Une journée particulière à Buenos Aires

Carnet #1
Jérémy Rubenstein

paru dans lundimatin#410, le 8 janvier 2024

Nous avons déjà publié de nombreux articles sur Javier Milei [1], cette figure improbable de « premier président liberal libertarien » argentin. Par-delà l’excentricité du personnage et la stupéfaction quant à son élection, reste la question de savoir s’il parviendra à « réformer » le pays par une cure d’hyper austérité et de représsion. Alors qu’il a déjà promulgué un « mégadécret » qui abroge ou modifie plus de 300 articles et transmis au congrès un projet de loi de 183 pages, la dernière inconnue reste l’opposition de la rue malgré des mesures repressives inédites (3 ans et demi de prison ferme en cas de blocage de la circulation, suspension des aides sociales pour celles et ceux qui manifestent, proposition de faire payer la charge du maintien de l’ordre aux organisateurs, etc.) Pour y voir plus clair et appréhender le temps long, Jérémy Rubenstein [2] nous propose de tenir, depuis Buenos Aires, un carnet régulier qui racontera le quotidien argentin. En voici le premier volet.

Le cercueil d’Herminio Iglesias

Parmi les vérités journalistiques invérifiables, il est dit que la campagne électorale de 1983 s’est jouée sur un symbole. Un cercueil en carton aux couleurs, blanc et rouge, de la UCR (le parti radical) est brûlé par Herminio Iglesias, lors du dernier acte de campagne des péronistes. Iglesias est alors le candidat pour gouverneur de la Province de Buenos Aires. Par cet acte, ou performance, il confirme tout ce que le candidat du parti adverse, le radical Raul Alfonsín, ne cesse de suggérer : le péronisme représente la violence dont le pays souhaite sortir. Ce sont les premières élections après sept ans de la dictature la plus sanglante du XXe siècle argentin et une quinzaine d’année durant lesquelles la violence explicite a occupé une place centrale dans la politique.

La société ne veut plus de cette violence, elle rejette l’acte d’Herminio Iglesias.

Vrai ou pas, c’est ainsi que se raconte l’histoire, qui résonne étrangement avec la campagne de 2023 durant laquelle le vainqueur s’est présenté comme un amant de la tronçonneuse, avec laquelle il compte déchiqueter toutes les conquêtes sociales et les services de l’État. La violence du symbole place le pauvre cercueil en carton de 1983 au rayon des joujoux inoffensifs.

En 2023, la violence est un spectacle de consommation massive, sans laquelle la campagne manquerait de sel. L’électorat s’électrise au son de la tronçonneuse, l’imaginaire du massacre provoque une attraction morbide. Et massive, ce sont tous les secteurs de la société, riches et pauvres, blancs et noirs [3], ceux qui se pensent « classe moyenne » comme ceux qui se vivent relégués. La grande communion au son de la tronçonneuse et d’une chanson emblématique de la Grande Révolte de 2001 : Se viene el estallido.

Un 2001 inversé

« Se viene el estallido ! ha ! ha ! ha ! » chantait Bersuit Vergabarat dès 1998, dans un rock saccadé qui annonçait littéralement une explosion sociale générale (« l’explosion vient ! Elle vient de ma guitare. Et de ton gouvernement, aussi »). Les artistes ont exigé de Milei qu’il retire leur chanson de sa campagne. Il n’en a eu cure et elle a été la bande son de sa marche électorale triomphante. Le champion du droit de la propriété s’est approprié d’une œuvre protégée par le droit à la propriété.

Peu lui importe les actions judiciaires menées par les propriétaires, Milei a besoin des symboles de la gauche. Alors, il les prend. Le droit de la propriété s’arrête où commence la liberté du candidat libéral. Les symboles de sa droite sont inutilisables, personne ne croît à un ruissellement annoncé dès le coup d’État au Chili en 1973. Cela fait maintenant cinquante ans qu’ils annoncent un ruissellement des richesses. Leur promesse est celle d’un parti communiste soviétique d’un lendemain socialiste. Demain n’arrive jamais. La seule chose qui croît et se répand c’est la distance entre la réalité et ce qui est dit. L’URSS était devenue experte en propagande routinière. Notre monde a désormais pléthore de cabinets de conseils et publicitaires travaillant à distordre chaque fait et tout ce qui nous arrive ; nous convaincre que ce qui nous arrive ne nous arrive pas et que, si ça nous arrive, ce n’est certainement pas au profit de quelques milliardaires.

La chanson de Bersuit n’était pas un hymne à la liberté de Milei. C’était tout sauf ça.

Ma génération, mes amis, est née politiquement en 2001. Elle est née au son de Bersuit. Et, chez elle, si l’oppression était déjà identifiée à l’État, elle était aussi et surtout aux grandes entreprises, au FMI et à tout ce qui maintient les riches où ils sont (dans des quartiers privés et protégés par de hauts-murs). El estallido, pour ma génération, ce fut des coupures de route afin d’ouvrir de nouveaux chemins, des assemblées populaires fleurissant dans chaque quartier, des entreprises récupérées par qui y travaille. Une effervescence culturelle dans des théâtres qui ne payaient plus le loyer, des squats, des œuvres nées dans la rue, pour la rue, contre les pouvoirs, tous les pouvoirs.

Pour Milei et les siens, l’oppression c’est l’État, rien que l’État. L’État compris de la manière la plus abstraite et caricaturale qui puisse être imaginée. Pas une machine complexe et souvent contradictoire, juste le mal à abattre afin de « libérer » les plus puissants de toute entrave dans leur écrasement des autres.

L’État c’est mal, Elon Musk c’est bien.

Si vous voulez des subtilités, des analyses nuancées, ne vous intéressez pas à l’Argentine actuelle. Rien n’y est caricaturale car la caricature se confond avec la réalité, elle en est la norme. Tout ce qui viendrait nuancer le propos ne ferait que déformer la grossièreté de ce qui nous arrive.

Gouverner par des chiens ou les forces du ciel

Depuis le 10 décembre (investiture présidentielle), si on écoute Javier Milei, il y a un doute quant à savoir qui dirige l’Argentine : tantôt il invoque ses chiens tantôt les forces du ciel.

Les chiens sont assez bien identifiés, ils sont au nombre de quatre et, outre Conan -en hommage au barbare-, ils portent des noms sortis du panthéon de Milei : Milton (Friedman), Murray (Rothbard) et Robert Lucas. Considérant que le alors candidat Milei affirmait avoir pour principaux conseillers ces chiens qui seraient clonés du premier Conan (décédé en 2017), on peut estimer que les mesures présidentielles proviennent de leurs aboiements.

Curieusement, peu de partisans de Milei se sont encore inquiétés du fait qu’il doive se séparer temporairement de ses chiens, laissant le pays sans conseillers présidentiels. En effet, Milei doit prochainement s’installer dans la résidence présidentielle (Quinta de Olivos), dont les murs ont besoin d’un renforcement pour recevoir les mastiffs (chacun pesant entre 70 et 100 kilos). Or, a confié Milei, pour effectuer ces travaux il manque des matériaux d’importation. Ceux-ci ne seront disponibles que lorsque ses mesures économiques (ultra favorables à l’importation) auront pris effet. Résultat : Milei sera sans ses chiens durant quelques semaines.

Néanmoins, en l’absence des conseillers canins, le président peut avoir recours aux « forces du ciel ». En effet, depuis le premier jour d’investiture, Milei les invoque sans cesse, tantôt elles accompagnent l’Argentine, tantôt sa gestion, souvent les deux confondues. A la différence des chiens, il n’y a guère de précisions disponibles sur ces forces, dont on ne connaît ni les noms ni les orientations politiques ou autre. Probablement les polythéistes se réjouissent-ils que ces forces soient plurielles mais il est encore impossible de dire si elles sont d’ascendances égyptiennes, romaines, mayas ou autres.

Tout au plus peut-on supputer que, à l’instar des empereurs romains souvent divinisés de leurs vivant, Milei et ses proches fassent partie des forces du ciel. En effet, ce 4 janvier, saluant la nomination de José Luis Espert à la présidence de la commission parlementaire pour le Budget, Milei lui a lancé un « bienvenu aux forces du ciel » sur le réseau social de monsieur Musk. La formulation laisse penser que son une équipe fait partie des forces du ciel, que le député Espert a rejoint. On peut donc raisonnablement penser qu’au moins une partie des forces du ciel sont des personnes vivantes résidant sur Terre. A moins que la promotion célestielle du député Espert ne doive rien à son caractère d’être vivant mais à son ultra-libéralisme tendance brune. Il y a quelques semaines, José Luis Espert offrait deux alternatives à des députés trotskystes : « la prison ou une balle ».

La manifestation du 20 décembre

Avant d’être un temps d’effervescence politique et culturelle, 2001 a été un massacre : 39 personnes tuées par la police les 20 et 21 décembre, suite à l’État de siège décrété par le président Fernando De La Rúa. Les manifestants défièrent l’interdit, la police tira dans le tas. Alors chaque 20 décembre, on commémore nos morts (et on fête la piteuse fuite de De La Rúa, obligé de s’échapper en hélicoptère du palais présidentiel cerné par les manifestants).

Ce 20 décembre est un peu particulier. A dix jours de l’investiture de Milei, la commémoration de 2001 apparaît surtout comme un défi au nouveau pouvoir. Habituellement, rien de plus banal que se rendre sur la Place de Mai où convergent toutes les manifestations de la capitale (en temps normal, il peut y en avoir jusqu’à trois dans la même journée ; s’il y en a, les organisateurs sont souvent obligés de s’arranger entre eux afin que chaque manif puisse avoir son temps sur la place sans être confondue avec la précédente ou la suivante). (Sur la Place de Mai, outre le palais présidentiel, il y a la cathédrale et le cabildo -siège de pouvoir colonial avant l’Indépendance- ainsi que le siège historique du Banco Francés -désormais BBVA- ; c’est-à-dire que, symboliquement, tous les pouvoirs institués s’y trouvent).

Cette fois, les jambes sont un peu flageolantes. Les jours précédents, avec ma compagne, on s’est décidé à y aller, puis à ne pas y aller. Un jour j’avais peur, l’autre jour elle avait peur, chaque jour passant nous convainquant de ne pas se laisser gagner par cette peur. Et, le jour venu, nous nous y sommes rendu à pied, les pieds lourds.

La peur

Cette trouille ne venait pas de nulle part.

Le 14 décembre, 4e jour après l’investiture de Milei, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullirch [4] a, dans une vidéo d’une vingtaine de minutes, annoncé son « protocole de sécurité ». Cette première déclaration dédiée à la « sécurité » n’a pas abordé le trafic de drogue, ni même la délinquance, petite ou grosse. Elle était entièrement dédiée à la répression des mouvements sociaux.

Les priorités du gouvernement sont ainsi claires. D’abord les mouvements sociaux ensuite, peut-être, la délinquance. Pas la moindre hypocrisie habituelle de « guerre à la drogue » ou autre conte à dormir debout. Quant à la délinquance en col blanc, elle n’existe pas. En effet, nombre de mesures sont prises pour la légaliser, depuis payer le travail domestique au noir jusqu’à l’évasion fiscale en passant par construire sur des terres récemment brûlées (mesure qui serait, d’ailleurs, plutôt une incitation à les brûler afin de spéculer sur ces terres). Par définition, ce qui est légalisé ne relève plus de la délinquance, si bien que les brigands en col blanc ne sont pas des délinquants sous Milei.

En Argentine, qui dit mouvements sociaux dit piquete (coupure de route ou de rue). Il s’agissait donc de présenter un « protocole » contre les piquetes. Contre les personnes qui signalent une injustice en empêchant la circulation.

Dans ce cadre anti-piquete, le discours de Bullrich évoque des « otages » qui seraient les enfants présents dans ces mouvements sociaux. Dans sa bouche, ces enfants deviennent des « boucliers humains ». Il n’est bien sûr pas question de considérer que les parents n’ont pas de baby-sitters, cette question ne se pose pas chez les gens du gouvernement. Un peu comme un dirigeant israélien qui justifie son massacre d’enfants en affirmant que ceux-ci ont été placés dans la trajectoire de ses obus par leurs parents, le piquetero userait de ses enfants pour nuire à l’image de la répression. Les enfants nuisent à la bonne réputation de qui les tue.

Allant un peu plus loin dans la logique de ce vocabulaire abject, Milei a considéré les protestations contre ses mesures comme le symptôme d’un « syndrome de Stockholm ». En effet, si vous êtes assez aliéné pour ne pas saisir que ces mesures sont un moyen de vous libérez de vos chaînes, vous défendez votre geôlier. Les chaînes étant les conquêtes sociales. Aussi logique que stupide.

Ici encore, avec l’image du « syndrome de Stockholm » (que bien des journalistes ont adoré et repris en cœur), il est question d’otage. Le droit du travail, les aides sociales et les moindres normes de protections des usagers sont considérés comme autant d’entraves qui enserrent les personnes devenues otages. Otages qui plus est atteintes d’un syndrome de Stockholm, puisqu’elles défendent leurs droits. Si bien que Milei a affirmé ne pouvoir rien faire pour ces protestataires puisqu’elles souffriraient d’un désordre psychologique.

Bref, il y avait de quoi craindre une forte répression ce 20 décembre, première manif sous la nouvelle administration.

Une fois sur la Place de Mai, l’appréhension a disparu. Tout y était à peu près normal : des bombos (gros tambours traditionnels des mobilisations), quelques grillades de chorizos, des banderoles, des gens de tous âges se déplaçant d’un cortège à un autre, sous un ciel clair et un soleil cru de début d’après-midi.

Pantalonnades du trottoir et de la facture du service policier

La seule curiosité était une rangée de gendarmes entourés de dizaines de journalistes sur un bord de la place. A les observer quelques minutes, on les voyait un moment sur la rue jouxtant la place, puis monter sur le trottoir, puis de nouveau reculer sur la rue, puis revenir sur le trottoir. Cette étrange danse était probablement le résultat d’une promesse de Bullrich (lors de la présentation de son « protocole de sécurité ») annonçant que plus une rue ne serait coupée. Par conséquent, si manifestations il devait y avoir, elles resteraient désormais cantonnées aux seuls trottoirs, a dit la ministre. Les gendarmes agissaient comme s’ils ne savaient pas si, du coup, il leur fallait éviter de couper la circulation par leur présence ou si cela leur était tout de même autorisé, à eux. La scène était d’autant plus grotesque que la rue était pleine de camions de télévision et de badauds.

Derrière cette scène absurde, il y a plusieurs déclarations, les unes relevant de la fantaisie ultra-libérale, les autres de la répression néo-libérale.

Côté fantaisie, Milei et Bullrich ont lancé l’idée selon laquelle les mouvements sociaux devraient désormais payer de leurs poches les forces de l’ordre venues les réprimer. Ainsi, le ministère de Bullrich a très sérieusement publié la liste des organisations qui devraient payer la facture (60 millions de pesos, environ 65 000€) des dépenses des services policiers pour cette mobilisation du 20 décembre. Malheureusement, le ministère est un peu à la masse question mouvements sociaux, si bien que sa liste était très approximative avec des organisations qui n’étaient pas présentes (notamment péronistes qui ne commémorent pas le 20 décembre) et d’autres dont personne ne connaît l’existence.

Aussi, pas mal de monde a demandé au ministère de nous raconter un peu qui fait partie de ces organisations qu’il a inventé et de nous décrire leurs revendications et aspirations. De même, on se demande comment il compte se faire payer par une entité sortie de son imagination. Pour les plus libéraux d’entre nous, la question se pose aussi de savoir qui va recevoir l’argent ainsi récolté. En effet, il y a au moins trois forces policières déployées, qui répondent à des autorités différentes : la Police Fédérale, la Gendarmerie et la Police de la Ville. Il serait injuste qu’un coup de matraque offert par un policier de la Ville de Buenos Aire soit facturé par un Fédéral. Dans le même sens, on peut se demander si la disproportion des forces déployées par rapport à la mobilisation ne provient pas d’une erreur de jugement de la PDG des flics, si bien qu’une partie de la facture ne devrait pas être acquitté par Bullrich elle-même.

Cette disproportion relève, elle, de la répression néo-libérale classique. Ici, d’une part, on a vu des dispositifs d’empêchement de se rendre à la manif, tels que ceux auxquels les Français sont habitués depuis au moins les Gilets Jaunes. Ainsi des flics ont interdit à de supposés manifestants l’accès aux trains menant au centre la ville. D’autre part, Milei a menacé les bénéficiaires de minimas sociaux de les leur retirer s’ils se rendaient à la manif. Gestion des pauvres à la baguette et au chantage, comme un peu partout.

Dans un coin de la place, je discute avec un ami, physicien de son état, qui estime qu’il doit y avoir environ 30 000 personnes présentes. Je trouve ça un peu léger au regard de l’exaspération provoquée par ces dix jours de gouvernement Milei et des déclarations plus abjectes les unes que les autres de ses ministres, d’abord celui de l’Économie puis de la Sécurité, qui nous promettent misère et répression. Lui trouve que nous sommes plutôt nombreux pour un 20 décembre où, traditionnellement, ne viennent que les gauches et anarchistes, pas les péronistes. (Beaucoup plus nombreux, ces derniers ne considèrent pas les 20 et 21 décembre 2001 comme une ouverture vers une effervescence populaire avec ses assemblées, ses entreprises récupérées etc, mais comme un effondrement des institutions auxquelles ils sont attachés. Pour eux ou, du moins, pour les péronistes progressistes, c’est 2003 et l’arrivée à la présidence de Nestor Kirchner qui est à célébrer).

Nous repartons de la place avec les jambes plus légères. La peur a disparu. Le soir même, il y a une nouvelle manif, en mode Caserolazo, cette fois devant le Congrès.

Jérémy Rubenstein
Photos : Anita Pouchard Serra


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[2Jérémy Rubenstein est un contributeur régulier de lundimatin, il est aussi l’auteur de Terreur et séduction, Contre-insurrection et doctrine de la « guerre révolutionnaire » (La Découverte). Nous l’avons interviewer sur son livre dans ce lundisoir

[3En Argentine, le terme negro (noir) ne se réfère généralement pas tant à une pigmentation de peau qu’à un statut social, si bien que l’Institut National contre la discrimination, la Xénophobie et le Racisme (organisme d’État connu sous l’acronyme INADI) parle de « racisme socio-économique ». Le projet de loi fourre-tout du nouveau gouvernement (dite « ley ómnibus ») prévoit la suppression de l’INADI.

[4Issue d’une des plus anciennes familles aristocratiques du pays et occupant différents ministères depuis plus de vingt ans, Bullrich est exactement ce qu’une bonne partie de l’électorat de Milei identifie à la « caste » qu’il dénonçait durant sa campagne. Elle était aussi la candidate de la droite plus traditionnelle durant les présidentielles (le PRO, de l’ancien président Mauricio Macri, dont Bullrich était déjà la ministre de la Sécurité). Durant la campagne, Milei a traité la candidate Bullrich de « Montonera assassine » (Montoneros était la guérilla péroniste des années 1970). Cette accusation provient d’une enquête journalistique sur la Columna Norte (une partie de Montoneros) menée par Rodolfo Galimberti, amant de la sœur de Patricia Bullrich. Cette dernière assure que c’était là le seul lien qui l’unissait avec le leader montonero. L’enquête de Roberto Caballero et Marcelo Larraquy, Galimberti. De Perón a Susana, de Montoneros a la CIA (Ed. Norma, 2000) affirme qu’elle faisait pleinement partie du groupe, sans qu’elle n’attaque judiciairement les journalistes pour diffamation. Qu’elle fût de Montoneros ou de la seule Juventud Peronista (mouvement plus ample et non nécessairement armé) comme elle l’affirme aujourd’hui, il est certain qu’elle fait partie de la cohorte d’anciens gauchistes passés à droite avec armes et bagages (pour ne pas dire militarisme et dogmatisme). Et, quoiqu’il en soit, elle n’est pas rancunière : durant la campagne électorale, Milei a aussi dit « C’était une montonera lanceuse de bombe. Elle a placé des bombes dans des crèches » (bien entendu, jamais Montoneros n’a attaqué une crèche). Elle est ministre de Milei qui doit donc estimer que placer une bombe dans une crèche n’est pas rédhibitoire pour devenir la première flic du pays. Dans le monde des vérités alternatives, les mots n’ont aucun poids, aucune conséquence au-delà de la séquence médiatique dans laquelle ils sont professés.

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