Retour sur la bataille du bois de la Cambre

Un 1er avril à Bruxelles

paru dans lundimatin#283, le 12 avril 2021

Du refus d’être considéré comme un martyr.
Après le suspense, l’attente et finalement une journée plus qu’étonnante, quelle ne fut pas ma surprise de lire le récit médiatique des évènements du 1er avril au Bois de la Cambre.

En substance, il est globalement question d’une jeunesse qui aurait subi la rage policière. A grand renfort d’images tragiques, les jeunes présents seraient restés passifs, pacifiques, sans réelle intention de faire face. Les quelques images d’individus répondant à la violence policière sont donc banalisées comme étant des évènements marginaux de la journée, comme s’il était impensable d’imaginer les corps se ressaisir du geste et de la colère. Or il n’en fut rien. Sans doute y a-t-il eu volonté de minimiser les faits de par la présence importante de jeunes issus des classes favorisées, mais ce raisonnement ne nous renvoie pas non plus à ce qu’était la réalité du terrain.

La réalité c’était celle d’une génération qui échappe à nos grilles de lecture dépassées. Cette génération c’est celle qui a grandi tout naturellement avec le monde entier. C’est celle qui, unie autour du rap actuel, ne se fait pas d’illusions périmées. C’est celle qui ne veut plus négocier car on est tous et toutes d’accord que cette époque pue la merde. Cette génération est profondément sensible aux question du racisme, des inégalités et du désastre écologique. Quant à leur âge nous regardions les traditionnels feuilletons de flics et autres « expert machin… » eux se forment culturellement avec Black Mirror, Hunger Games et Snowpiercer. On les prend pour des cons et surtout pour des inconscients nombrilistes, mais dans les faits leur silence est un aveu de dégout. Ne les jugez pas parce qu’ils portent tel ou tel vêtement, parce qu’ils ont un gadget dernier cri ou que sais-je… Allez plutôt vous promener parmi eux et discuter avec eux. Ils parlent de situation de précarité grave et de potes qui se sont suicidés au cours de l’année qui vient de s’écouler. Vous les jugez, les méprisez souvent, mais vous ne savez pas à quel point ils n’en disent rien et pourtant ils en auraient des raisons de répondre à vos sarcasmes. Dès lors ils se réfugient en attendant le bon moment et celui-ci est arrivé l’autre jour sur cette fameuse plaine du lac, dans ce Bois de la Cambre connu de tous les Bruxellois de tous les horizons de la ville.

Il y avait des rebeus de quartier, des féministes aux jambes poilues et du petit flamand comme on dit ici pour catégoriser le jeune blanc des beaux quartiers sans histoire… et alors ? Tout le monde se fichait bien de ces représentations bientôt obsolètes. Le fait est que comme ils le criaient tous et plus fort encore à l’heure de la dérive autoritaire que nous vivons : « tout le monde déteste la police ».

Non ils ne clamaient pas uniquement « liberté » comme l’affirment les médias et le pouvoir. Ils disaient « tout le monde déteste la police » car lorsque Ibrahima, Mawda, Adil, meurent sous les coups d’une police raciste, c’est toute notre ville qui est indignée. Ils l’ont hurlé à pleins poumons, sourire aux lèvres, car n’ayant pas sombré dans l’aliénation, ils savent qui est l’avant-garde de ce pouvoir menteur. Les irresponsables ce ne sont pas eux, mais bien les ordures qui nous ont mis dans cette situation. Les irresponsables ce sont bien ceux qui jouent avec les nerfs d’une génération qui n’aspire qu’à bien faire, sans jamais se plaindre. Dans la gérontocratie totalitaire les rêves se consument et l’espoir est un vain mot. Eux ils ne veulent pas travailler comme autrefois. Eux ils veulent la vie douce et la mort de l’état d’urgence permanent. De l’état de prudence qui sclérose nos sociétés et maintient l’aigreur et la médiocrité au sommet des impératifs. Ils ne lisent pas la presse car une story sera toujours moins mensongère qu’un article outrancier.

Depuis la seconde vague, ces jeunes ont subi un acharnement scandaleux et humiliant de la part de ceux qui n’avaient pas anticipé. Au sortir de l’été et avec le regain de l’épidémie il fallait bien trouver un bouc émissaire pour que les regards ne se tournent pas vers les vrais responsables. Ils ont donc choisi de jeter la jeunesse et ses moeurs légères en pâture. A coup de mesures illégales, selon le dernier jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, ils ont plongé cette jeunesse dans la dépression et la précarité des mois durant, pendant tout l’hiver. Comme si nombre d’entre eux n’avaient pas eux-mêmes perdu des proches à cause du COVID. Imaginez deux secondes avoir perdu un membre de votre entourage et entendre la bronca médiatique vous accuser du meurtre de votre proche ! Mais de tout cela, ils s’en fichent. La jeunesse doit être tenue, matée par les couvre-feu et autres interdictions bêtes et méchantes qui n’ont démontré aucun bienfait sanitaire, puisque nous sommes, semble-t-il, en pleine troisième vague à l’heure où j’écris. Il n’y avait donc dans le déploiement de cet arsenal répressif qu’une volonté cruelle de tuer la vie, mais fort heureusement personne n’est dupe.

Et « la BOUM » arriva ! Même si ça nous énerve d’être perpétuellement catalogué de peuple rigolo, il faut bien le dire : on a ça en nous. Rien ne fait plus vibrer le Belge qu’une bonne blague surréaliste. L’évènement promettait la venue pour le 1er avril des Daft punk à nouveau réunis, de DJ Snake, d’Aya Nakamura et tant d’autres ! Ils allaient tous venir mettre un terme à cette négation de la vie et nous allions le temps d’un instant se retrouver. C’était trop beau pour ne pas être vrai ! Après y avoir presque cru, l’ardente envie de faire la fête ne pouvait retomber sous prétexte de poisson d’avril. L’évènement qui rassemblait sur Facebook presque 70 000 personnes allait avoir lieu. Oui, l’évènement allait avoir lieu dans ce pays où le pouvoir est avant tout un casseur professionnel d’évènement. La seule caricature du Belge qui les arrange c’est celle du bonhomme patibulaire que rien n’ébranle dans sa gaieté inoffensive. Mais le Belge c’est aussi un fêtard, un buveur de bière, un bon vivant comme on dit ! Et lorsque l’ambiance est bonne et le permet, il a cette fibre révolutionnaire en lui. Il a cette folle et ardente envie de faire de la fête une manif sauvage. Contre les mesures, contre ces politiciens pourris et ce système démocratique défaillant, l’évènement aura lieu leur criait-on et ils ne voulaient pas nous croire. La presse dans son habituelle attitude suffisante se riait de cette volonté de faire évènement, une fois encore ils se sont loupés et n’ont pas vu débouler le cri qui allait venir.

Deux jours avant le jour J, la milice du capital commençait seulement à percevoir la menace et décidait de rétorquer en ouvrant une enquête à l’encontre des organisateurs de la Boum. Il n’en fallait pas plus pour galvaniser les déterminés de tout bord si ce n’est ce jugement la veille des festivités et des hostilités condamnant l’Etat pour sa gestion autoritaire et illégale de la pandémie. Le lendemain, des milliers de Belges se pressaient pour se rendre au Bois, aidés par un beau temps rare dans ce pays.

La police était bien évidemment présente, mais dépassée par l’affluence grandissante. C’est alors que contraints et heureux d’effectuer leur sale besogne, ils ont chargé. La cavalerie a d’abord semé le chaos dans la foule avant d’être vaillamment repoussée par la détermination des gens sur place. Devant tant de violence gratuite et d’images tragiques, des jeunes et des moins jeunes aussi n’ont pas hésité à aller au corps et corps et à contre-charger la police, ce qui est extrêmement rare en Belgique. Que ce soit par la violence ou par une admirable désobéissance solidaire de tous les modes de luttes, les gens ont fait face à une police qui avait pour habitude ces dernières années de gérer très facilement les mouvements de foule. Ainsi beaucoup découvraient, sous de vagues airs de Mai 68, que joie et insurrection vont de pair. Ils découvraient qu’ils avaient le pouvoir de tenir tête à l’arbitraire. Non la violence n’est pas systématiquement un échec comme veulent le faire croire l’opposition controlée et les faiseurs d’impuissance. Car à l’heure du bilan de cette émeute - c’était bien d’une émeute qu’il s’agissait et non d’une cohue comme j’ai pu l’entendre - les prochains Comités de concertation qui pencheront sur la question des mesures liberticides y réfléchiront à deux fois avant de brimer et d’annoncer tout et n’importe quoi. Là où des contestations stériles n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu, la jeunesse du Bois de la Cambre a frappé fort et n’a pas négocié. Elle a pris sa liberté et c’est au bout de plusieurs heures d’affrontements et de festivités que la police parvint non pas à reprendre le contrôle de la situation, mais à respirer tant elle eut fort à faire.

Nul ne peut prédire où va nous mener cette sombre période, mais il nous fallait faire le témoignage de tous ces visages, ces sourires et de toute cette certitude d’avoir eu la bonne réaction face aux forces de l’ordre. Si certains pensaient encore que la police est le bras armé de la justice, la preuve irréfutable a été amenée en ce 1er avril que la police n’est rien d’autre que le chien de garde de ses maîtres. Elle qui, sans sourciller, réprime au lendemain d’un jugement condamnant le gouvernement, n’est plus du côté de l’Etat de droit. Comme de tout temps et a fortiori au cours des crises que traversent les sociétés cette institution ne connait ni le discernement ni l’autorité des contre-pouvoirs que sont la Justice et le peuple. En tant que « service public » peuplé de gens sans convictions si ce n’est celle de l’autoritarisme violent, ce service n’est rien d’autre qu’une officine du pire. Il faudra bientôt, je pense, qu’ils nous obéissent ou périssent avec nos bourreaux, du moins je l’espère plus encore qu’hier.

Le faucon pèlerin, virologue au Comité de Concertation pour une immunité Collective.

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