PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°7

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#289, le 24 mai 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

Miettes 7

Introduction à la question de la réalisation
Que veut dire « réaliser » le Réel en réalité ?
Toute réalisation est corruption.
Retour sur le vieux thème de « la dégradation ».

« Le résultat de l’événement est la réalisation, à l’intérieur de l’être, du processus qui porte l’apparition d’une nouvelle vérité. »
Alain Badiou par Alain Badiou, thèse 13, page 44, La philosophie entre mathématiques et poésie.

Voilà la belle thèse pragmatiste, positiviste, que nous allons devoir élucider, critiquer et dépasser.
Avec le thème central de la réalisation comme étant une corruption (nécessaire), une dégradation.
Tout événement, singularité, coupure, se réalisera ou produira de la réalisation, portera une nouvelle vérité (une nouvelle forme réalisée),
MAIS la réalisation, la nouvelle vérité, la nouvelle formule révolutionnaire, sera TOUJOURS « dégradée », corrompue, et finira par se volatiliser – par être ingérée dans l’être digestif, qui périra de cette ingestion (in-gestion, mauvaise digestion).
L’événement est ce qui arrive et disparaît.
Il doit donc être autant question de « l’avenance » (Ereignis) de ce qui advient et casse, de ce qui advient de révolutionnaire, en science ou en politique, QUE de la corruption, de la dissolution, de l’évanouissement.
Il faut mépriser les constructeurs de nouveaux mondes ou de nouvelles vérités qui ne peuvent accepter, refusent, rejettent, tout ce qui ne renforcerait pas leur optimisme de commande (force et commandement étant des « maisons fortes » pour leur « affirmationnisme » sans ombre et sans dualité).

Si l’apparition d’une nouvelle vérité, d’une nouvelle forme, peut toujours être « accueillie » avec enthousiasme (l’enthousiasme de Kant pour la révolution française), sinon légèreté, peut toujours donner le sentiment de « revivre », NÉANMOINS le complémentaire nécessaire de cette apparition, c’est-à-dire la disparition, qui peut se penser comme nouvelle mort (après la résurrection), ce complémentaire nécessaire, qu’est la dissolution, génère des affects malheureux et rapidement dépressifs.
Mais nous ne nous laisserons jamais déprimer par les défaites, car nous savons désormais que la guerre est éternelle ; et que les phases de résurrection (revivre) seront toujours suivies de recrucifictions (mourir encore après la résurrection), qui elles-mêmes induiront des révolutions (de résurrection), et cela éternellement.
Ceci correspond à ce qu’Agamben nomme : « cercle (vicieux) de la souveraineté », thème qu’il développe contre le positivisme volontariste et affirmationniste de Badiou, votre notre note La Voie Pauvre, Agamben et Badiou, LM186, 9 avril 2019.
Comment maintenir « la fidélité » à « l’avenance » lorsque « le moment de l’événement », ou de ses réalisations locales, est voué, nécessairement, à la disparition ? Lorsque toutes les institutions, même les bonnes et les meilleures, seront destituées, volatilisées (par une guerre civile, des anarchistes entre eux, par exemple, technopathes contre technophobes) ?
Il faut une « éthique politique », transversale au processus de la corruption (encore une fois, nous retrouvons la plus vieille querelle, le plus ancien conflit entre « les manichéens viveurs » et collaborationnistes, réalistes, et les « purs gnostiques », les cathares par exemple, qui prônent « la sécession » ou le retrait au désert, la désertion).
L’éthique politique transversale fait à la fois face au processus de dégradation, corruption qui non seulement ne sera pas cachée ou déniée, mais, au contraire, sera posée comme un « fait monumental », ET maintient « la fidélité » par une activité, un activisme, qui non seulement « rappelle » l’événement (en porte témoignage) mais, surtout, se place délibérément dans le flux illimité de génération des vérités, des révoltes, des insurrections, « jusqu’à la mort » et dans le cycle des morts et des résurrections.
Quelle est la coupure qui sépare le réaliste opportuniste (le manichéen viveur, du il faut bien vivre) du fidèle de la révolution, fidèle bien que sachant que la révolution sera corrompue (le cathare de la fuite au désert, Grothendieck) ? La différence se nomme « éthique » ; non pas éthique première à la Lévinas ; mais éthique politique qui se place au cœur de la dualité ou des processus de réalisation. L’éthique politique ne se place pas avant le complexe Réel / réalité, mais se place DANS la cassure, dans l’antagonisme, que définit ce complexe.
L’éthique politique est en Réel, s’élabore dans le flux destructeur et se déploie dans les fissures, failles, destructions que génère le Réel des insurrections.
L’éthique politique n’est pas une parole de paix, mais un acte de guerre (Matthieu, 10 : 34-36, ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur terre, mais l’épée ; je suis venu pour mettre de la division).
Ce qui est éthique est l’insurrection ; certainement pas « le respect » des victimes (les possédés, les collaborateurs) ou le « face à face » avec « l’Autre respectable ».

La puissance, la potentialité, qui s’exprime par l’insurrection, par le soulèvement hors de soi et du monde, cette poussée négative et destructrice, qui n’a pas besoin d’être « réactivée », peut faire l’objet d’une fidélité (comme si la puissance « demandait » l’adoration – notons encore une fois l’usage théologique possible, à condition d’avoir en tête la déthéologisation de cette ancienne théologie, voir Miettes 5).
La liberté est la liberté DANS le soulèvement, jamais celle d’une constitution de formes trop fugitives.

Notre Saint Paul n’est pas celui qui criera, dans les rues obscures, « Jésus est ressuscité », c’est celui qui bégayera (Celan), dans les rues trop éclairées, « Jésus n’arrêtera jamais de décéder », ja-jamais, dé-céder, céder, éder, der.

Il y aura toujours de la révolte.
Révolte, Rébellion, Insurrection, Révolution, selon les situations, les moments, les occasions.
Nous posons que la Révolte (Réelle) est « première » (et non pas l’éthique).
La révolte est première et non pas fondamentale ou primitive.
Néanmoins elle est déterminante d’une détermination négative de destitution.
La (fameuse et althussérienne) détermination en dernière instance (DDI) pensable uniquement en termes apophatiques.
La poussée de révolte est une puissance désastreuse et « inaliénable » (incorruptible tant qu’elle est poussée sans réalisation).
Cette poussée est toujours là ; quelles que soient les tentatives de la domestiquer (mais ces tentatives, vaines et pleines de vanité, forment des mondes ayant vocation à être déchus).
Cette poussée projette des formes (moyennant la réalisation en renversement).
Et, d’abord, la forme la plus informe (supposée primitive, mais c’est déjà une forme) qu’est l’énergie (« l’amour »).
Une source inépuisable d’énergie.
Renouvelable à l’infini ; tant qu’il y aura de la prolifération ; ou tant que « la grève des ventres » sera trahie.
L’énergie, la proté-forme pour toutes les formes possibles ou toutes les formes du possible.
Et si la poussée Réelle n’est pas domesticable, car elle désastre sans cesse, l’énergie, considérée comme la forme primitive, elle, est colonisable.
Récupérable. Mais dans d’horribles jeux de force, des actes de torture.
En projetant de l’énergie pour les formes ou la conformation, la puissance se retourne en force, ordre, loi, droit, massacres, enlèvements, mutilations, etc., à l’infini de la barbarie nommée civilisation.
La force, elle, est toujours orthonomique.
Qui constitue les mondes.
La poussée projette des formes (moyennant le processus de réalisation : poussée → organisation → force, voir les Miettes 6), des formes de plus en plus formelles ou abstraites (voir la généalogie développée par Baudrillard).
Mais l’énergie récupérée de la poussée (le possible) est elle-même soumise à la détermination négative.
L’énergie, puis les formes, de plus en plus abstraites, seront toujours destituées, détruites, déconstruites, désastrées.
La réalisation de la puissance en énergie proto-formelle, puis en formes, en possible réalisé, est toujours condamnée à mort. Jésus n’arrêtera jamais de « décéder », à supposer qu’il arrive ou revienne.
Nouvelle dialectique sans sursomption de la poussée (« événementielle ») et de la réalisation.

Et pas plus que l’on ne peut imaginer une institution sans destitution, destruction, pas plus que l’on ne peut imaginer d’ordre installé (de Reich millénaire), on ne peut imaginer de réalisation d’une révolte, ou d’un événement qui casse (le monde en deux), qui serait elle-même installée ou terminée.
La révolte instituée, consommée, sera destituée par le flux intarissable de la poussée négative.

Donc, contra Badiou, si la réalisation est un processus qui porte à « l’apparaître » de nouvelles formes ou de nouvelles institutions, l’apparition d’une nouvelle vérité, ce processus de réalisation ne peut jamais être stabilisé, installé, étatisé, fixé, arrêté.
Impossible d’imaginer arrêter l’histoire.
L’histoire n’est que l’historial, erratique et au chaos, de la poussée destructrice.
Toute réalisation implique « corruption », au sens gnostique néoplatonicien, et au sens ordinaire, sens inclus dans l’autre.
L’historiographie de la corruption (comme celle du mensonge) est une tâche des plus importantes de la science sociale critique.

Revenons à la question éthique (il est nécessaire de toujours recommencer).
Quelle est la conséquence éthique de cette dialectique coupée ?
Comment agir (politiquement) dans un monde au chaos et dont le chaos se renouvelle sans cesse, à travers la démultiplication fragmentation des processus de réalisation des événements ?
L’éthique politique, l’agir éthique, est soumise au flux du désastre.
On peut donc imaginer de se soumettre, de participer, de collaborer, « peu importe ».
Mais ce « peu importe » n’est pas une certitude, puisque le flux désastreux entraînera la perte des collaborateurs eux-mêmes.
L’engagement est donc « un choix » ; mais un choix sans nécessité, et en toute vanité.
Il faut penser (réflexivement) que l’engagement pour la révolte, en Réel, sera entraîné, lui-aussi, dans la perdition.
On ne peut s’engager dans la révolte qu’en ayant la conscience réflexive ou critique de cette perdition.
Rien ne peut réussir.
« Le choix » éthique est donc une prise de parti politique ; une projection dans l’antagonisme.
Dans la grande guerre des réalistes positivistes et des révolutionnaires (de la révolution permanente).
Certes, l’engagement éthique politique implique « la fidélité » (au Réel des insurrections), MAIS surtout « l’héroïsme ».
L’héroïsme du désastre, voilà ce qui caractérise l’anarchisme PUNK.
Car il n’est plus question, en conscience réflexive, d’imaginer que « cela va bien finir ».
Cela finira toujours mal, MAIS pour tous, collaborateurs réalistes ou révolutionnaires en Réel.
L’éthique politique ne consiste pas en un plan, un programme, une utopie merveilleuse, un montage ébouriffant, « à réaliser » ; elle consiste en un HÉROÏSME.
Un héroïsme surhumain et anti-humaniste. Celui de l’Office de l’Abyme (ou de l’anarchisme rendu an-archiste).
L’héroïsme de l’échec inévitable, et qui, pourtant, n’arrête pas.
Retour au Nietzsche de « la grande santé ».
Si les anarchistes PUNK sont en « grande santé », ils s’opposent aux « malades » réalistes.
Jamais la mort ne sera vaincue.
Et les résurrections infinies ne porteront jamais de salut définitif.

L’éthique politique est férocement négative. PUNK.
Faire face au chaos. Sans halte ni repos.
S’engager dans le flux des destructions et des destitutions.
Devenir le fidèle du désastre.
Tout en sachant que la fidélité (comme « l’amour ») sera toujours destituée.
Et combattre, pied à pied, tous les Elon Musk ou les Jeff Bezos de la technophilie délirante (ces grands enfants de la SF).
Cesser d’imaginer que la mythologie spatiale de la fuite « au-dehors » de la terre ravagée (mais d’un en dehors technique et qui exporte le ravage, la conquête de l’espace, cette nouvelle colonisation horrifiante, avec ses désastres « cosmiques »), cesser de croire que la fuite technique peut apporter le salut (qui toujours se dérobe).

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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