une cheffe de chez Lafarge, on devrait bien s’y amuser :

Un congrès comme celui-là ça nous permet d’avoir un peu plus la tête dans les étoiles, ouvrir les shakras, tout en restant les pieds sur terre, puisqu’on peut échanger avec nos pairs.

Reste que : « on en revient avec des choses qu’on peut appliquer concrètement dans notre job de tous les jours ! »

On se rend donc ici, non seulement pour se retrouver entre-soi (pardon entre pairs ; un DRH rappelle dans une vidéo de présentation que comme tout "Homme" le DRH est un « animal social »). Mais aussi pour se confronter à des points de vues extérieurs. Ainsi, les années précédentes, le public a pu entendre un « philosophe » lui rappeler le rôle de l’entreprise dans l’épanouissement des salariés (pardon des collaborateurs), et pas uniquement afin d’accroître leur productivité (« Il faut réussir à penser l’épanouissement du salarié en vue du profit de l’entreprise certainement mais aussi séparément de lui. »). Un médecin (par ailleurs co-fondateur de Doctissimo) annoncer qu’à l’avenir « le DRH va devoir gérer des catastrophes Schumpeteriennes ». Ou encore un paléoanthropologue affirmer sans rire que « les talents d’aujourd’hui seront encore nécessaires demain, mais demain il y aura.. d’autres talents à côté des talents que nous connaissons ».

Cette année on trouvera ainsi à la tribune, pêle-mêle : un chercheur en psychologie cognitive, un ancien directeur d’équipes de Formule 1, « spécialiste de la performance et du leadership » ou encore un ancien apiculteur reconverti « coach », qui prétend « tirer les leçons du vivant pour repenser la performance des organisations ». Et puis l’adjoint au Chef de Département « Action et Cognition en situation Opérationnelle », de l’Institut de recherche Biomédicale des Armées qui évoquera la « prise de décision » et « quels sont les mécanismes du cerveau dans un contexte de surabondance d’information ».

Ça promet !

Pénicaud dans le palace

Et ça promet d’autant plus, que, comme tous les 6 mois (le congrès se tient deux fois par an), Arcanéo (qui organise l’événement) annonce un invité exceptionnel : cette fois, Muriel Pénicaud, ancienne DRH (elle aussi) chez Dassault puis Danone, et actuelle ministre du Travail.

En pleine polémique sur les ordonnances, cette invitation ne pouvait pas passer inaperçue. D’autant que l’organisateur du Congrès ne cache pas sa sympathie pour la nouvelle équipe gouvernementale. Ainsi, dans l’Édito de la plaquette de présentation de l’événement, il n’hésitait pas à déclarer sa flamme au macronisme :

C’est la rentrée ! Une rentrée pas comme les autres. Les bouleversements politiques qu’a connus notre pays, en mai et juin, sont évidemment passés par là. Avec eux, une nouvelle façon de faire de la politique. Et si cette nouvelle donne qui fait bouger les institutions et a bousculé l’ordre établi, nous invitait à regarder du côté de l’entreprise. Car les parallèles sont nombreux, entre le management d’une organisation et le gouvernement d’un pays. Entre un collaborateur et un citoyen. Les observateurs ont ainsi considéré que la « start-up Macron » avait su merveilleusement jouer la carte du collectif, en pariant sur la créativité

Et plus loin :

Le Congrès HR est le reflet d’une fonction RH en mouvement. Ou plutôt, en marche !

Après la publication de plusieurs appels à venir perturber l’événement, provenant notamment d’acteurs du mouvement actuel contre la Loi Travail 2, Arcanéo a fait machine arrière. Sa plaquette de présentation a visiblement été envoyée au pressing pour un nettoyage express, et en est ressortie quelque peu rétrécie. Dans la version disponible actuellement sur le site de l’événement, le passage sus-cité a été tout bonnement supprimé. De même que toutes les références au président Macron. Muriel Pénicaud n’est plus présentée comme une « invitée de marque », ni même comme la « DRH de l’entreprise France » (termes que l’on retrouve dans l’ancienne version, que nous avons sauvegardée ici). Alors qu’elle devait décrypter « les enjeux des principales mesures de la réforme du code du travail et les étapes-clés de leur mise en oeuvre », il n’en est plus question. Mais elle nous parlera quand même, désormais, des « prochaines réformes de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage ! »

Des changements qui ne suffiront certainement pas à apaiser les opposants au Congrès.

Annonce de perturbations

Le 21 septembre, Mediapart relayait une tribune intitulée « Pénicaud au Pré Catelan, le bois de Boulogne aux fainéants ! ». Ses auteurs et autrices trouvaient un peu fort de café que, le lendemain d’une nouvelle journée de manifestation, Muriel Pénicaud vienne trinquer avec les DRH des grandes entreprises françaises. Pour fêter « leur victoire définitive sur les pauvres, loin des regards importuns qui suffisent à vous gâcher les petits fours ». Selon eux/elles, cette « provocation » mérite, si ce n’est un déchirage de chemise, au moins une irruption.

La tribune en profite par ailleurs pour rappeler pourquoi, au delà des circonstances présentes, tout le monde déteste les DRH :

Il y a chez tout DRH quelque chose de spécialement détestable, et cela commence par le fait de feindre de se soucier des humains quand son seul souci porte en réalité sur leur soumission et leur rendement. L’exploitation n’aime pas qu’on l’appelle par son nom. Très tôt, dès les années 1930, elle a préféré que l’on parle de « Relations humaines » plutôt que d’« Organisation scientifique du travail », qui sentait trop la schlague. Les voici, un demi-siècle plus tard, métamorphosés en « directeurs des Ressources humaines » - des sortes de jardiniers de la jungle entrepreneuriale dont le seul souci serait de nous aider à réaliser notre potentiel, à nous libérer, à saisir les opportunités, à développer durablement notre capital humain.

Et les historiennes/syndicalistes/sociologues et autres militants, signataires de cet appel de deviner, chez cette classe managériale, une « folie des grandeurs » : « parce que l’un des siens est devenu président, elle s’imagine que le pays lui appartient. Parce que Macron est au pouvoir, elle se croit devenue hégémonique. »

Et de conclure par une invitation : « Organisons-nous pour ne pas subir le futur qu’ils nous préparent. Organisons-nous pour faire leur fête, le 12 octobre, aux DRH et à Pénicaud. »

L’envie de venir jouer les pique-assiettes au congrès des DRH s’est précisée ces derniers jours. Notamment via un « évenement » publié sur Facebook par l’Union Syndicale Solidaires. Le RDV est désormais donné :

Alors, comme c’est le bois de Boulogne, nous, on a décidé de déclarer ouverte ce matin-là, 12 octobre, à partir de 8 H, la chasse au DRH. L’idée est de les empêcher d’arriver au Pré Catelan puis de les empêcher d’en repartir chacun à sa manière, et si possible de goûter aux petits fours… 

Un site internet a même été créé pour l’occasion :
http://chasseauxdrh.com/

Un site qui rappelle, qu’alors que les militants promettaient de s’organiser contre la tenue du Congrès HR divers textes venaient réaffirmer les enjeux entourant le RDV du Pré Catelan.

Idéologie managériale

Enjeux pour l’Entreprise, d’abord. Ainsi Frédéric Lordon rappelle dans un article publié sur le site du Monde Diplomatique le caractère « politique » d’un tel congrès :

On y pense l’homme et la vie, ni plus ni moins. Évidemment sous l’hypothèse directrice que l’entreprise est la vie, épuise la vie. Bien sûr on se récrie, on proteste du souci de l’« équilibre des collaborateurs », de la « préservation de leur vie personnelle ». Las, il suffit d’un malencontreux lapsus calami pour ruiner tous les efforts de la dénégation : « Concilier vie professionnelle et professionnelle pour attirer les talents », annonce un atelier du 11 octobre après-midi. Patatras… 

Lui aussi considère (au-delà de l’édito-ode à Macron, et de la présence de Muriel Pénicaud) que « leur Congrès rencontre l’époque comme jamais, et même qu’il en donne l’idée pure. » :

Que l’entreprise soit la vie, et la société une entreprise, c’est le sens le plus profond du macronisme. […] Car sous la pellicule fine des ultra-riches, du reste probablement indifférents à cette insane bouillie verbale, s’ils n’en rient pas eux aussi — mais autrement —, il y a toute la petite troupe électorale des wanabees qui, eux, s’y croient à fond. […] On n’aurait pas d’obstacles à ce qu’ils restent entre eux […] Le problème est que ces débiles ont la forme de vie agressivement envahissante, et qu’ils ont même pour projet d’y mettre tout le monde : ils se sont d’ailleurs donné un président pour ça.

Or, puisqu’il est sera question là-bas, moins de travail, de performance, de compétitivité, de productivité, mais tout bonnement de « vie », Frédéric Lordon tient à préciser que :

Quoiqu’ils nous fassent énormément rire, il faut tout de même leur dire que leur vision de l’homme, de la vie et de la société nous est parfaitement répugnante.

C’est Emmanuel Dockès, toujours dans Mediapart qui s’est chargé de résumer cette « vision » managériale de « l’homme ».

Il pointe d’abord lui aussi l’importance de l’événement. Parce qu’il est n’est pas un rendez-vous de grands dirigeants, mais un simple rencard de tailleurs et de chemises bleu-ciel, on n’y parlera sans pudeur :

Il ne s’agit pas d’une réunion de grands capitalistes […] Cette nouvelle noblesse, que Tocqueville déjà annonçait, se sait impopulaire. Elle préfère rester discrète. Il ne s’agit pas non plus d’un congrès de financiers, de grandes banques d’affaires. On n’imagine pas un tel congrès invitant M. Macron en fanfaronnant « il est des nôtres ». […] Il s’agit d’une réunion de DRH […] Ils ne sont que des exécutants, tenus de plaire à leurs dirigeants. Ils doivent donc parler clair et montrer leurs convictions. Le contremaître parle plus clair que le maître. Le congrès du Pré Catelan s’annonce comme un excellent condensé de l’idéologie managériale.

Or quelle est cette idéologie managériale qui s’affichera ce 12 octobre au Bois de Boulogne ? Et quels sont ses moyens ?

La volonté d’agir sur le « collaborateur » dans toutes ses dimensions, y compris ses relations affectives, ses désirs, ses émotions (son « intelligence émotionnelle »). Ce qui suppose un contrôle et une évaluation permanente, de tous sur tous. […] Cette volonté de contrôle total est exprimée avec bienveillance. Il convient d’aider au « développement personnel » des salariés et de renforcer leur « employabilité ». L’individu que l’on cherche à produire [est] un hyper actif, hyper compétent, dont on peut mesurer « l’engagement, la responsabilisation et l’agilité » et dont il s’agit ouvertement d’« optimiser la performance »

Mais encore ?

Une autre préconisation du management moderne est de pousser le salarié à s’assimiler à son entreprise, par la « confiance », l’« adhésion », la « culture service », et « de nouvelles approches holistiques ». Une stratégie pour ce faire est de masquer les hiérarchies derrière du 360° ou du bas en haut « bottom-up ». La dernière mode est la « transformation de l’organisation avec le modèle start-up », qui revient à créer des équipes ou entités plus petites, auxquelles on accordera une illusion d’autonomie, afin de simplifier l’assimilation. Dans tous les cas, l’idée demeure : le salarié est sommé d’abandonner son égoïsme, pour fusionner dans un tout productif[3]. L’entreprise se rêve tellement convaincante que ses salariés seraient prêts à tout lui sacrifier, spontanément, comme s’ils travaillaient chez eux et pour eux.

Finalement, pour Emmanuel Dockès, le manager gouverne, et inversement. Voici le macronisme :

L’entreprise France doit être efficace, compétitive. Il lui faut des collaborateurs performants, créatifs, dynamiques, compétents, travailleurs, hyper-diplômés, motivés, dévoués, souriants, optimistes et productifs. Ils sont les forces vives de la Nation. Les meilleurs d’entre eux ont une mentalité d’entrepreneur. Il faut « développer le leadership », « transformer l’organisation avec le modèle start-up ».

Rythme

Le 12 octobre est donc l’un de ces rares moments durant lesquels la proximité voire l’identité entre management et gouvernement crève les yeux. Ça c’est le 12 octobre vu du point de vue de l’analyse du pouvoir. Mais que signifie l’opposition à ce Congrès ?

Nous avions relayé ici-même un article intitulé « Les 12. Une proposition de décrochage stratégique. » Qui revient sur l’ambition qui pourrait accompagner la « chasse aux DRH » du Bois de Boulogne.

Le texte recommande en effet, pour le "mouvement révolutionnaire", l’adoption d’un "rythme" propre : "rythme de notre propre surgissement" qui signifie "l’accroissement de notre nombre, de notre consistance et de notre raffinement stratégique." Il appelle encore à se détacher du calendrier gouvernemental. A ne plus espérer faire dévier d’un pouce le rouleau-compresseur élyséen, mais plutôt à penser l’action, la manifestation, « comme fin à elle-même, comme expression libre, affirmative de l’existence d’un parti autonome, destituant, ingouvernable »

Ainsi faudrait-il voir ce 12 octobre comme une "suite" au 12 septembre (première journée de manifestation contre la loi Travail 2) ou comme l’apéro d’un futur 12 novembre :

À nous s’ouvre, cet automne, la possibilité de construire de 12 du mois en 12 du mois, avec l’ensemble des composantes en présence, le rythme de notre propre surgissement, l’accroissement de notre nombre, de notre consistance et de notre raffinement stratégique. À nous d’ouvrir le temps, de poser nos propres échéances, de forcer l’horizon plombé de la contre-révolution techno-capitaliste. 

Suspens

A quoi ressemblera cette « chasse aux DRH » (on fait ici l’hypothèse que le nom de l’événement est lié au fait que le bois de Boulogne fut une réserve de chasse royale) ? Les manifestants empêcheront-ils Muriel Pénicaud d’atteindre le buffet Lenôtre-Sodexo ? Dans quels états seront les shakras de nos managers ce midi-là ?

On le saura en venant au rendez-vous, qui est donné au Bois, jeudi 12 octobre à 8h précise.

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