Une journée particulière à Buenos Aires

Choc partout, justice nulle part
Carnet #4
Jérémy Rubenstein

paru dans lundimatin#413, le 30 janvier 2024

Avec des amis, on se demande si nous ne devrions pas organiser une manif contre Naomi Klein. En effet, La stratégie du choc (2007), qui démontait la manière dont des politiques néo-libéral (ou du capitalisme du désastre) s’imposait suite à des chocs (provoqués ou fortuits) sur la société, semble avoir été pris pour un manuel par le gouvernement de Milei. Un peu comme La Bataille d’Alger de Pontecorvo (1966) a servi de matériel didactique aux forces contre-insurrectionnelles, Klein semble un livre de chevet des barjots au pouvoir.

Et puisque c’est la mode de diriger son courroux vers n’importe qui, pourvu que le groupe ou la personne visé n’ait strictement rien à voir avec la misère qui motive ce courroux, il nous semble judicieux de s’en prendre à Naomi. Il y en a marre de taper sur les plus riches qui, eux, sont responsables et/ou bénéficiaires de la catastrophe en cours. C’est trop simple. Un monde complexe demande d’être sinueux. Outre la complexité réelle du monde, il faut artificialiser la complexité jusqu’à faire disparaître la réalité derrière les phantasmes les plus absurdes -qui seuls doivent régir nos choix. Nous tâchons ainsi de nous adapter à l’ère du temps. Avec un peu d’entraînement, nous devrions bientôt trouver des étrangers, des « migrants », sur qui se défouler pour les coups reçus par le FMI et quelques milliardaires. Il ne s’agirait tout de même pas de rendre les coups à qui de droit.

Bref, nous sommes en pleine stratégie du choc. Ça va vite, urgence partout. C’est confus, confusions savamment entretenue et confusions foutraques se confondent dans un même brouillard. Et il y un plan de transformation radicale du pays. Milei ne l’a pas caché. Il l’a revendiqué dès son discours d’investiture : « il n’y a pas d’alternative à l’ajustement et il n’y a pas d’alternative au choc », sous les hourras de ses supporters venus sur la place du Congrès. Oui, c’était probablement la partie du discours la plus applaudie par des gens qui, pour la plupart, allaient, vite, très vite, se prendre ce choc dans la gueule. Et, contrairement à ce qu’ont affirmé les médias plus ou moins affiliés au kirchnérisme, la place était bien remplie ce jour-là, pas comble mais il y avait foule.

10 décembre 2023 (investiture de Milei), Plaza de los Dos Congresos. Il y a beaucoup de Brésiliens, probablement des touristes (profitant d’un taux de change qui leur est très favorable) trop heureux de revoir leur héros Bolsonaro. Une famille de blonds brésiliens, avec l’enfant qui porte un t-shirt à l’effigie du « lion » Milei. Une famille ordinaire, fière d’être là, à quelques centaines de mètres de leurs idoles, Milei et Bolsonaro. Nous marchons à quelques mètres de distance, sur une rue adjacente de la place ; leurs paroles enjouées, leurs pas trottinant, leur gamin bombant le torse afin de cacher sa petite bedaine de marcassin. Tout m’insupporte chez ces gens. Blonds porcins, blond allemand, blond brésilien. Ça sue le fascisme ordinaire, ça sent le grand-père arrivé par la ratline. La fierté fasciste, sûr de son bon-droit bourgeois. On est allé voir Milei-Bolsonaro comme on est allé, l’année passée, voir Mickey Mouse à Orlando. Ha, non, pardon, j’oubliais, Disney est désormais woke et trop gauchiste. Gageons qu’ils trouveront rapidement un parc d’attraction pour nazillons, où les sirènes ne risquent pas de devenir noires car, c’est bien connu, dans la réalité les sirènes sont blondes. La réalité de Trump. La réalité de Bolsonaro. La réalité nazie. La réalité de cette famille ordinaire. La réalité des sirènes blondes et des chiens clonés de Milei. De la fiction à la dystopie, sans transition.

24 janvier 2024. Finalement, à l’instar de nombre de très bonnes idées qui nous passent par la tête et animent nos joyeuses rencontres, nous oublions celle d’un cortège anti-Noami Klein. Et le 24 janvier, notre petit groupe se disloque dans l’immense mobilisation populaire. Il a des centaines de milliers de personnes sur la majestueuse avenue de Mayo et l’immense Plaza de los Dos Congresos, débordant toutes les rues adjacentes. Impossible de se retrouver là-dedans et peu importe. Il y a un entrain, une respiration, à voir autant de monde, sur une place qui ne s’était probablement pas autant remplie depuis les grandes mobilisations féministes (la marée verte). On entend ici et là, le slogan de l’été : « la patria no se vende, la patria no se vende » (la patrie n’est pas à vendre). J’entends une brève tentative d’imposer le plus entrainant, vulgaire et ironique

Che peluca compadre, la concha de tu madre.
Nos cagamos de hambre, nos mandas a la yuta.
Te coges a tu hermana, sos un hijo de puta
(hé, Perruque, mon pote, la con de ta mère
On crève de faim et tu nous envoie la flicaille
Tu niques ta sœur, t’es qu’un fils de pute)

Même pour les standards argentins plutôt larges dans ce domaine, ce petit cantique, qui s’est imposé environ une semaine après l’investiture de Milei, est assez vulgaire. D’autant que, depuis quelques années, la traditionnelle insulte hijo de puta a été remplacé par la plus justifiée hijo de yuta (fils de flic). Le cantique est néanmoins souvent repris avec humour en référence à la coupe exubérante de Milei et à des rumeurs sur sa vie sentimentale.

Bien sûr, aujourd’hui il n’est pas question du « A dónde está, que no se ve, esa famosa CGT » (Où est-elle ? on ne la voit nulle part, cette fameuse CGT), slogan réapparu lors des premières manifestations contre Milei à partir du 20 décembre. (Le slogan s’était imposé lors de la présidence de Macri, pour souligner la placidité de la CGT face aux attaques du gouvernement contre le droit du travail). Globalement, les dirigeants de la CGT sont très peu combatifs, sauf quand leur contrôle sur la gestion de caisses est menacé, comme c’est le cas actuellement.

Par ailleurs, la CGT néglige totalement le travail précaire et informel (qui représente près de la moitié des travailleuses et travailleurs), si bien que nombre de travailleurs considèrent que la centrale ouvrière ne protège que la toujours plus mince « aristocratie » du travail formel. Historiquement, la CGT est appelée la « colonne vertébrale » du péronisme et ses dirigeants sont pratiquement inamovibles. Le cas le plus caricaturale est probablement Armando Cavalieri, en poste depuis 1985 (à la tête du syndicat des employés de commerce et service). Dès les premiers jours du gouvernement Milei, il s’est montré très favorable à la collaboration avec les nouveaux venus. Cela ne peut guère surprendre, en 1987 déjà il considérait les carapintadas (des militaires d’extrême-droite soulevés) comme de « bons gars qui souhaitent être entendu ». On ne peut pas lui reprocher de manquer d’une certaine cohérence dans la durée. (Bien sûr, mon appréciation sur les dirigeants de la CGT ne vaut pas, pas du tout, pour les délégués syndicaux qui luttent au quotidien, en prenant souvent des risques face à la violence patronale).

Bref, quand les « gordos de la CGT » (ce sont exclusivement des hommes aux panses très généreuses) sortent de leur léthargie, c’est un grand événement. (Ils n’ont d’ailleurs pas appelé à la moindre grève durant les quatre ans de gestion du président -péroniste- antérieur. Les raisons n’ont pourtant pas manqué, c’est un euphémisme). Ce 24 janvier, ils sont là, grève générale et manifestation devant le Congrès. Et, sans conteste, c’est impressionnant. Bien sûr, des centaines d’organisation de tous ordres (d’artistes à locataires, en passant par la recherche et à peu près tous les métiers non affiliés à une centrale syndicale) se sont agrégés à la mobilisation. Nombre de personnes qui ne viennent jamais à une manifestation sont là. Mais, indéniablement, le caractère massif de la mobilisation provient des mots d’ordre de la CGT.

« Opposition »

Mais, au fait, où sont les représentants de l’opposition ? Dans un précédent envoie, je rapportais un peu la gouaille populaire qui spéculait pour savoir sur quelles plages se prélassaient les fiers dirigeants péronistes, au verbe haut et enflammé, aux postes bien rémunérés (rémunérations souvent arrondies par des pot-de-vin et détournements) durant leurs gouvernements. Si, pour la plupart, ils ne sont pas encore réapparus (écumer les plages et les boites à la mode demande du temps), l’un d’entre eux résume assez bien ce qu’on peut attendre d’une bonne part d’entre eux. Daniel Scioli était le vice-président de Nestor Kirchner (2003-2007), puis gouverneur de la Province de Buenos Aires jusqu’à ce qu’il soit choisi comme candidat péroniste face à Mauricio Macri pour les présidentielle de 2015. En 2020, le président Alberto Fernández lui a offert un poste prestigieux et au centre de nombreux agro-business régionaux : ambassadeur au Brésil. Javier Milei l’a confirmé dans son ambassade. Puis, cette semaine, il est question qu’il intègre le gouvernement, en ministre du tourisme et de l’environnement. No pasaran mais si le fascisme passe quand même on trouvera bien un poste dans son administration.

Milei, entre fébrilité et pleins pouvoirs

26 janvier. Un ministre est renvoyé. D’après les journaux, Milei l’a jeté parce qu’il aurait filtré ses propos lors d’une réunion où il a promis que les gouverneurs des provinces n’auraient plus un rond s’ils ne soutenaient pas son projet de loi (toujours la fameuse « omnibus »).

Ça sent surtout la fébrilité. La manifestation de mercredi était massive. Ce n’était que la première et elle était pacifique. Les gordos de la CGT ont montré leur force. Ils peuvent très facilement rééditer la mobilisation, et tout aussi facilement décider que, cette fois, ça casse. Si une telle chose arrivait, tout le marketing sécuritaire du gouvernement s’écroulerait en une journée. Leur fameux « protocole anti-piquete » (qui voudrait, entre autres, que pas une rue ne soit coupée) dont ils nous rebattent les oreilles depuis leur arrivée était déjà une farce mercredi, complètement débordé par les centaines de milliers de personnes. Milei doit bien se douter que si un affrontement, du type de celui qui avait opposé des milliers de manifestants aux policiers en décembre 2017 (« réforme » des retraites sous Macri), a lieu prochainement, plus personne ne croirait à ses postures de cador.

Alors, peut-être que Milei voulait jeter un ministre pour se sentir Trump (you’re fired !). Ou peut-être que c’est quelqu’un de nerveux. Mais c’est sûr qu’il a de quoi s’inquiéter.

26 janvier au soir. Les journaux annoncent que le gouvernement supprime de son projet de loi tout le volet fiscal. Fébrile, c’est sûr. Mais ça ne veut pas forcément dire que sa tronçonneuse s’est enraillée. C’est plutôt qu’il commence à comprendre qu’il y a quelques pouvoirs institués (CGT, gouverneurs des provinces) contre lesquels il ne serait pas le premier gouvernement à se casser les dents. Ce n’est pas très rassurant car, vue la psychologie de ces gens-là, ils vont se retourner avec plus d’acharnement encore contre tous les secteurs moins puissants.

En attendant, l’image de rouleau-compresseur du gouvernement a totalement éclaté en un mois et demi. Il roulera et compressera tant qu’il pourra mais seulement jusqu’où il pourra. Les résistances, populaires et de pouvoirs institués, peuvent l’arrêter.

Au niveau législatif, désormais, le cœur de la bataille sera les pouvoirs « extraordinaires » que la loi omnibus souhaite octroyer au président. Au départ, ce volet du projet de loi lui permettait de légiférer par décret dans à peu près tous les domaines pendant l’ensemble de son mandat (deux ans renouvelables, disait le texte). Salut le Parlement, on se revoit dans quatre ans. Cette position maximaliste (que personne ne pouvait croire qu’elle serait adoptée, pas même eux) a été revue à la baisse, dans une tactique classique de faux débat commercial (je te demande cent pour obtenir dix). La mouture actuelle réduit le temps des pleins pouvoirs octroyés à la présidence à un an renouvelable avec l’approbation du Congrès (dans la version initiale, le président pouvait renouveler ce pouvoir par décret). Ça ne change rien au problème : en un an, Milei aurait toute latitude de faire passer par décrets tout ce qu’il ne sera pas parvenu à faire passer par la loi, et bien au-delà. C’est ce « au-delà » qui n’apparait pas en grosses lettres dans les médias.

Or, en dehors de cette loi infâme, personne ne sait ce que ferait Milei de ces pouvoirs délégués par le Parlement. Théoriquement, l’Argentine fonctionnerait comme une dictature.

Efficacité de l’État

Toute cette histoire d’ultra-libéralisme me renvoie à la schizophrénie prolongée qui m’anime face à l’État. Comme tous les progressistes (ou quelque chose dans le genre), j’ai tendance à préférer un État efficace lorsqu’il redistribue un peu des richesses : l’école, les hôpitaux, etc. Dans le même temps, cette efficacité m’effraie et je suis toujours heureux de constater que rien ne fonctionne. Un État corrompu a la sale tronche d’un flic soudoyé (et à la recherche permanente d’être soudoyé) mais un État non corrompu a celle d’un flic imperturbable dans sa sale besogne. Les interstices de l’inefficacité de ses agents est la meilleure protection contre la machine froide. Vieux débat dans lequel on préférera toujours l’amateurisme du fascisme italien à l’industrieux nazisme allemand.

10 décembre (jour d’investiture de Milei, sur la Plaza de los dos Congreso).

J’ai du mal à saisir ce que scande la place, on dirait l’habituelle Argen-ti-na ! Argen-ti-na ! Mais non, ce n’est pas ça. Ce n’est qu’une fois à la maison en voyant la vidéo que je comprends enfin : Poli-cia ! Po-li-cia ! Comment ai-je fait pour ne pas comprendre sur le moment ? C’était trop surréaliste pour moi, probablement. Maintenant que j’ai saisi, je sais que de Los Angeles à Paris en passant par Buenos Aires, la fracture passe bel et bien par la police. Ceux qui la veulent plus arbitraire et meurtrière, ceux qui refusent que l’uniforme octroie ce pouvoir de vie et de mort. Rien ne pourra jamais nous rassembler.

7 décembre, dans la rue

« Moi, je n’ai jamais beaucoup aimé les militaires. Mais il faut quand même reconnaître qu’à l’époque, la rue était ordonnée ». Femme, environ 65 ans, lifté va-savoir-combien-de-fois

« Mais, ma bonne dame, quand vous enseigniez, les élèves attendaient le professeur debout. Debout, ils étaient ! Si vous saviez, aujourd’hui, ce que c’est… » Homme, environ 50 ans, barbu et tatoué.

22 janvier, la présidence publie un décret pour déclarer 2024 comme « l’Année de la Défense de la Vie, de la Liberté et de la Propriété », si bien que tous les documents officiels émis devront être publié avec l’en-tête « Année de la Défense de la Vie, de la Liberté et de la Propriété ».

Défense de la Vie ? « [Les socialistes promeuvent] l’agenda sanglant de l’avortement » (Javier Milei, 17 janvier 2024, Forum Economique Mondial à Davos).

Le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et la Famille (dépendant de l’inénarrable Ministère du Capital Humain) est un certain Pablo de la Torre. Pédiatre, il occupait auparavant le poste de secrétaire de la Santé et Bien-être familial de San Miguel (département de la Province de Buenos Aires), depuis lequel il organisait le harcèlement des femmes souhaitant avorter, notamment en leur envoyant des messages culpabilisants [1].

De Conan à Schwarzi

Il y a quelques années, dans un texte décrivant la bataille de Yanis Varoufakis (ministre des finances grec du alors gouvernement Tsipras), Slavoj Zizek comparait l’« Eurogroupe » au Parti Communiste Chinois [2]. Il remarquait que les deux entités concentraient des pouvoirs exorbitants mais n’avaient pas de statut juridique. Le philosophe slovène citait He Weifang, un juriste chinois qui expliquait :

« le Parti, comme organisation, se situe à l’extérieur et au-dessus de la loi. Il devrait avoir une identité juridique, en d’autres termes pouvoir être l’objet de procédures légales, mais il n’est pas même enregistré en tant qu’organisation. Le Parti existe hors de tout système juridique. »

Dans ces conditions, rapportait Zizek, le ministère de la Justice avait répondu à un dissident chinois, voulant poursuivre le PCC pour le massacre de Tien An Mien (de 1989), qu’aucune organisation appelée « Parti Communiste Chinois » n’était officiellement registré, si bien que le ministère ne pouvait faire suite à la demande.

Le gouvernement argentin semble s’être doté d’une telle entité inexistante. Ou, plus exactement, d’un personnage sans statut mais omniprésent et dont le pouvoir, à n’être nulle part, est partout.

Le 20 décembre, dix jours après son investiture, Javier Milei a réalisé sa première déclaration publique, dans une vidéo préenregistrée d’une quinzaine de minutes devant être retransmise par toutes les chaînes de télé. Ce genre d’exercice est d’habitude aussi convenu et martial en Argentine qu’en France : un président face caméra, avec un ou deux drapeaux au dos, qui débite ce qu’il a dire. Hymne national et puis s’en va.

Sauf que Milei s’est bizarrement entouré de tous ses ministres, restés cois durant toute la lecture du président. Ainsi, il trône à son bureau, avec huit ministres -dont deux femmes (une troisième ministre est absente [3])- assis et quatre debout. Probablement, l’idée marketing était de donner plus de solennité et afficher une unité pour un acte fondateur. Bien. Mais, dans cette scène déjà inhabituelle, une bizarrerie saute aux yeux : tous, président compris, ont des costumes sombres, sauf un qui fait littéralement tâche avec sa veste claire décontracté, grise tirant vers le bleu. Debout à la gauche du président, il cache une partie du drapeau, il a les mains, non croisées comme ses collègues mais sereinement jointes tel un bouddhiste. J’ai dit « comme ses collègues »… Mais, en fait, non. Précisément, ce monsieur n’est pas ministre et n’a aucune charge officielle. Il est là, voilà tout.

Federico Sturzenegger est le nom de ce monsieur à la veste claire. Personne ne parvient à prononcer son nom, si bien que ce sera Schwarzenegger (et, par commodité rédactionnelle, on en restera à Schwarzi, ce qui nous laisse dans le registre de Conan -le chien et premier conseiller du président-). Schwarzi, donc, n’est pas un inconnu de la politique, de la haute administration et de la haute fraude financière argentines. Il y vit depuis les années 90, passant de la direction d’entreprises publiques à des postes ministérielles, puis à la tête de la Banque Centrale sous Macri. Et, donc, le revoilà aujourd’hui, désormais sans poste. D’autant plus puissant qu’il est sans poste.

D’après Pagina 12, Schwarzi rêve de devenir écrivain. En attendant, on lui attribue l’écriture des œuvres de terreur que sont le DNU et la ley omnibus. Toute la presse s’accorde sur ce point, c’est lui qui aurait rédigé ces deux textes qui obnubilent le pays depuis un mois (à raison, puisque leur application signifierait un changement radical de la forme de vie à travers, notamment, une extension sans précédent du pouvoir des grandes entreprises et de l’impunité policière). La violence de ces textes (et leur caractère fourre-tout) est telle qu’ils sont seulement comparés au « Ladrillo » (la Brique) du Chili (le plan économique de Pinochet élaboré par les fameux Chicago Boys).

Qui dit absence de poste, dit absence de procédure. Schwarzi a ainsi inauguré une « procédure alternative » (un peu comme l’alt-right parle de réalité alternative) pour faire passer sa loi. Au lieu que celle-ci se débatte dans les commissions parlementaires, il invite des députés susceptibles de le rallier dans un appartement loin du Parlement. Plus (alternatif) encore, ce que ces députés ont réécrit est un projet de loi déjà amandé en commission et qui doit être présenté au Parlement la semaine prochaine. Une partie des députés « d’opposition » avaient trouvé un accord avec le gouvernement sur un texte légèrement retouché, d’autres sur un texte changé (non pas en profondeur mais avec l’abandon d’un nombre substantielle d’articles). Ce projet (lequel ? Le premier ou le second ?) devrait donc être présentée à l’Assemblée (plénière). Mais, entre temps, le texte a été revu en lousedé, en dehors des commissions (et de toute procédure légale), si bien que personne (hormis, peut-être, eux) ne connaît la teneur du texte.

Vous n’y comprenez rien ? C’est normal, c’est le but. Personne n’arrive à suivre. Ouragan Naomi Klein. 

Paradoxalement, ce boxon procédural, suivi frénétiquement par les médias (breaking news, toutes les cinq minutes) qui ajoutent à la confusion déjà extrême, éclaire très bien la stratégie de Schwarzi.

Celle-ci consiste à faire en sorte que personne ne soit en capacité de connaître la teneur de l’ensemble du texte de loi, et encore moins d’avoir le temps d’en discuter chaque article. Dès le début, l’épaisseur du texte et la très grande variété des thèmes abordés ont fait des « débats parlementaires » une vaste plaisanterie. Si, dans le meilleur des cas, les députés auraient eu le temps (et l’envie) de lire ce pavé, ils et elles n’auraient de toute façon que cinq minutes de parole réglementaire pour donner leur avis. Pour se donner une idée depuis la France, ce serait comme si on plaçait les lois dites « émigration », « travail », « réforme des retraites » et « sécurité intérieur » dans un même paquet. Vous avez cinq minutes pour nous dire ce que vous en pensez.

Jérémy Rubenstein
Photos de Anita Pouchard Serra


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[3Il s’agit de la ministre des affaires étrangères, Diana Mondino, alors en déplacement en France, un pays qui se montre particulièrement aimable avec la nouvelle administration argentine. Mondino est l’une des ferventes défenseuses de la vente libre des organes humains. Elle s’est aussi dite favorable à la liberté de choisir sa sexualité mais considère que choisir l’homosexualité c’est comme « choisir de ne pas se laver et d’avoir plein de poux. Après, ne te plains pas si quelqu’un n’aime pas les poux ». On peut faire confiance en l’aimable diplomatie française pour faire remarquer que madame Mondino n’a pas directement appelé à éliminer les poux ni les pouilleux.

J’essayerai de revenir dans un prochain envoie sur la « diplomatie » du gouvernement qui a déjà retiré l’Argentine des BRICS (alors que le pays venait à peine d’y obtenir son siège). Pour expliquer cette décision (absurde et coûteuse), la chancelière Mondino a avancé : « C’est une question de simplification, d’utilisation du temps. Si vous participez à toutes ces organisations, quand travaillez-vous ? ».

Quelques heures plus tard (après l’écriture des lignes précédentes), à propos de diplomatie, Javier Milei a traité le président colombien Gustavo Petro de « communiste assassin ».

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