Les meilleurs textes naissent sur des blogs à pseudonymes, autour de revues confidentielles, dans de petites maisons d’édition sans prestige ou, parfois, romantiquement, sur les murs de la ville et dans la terre. Ils se transmettent plus volontiers de mains en mains en cours d’émeute qu’à la table ronde d’un quelconque Collège.
Et l’on nous dit, de source sûre, qu’à l’heure où nous parlons, la plupart des textes stimulant nos pensées n’ont tout simplement pas été édités.
Nous remarquons que la génération la plus installée dans sa fonction de magister, alors qu’elle hérite d’un fort attachement à l’École, sent en elle-même qu’elle ne peut ni ne doit plus se contenter de proposer des réformes. Récemment, l’un des plus vénérables représentants d’une institution bien connue, concluait par ces mots le bilan des vingts dernières années de son département : « Autrement dit : le rôle de la philosophie c’est peut-être de nous dire cela : rejetez vos institutions et préparez-vous à la lutte. » Ces mots n’étaient pas prononcés dans une assemblée générale de néoanarchistes, par de jeunes étudiant•es immatures, mais par un homme né dans les années 1940, et en présence du Directeur libéral de l’école.
Ne nous trompons pas, la déroute universitaire est d’abord une chance en tant qu’elle est précisément le signe d’une recomposition entre intellectuel•les collectif•ves et mouvements réels. Perry Anderson a pu dire, en 1977, qu’en politisant la théorie, le "marxisme occidental" avait dépolitisé les théoriciens. La lutte des classes dans la théorie n’avait su produire qu’une classe théorique, séparée des multitudes et des mouvements, incapable d’intervenir comme organe conscient dans l’organisation matérielle concrète des insurrections et des formes de vie partisanes. La déroute est justement la voie d’un retour en puissance de cet organe - au moment même où l’on croirait pouvoir le réifier par algorithmes.
Tant que la division abstraite et fausse entre la pensée et l’action sera performée dans les campus en ruine, nous serons là pour faire passer le mot d’esprit à défaut du mot d’ordre. Nous ne comptons pas les années et les efforts menés pour bâtir cette alliance. Plus d’un rat de bibliothèque s’est découvert, grâce à nous, des instincts de canaille. Plus d’une canaille cite désormais du Debord en garde à vue.
Rejetez vos institutions, soutenez lundimatin !