Pour en finir avec la neige

(Une mini épopée en dix feuilletons)

paru dans lundimatin#251, le 27 août 2020

— Episode 1 —

(Des deux ou trois millimètres entre bouse game & vache)

jadis inculpé pour proxénétisme aggravé un certain Xavier Nieg (devenu milliardaire après avoir investi dans les peep-show et le minitel rose) décida de financer un 18 novembre 101 startups : tout candidat disposait d’une minute pour exposer son projet et à l’instant précis où le 56e quitte la salle et tourne le dos à Nieg qui plisse du front et passe une main dans sa chevelure filandreuse lui tombant sur la nuque au moment où il astique du bout des doigts deux ou trois mèches pour concentrer en un fil capillaire toute l’acuité intellectuelle qui fit de lui le roi du peep-show et de la Freebox voilà que s’ouvre un espace totalement neutre aux projets d’application autour de la charge mentale des data center alimentés à la bouse de vaches ou d’une gamification des rapports sociaux un mince intervalle entre bouse game & vache deux ou trois millimètres remuant quelque part dans la nuque (à la racine du cuir chevelu peut-être) une tension contradictoire entre la masse homogène du startup speech et la pure hallucination ressurgie d’une période glaciaire de l’enfance (ou plutôt la contradiction même maintenue entre le vrai et le faux) un troisième terme supplémentaire et non synthétique esquissant une courbe ayant quelque parenté avec la fiction mais non avec l’imaginaire le douteux ou le possible : sept startupers barbus d’un mètre vingt lui parlent d’une application qui en finirait avec la neige – application sans genèse ni process ou crypto-monnaie qui se forme naturellement par condensation d’algorithmes et saturation vaporeuse des données –, qu’on s’imagine une gamine au teint neigeux sortie de nulle part et dont l’image se diffracte sur tous les écrans ou plutôt une sorte de bitcoin polyphasique déformable glissant éphémère et en constante évolution une gamine tombant des hauteurs idéales d’un blockchain (un capital crypto-neige nécessite pas mal d’algorithmes en surfusion, soit : serveurs nœuds de stockage baies SAN FC voire NAS en rangées simples ou complexes et il y aurait une certaine poésie à les planquer en banlieue pour y recracher en toute discrétion la surchauffe des débits et des transferts) on l’appellerait Pour en finir avec la neige puisque l’accroissement de tout capital aussi fictif soit-il nous acclimate réellement à des ciels clairs et des hivers tièdes

— Episode 2 —

(Des testicules de Nieg et de l’avenir des banquises)

tout bonheur est d’abord climatique et sans le formuler de manière claire Xavier Nieg le ressent au bord de sa piscine à l’ombre des massifs qui bordent sa réplique du petit Trianon et quand bien même il n’aurait jamais lu une ligne de Stendhal ou de Proust il devine confusément qu’une seconde vécue devient mémorable selon un tempérament plus ou moins sec de l’air la texture d’une empreinte carbone striant le bleu du ciel tantôt écrue tantôt vaporeuse il devine que ses huit milliards d’euros ne sont pas plus réels que cette seconde s’étirant dans le ciel il ne veut plus y penser il voit dans un cirrus filandreux des poils pubères le monde est encore une gamine un ventre tiède et nubile qui se renfle doucement sous une toison quasi-aérienne un miracle d’équilibre fragile que rien ne va jamais briser et nous pourrons encore longtemps jouir cuisses ouvertes sur un transat de cette toison un peu abîmée certes mais toujours à demi-vierge pour les plus chanceux (le duvet s’étire aux limites du ténu et la silhouette de la crypto-gamine s’y surimprime (encore vague) circulant dans la masse de ses neurones et se glissant quasi à poil par toutes les scissures synaptiques) la concubine des sept nains lui est restée en tête concubine hantant la région néocorticale qui abrite l’intuition cette faculté en contrepoint sur laquelle repose toute la puissance visuelle de ses deux mots : huit milliards, peut-être autant d’exos-planètes ou de galaxies dans l’univers peut-être autant de spermatozoïdes grouillant encore sous l’albuginée dans les profondeurs spongieuses et moites de ses testicules huit milliards et bientôt il ira tout exploser il disruptera l’apocalypse (dendrites ou hexagones modéliseront une crypto-neige souple aérienne monnayable des particules de rêve qui circulent h24 sans jamais fondre qui s’accroissent s’accumulent tombent et sortent tout droit d’une enfance quasi à portée de main) bitcoins qui n’offrent peut-être aucune porte de sortie à la montée des eaux (pas plus que la poésie n’est solutionnable dans la fonte des banquises et les ours blancs peuvent témoigner) mais Nieg qui n’est pas poète s’en contrecarre il se répète simplement que c’est trop beau (c’est trop beau et pourtant c’est nécessaire) un léger frisson parcourt son testicule gauche et remonte jusqu’au scrotum délivrant au plus profond de son axe central une vague d’excitation indéfinie mêlée à une nostalgie sans objet –, finish le réchauffement climatique les fontes les dérélictions de l’ours fini place à l’intransitive Beauté à l’oasis perpétuelle dans le grand désert qui n’avance que pour les moins méritants 

— Episode 3 —

(Minitel rose et K-way noir)

et tandis que Nieg rêve d’un gros tas de neige dont il serait le proxénète un nuage file sans un plongeon (nuage imperméable aux leds au chlore aux façades néo-corinthiennes) il migre aux confins de Paris il empiète la rocade ouest particules vaporeuses s’agrégeant dans la dissolution de tout Etat social il s’épanche au-dessus des caddies bourrés et des cahutes sa toison moutonnant des bâches en plastique effleurant les cimes du Bois de Boulogne bientôt Nanterre où il surplombe un bref instant le crâne presque chauve d’un maître de conf père de trois enfants néanmoins prêt à sauter une étudiante en deuxième année de Licence oui il aimerait la suivre celle-là même qui fourre un k-way noir au fond de son sac (trop petit alors au sol elle balance le dernier Cadiot) et dans l’ignorance totale de ce qui le surplombe il se rappelle très vite qu’autrefois des blondes aux fesses laiteuses ponctuaient rocades et départementales de son enfance leur nom plus ou moins exotique (3615 Ulla Vanessa Deborah) souvenir de sa première érection en voiture mais celle-là toujours seule au fond de l’amphi le dévisageant d’un œil fixe sans prendre une seule note (et qui jette maintenant Cadiot) comment s’appelle-t-elle il devrait la suivre oublier sa femme Sofinco la crèche il ne sait pas même son nom mais peu importe depuis le début il bande pour des bribes des détails (le cul d’Ul… aux pixels laiteux un dimanche de novembre, des noms sans têtes des cheveux qui s’effilochent dans la vitesse des trafics) elle lui tourne maintenant le dos lui jetant un dernier regard par-dessus l’épaule l’œil d’Ulla scandé dans le flux du bitume et lui bientôt noyé dans le gris averbal d’une érection le clouant au sol il éprouve le besoin de s’asseoir de poser ses fesses à la place du mort de replier ses jambes pour sentir la moquette vibrer dans la chaleur embuée d’une Renault5 ses orteils se recroquevillent une détente énorme le foudroie (saccade douloureuse et tiède –, le visage de sa femme refait peu à peu surface avec des noms d’enfant et son crâne perle) le cirrus s’éloigne vers Sartrouville Herblay touchant bientôt aux bordures de Cergy filaments qui traînent au-dessus des pavillons mesquins avec graviers et géraniums, au-dessus de la pelouse où elle fume encore ses Benson 100S bien qu’elle ait 59 ans (un paquet par jour depuis l’année où elle tourna dans un porno d’avant-garde – La Chienne rouge des trois 8 – une co-production italo-slovène réalisée par un groupe de maoïstes, mais assez soucieuse du contenu politique elle avait claqué la porte quand on lui avait imposé une éjaculation faciale et gratuite) – d’épais sourcils ombragent ses yeux de cantinière et ses jambes boitent à force d’avoir porté des bacs en inox débordants de nouilles les annuités s’entassent dans les vapeurs de coquillettes et les cris d’enfants depuis 83 (le tournant de la rigueur des allemands qui chantent Wind of Change et des piles d’assiettes vibrantes prêtes à s’effondrer dans l’évier juste avant la chute du mur le cap D’Agde le chômage de masse et le clapotis des vagues le clapotis de l’eau tiède qui mousse au fond des bacs un fond sonore assez mal défini qui accompagnera l’épuisement sourd et continu des soirées sans perspectives pendant plus de vingt ans) un matin elle a fait des pancartes sous la neige et elle ne sentait plus ses doigts c’était un hiver contre la réforme des retraites un hiver avec du froid sous les ongles et de la neige trop dense pour décorer ou blanchir immédiatement les choses une neige chargée à bloc (camions à l’arrêt sur la rocade, neige sociale ?) elle a maintenant 59 ans et elle voudrait séduire ça doit être facile de se détacher peu à peu des bacs en inox et de leur poids de leurs vapeurs facile de cesser tout soulèvement (les gestes de cantinière s’évanouiront dans les pommades) facile de devenir fille-fleur ou plutôt cagole qui parle à son miroir tout en ignorant les concurrences féroces les prédations et les monnayages symboliques qui ont lieu sur les différents cours de la Bourse au nom de La Beauté et tandis qu’elle soulèvera bientôt un énième bac en inox rempli de gratin à la pomme de terre une guerre sans fin fait rage dans l’industrie du luxe : OPA transferts d’actifs vers la Belgique délocalisations en Asie ou en Pologne,– la planète opère toujours sa rotation, imperturbable, distribuant le soleil à part plus ou moins égale pendant que le gratin fumera et que les gosses feront la queue, optimisations fiscales et vagues de licenciements

— Episode 4 —

(De l’onanisme et de la zoologie dans l’industrie du luxe)

d’où Bernard A. pris dans les aléas de ce feuilleton d’où trois syllabes cristallisant un désignateur opaque et rigide un Bernard A. tout à fait tangible hors même de ces pages et suivant peut-être un stratus vers de lointaines îles Bernard aux épaules étroites et ramenées vers le devant comme si elles voulaient couver le plexus qui se creuse au-dessus d’une légère bedaine Bernard avec des manches raides d’Hermès qui se plaquent aux flancs d’un tronc rachitique Bernard peut-être une vieille mite calfeutrée dans du cachemire si n’était (plantée sur un cou qui se fripe) une tête tirant sur l’ovoïde une tête disproportionnée par rapport au torse et qui branle quasi sous sa propre masse tandis qu’un regard bleu froid vous accroche à l’autre bout du corridor signe avant-coureur de quelque rituel érotique (et du bout de menton) ou alors dernier vestige d’une tare mouvement de hochet froid et circonspect qui témoignerait d’une dépravation inavouable et qui transforme la vieille mite en insecte assez retors (mante religieuse ?) pour avoir placé deux yachts une maison de 4 kilomètres m2 et un bon paquet d’actifs aux îles Vierges ou Caïmans (son groupe spécialisé dans l’industrie du luxe compte 202 filiales dans des paradis fiscaux aussi articuler bien fort l’argent de Bernard ne tombe pas du ciel, pas plus qu’une gamine élevée par des nains est correct (d’un point de vue grammatical comme empirique) il faudra même répéter cette phrase bien haut et à tout bout de champ pour voir les mandibules qui s’activent en silence sous le menton qui branle et l’œil froid pour briser ce vieux sortilège qui fait qu’une singularité (tel Capital enfle démesurément) devienne le nom d’une universalité absente : nous serons tous riches en trimant dur comme de braves nains – à coups de pelles de pioches du tapage s’impose sur les ronds-points pour ne plus seulement contempler Bernard derrière le vitrage instructif d’un muséum d’histoire naturelle du Capital à tue-tête on hurlerait que l’argent ne tombe pas du ciel jusqu’à réellement démantibuler syllabe après syllabe Bernard. A et que débonde dans l’éclat de ce nom craché par un million de bouches une myase horriblement lascive oui qu’on perce à contre-jour Bernard. A qu’on fasse la peau à ces trois syllabes enkystées dans l’industrie du luxe (morceaux d’œil froid et de poils épineux plutôt vibratiles que sonores) pour que déflagre tout le potentiel érotico-morbide de Bernard un halètement rauque et continu sous des pâles d’ébène des remugles devenus pure causalité en soi (boutons de manchette qui montent qui descendent qui remontent un va-et-vient mutique à 9 carats) toute l’économie qui en fait un désignateur rigide dans un morceau de tempe noueux la contraction d’une veine qui soudain débande en une giclée colossale de somme à douze zéros (alors ruisselant sous les pâles de l’argent s’envole –, petits flocons magiques ? ) et puis trois syllabes crèvent dans les derniers soubresauts du spasme se recroquevillent bientôt petites bourses frileuses et caduques : ber.na.ra )

— Episode 5 —

(Du devenir de certains mots dans les nasses du préfet)

elle n’écrira plus de poèmes : pour le moment elle n’a que des mots une multiplicité de phonèmes qu’elle agence selon des protocoles plus ou moins neufs elle sape leur matérialité avec une ivresse nerveuse qu’elle localise dans les jambes elle voit les mots qui se creusent sur le boulevard qu’elle remonte : neige espace distance deviennent des états d’esprits visuels dans la fumée épaisse des lacrymos et l’éclat des grenades assourdissantes elle creuse avec les jambes et les forces mobiles dessinent une nasse bleu sombre il y a encore ces formes isolées (neige espace distance) qui s’approfondissent turquoise dans le dispositif sécuritaire elles virent bientôt noir fioul et tout bascule panique détonations on trébuche elle ne sent plus ses doigt est-il vraiment possible que des mots changent de nature quand des corps se battent est-il vraiment possible qu’ils floconnent en asymptote dans le sillage des grenades GLI-F4 (une multitude de phonèmes bourdonne dans l’œil les tympans heurtent le boulevard) neige espace distance tombent du dehors se fragmentent leurs syllabes vrillent brûlent les sinus épellent une odeur violente – routes bitumes incendies – elle pense neige-carbone un négatif de nos luttes syllabes cristallisant des chocs mais neige-carbone ça reste une image et elle n’écrira plus de poèmes ce qu’elle veut maintenant face aux forces de l’ordre qui écrasent les forces de vie c’est un mot (un mot d’ordre peut-être mais sûrement pas un poème) quelques phonèmes très simples à peine deux ou trois flocons lapidaires comme posés là et qui hanteraient Xavier ou Bernard (et qui poseraient la question pratique des moyens d’investir leurs corps aux extensions voraces, d’agir réellement sur eux de la tête aux pieds) l’action restreinte de quelques contre-flocons sur la page n’est plus suffisante et sous son k-way noir elle compte beaucoup sur les vents marins les goélands qui attaquent les drones les pirates 3.0 et toutes les femmes qui refusent d’être des gamines ou des naines bossant pour peanuts car il faudra bien leur faire peur (massivement, d’une manière irrémédiable) même si à l’heure actuelle gamines vent debout pirates ou mouettes n’occupent qu’une place très partielle dans l’esprit de Xavier ou de Bernard (pour le moment il ne s’agit que d’un spectre plutôt vague qu’ils chassent d’un revers de la main) parce qu’il manque encore (pense-t-elle) un mot qui provoque en eux une peur différente la peur des choses tapies derrière soi la présence muette des terres intérieures et de leurs peuples il manque le mot qui les terrifie qui articule la pleine vérité de leur peur le plein fouet d’une panique déflagrant tout ce qui les entoure tandis qu’ils en restent plantés attendant que leurs maîtresses leur bureau leur rue reprennent avec lenteur leurs formes malgré l’éclat blanc intense qui les avait abolis, balbutiant peinant à retrouver objets surfaces et les noms qu’on leur attribue (elle ne sent peut-être plus ses doigts dans l’éclat des détonations mais qu’ils sachent (eux) que nos récits tiendront bientôt en un mot (un seul) et où qu’ils aillent cacher leurs tête ou leurs biens ce mot fragmentera la matière solide du bunker ou de l’ilot il en pulvérisera l’idée même ou la possibilité alors qu’ils tiennent pour déjà effectif leur cauchemar : les ressacs assourdis par des chutes successives qui s’accumulent et les îles Vierges qui ne blanchissent plus d’argent mais leur propre forme, qui reconfigurent leur dehors et qui réinventent avec lenteur (couche après couche) la suspension des flux financiers h24 et l’effacement des transactions –, et sur leurs rives blanches, sans palmiers ni succursales, le mot qui se détache, net et noir, escarpé, flottant comme un isthme

— Episode 6 —

(Du mot Blanche-Neige dans les fougères paléolithiques)

snow white (& ouvrières en Pologne : Królewna Śnieżhttps://context.reverso.net/traduct...) enfants vendus à Madhya Pradesh mangeant des rats pour vivre dépouillant les arbres de leur écorce 白雪公主 (travailleurs qu’on détache nuques en sueur : Snjeguljica) vessies qui se gonflent à bloc sous les entrepôts d’Amazon (ou vieillards en pagne recueillant la poussière d’un pousse-pousse : Theluji nyeupe) antiques grouillements dans les entrailles سنو وأيت frissons tics gencives douloureuses (Branca de Neve) femmes dans les rizières boueuses en terrasses entretenant des feux & Biancaneve  : gosses tordus par la gastro-entérite fouillant les ordures (λευκό χιόνι) filles qui rient cymbales aux doigts dans un verger de manguiers Снежанка humidité fongeuse entre les orteils huiles moussons spasmes : des gamines qui vendent leur peau des vierges sexagénaires qui sourient de toutes leurs dents cassées (Snehvide) des enfants mendiant des brisures de biscuits (Śnieżhttps://context.reverso.net/traduct...) vieilles femmes en noir assises immobiles leurs mains rugueuses repliées dans le sommeil : tous ces corps éparpillés abritent au fin fond de leur cortex le graphe d’une vie à l’infinitif (fuir goûter les fruits ne plus jamais travailler) le schème fantôme d’une communauté de chasseur-cueilleur (Белоснежка ou tombée d’une femme très lente dans les fougères paléolithiques) des corps se couchent au soir multitude de chicots d’ongles d’orteils livrés à leurs propres limites rendus à leurs contours que le noir létal compresse des milliers de corps qui n’envisagent pas sérieusement de crever comme un aphte dans une bouche anonyme ou une rognure broyée par des rapports de production, alors dormir articule quelques réflexes primitifs (borborygmes de chasseur-cueilleur ?) – Белоснежка Snjeguljica 白雪公主 سنو وأيت ou Schneewittchen : comment traduire torsades hanches & chute des reins comment traduire leurs rondes variables et heurtées sous des millions de couettes de paillasses de cartons comment traduire une chute lourde dans le sommeil et dont l’onde de choc ( nyeupe ? ) se répand en nappes lourdes et ondulantes sous les boîtes crâniennes des cinq continents –, une catastrophe s’édifie dès l’enfance du cerveau : rétraction reptilienne sous un cercueil de verre léthargie organique et là voilà indifférente à la déchéance à l’érosion aux violentes chimies des hommes

— Episode 7 —

(Cougar marâtre & transhumanisme)

Immortality Institute ou bien Extropy Institute comme lieu et formule d’un suspens glacial hors du temps (ou alors カリフォルニア qu’on dit aussi Califórnia) Extropy Institute numérisera la chair transplantera un pur esprit dans le cyber-espace les capitaux abondent et la suspension cryogénique opérée par sept nains maniaco-dépressifs a encore de beaux jours devant elle : « la tyrannie de la mort et du vieillissement ne sera plus tolérée  » & puis « theôria est d’abord contemplation regards sur les choses alors ne perdez pas de vue ce corps glacial dans un immense caveau funéraire  » theôria guide la colonisation des corps à grands coups de nano-robots le rajeunissement des organes et la prose transcendante de Max More sa prose 3.0 qui promeut l’idylle intense et sans commune mesure avec l’expérience normale les mots théorico-lyriques de l’extropien Max More dont la femme Natasha (philosophe designer transhumaniste de 69 ans) aimerait renforcer la puissance de ses jambes s’implanter dans le crâne des relais vers des drones de reconnaissance visuelle (Snjeguljica Theluji ?) rafraîchir sa température interne via interfaces & constellations de satellites voilà ce qu’elle voudrait du fin fond de l’Arizona où elle vit actuellement et quand on tape son nom sur Google une femme maigre aux os proéminents apparaît on imagine son squelette craquer en une douzaine d’endroits au moindre éclat de rire elle porte un tailleur noir qui la moule (sous le chemisier blanc la poitrine se bombe droite malgré l’âge) peau impeccablement lisse poupée refaite à neuf (白雪姫 - しらゆきひめ) l’image rejoint le cortège des cougars en string stepmoms qui déniaisent sous la douche ou milfs sur le retour qui peuplent les sites pornos (contemplations & regards sur les choses)

— Episode 8 —

(Bunker post-moderne, Smic & pierre tombale)

telle fiction (soit sept nains soumis aux cadences infernales de l’intérim sept nains séquestrant dans leur cabane un supplément d’âme à savoir une gamine pure et domestique qui embellirait la reproduction de leur force de travail) telle fiction prend consistance dans ces gros bunkers post-modernes et que financent des milliardaires qui payent moins d’impôts en domestiquant l’art (la fortune de François Pinault est passée de 11,3 milliards en 2016 à 29 milliards en 2019 : ces trois dernières années il a gagné environ 16 millions par jour notamment en défiscalisant des capitaux une fois main basse faite sur plusieurs milliers d’œuvres –, accumulation primitive de pigments de couleurs de formes ou stratégie d’esthète que Challenges résume en ces termes : « il a reproduit dans l’art ce qui avait fait son succès dans le secteur du bois : contrôler toute la filière afin de squeezer les intermédiaires et optimiser ses bénéfices ») aussi les fondations Vuitton ou Cartier ont des allures de gros congélos urbains qui vous proposeraient (une fois franchie la porte du freezer) des petits flocons miraculeusement déposés aux cimaises et qui parleraient le langage de l’âme : ici blanche est la neige est blanche est la neige : un attribut tout intérieur du sujet un logo à soi seul distinctif laissant à Simplet tout loisir d’y cultiver ses émotions jusqu’à un degré d’innocuité inédit : il paye un milliardaire pour que des petits pigments l’étourdissent ou le consolent en conséquence de quoi Simplet touchant le smic (et qui passera 1100 ans à gagner les 16 millions d’euros encaissés chaque jour par François Pinault) Simplet, donc, sera toujours heureux d’enrichir un peu plus ledit Pinault en contemplant de jolis flocons de couleur et quand bien même on imaginerait qu’en mutualisant leur revenu sept nains au smic ne mettraient que 15 ou 16 ans à gagner une journée de François Pinault ça ne changerait fondamentalement pas le problème : à savoir que Simplet Atchoum Joyeux Prof Dormeur Timide et Grincheux iront s’abrutir dans la poésie naïve et sentimentale des white cube pour oublier la réforme des retraites et la fin de la sécurité sociale qui les condamnent à une mort misérable pendant que François Pinault ni une ni deux se porte acquéreur de Maurizio Cattelan (artiste subversif selon Le Figaro et la Gazette des Beaux-Arts) pour que ledit Cattelan lui dessine une pierre tombale et – voilà qui est problématique – l’on n’imagine pas un seul instant les sept nains cracher ou pisser sur ladite pierre tombale

— Episode 9 —

(A propos de Kaspar Hauser)

qui pense encore à Kaspar Hauser assassiné un jour de neige qui demandera pour lui des comptes en signant des lettres Kaspar H qui passera son enfance dans une cave qui bégaiera d’obscurs complots et sèmera Kaspar en cresson dans le jardin qui ne dépassera pas un mètre quarante et voudra porter des robes comme les femmes qui haïra la verdure du dehors en observant arbres feuilles pelouses ou massifs à travers un lorgnon teinté de rouge qui aura vu la neige pour la première fois à vingt ans et la prendra à pleine main avant de crier que la peinture blanche l’a mordue qui dira vivre à contretemps sa première phrase oui qui verra la neige tomber sur les branches nues et dans le couloir s’assombrir l’ombre qui voudra aller au puits artésien au cœur de l’hiver pour se prendre un coup de poignard et qui pissera à petits jets du sang sur la neige qui aura le goût du fer dans les dents qui ira mourir le mot cheval plein la bouche en crachant des sabots à la gueule des familles ducales qui enfin attendra 123 ans pour rejoindre le corps de Walser tout raide et bleu dans les flocons (au début du siècle il avait écrit schneewittchen pour refuser la vieille porte il l’avait écrit puisque le conte disait-il n’est qu’un mensonge noir et fou pour effrayer les gosses il l’avait écrit en évidant la neige de toute fiction pour en retrouver la matière même –, après ça il a piétiné dans la neige sans relâche, avec une rare méticulosité) et il n’y aura eu aucun catafalque pour Kaspar et Walser aucun sommeil qui vous conserve ad perpetuam comme bifteck au congélo : ici même presque à portée de voix ils ont voulu en finir avec cette neige imperméable à la vie (leur inadaptation fondamentale renvoyant les flocons à ce qu’ils peuvent devenir, des petits bouts de glace idiots et tout aussi incapables de vivre qu’eux) ils ont tourné pour nous la page sur cette mythologie du blanc du pur de la magique innocence et des vierges recommencements ils l’ont tournée jusqu’au bout laissant derrière eux toute velléité d’une enfance à cryogéniser

— Episode 10 —

(De l’hygrométrie du 1er décembre 2018 et de l’envol des têtes)

il nous manque aujourd’hui des amis imaginaires sans eux nous n’abattrons pas nos ennemis bien réels et sous son k-way elle se souvient qu’elle se touchait le bras ou le nez pour savoir qui elle était (4 ou 5 ans peut-être ça la prenait en regardant sa main s’éloigner du visage et ils diront tu n’as jamais eu besoin d’amis imaginaires) elle aura grandi dans l’oubli des pieds et des mains –, une courbe s’élance dans l’air cru (laissant flotter sur son passage une longue traînées de rôles possibles) filaments vaporeux de personnages qui vacillent dans l’hiver avant de se disperser : une cougar une ex-maoïste Walser perdu dans la neige ou Kaspar des nains qui sautent des repas pour aller au musée les voilà sans visage mais peuplant tous ses membres dans le soir qui tombe la nasse se resserre lentement autour d’elle Kaspar & Atchoum enflamment les bronches débordent les muqueuses leurs allures multiples ne tiendront jamais nulle part ni page ni white cube ni squat gentrifié par l’entreprenariat social on ne récite pas les amis imaginaires on n’applaudit pas sagement la neige qui les emporte petits flocons de phosphite trioctyl entre chien et loup – CS2, CSX passent dans le sang des foules se diluent dans le ciel alors comment voulez-vous boiter en cantinière sur une chaise autant finir comme ce chauve qui pérore du Merleau-Ponty pour parler d’émotion avec son séminaire Jaccottet ses doigts boudinés son regard lubrique comment écrire quoi que ce soit si c’est pour des types aux dents jaunes un vieux jacquard puant l’urine ou la soupe elles sont pour des types comme ça les lectures publiques à coup sûr ça leur permet d’oublier un peu qu’ils sont cocus ils n’ont pas idée d’une prose qui fasse voler les têtes (cuir chevelu de Nieg yeux bleu froid de Bernard virevoltant dans l’air ballotés dans le brouhaha d’un cortège) l’idée d’une prose qui effondre le jour et qui jette tout le gratin de la haute dans une peur panique l’hygrométrie parfaite des mots qui fasse tenir ce 1er décembre 2018 qui tombe avenue Kléber et le noir continu qui en monte qui le déborde dans l’envol des cous coupés ou la chute d’une phrase (prose au dehors et cortège en tête) un tas de figures confuses et déclassées la précède – nains marâtres simples d’esprits –, des générations entières à bout de souffle portant des bacs en inox piétinant dans la neige bégayant d’improbables lignées et d’obscurs complots des injustices criantes étouffées au fond des caves dans des cabanes qui branlent sous les arbres tandis que pupilles de Bernard et mèches de Xavier s’éloignent de ses doigts roulent s’envolent (l’idée d’une prose tend son corps ligne fuyante nécessaire élastique ou phrase impérative : que les têtes de Nieg et de Bernard roulent à terre ou alors nos vies seront réduites à petit feu dans des caves) complot bac inox (son tibia saigne substance ligneuse qui se propage) des mots diffractent cette heure précise du 1er décembre ce fragile point d’équilibre climatique et social (Kaspar Joyeux Cabanes) des mots cri de ralliement pour les corbeaux les morts les pirates des mots qui s’écrivent sur des murs brûlés ou des vitrines qu’étoilent des impacts une phrase qui s’effondre ou qui se déborde crevant sa cadence (elle tombe entre des mains anonymes ramassez-la amis imaginaires ramassez-la cassée démantibulée apodose pantelante sur le trottoir bout de protase (vieille jambe en plastique ?) syntagmes caduques formes tranchantes ou lapidaires : trois ou quatre mots à peine cinq que des gosses ou des idiots se balancent comme des boules de neige que des becs de lièvre bégayent (et puis qu’ils tracent sur un mur) que des vieilles à demi-aveugle lisent du bout des doigts effleurant le crépi rugueux avant de tomber dans le sommeil que des gros répètent et que des génies (au pied du mur) copient (alors des enragés rient aux éclats des maigres se tordent les côtes et les mots poursuivent leur ronde) toute une foule multiple hétérogène poreuse échappant aux recentrements sur la moyenne perçant les courbes par le haut le bas virevoltant dans la rue toute une foule qui grève le ciel

Benjamin Fouché

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