« Paroles sensibles, écrits lucides »

CARNETS DE GUERRE #8
Jean-Marc Royer

Jean-Marc Royer - paru dans lundimatin#389, le 27 juin 2023

Suivre au jour le jour, pendant des heures et « en direct » ce qui se passe sur le front de la guerre d’agression entamée par Poutine depuis plus de seize mois est une condition nécessaire pour tâcher de comprendre les horreurs auxquelles la population ukrainienne est confrontée, mais cela n’est pas suffisant pour en saisir tous les ressorts historiques, politiques et anthropologiques. [1]

Pour ce faire, il est également souhaitable de lire un certain nombre d’ouvrages concernant l’histoire des deux pays ; il est même utile de plonger dans un certain nombre d’archives, ce dont nous espérons pouvoir rendre compte.

Il est enfin tout aussi utile de lire les textes qui s’écrivent quotidiennement de manière à prendre un peu de recul par rapport à la tragédie éprouvante qui se joue en ce moment à notre porte et sous nos yeux accablés par tant de barbarie.

Voici donc, une première livraison de textes – parmi près d’une centaine que nous avons récemment lus – pour ce huitième « Carnet de guerre ». Ce qui suit est une sélection de quelques-uns d’entre eux, qui nous ont paru les plus intéressants, et dont nous avons choisi les meilleurs passages, à notre sens, évidemment [2].

Le 19 juin 2023

« L’AVENEMENT DE LA RUSSIE ET D’UN MONDE NOUVEAU »

Piotr Akopov, agence publique Ria Novosti [3], 26 février 2022.

Piotr Akopov est un commentateur nationaliste en vue à Moscou qui exprime l’essence de l’idéologie poutinienne. Son article a été accidentellement mis en ligne le 26 février 2022, mais la déroute aidant, il a été rapidement retiré. Le service Web d’Internet Archive a réussi à le sauver.

« Un nouveau monde est en train de naitre sous nos yeux. L’opération militaire en Ukraine inaugure une nouvelle ère. […] La Russie retrouve son unité. La tragédie de 1991, cette terrible catastrophe de notre histoire est surmontée. L’Ukraine, en tant qu’anti-Russie, n’existera plus. […] La Russie recouvre ainsi son intégrité historique, rassemblant le monde russe et le peuple russe dans une totalité de Grands Russes, de Biélorusses et de Petits Russes. Si nous avions abandonné cela, si nous avions laissé la division temporaire s’installer pendant des siècles, non seulement nous trahirions la mémoire de nos ancêtres, mais nous serions également maudits par nos descendants pour avoir permis la désintégration de la terre russe. Sans une once d’exagération, Vladimir Poutine a assumé une responsabilité historique en décidant de ne pas laisser la solution de la question ukrainienne aux générations futures. […]
Quelqu’un dans les vieilles capitales européennes, à Paris et à Berlin, a-t-il sérieusement cru que Moscou renoncerait à Kiev ? […] »

Commentaire : Suite à la débâcle de l’armée russe, il y eut un changement de ton, début avril 2022. Dans l’article « Ce que la Russie doit faire de l’Ukraine », Timofeï Sergueïtsev, autre idéologue bien en cour, exposait le projet qui consisterait dorénavant en une « dénazification » qui, selon lui, « devrait s’étaler sur une génération ». Une proclamation génocidaire des centaines de fois répétée dans les médias d’État. D’autre part, nous reviendrons sur les subtiles juxtapositions argumentaires qui laissent croire depuis trente ans que l’explosion de l’URSS serait peu ou prou le fait de « l’Occident collectif ». Au-delà des visions fantasmatiques bien partagées de part et d’autre du mur, cela vise essentiellement à cacher l’état réel de l’union en 1991, à savoir un régime policier dont absolument toutes les institutions étaient gangrénées, de haut en bas, par des maffias depuis des lustres [4]. Et cela prive les peuples de la fédération d’un réel retour sur les exactions staliniennes, sans lequel rien de solide ne pourra être construit.

LES VRAIES ET LES FAUSSES VICTIMES

Timothy Snyder, historien [5]

Le 14 mars 2023, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, l’historien Timothy Snyder a prononcé un discours dans lequel il analyse avec précision l’accusation de « russophobie » portée par le Kremlin. Il y démontre que cette honteuse accusation cherche à faire de la Russie la victime de la guerre qu’elle a elle-même déclenchée.

Mesdames et Messieurs,

Je suis ici aujourd’hui en ma qualité d’historien de l’Europe de l’Est, et plus particulièrement d’historien des massacres et des atrocités politiques. Je suis heureux que l’on m’ait demandé de vous informer sur l’utilisation du terme « russophobie » par les figures politiques de l’État russe. […] Je partage cette inquiétude pour la culture russe. Rappelons donc les actions qui, l’année dernière, ont causé le plus grand tort au peuple russe et à sa culture : […]

  • Le fait d’amener les Russes les plus créatifs et les plus productifs à émigrer. L’invasion russe de l’Ukraine a poussé environ 750 000 Russes à quitter la Russie, notamment certaines des personnes les plus créatives. Il s’agit d’un préjudice irréparable pour la culture russe […]
  • La destruction du journalisme russe indépendant, de façon à ce que les Russes ne puissent pas comprendre le monde qui les entoure. […]
  • La censure générale et la répression de la liberté d’expression en Russie. […]
  • L’attaque contre la culture russe par la censure des manuels scolaires […] et la destruction des musées et des organisations non gouvernementales consacrées à l’histoire russe. […]
  • Le parallèle tracé entre la Grande Guerre patriotique et les guerres d’agression de 2014 et 2022 prive les générations futures de Russes de la réalité de leur héritage. […]
  • […] Quelque 200 000 Russes sont morts ou ont été blessés. Il s’agit là, bien entendu, d’une politique, celle qui consiste à envoyer de jeunes Russes mourir en Ukraine. […]
  • […] Cette guerre a pour effet que toute une génération de jeunes Russes, ceux qui y survivront, se sentiront impliqués dans des crimes de guerre et seront hantés par les traumatismes et la culpabilité toute leur vie. […]
  • Le fait d’inculquer sans relâche aux Russes l’idée que le génocide est normal. Nous le voyons dans les affirmations répétées du président russe selon lesquelles l’Ukraine n’existe pas.
  • Nous le voyons dans les fantasmes génocidaires des médias d’État russes. […]
  • Nous le voyons lorsque la télévision d’État russe présente les Ukrainiens comme des « porcs » […] des « parasites » […] des « vers » […] des « satanistes » ou des « vampires ».
  • Nous le voyons lorsque la télévision d’État russe proclame que les enfants ukrainiens devraient être noyés.
  • Nous le voyons lorsque la télévision d’État russe proclame que les maisons ukrainiennes devraient être brûlées avec leurs habitants. […]
  • Nous le voyons lorsque quelqu’un déclare à la télévision d’État russe : « Nous allons en tuer un million, nous allons en tuer cinq millions, nous pouvons tous les exterminer », c’est-à-dire : tous les Ukrainiens. […]

Affirmer que les Ukrainiens doivent être tués parce qu’ils souffrent d’une maladie mentale nommée « russophobie » est néfaste pour les Russes, car elle les éduque au génocide. Mais bien entendu, cette affirmation est pire encore pour les Ukrainiens. […]

Dnipro, 14 janvier 2023.

Me EMMANUEL DAOUD : « IL FAUT QUE LA PEUR CHANGE DE CAMP »

Interview de Ksenia Tourkova [6], le 24 mars 2023

Le mandat d’arrêt émis le 17 mars 2023 par la Cour pénale internationale contre Vladimir Poutine a été le résultat d’une importante mobilisation européenne. C’est un collectif français qui a saisi la CPI à propos de la plus grande opération d’enlèvements et d’adoptions forcées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le dossier avait été présenté par Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris, qui s’est réjoui de cette décision « historique et fondamentale » de la CPI. […]

Maître E. Daoud. La question qui m’a été posée était la suivante : Est-ce que vous pensez, au vu des éléments factuels que nous avons en notre possession, que nous pourrions saisir la CPI ? Nous avons étudié le dossier […] avec mon confrère Gabriel Sebbah, et très rapidement nous avons eu la conviction qu’au vu des éléments de preuve qui avaient été rassemblés, non seulement l’on pouvait qualifier ces faits de crimes de guerre, mais aussi de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide.

Donc, nous avons saisi la CPI en décembre 2022 pour des faits de crimes contre l’humanité et crimes de génocide, en visant nommément et directement M. Poutine, la commissaire russe aux droits des enfants Maria Lvova-Belova, le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, le chef d’état-major des armées Valeri Guerassimov, ainsi que les personnes qui ont été désignées par Vladimir Poutine pour diriger la soi-disant « opération spéciale » […]. Et nous avions également visé l’idéologue nationaliste russe Timofeï Sergueïtsev qui avait développé une théorie qui impliquait notamment que l’on déporte des enfants ukrainiens [7] pour soi-disant « dénazifier » d’Ukraine. […]

[…] Les éléments de preuve sont produits par les autorités russes elles-mêmes : le site officiel du Kremlin, où l’on voit Vladimir Poutine discuter avec Maria Lvova-Belova qui lui demande de modifier la législation pour permettre l’adoption immédiate d’enfants ukrainiens par des familles russes. Les télévisions russes qui ont montré l’arrivée de ces enfants par autobus, par train ou par avion : ils sont alors accueillis dans différentes provinces russes par des gouverneurs qui vont les remettre à des familles russes. La modification du droit russe va permettre d’adopter en moins de 24H et de modifier l’état civil de ces enfants en changeant leurs noms, prénoms, lieux et dates de naissance pour qu’ils deviennent de parfaits petits Russes.

Donc, rendez-vous compte – des enfants de 2, 3, 4 ou 5 ans avec un nouvel état civil – comment pourront-ils ensuite, dans un an, dans deux ans, dans trois ans, dans cinq ans, retrouver leurs parents, alors que leur véritable identité aura été purement et simplement effacée ? Et tout cela était voulu par Poutine, de la même façon que l’armée russe et la télévision de l’armée russe ont diffusé des images où l’on voyait des parachutistes russes prendre d’assaut des orphelinats en Ukraine pour kidnapper des enfants, les mettre dans des camions de l’armée, et, on retrouvait les mêmes enfants en Russie quelques jours ou quelques semaines après. Donc, oui, toutes ces preuves existent et elles ont été fournies par les Russes eux-mêmes. […]

Le Statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale, prévoit trois types de crime : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide. L’on pourrait penser que pour qu’il y ait crime de génocide, il faudrait que l’auteur du crime veuille anéantir tout un pays, toute une nation, toute une ethnie. Le fait de déporter des enfants est en soi un élément constitutif du crime de génocide et le fait de s’attaquer à une partie de la population dans le but de dissoudre cette population – en l’occurrence la nation ukrainienne – est suffisant pour caractériser le crime de génocide. […]

Je vous rappelle que les mandats d’arrêt sont lancés une bonne fois pour toutes. On ne peut pas revenir dessus et ces crimes sont imprescriptibles. Donc, j’ai la conviction que toutes celles et ceux qui se sont rendus auteurs de ces crimes seront jugés. […] Il y a deux grandes hypothèses.

La première : M. Poutine ne gagnera pas cette guerre, et il faudra qu’il rende compte de cette défaite dans son entourage immédiat. Et peut-être que M. Poutine – je suis quelqu’un de pacifiste – va être emprisonné ou va même être exécuté en Russie. Comme vous le savez, les loups se dévorent entre eux, ce qui risque de se passer.

Deuxième hypothèse : s’il perd la guerre, il y aura un changement de régime. […] Donc on peut imaginer que le nouveau pouvoir russe remettra à la CPI ceux qui sont responsables de cette guerre, de ces crimes – évidemment pas seulement de la déportation d’enfants, mais aussi des bombardements de populations civiles, des bombardements d’infrastructures civiles, des exécutions et disparitions arbitraires, des tortures et des viols des femmes ukrainiennes utilisés comme arme de guerre. […]

À partir du moment où M. Poutine est considéré comme celui qui a donné les instructions, comme l’autorité suprême, qui a donné pour instruction ou qui a laissé faire des bombardements sur les populations civiles, il y aura d’autres mandats d’arrêt. Par exemple, s’agissant des crimes qui ont été commis à Boutcha, le commandant de ce bataillon de parachutistes d’infanterie est rentré en Russie et a été décoré. Alors que les télés du monde entier avaient diffusé ces images – que personne ne peut avoir oubliées – de ces corps, de ces personnes exécutées en pleine rue ou des charniers qui ont été identifiés. Donc, lorsque l’on est un criminel de guerre, comme cet officier, on n’est pas poursuivi en Russie, on est décoré. Et ceux qui l’auront décoré, à commencer par M. Poutine, auront des comptes à rendre.

Tranchée ukrainienne, 2023. https://vu.fr/apds

« POUR NOTRE LIBERTÉ ET LA VÔTRE »

(Paroles des derniers résistants du ghetto de Varsovie)
« Ukraine, notre avenir à tous », Anne-Marie Pelletier [8]

[…] Car, enfin, c’est depuis 2014 que la guerre sévit en Ukraine, sans que nous y ayons prêté attention. Guerre, certes, « à bas bruit », qui pouvait nous sembler très périphérique, une affaire de séparatistes pro-russes dans une région frontalière, au bout de l’Europe. Pourtant, au début de 2022, ce sont plus de quinze mille hommes qui étaient déjà tombés dans ce conflit. Et des centaines de milliers d’habitants de l’Est de l’Ukraine, femmes et enfants, vivaient en réfugiés dans les villes de l’Ouest, chassés par la guerre féroce qui mettait face à face l’armée ukrainienne et des séparatistes noyautés par des soldats russes camouflés. Pourtant, encore en février 2014, alors même que le pouvoir pro-russe d’Ianoukovytch écrasait les manifestants pacifiques de la place Maïdan faisant des dizaines de morts, Vladimir Poutine déclarait l’annexion pure et simple de la Crimée. Le monde assista presque en silence au spectacle d’une armée d’hommes sans uniforme, unités paramilitaires entraînées et financées par le gouvernement russe, qui faisait main basse sur la presqu’île ukrainienne et, au terme d’un simulacre de référendum, en faisait une propriété de la Russie. […]

Les citoyens européens détournèrent la tête. Ils n’ouvrirent les yeux que plusieurs années après, en ces jours de février 2022, au moment où pénétrèrent dans leurs foyers les images-chocs de centaines de milliers d’Ukrainiens – femmes et enfants surtout, et tellement à leur ressemblance – qui fuyaient vers l’Ouest, laissant derrière eux toute leur vie d’hier, leurs logis et leurs projets, tandis que ceux qui restaient, entraient dans une résistance vécue dans le quotidien héroïque d’une vie civile exposée à la mort, comme sur le front, les armes à la main. […]

Mais, il ne suffit pas d’être le spectateur de l’héroïsme de l’autre, même en s’en faisant le chantre admiratif et laudateur. Il ne suffit pas de célébrer la bravoure et l’endurance d’un peuple auquel on pourrait se contenter de fournir les armes dont son combat a besoin. Nous sommes sous l’urgence d’un véritable travail d’intelligence et de discernement de ce qui se vit en Ukraine et, à partir de là, de ce qui se joue pour l’avenir du monde. […]

[Cette guerre] est un avatar de l’histoire du XXe siècle, la démonstration que le soviétisme est un poison lent, qui n’a pas été purgé, aussi mortel que le Novitchok, dont use le Kremlin pour éliminer ses opposants. L’impudence et la barbarie de la Russie aujourd’hui signent simplement le retour de ce dont le maître du Kremlin déplore la perte, quand il ose faire de la fin de l’URSS le plus grand malheur survenu au XXe siècle. Justifiant implicitement par-là tous les crimes de Staline, dont la cote est d’ailleurs au plus haut auprès d’un homo sovieticus dopé par une propagande disposant de pouvoirs d’influence sans précédent. […]

Nous […] aurions dû voir l’accumulation des signes : depuis les réhabilitations de symboles staliniens, depuis les paroxysmes de cruauté dans lesquels s’est illustré ce régime en Tchétchénie ou en Syrie, depuis l’accumulation des assassinats politiques, l’emballement de la répression des opposants, la dissolution prononcée en 2021 de l’association Mémorial, depuis la réécriture mensongèrement délirante de l’histoire, où l’on annule aujourd’hui les souvenirs gênants, comme le Kremlin retouchait les photos officielles en effaçant les personnages tombés en disgrâce. […]

La consigne de Staline donnée comme règle de conduite à tous les membres du parti bolchévique fut rappelée par H. Arendt : « Tu porteras de faux témoignages ». Elle fait loi chez V. Poutine. Tout comme la posture « d’innocence persécutrice », cette manipulation qui consiste, au moment même où l’on profère le mensonge, à se draper dans le rôle du défenseur de la vérité, face à un ennemi auquel on fait porter la responsabilité de la violence que l’on va exercer sur lui. […]

[…] Nous ne pouvons faire l’économie d’un travail d’intelligence, d’interprétation lucide de l’actualité, qui est le quotidien tragique du peuple ukrainien depuis des mois. Faute de quoi, on peut craindre que nos sociétés manquent d’énergie pour assumer les contraintes et les épreuves qu’exige aujourd’hui la résistance aux entreprises du Kremlin. Ce qui serait à n’en pas douter condamner l’avenir au malheur.

« VERS LA FIN (PROVISOIRE) DE LA POLITIQUE RUSSE EN ALLEMAGNE ? »

Katja Gloger [9], 15 avril 2023.

Gerhard Schröder et Vladimir Poutine à Moscou en 2018. // kremlin.ru

L’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, lobbyiste bien rémunéré du groupe public russe Gazprom depuis 2005, était considéré comme le garant des meilleures intentions poutiniennes et de la meilleure politique allemande de paix et d’économie vis-à-vis de la Russie. […] L’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, décédé en 2015, déclarait encore en mai 2014 que c’était « une grande erreur de l’Occident de croire qu’il y avait un peuple ukrainien, une identité nationale ». […] Cela est allé si loin que la critique de Poutine et de son système répressif a été discréditée en tant que « bellicisme, mépris de la Russie et diabolisation du président Poutine. » […]

La coopération énergétique lucrative, vieille de plusieurs décennies, avait commencé avec le légendaire « marché du gaz naturel contre des tuyaux » dans les années 1970 […]. Les entreprises allemandes ont pris des parts dans des gisements de gaz en Sibérie occidentale, avec la garantie de l’État. […] En octobre 2015, alors que la Russie était sous le coup de sanctions de l’UE après l’annexion de la Crimée et sa guerre dans l’est de l’Ukraine, et que l’aviation russe bombardait des villes syriennes, le ministre de l’Économie Sigmar Gabriel s’est prononcé à Moscou pour une levée progressive des sanctions : le grand projet germano-russe – Nord Stream 2 – était déjà en cours de planification. […]

Sans le soutien de personnalités politiques allemandes de premier plan, de ministres sociaux-démocrates de l’Économie et des Affaires étrangères, tout cela n’aurait guère été possible. Gerhard Schröder aura joué un rôle important. « L’apaisement de Poutine » était une affaire qui dépassait les frontières des partis : les ministres-présidents de la CDU entretenaient de bonnes relations avec Poutine. Les délégations économiques de Bavière (gouvernée par la CSU) se rendaient également volontiers à Moscou. […] Le gouvernement allemand – le ministre de l’Économie Sigmar Gabriel, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, la Chancelière fédérale – a soutenu le projet de gazoduc Nord Stream 2.

[Mais en 2022], Frank-Walter Steinmeier, devenu président, s’est excusé publiquement pour son « erreur d’appréciation » personnelle sur Poutine, un événement unique en son genre ; il l’a qualifié publiquement de « belliciste à l’obsession impériale », ce qui est également un fait unique. […]

VW fête la 700 000ᵉ voiture produite à Kalouga, Russie, en présence du ministre-président de Basse-Saxe Stephan Weil, à gauche et de Martin Winterkorn PDG du groupe à droite, en 2013. // news.drom.ru

« L’ALLEMAGNE DOIT CLARIFIER DES OBJECTIFS DANS SON SOUTIEN A L’UKRAINE »

Appel d’intellectuels allemands [10], 11 mars 2023.

[…] La République fédérale d’Allemagne a une responsabilité politique et morale tout à fait particulière à l’égard de l’Ukraine, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, elle s’inscrit dans la continuité de l’Empire Allemand, qui a occupé l’ensemble de l’Ukraine pendant la Première Guerre mondiale, notamment pour exploiter la région du charbon et du minerai de fer du Donbass, dans l’est, autour de Donetsk et de Louhansk […]. Ce projet a ensuite été poursuivi par l’Allemagne nazie dans sa guerre d’agression et d’extermination contre l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Les principaux théâtres de l’offensive nazie, avec son régime brutal d’occupation et l’Holocauste, étaient alors les républiques soviétiques d’Ukraine et de Biélorussie, ainsi que la partie occidentale de la Russie. […]

Il s’ensuit que l’Allemagne a une dette historique envers l’Ukraine, dont l’existence est gravement menacée : la Wehrmacht, les Einsatzgruppen et les SS ont dévasté l’Ukraine soviétique des années durant à partir du 22 juin 1941, ont assassiné la quasi-totalité des Juifs et des « Tsiganes » ukrainiens, ont abattu par milliers les résistants traités de « bandits ». Plus de six cents des « villages brûlés » que les SS, la Wehrmacht et leurs auxiliaires ont détruits après avoir assassiné tous leurs habitants se trouvaient en Ukraine. Dans le même temps, des millions d’Ukrainiens ont été envoyés au travail forcé « dans le Reich » et un nombre équivalent de soldats ukrainiens de l’Armée rouge sont morts de faim dans des camps de prisonniers de guerre ici, chez nous, à Stukenbrock, Sachsenhausen et Bergen-Belsen, et non pas dans le lointain « Reichskommissariat » ukrainien.

« Le 8 mai [1945] a été un jour de libération. Il nous a tous libérés de la tyrannie nationale-socialiste », a déclaré en 1985 le président allemand de l’époque, Richard von Weizsäcker. Aujourd’hui, il s’agit de libérer des parties de l’Ukraine d’une occupation cruelle exercée par un système de tyrannie différent mais tout aussi inhumain. […]

Tant que l’Ukraine n’aura le choix qu’entre l’anéantissement et la résistance, les appels à la négociation, notamment de la part de l’Allemagne, seront cyniques. L’abondante documentation recueillie sur les crimes de guerre que les forces armées et d’autres formations armées de la Fédération de Russie ont commis et continuent de commettre dans les territoires occupés montre clairement que la fin des hostilités ne signifierait pas la fin de la terreur et de la mort pour les habitants de ces régions. […]

  • Franziska Davies, Département d’histoire, Université Ludwig-Maximilians de Munich ;
  • Otto Luchterhandt, Faculté de droit, Université de Hambourg ;
  • Stefan Troebst, Institut d’études mondiales et européennes, Université de Leipzig ;
  • Andreas Umland, Centre d’études est-européennes de l’Institut suédois des relations internationales.
Dans la nuit du 2 Mars 2023 les forces russes ont frappé un immeuble résidentiel à Zaporijjia. Photo : Anatoliy Kourtiev, secrétaire du Conseil municipal

LA GUERRE D’UKRAINE, UNE MISE EN PERSPECTIVE

Jean-Sylvestre Mongrenier [11], 12 mars 2023

« Bien qu’antérieur à l’opération de brigandage international conduite par Poutine en Ukraine, dès février 2014, le concept de « guerre hybride » fit alors florès, d’autant plus qu’il était rassurant pour tous. À en croire un certain nombre d’analystes, le conflit russo-ukrainien n’était qu’une lointaine demi-guerre, en dessous du seuil de déclenchement d’une guerre [de haute intensité]. Et c’est ainsi que nombre de dirigeants occidentaux virent alors la chose. D’une certaine manière, il était confortable de se concentrer sur la « lutte informationnelle » – un euphémisme qui désigne la guerre psychologique et la désinformation, renouvelées par les technologies numériques – de privilégier le décryptage des fake news et d’en appeler à la « résilience » [12]. Quant au « format Normandie » (Paris-Berlin-Moscou-Kyïv) mis en place en 2014, il était supposé encadrer et limiter cette « guerre hybride », maintenue éloignée de l’Europe occidentale.

En vérité, les accords de Minsk (février 2015) négociés dans ce cadre ne purent être appliqués car ils étaient tout simplement inapplicables [Poutine n’en voulait pas [13]]. Les cessez-le-feu furent sans cesse violés, tandis que les unités et les équipements russes transitaient continument au travers de la frontière entre la Russie et l’Ukraine, une frontière internationalement reconnue, y compris par Moscou ; ces violations systématiques furent documentées par la mission de l’OSCE, cantonnée à la seule observation des faits. Il importe de conserver à l’esprit le chiffre de 14 à 18 000 morts civiles et militaires des deux côtés, et les centaines de milliers de réfugiés provoqués par ladite guerre « hybride » que les dirigeants occidentaux, par « réalisme », expliquait-on, négligèrent [voir la réception de Poutine à Brégançon en 2019, en marge du G7] et le soutien au retour de la Russie au sein de l’OSCE.

Puis vint l’« opération spéciale » du 24 février 2022 […]. Poutine entendait en finir avec l’Ukraine en quelques jours. La décapitation du pouvoir politique et l’effondrement de l’État – un château de cartes selon le renseignement russe [14] – devaient être suivis d’une « pacification » (l’affaire de quelques mois). On sait que cette opération fut un échec. […]. De multiples enseignements peuvent être tirés de cette guerre :

  • La mise en œuvre d’une techno-guérilla ukrainienne [15], armée de systèmes antichars et antiaériens portables, la mobilisation de la population civile (volontaires de la défense territoriale, camionneurs, ingénieurs, informaticiens etc.), et la militarisation hâtive de drones civils (en sus des drones militaires turcs) ont pu arrêter et détruire les colonnes de chars russes coincés sur les routes ukrainiennes. Au total, l’armée russe aurait perdu 1 700 blindés en une année, détruits ou capturés par l’ennemi, soit la moitié du parc engagé dans la guerre en cours.
  • De prime abord, Poutine – présenté par ses thuriféraires en « maître de la grammaire stratégique » – et l’armée russe ont exposé leurs faiblesses et l’inanité de leur stratégie militaire [16]. […] Si bien que missiles de portée intermédiaire et drones explosifs achetés à l’Iran (le Shahed-136) s’abattent sur les villes et les infrastructures civiles ukrainiennes. Bref, ce qu’il ne peut conquérir, Poutine le détruit, en espérant pouvoir mener une grande offensive dès que les conditions et les moyens requis auront été rassemblés, pour peu que l’on lui en laisse le temps. […]
  • Il s’agit bien d’une « vraie guerre » entre deux États pleinement souverains [dont l’un possède l’arme nucléaire et l’autre quinze réacteurs], dans laquelle […] le maintien en condition opérationnelle, la maîtrise de la logistique, les facteurs moraux commandent le succès. […]
  • Entre autres aspects de cette guerre, il faut mentionner les capacités de frappes de précision en profondeur [17], la saturation du champ de bataille par les capteurs et les munitions autonomes [dites rôdeuses], la sophistication de la guerre électronique et des actions « cyber », la numérisation et la « transparence » de l’espace tactique, l’imbrication enfin des différents milieux et domaines d’affrontement. […]
  • Malgré la mobilisation de 300 000 hommes et la concentration de moyens aériens, il n’est pas évident que l’armée russe ait la possibilité, un an après l’« opération spéciale », de mener une grande offensive victorieuse. Néanmoins, Poutine et ses services sont prêts à mobiliser les ressources humaines, énergétiques, minérales et industrielles de la Russie-Eurasie pour l’emporter. Et les liens avec l’Iran, la Chine populaire et la Corée du Nord se resserrent, avec en perspective la formation d’un nouvel axe […]. »
Une femme avec son enfant à Ouman, oblast de Tcherkassy, le 28 avril 2023. Photo : Serhii Supinskyi.
Vladislav Sourkov, assistant de Poutine :

« COMMENT NOUS ALLONS DEMEMBRER L’UKRAINE »

Alya Shandra et Robert Seely [18]

Voici une étude des courriels issus en 2016 et 2017 du bureau de Vladislav Sourkov, un proche de Poutine, co-fondateur de son parti « Russie-Unie » et un temps vice-président du gouvernement. Certes, ces correspondances ne sont qu’un pâle reflet de la réalité guerrière proprement dite dont la population ukrainienne souffre depuis bientôt deux décennies. Oui, depuis l’Euromaïdan presque vingt ans se sont écoulés, et la guerre a pris une toute autre tournure. Il n’empêche que ces divulgations viennent à propos éclairer les tactiques de désinformation que les services russes ont amplement utilisées depuis cette époque et pas seulement en Ukraine, évidemment.

En juillet 2019, le Royal Joint Defence Research Institute (GB) a publié un document de quatre-vingt douze pages intitulé « The Sourkov’s Leaks : The Inner Workings of Russia’s Hybrid War in Ukraine » [les fuites Sourkov ou les rouages de la guerre hybride russe en Ukraine] qui analysait des e-mails en provenance du Kremlin. Ces mails fournissent des informations intéressantes sur les activités déstabilisatrices de la Russie en Ukraine en 2016 et 2017. Le texte intégral du document est disponible sur le site Web de l’institut [19]. Il présente un certain intérêt au moment où médias et sites gouvernementaux mettent en lumière des agissements identiques ici même, depuis 2022 (texte suivant).

« […] Des courriels de responsables du Kremlin, dont ceux de Vladislav Sourkov, l’idéologue-assistant de Poutine ont été étudiés […]. Ces fuites couvrent la période de 2014 où la Russie poursuivait son projet de « Novorossiya » [nouvelle Russie] en se fixant pour objectif de remodeler le sud-est de l’Ukraine à son avantage. Lorsqu’il s’est avéré que les autorités du Kremlin avaient échoué à le faire – à l’exception des petites dépendances qui ont été créées à Donetsk et Louhansk – Moscou s’est tourné vers la promotion d’un mouvement séparatiste en Ukraine dont le but ultime était la fédéralisation du pays. […]

Les alliés du Kremlin sont intervenus dans les élections ukrainiennes, ont organisé et financé une campagne de « fédéralisation douce » du pays, ont tenté de modifier la Constitution de l’Ukraine, d’établir un centre de pouvoir alternatif et ont créé l’illusion d’un large soutien à ses manipulations. […]

Ce document rend publique une multitude d’opérations : il établi un instantané des procédés de subversion – des coûts des manifestations aux messages des réseaux sociaux, en passant par les tactiques de déstabilisation violente. […] Les courriels divulgués montrent également que les objectifs de la Russie en Ukraine et en Géorgie comprenaient l’exploitation économique des territoires occupés, ainsi que la réalisation de leur contrôle politique et militaire. […]

Trois séries de mails ont été examinés

  • La première série qui comporte 2347 e-mails de la boîte aux lettres prm_surkova@gov.ru et la deuxième série, de 435 e-mails provenant de la boîte pochta_mg@mail.ru, ont été publiés sur Internet. En termes de contenu, ces e-mails peuvent être regroupés comme suit :
  • La stratégie russe d’activités subversives en Ukraine et en Géorgie, y compris le discrédit jeté sur les institutions et les cultures occidentales.
  • Le financement et la gestion des administrations d’occupation en Ukraine et en Géorgie.
  • Les tactiques de « fédéralisation douce » en Ukraine et la prévention du mouvement du pays vers l’Ouest.
  • L’analyse de la situation politique générale et du discours médiatique en Ukraine.
  • La troisième série de courriels provenait des comptes de deux autres hauts fonctionnaires : le premier adjoint de Sourkov, Inal Ardzinba (1046 mails), qui a supervisé et financé des projets visant la « fédéralisation douce » de l’Ukraine ; la chef du Parti communiste de Kharkov Alla Aleksandrovskaya et son fils Alexander Aleksandrovsky (337 mails de la boîte fedor_fedorov53@mail.ru), qui correspondaient avec Ardzinba. Cette troisième série a été publiée et analysée par le projet InformNapalm. […]

Cette troisième série de fuites de courriers électroniques est particulièrement précieuse, précisément parce que les efforts de la Russie pour diviser la société civile ukrainienne sont peu connus. Les mails montrent que l’opération russe de désinformation de la population n’était qu’une partie d’une stratégie plus large visant à « remodeler la réalité ». Cette approche a également été utilisée lors de l’élection présidentielle américaine de 2016. […]

Comment encourager le chaos

En s’appuyant sur le ralentissement économique dû à la guerre, [… et les] mesures impopulaires telles que les augmentations tarifaires et les réformes du code du travail, des e-mails d’Ardzinba et de Sourkov montrent comment le Kremlin a cherché à approfondir ce mécontentement et à stimuler les manifestations qui l’accompagnaient à travers l’Ukraine en 2014-2015. Les lettres décrivent l’un des mini-rassemblements à Kiev, organisé près de l’ambassade des États-Unis. […]

La ville portuaire d’Odessa a été en proie à d’intenses manifestations des forces pro-ukrainiennes et pro-russes. Le point culminant des manifestations a eu lieu le 2 mai 2014, lorsque des combats de rue et un incendie dans la maison des syndicats ont coûté la vie à 48 militants. Cette tragédie est devenue le centre de la propagande russe. En Fédération de Russie, les événements ont été présentés comme un « massacre », au cours duquel le gouvernement ukrainien a brûlé vifs ses opposants. La fuite des lettres d’Ardzinba montre que Davidchenko a spécifiquement cherché à utiliser l’incendie pour attiser l’hostilité envers le gouvernement ukrainien.

En Ukraine, où le degré d’intervention russe fut plus élevé qu’en Occident, la Russie a utilisé une gamme très complète de moyens et de méthodes, allant du soutien apporté par les troupes conventionnelles et les forces spéciales aux outils économiques, politiques, d’information ou d’influence publique. Des activités similaires du Kremlin peuvent être observées dans les zones de conflits gelés en Géorgie et en Moldavie. »

LA CAMPAGNE DE DESINFORMATION PAR LE « DOPPEL GANGER »

Florian Reynaud et Damien Leloup [20]

Cette opération de propagande, vaste et sophistiquée, a notamment produit pendant plus d’un an de faux sites officiels français et de faux articles de médias, dont « Le Monde ». […] Visuellement, la page ressemble à s’y méprendre à celle du ministère des affaires étrangères français. […] Sauf que l’information annoncée – la mise en place d’une taxe de 1,5 % sur « chaque transaction monétaire » pour financer le soutien militaire à l’Ukraine, est totalement fausse. […] Des faux similaires ont aussi été diffusés en Italie, au Royaume-Uni, et en Ukraine.

A chaque fois, le mode opératoire est le même : un article factice qui prend position pour la Russie, critiquant par exemple la visite du ministère des armées français en Ukraine, annonçant que les sanctions contre la Russie ruinent l’économie allemande, ou que le président ukrainien Zelensky conduit son pays à la catastrophe.

Mardi 13 juin, le Quai d’Orsay a mis en cause la Russie dans cette vaste opération de désinformation. […] À la fin de 2022, […] Meta avait frappé fort pour tenter de bloquer ce que l’entreprise estimait être « la plus grande, et la plus complexe, opération [de désinformation] russe depuis le début de la guerre en Ukraine, avec un niveau inhabituel de sophistication et de puissance ». Le propriétaire de Facebook avait alors annoncé avoir supprimé plus de 1 600 comptes et 700 pages, et identifié 100 000 euros investis par cette opération dans des publicités sur sa plate-forme. L’entreprise baptisait ce groupe « Doppelganger » – « sosie », en allemand, mais aussi un double maléfique dans les légendes germaniques. […]

Opération d’une rare sophistication
[…] « C’est une opération bien conçue, réalisée par des personnes qui ont longuement réfléchi à ce qu’elles faisaient », observe-t-on au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui regroupe notamment Viginum. En plus de « pousser » les éléments de langage classique du Kremlin, les campagnes « semblent avoir comme objectif secondaire de faire croire qu’il y a un soutien populaire à la Russie au sein de l’Union européenne », note le SGDSN. […]

En France, le réseau de fausses pages Facebook a également servi à amplifier des tweets de Florian Phillipot sur la guerre en Ukraine, ou encore une vidéo du média français Omerta, qui défend des positions pro-russes. […]

L’opération Doppelganger a aussi créé ses propres médias, à commencer par un site appelé « Reliable Recent News », qui publie quotidiennement des articles dans plusieurs langues, dont un français correct mais sommaire, probablement issu d’un logiciel de traduction automatique. […] Il se présente comme un « portail d’information non commercial ayant des rédactions en Allemagne, Italie, Espagne et Serbie », mais ne dévoile jamais l’identité de ses créateurs et journalistes.

Il publie notamment des micro-trottoirs en vidéo, dans lesquels des citoyens français, allemands, polonais ou même américains sont interrogés sur la guerre en Ukraine – toujours pour critiquer le soutien occidental à Kiev, parfois en ayant recours à des montages trompeurs. […] Au cours du mois de mai, RRN a même diffusé une interview, écrite et vidéo, de l’eurodéputé RN Thierry Mariani, connu pour sa proximité avec la Russie de Vladimir Poutine, repartagée ensuite par l’élu sur Twitter. Le message de M. Mariani a alors été très vite repris et inséré dans plusieurs publicités Facebook appartenant au réseau de Doppelganger. […]

Le Monde a également identifié une fausse ONG de défense de la vie privée, baptisée « Facts Matter », appartenant au même réseau de désinformation. […] « Facts Matter » est lui-même cité par deux étranges sites d’information français, « La Virgule » et « France et EU », créés à la même période et hébergés sur des serveurs similaires, qui sont d’autres faux-nez de Doppelganger. Les investigations menées par les services de l’Etat français ont identifié d’autres sites « d’information » francophones, notrepays.today, candidat.news, ou allons-y.social, également créés par Doppelganger. […]

En décembre, Meta pointait du doigt deux entreprises russes de communication, « Struktura » et « l’agence de design social », travaillant principalement pour des organismes publics russes, dont le ministère de l’intérieur et la Douma, la chambre basse du Parlement russe. […] De nombreux contenus de cette opération ont été repris, parfois simultanément, par des canaux russophones, sur Telegram, comme « preuves » de l’inefficacité des sanctions contre la Russie ou pour assurer à leurs lecteurs que les populations européennes refusaient de soutenir l’Ukraine et étaient sur le point de se révolter contre leurs dirigeants. […]

Les personnes derrière Doppelganger ne semblent pas prêtes à renoncer. Quelques minutes à peine après la diffusion du communiqué du quai d’Orsay dénonçant mardi leur opération, ils publiaient une nouvelle vague de faux documents, siglés cette fois du ministère de l’intérieur et mettant en garde contre un « nouveau type d’escroqueries » commises par « des migrants et réfugiés, souvent originaires d’Ukraine ».

[1Les Carnets de guerre précédents sont accessibles ici.

[2Nous nous tenons très loin des ragots alphanumériques forgés à la micro seconde et sur mesure par les algorithmes des Gafam de manière à faire le Buzz, mais il est également important de rappeler, une fois de plus, que citer un auteur ou un blog ne signifie en aucune manière en approuver la totalité des contenus. Nous espérons simplement que les passages choisis pourront provoquer une réflexion chez chacun et chacune.

[3Traduit du russe par Nastasia Dahuron et Inna Uryvskaya. https://vu.fr/woSp et https://vu.fr/uZoy

[4Parmi de nombreux ouvrages, citons Virginie Coulloudon, La Mafia en Union Soviétique, Paris, JC Lattès, 1991.

[5Timothy Snyder, « Jouer la victime », témoignage au Conseil de sécurité des Nations unies sur le discours de haine russe, https://snyder.substack.com/p/playing-the-victim

[7Consulter à ce sujet le site « Les Humanités » de Jean-Marc Adolphe et son article en date du 8 avril 2023.

[8« Ukraine notre avenir à tous », c’est le titre de la préface du 26 février 2023 d’Anne-Marie Pelletier au livre de Constantin Sigov, Le Courage de l’Ukraine.

[9Katja Gloger est une slaviste et journaliste allemande. Elle a été correspondante du Stern à Moscou et aux États-Unis. Auteur de Putins Welt (Le monde de Poutine), paru en 2015. https://vu.fr/UwzM

[11Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Paris VIII). Texte intégral : https://vu.fr/ifYS

[12Lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Thierry Ribault, Contre la Résilience, l’Échappée, 2022.

[13Régis Genté, « Selon Vladislav Sourkov, le Mage du Kremlin, Vladimir Poutine ne voulait pas des accords de Minsk 2 », Le Figaro, 17 février 2023.

[14La CIA et le renseignement militaire français se sont aussi largement fourvoyés… Cf. les précédents « Carnets de guerre » à ce sujet.

[15Les autorités ukrainiennes appelaient les habitants de Kyiv à fabriquer des cocktails Molotov et des obstacles à la progression de l’armée russe…

[16Nous reviendrons prochainement dans l’analyse des failles de l’armée russe qui ne furent pas que « stratégiques », loin de là…

[17À plusieurs reprises, l’armée ukrainienne a montré qu’elle pouvait frapper en Crimée, dont le « pont de Poutine » (8 octobre 2022), mais aussi sur le territoire russe et ce jusqu’à une centaine de kilomètres de Moscou. Le 28 février 2023, un drone s’est écrasé à Goubastovo, près d’un site de Gazprom, à une centaine de kilomètres au sud-est de Moscou. D’autres drones auraient été abattus dans la région de Krasnodar et la république d’Adyguée (Caucase du Nord) ainsi que les régions de Briansk et de Belgorod, frontalières de l’Ukraine. Auparavant, en décembre 2022, un drone ukrainien s’était approché d’une base aérienne de la région de Saratov, sur la rive droite de la Volga, à 500 kilomètres de la frontière ukrainienne.

[20Enquête réalisée en collaboration avec Christo Buschek, journaliste à « Paper Trail Media » et « Der Spiegel ». Le Monde du 13 juin 2023.

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