Réforme de l’enseignement supérieur

Les professeurs en dépression

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

L’école française est devenue un inextricable désastre. Non seulement parce que la routine de la pédagogie républicaine abêtit et les professeurs, et les élèves. Mais surtout parce que le gouvernement gouverne l’école, depuis maintenant un temps interminable, par une politique de la réforme permanente, du chamboulement répété. Une stratégie du choc qui conduit facilement les professeurs même bien intentionnés à devenir bêtement réactionnaires, et à s’accrocher à un passé qui est autant préférable au présent que la chute est préférable à l’atterrissage. A l’annonce d’une nouvelle réforme de l’entrée à l’université annoncée par le gouvernement Philippe, un professeur, lecteur de lundimatin, nous a fait parvenir ce billet d’humeur.

« Sylla avait fait passer le nombre de sénateurs à 600 et celui des questeurs à 20 par an. Le nombre des préteurs avait également crû à 8. Mais il n’y avait toujours que 2 consuls et 2 censeurs tous les cinq ans. Les 10 postes du tribunat rendaient celui-ci un peu plus accessible, mais ses titulaires se bloquaient mutuellement. Et, surtout, l’exemple de Pompée commençait à faire apparaître que la véritable puissance se concentrait désormais entre les mains de ceux qui auraient l’opportunité et la capacité de l’emporter sur tous les autres par le prestige et l’enrichissement (...)

La pyramide sénatoriale s’élargissait à la base, mais s’élevait et se rétrécissait au sommet. Depuis quelques décennies déjà, le gouvernement était confisqué par une oligarchie d’une ou deux dizaines de grands personnages. Désormais, c’étaient eux qui se trouvaient menacés de perdre leur pouvoir. (...) la compétition s’exacerbait au point de provoquer un climat de violence qui rendait la république ingérable autrement que par le recours à des mesures d’exception, ce qui renforçait la contradiction. (...). La crise tout à la fois se développait et se fermait sur elle-même. »

Jean-Michel David, La République romaine, 2000, pp. 193-194.

Bien sûr, il arrive de conspuer. Être réactionnaire sans connaissance d’un passé que l’on estime meilleur est une facilité à laquelle la plupart d’entre nous s’abandonnent au moment de la correction du baccalauréat.

Bien sûr, il arrive de déplorer. S’offusquer qu’une telle ou un tel soit envoyé dans le supérieur est une indignation condescendante que l’on s’excuse à peu de frais en prétendant qu’il s’agit d’une crainte, pour l’avenir de ces derniers.

Bien sûr, il arrive de pérorer. Sur le fait que l’université n’est plus une panacée, que la quête des « humanités » est bourgeoise, ancien style ; que l’université fait elle-même son tri parmi ceux qui boivent et ceux qui étudient ; que l’université est lasse, fatiguée, fatigante de s’être ouverte à sa base, démocratisée ; que de toute façon elle n’offre toujours qu’un nombre limité de postes ; qu’il est bien triste et affligeant de voir 87 000 personnes bloquées sur liste d’attente, mais qu’enfin, est-il vraiment nécessaire d’aller en licence de sociologie ou de psychologie ? Il arrive, en outre, de céder à ces sirènes balourdes, récurrentes en salle des professeurs, mêmes si elles n’ont pas l’attrait de la nouveauté et ne méritent pas que l’on s’attache au mât du navire, qui est, dit-on, de toute façon en train de sombrer.

« Édouard Philippe et Frédérique Vidal ont annoncé une réforme d’ampleur à l’entrée à l’université pour 2018. » Curiosité. Mais après une lecture détaillée, l’annonce fait le même effet qu’un coup de rasoir : elle permet de changer d’apparence à peu de frais.

Le branle-bas-de-combat consiste surtout en une surcharge de travail, pour tout le monde : du second professeur principal qui sera affecté in extremis en décembre, aux étudiants « ambassadeurs » et probablement bénévoles ; des organisateurs de deux semaines d’orientation en lycée aux professeurs censés étudier tous les vœux des élèves ; des administration d’universités qui étudieront les dossiers aux lycéens, enfin, à qui l’on demandera de cumuler ad nauseam les preuves d’aptitude ou de compétence, ou bien de suivre des « stages » de rattrapage l’été... tout ceci alors même que s’amorce l’autonomisation du financement des universités et du recrutement en leur sein. Un capitalisme de stasis, de crise, de séparation permanente est donc à l’œuvre dans la République universitaire. Sur le mode de la tension, de l’angoisse, « il » agence les pôles, relègue les marges, ordonne les flux de populations étudiantes. « Il » laisse la compétition se dérouler dans l’infamie, arguant ponctuellement de mesures d’exception, que justifie un climat d’exception – telle la crise de l’algorithme de l’été 2017.

Le chant des sirènes grassouillettes tend alors à poindre : « Fin de l’État-providence, fin de la croissance / Désengagement de l’État, révolte des quadras. » Plus personne n’ose croire à l’impossible : la création de postes dans l’enseignement est devenue une utopie occidentale low-cost, exposée aux ricanements syndicalistes. Le ver est dans le fruit, qui sort d’un côté pour narguer les élèves criant « Nous voulons des places ! » et de l’autre aux enseignants et professeurs criant « Nous voulons de l’argent ! ». En fin de compte, la crise se développe et se ferme sur elle-même, opposant l’aspiration au « retour en arrière » à celle du « Nous voulons tout ». Et tandis que les uns conspuent, pérorent, déplorent ; les autres conspirent, commencent, s’allient.

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