Quelques remarques intempestives et non exhaustives sur la marche silencieuse du 19 novembre 2023

paru dans lundimatin#405, le 27 novembre 2023

À l’appel de 500 personnalités de la culture, une marche silencieux et pour la paix s’est élancée dans les rues de Paris dimanche 19 novembre dernier. Dominique Jégou a suivi l’évènement depuis sa télévision et nous raconte ce défilé des stars.

Avant la marche, on avait déjà eu un drôle d’avant-goût avec la présentation d’une curieuse conception de la recherche de la Paix par Charles Berling, vendredi 17 au 13-14 de France Inter :

« Ami Flammer, un ami qui connaît très très bien le problème israélo-palestinien me disait : Dans la Bible il est dit cette chose-là que nous avons très mal interprétée, œil pour œil, dent pour dent ...si je vous dis ça vous le prenez de façon négative. Mais œil pour œil, dent pour dent a été écrit pour dire, non, si on te prend un œil, prend un œil, mais pas plus, pas plus, pas plus. C’est très important (...) » (Direct du JT, à partir de 41’ 21’’)

On n’avait pas compris que cette vision positive, équilibrée de la Loi du Talion : celle de l’usage légitime et proportionné de la force, c’était un progrès. Le début d’un processus de paix, quoi...

La justification de la vengeance au nom de la défense, la vengeance version light par l’un des porte-paroles de l’appel à une marche silencieuse pour la paix, ça commençait mal. Mais on se disait, les artistes, ils connaissent pas bien le sens des mots, ils les manipulent pas souvent, il faut leur laisser un peu de liberté d’interprétation des grands textes qui fondent l’inhumanité.

Mais maintenant qu’elle a eu lieu, cette marche, on n’a pas été pas déçu.
Verbatim de l’interview de Lubna Azabal le 20 novembre 2023 quelques minutes avant le départ de la marche :

« Pas de slogan politique, aucune revendication. Pas de banderole, pas de drapeaux, évidemment. Aucune association n’y est conviée et évidemment, aucun politique, détaille l’actrice Lubna Azabal, à l’initiative de cette marche. Je veux que le seul et unique message qu’on entende, c’est celui de l’union entre nous. On ne demande pas la paix là-bas, on n’est pas légitimes pour demander quoi que ce soit à ce niveau-là. Par contre, le fait d’importer cette guerre qui est à 4.500 kilomètres ici, ça c’est insupportable et indécent. » (effectué par Europe 1)

Eh ben dis-donc, pour une marche qui ne devait pas être partisane, et sans drapeau, et sans personnalités politiques, et silencieuse, et pour la paix, c’est plutôt réussi !!!

C’est vrai qu’il y a eu très peu de drapeaux. Un seul drapeau coloré, pas celui arc-en-ciel que l’on aurait pu attendre, mais un drapeau avec une blanche colombe de la paix sur fond de ciel bleu porté par un ancien combattant bardé de médailles. Un drapeau qui a pu faire penser fugacement, à quelque esprit mal tourné, aux couleurs de l’Etat hébreux.

Photo de Laure Boyer / La Croix

Mais c’est vrai que les couleurs d’Israël c’est pas Bleu et Blanc mais Blanc et Bleu, comme sur les couleurs des fumigènes (type Patrouille de France, lancés et filmés par Tsahal lorsque ses chars ont dessinés une étoile de David sur les ruines (le parking) de Gaza City ces jours.

Capture d’écran d’une vidéo postée par Tsahal.

En tout cas, si le texte de l’appel disait bien : « Drapeaux blancs, mouchoirs blancs sont les bienvenus… », très peu de drapeaux blancs dans cette marche. Les gens ont dû avoir peur de se faire tirer dessus par un exposant du salon Milipol en goguette. Salon qui se tenait simultanément à Villepinte. Peur de se faire tirer dessus malgré un drapeau blanc, comme à Gaza... C’était risqué, à Milipol le même jour, il y avait quand même 52 entreprises d’armement israéliennes présentes.

« Évidement aucun politique » à cette marche ?

En avant pour le foutage de gueule et l’indécence !
Parce que Bertrand Delanoë, celui qui a récemment appelé, du haut de son statut de non-homme politique,à reconduire Macron sur son trône, celui dont on se rappelle la signature en bas d’une pétition contre le boycott d’Israël, c’est peut-être pas un homme politique ?
Parce que Jack Lang, c’est pas un homme politique, il est juste descendu par politesse de son bureau de l’Institut du Monde Arabe pour tenir la banderole de tête. En fait, s’il était là c’était en tant qu’ancien mannequin de Thierry Mugler ! Un intermittent du spectacle parmi d’autres.
Et puis la cerise sur le gâteau, le clou, l’arrivée à Arts et Métiers avec Rima Abdul Malak, la ministre de la culture de Macron 2, en personne !

Photo de Bertrand Guay / AFP

C’est en tant qu’ex-conseillère de celui qui n’est pas un homme politique (Delanoë) qu’elle était là à s’afficher, à poser avec les marcheuses en rang serrés sans que cela gêne l’une des organisatrices de la marche, Julie Gayet, à deux mètres d’elle ?

Elle était peut-être là à se faire interviewer, par BFM en fin de parcours, en tant qu’ex-directrice des programmes de Clowns sans frontières ? Une intermittente du spectacle elle aussi.

Elle n’était pas là, bien sûr, pour bien souligner la continuité politique de cette marche avec l’initiative des politiques de la semaine précédente, la fameuse marche contre l’antisémitisme et pour le racisme. Ni en soutien de la Macronie.

Capture écran BFM-Rima Abdul-Malak

Non, en fait elle l’a dit, pourquoi elle était là : « J’ai trouvé leur appel très bien écrit, assez lumineux... » [1], elle a vu de la lumière, et elle est venue en pensant que c’était La Grande Librairie.

Et le collectif Une Autre Voix est tellement content de la présence de cette femme non-politique dans sa marche pour la paix, qu’il publie illico, sur son site, 3 photos de poses complices avec cette représentante en Canons César, en Opération Barkhane, et en yeux crevés. 3 sur les 7 qu’il publie !
Dont une la main dans la main, que nous ne publierons pas pour des raisons évidentes de sécurité comme on sait si bien le dire à Radio France.
En fait on, est trop cons, pas de politiques ça voulait juste dire, pas que des politiques, pas trop de politiques ! Des artistes de la politique, quoi !

Et ça continue ! On n’est plus dans le foutage de gueule, dans la connivence ou l’indécence , mais dans la Pornographie. (cf le verbatim de l’interview de Lubna Azabal et le lien plus haut) :
Ce qui serait insupportable, à l’instigatrice de cette marche, Lubna Azabal, ce ne serait pas comme le dit l’appel à cette marche : «  l’horreur et la souffrance (qui) déchirent Palestiniens et Israéliens selon une mathématique monstrueuse qui dure déjà depuis longtemps. »
Ce ne serait pas : « Deux peuples pris en otage de politiques que nous ne pouvons maîtriser »
Ce ne serait pas ce qui est insupportable à Wajdi Mouawad, le rédacteur du texte (l’a-t-elle même lu ?) et on peut l’espérer, ce qui est insupportable à la majorité des plus de 5 000 personnes qui ont signé cet appel.

Non, ce serait : « le fait d’importer cette guerre qui est à 4.500 kilomètres ici, ça c’est insupportable et indécent. »

On avait cru que c’était une marche silencieuse POUR LA PAIX et en fait on n’avait pas compris, c’était une marche POUR LA PAIX ICI, parce que là-bas « ON NE DEMANDE PAS LA PAIX LÀ-BAS ».

Allez, on va pas se mettre la rate au court-bouillon, on va juste ramener les choses à leur juste proportion, en lisant silencieusement Le Parisien qui relate cette marche à la page Loisirs (!!!), page 26 et qui se permet une savoureuse mise en page avec deux gros titres à ladite page : Les stars défilent pour la paix et dessous Toujours aussi bêtes !

C’est vrai, pas la peine de vociférer, comme ils disent, ramenons les choses à leur juste proportion : Finalement, elle a rassemblé quoi cette marche, 3 600 personnes d’après la Préfecture de Police et 20 000 selon les organisateurs. En attendant la prochaine marche qui sera certainement organisée par Enrico Macias, un artiste qui lui n’a pas de contradictions, et dont l’appel au meurtre en direct sur une chaîne télé de notre beau pays uni n’a pas provoqué une condamnation unitaire publique par un collectif d’artistes.

Et puis, on enchaînera en relisant plutôt le Manifeste de la jeunesse de Gaza publié en décembre 2010 et dont Wajdi Mouawad a dû pourtant s’inspirer quand il parle de peuples pris en otages :

« Merde au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l’ONU et à l’Unrwa. Merde à l’Amérique ! Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations permanentes des droits de l’homme et de l’indifférence de la communauté internationale.
Nous voulons crier, percer le mur du silence, de l’injustice et de l’apathie de même que les F16 israéliens pètent le mur du son au-dessus de nos têtes, hurler de toute la force de nos âmes pour exprimer toute la rage que cette situation pourrie nous inspire. Nous sommes comme des poux coincés entre deux ongles, nous vivons un cauchemar au sein d’un autre cauchemar. Il n’y a pas d’espace laissé à l’espoir, ni de place pour la liberté. Nous n’en pouvons plus d’être piégés dans cette confrontation politique permanente, et des nuits plus noires que la suie sous la menace des avions de chasse qui tournent au-dessus de nos maisons, et des paysans innocents qui se font tirer dessus simplement parce qu’ils vont s’occuper de leurs champs dans la zone « de sécurité », et des barbus qui se pavanent avec leurs flingues et passent à tabac ou emprisonnent les jeunes qui ont leurs idées à eux, et du mur de la honte qui nous coupe du reste de notre pays et nous enferme dans une bande de terre étriquée (...) » [2]

Dominique Jégou, Grenoble le 21 novembre 2023

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