Luttes des Mères mohawks au Canada

Procès en terre non cédées : les derniers développements

paru dans lundimatin#356, le 24 octobre 2022

Suite à la publication d’un article rédigé par un compagnon de route des kanien’kehá:ka kahnistensera la semaine dernière], le comité de solidarité Take Back Tekanontak a souhaité revenir sur les derniers développements du procès et de la lutte en cours pour la souveraineté autochtone en terre occupée de l’île de Tiohtià:ke.

Malgré une injonction en cours devant les tribunaux par les kanien’kehá:ka kahnistensera (Mères Mohawk) contre l’Université McGill, la Société des Infrastructures du Québec, la ville de Montréal, etc. des fouilles archéologiques sur des sites autochtones sacrés ont commencé mardi 10 octobre. McGill refuse de suivre les directives élaborées par la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) et par les archéologues engagés dans la recherche de tombes non marquées depuis les premières découvertes à Tk’emlúps en 2021. Comme le précisent ces derniers, ’tout travail visant à localiser les enfants autochtones disparus doit être mené par les communautés autochtones’. L’intervention à venir à l’hôpital Royal Victoria n’est pas dirigée par des indigènes, mais bien par des promoteurs de développement urbain et une entreprise privée qu’ils ont engagée [1].

Depuis, une occupation temporaire par des anarchistes colons alliés à la lutte s’est tenue avant d’être expulsé manu militari. Suite à cet échec, les bureaux de l’entreprise de conseil en archéologie Arkéos qui soutien McGill dans le projet, ont été vandalisés par des personnes prétendant agir au nom des kanien’kehá:ka kahnistensera (l’action a été condamnée par les kanien’kehá:ka kahnistensera et le comité de solidarité). Enfin une vigile par Divest McGill a eu lieu en soutien le lundi 18 octobre, entourée par plus de policiers que d’alliés [2]. Les tensions au pied de Tekanontak (Mont-Royal) sont élevées dans une affaire extrêmement importante pour le futur de la souveraineté autochtone sur l’île de Tiohtià:ke. L’audience du procès aura lieu ce mercredi 26 au tribunal de Montréal. Afin de mieux comprendre la situation, petit retour en arrière sur les évènements à Tiohtià:ke qui se sont déroulés depuis la visite du Pape en juillet.

UNE SEMAINE D’EXCUSES POUR CENT ANS D’ABUS

Alors que la ville de Montréal s’affaissait dans un été sans fin, au bruit des travaux de voirie battant sans relâche les pavés, une étrange fumée violette émergea devant le repère le plus célèbre de l’île de Tiohtià:ke (Montréal) : la croix du Mont-Royal de la Société Saint Jean-Baptiste. La fumée violette qui a émergé de Tekanontak (Mont Royal) quelques jours après la mort de la Reine Elizabeth II, rappelait qu’avant toute Reine ou Pape, la confédération Rotinonshón:ni (confédération iroquoise) tenait cette terre de passage comme partie intégrante de sa voie orientale.

Dans tous les territoires des peuples autochtones, le contrecoup du traumatisme a été et continue de se ressentir suite à la visite papale express du 24 au 29 juillet au Canada. Les excuses officielles du pape François ont été présentées comme des excuses pour le comportement des religieux dans les pensionnats, sans reconnaître le rôle institutionnel de l’Église, de mèche avec le gouvernement fédéral, qui a agi de manière systématique pour saper les modes d’existence autochtones. Cette stratégie institutionnelle commune qui consiste à blâmer les acteurs individuels plutôt que d’assumer la responsabilité des idéologies fondamentales toujours présentes dans l’Église, et dans tant d’autres institutions coloniales, ne fait qu’ajouter de la fumée aux écrans de fumée d’un contexte politique déjà aggravé par des siècles de promesses non tenues de l’appareil colonial. 

Malgré la reconnaissance d’un ’génocide culturel’ par les autorités canadiennes à la suite de la Commission Vérité et Réconciliation de 2015, l’Église refuse toujours d’assumer la responsabilité des conséquences de la mission génocidaire de l’institution catholique dans les politiques publiques de l’entreprise coloniale de l’État fédéral canadien et des États provinciaux jusqu’aux années 1990, dont les conséquences sont encore très présentes. Face aux excuses symboliques et à l’inaction, les réactions sont mitigées et beaucoup critiquent l’absence de responsabilité ou de plan de travail pour « réparer le statu quo » ainsi que l’a rapporté ATPN News.

À Tiohtià:ke (Montréal), les kanien’kehá:ka kahnistensera (Mères Mohawk), un collectif de femmes autochtones de Kahnawa:ke qui se battent depuis des décennies pour la reconnaissance de territoires non cédés sur l’île de Tiohtià:ke et autour de celle-ci, ont tenu une conférence de presse au pied de Tekanontak, deux jours après les excuses du pape à Edmonton, sous le couvert de la croix de la société Saint Jean Baptiste qui surplombe la ville de Montréal. Elles ont exprimé leur incrédulité et leur sentiment de vide suite aux excuses. Si l’Église et le pape François veulent ’sérieusement rectifier les choses, (ils) devraient commencer par révoquer la doctrine de découverte’, a déclaré Kwetiio, porte-parole des Kahnistensera. 

Leurs demandes étaient claires : il est nécessaire que ces institutions reconnaissent leurs principes idéologiques et prennent des mesures pour inverser l’imposition d’une écologie coloniale par les colons. Sur l’île de Tiohtià:ke, cela signifie symboliquement, décrocher la croix qui nous ’rappelle continuellement les horreurs que nous avons vécues et auxquelles nous avons survécu’, dit Kahentinetha [3]. Cela signifie également, sur le plan structurel, remettre en question la mise à l’écart et l’appropriation actuelles de l’île par des sociétés privées comme l’Université McGill et son projet de transformer l’ancien hôpital Royal Victoria en un établissement modernisé sous l’égide du “New Vic” pour ’le développement durable et la recherche sur les politiques publiques’ avec 50 000 mètres carrés sur le flanc sud du mont Tekanontak [4]. C’est pour cette raison que les Kahnistensera ont saisi la justice en août "pour tenter de bloquer le début des travaux d’excavation" [5]

MONTRÉAL ET LE PATRIMOINE COLONIAL : SYMBOLE ET RÉACTION

Le cas particulier d’une ville comme Montréal basée sur l’île de Tiohtià:ke est intéressant. L’implantation des colonisateurs français sur l’île a créé le récit eurocentrique d’une présence autochtone transitoire sur le territoire, malgré une cartographie claire et des témoignages d’interactions au cours des siècles. Il est donc compréhensible qu’une croix élevée sur le mont qui surplombait autrefois les multiples sites archéologiques des villages autochtones, continue de déranger les kanien’kehá:ka kahnistensera qui demandent son retrait en tant que survivantes des pensionnats. 

 

La réalité coloniale d’une métropole : Une étude de cas 

Lorsqu’on commence à creuser, le placage se détache toujours facilement de la surface pour révéler la structure sous-jacente. Le récit d’une île abandonnée, et d’une croix qui témoigne seulement de la persévérance des colons et non de l’imposition coloniale du christianisme, est encore une fois un exemple intéressant d’une instigation coloniale pour donner une légitimité aux fondations de Montréal en tant que ville. Il s’agit d’une tentative directe de la part d’acteurs tels que la Société Saint-Jean-Baptiste d’oublier l’histoire complexe de la présence permanente, des négociations, des guerres et de la destruction partielle des peuples autochtones à travers les processus que nous avons expliqués plus haut, ceux de la diabolisation, de l’évangélisation et du chantage au développement. 

L’embarras dans lequel les institutions privées et publiques de Montréal semblent se trouver provient d’un mélange étrange d’une “reconnaissance” publique des territoires autochtones non cédés et de l’affirmation continue que la fondation de Montréal est légitime puisque l’île de Tiohtià:ke est inhabitée par les autochtones depuis la dernière visite de Jacques Cartier en 1541. 

Si l’on entreprend une étude scientifique de l’archéologie et du développement architectural de Montréal en tant que ville sur l’île de Tiohtià:ke, on découvre une histoire complètement différente de celle qui est médiatisée. L’étrangeté semble provenir perpétuellement de l’incapacité à remettre en question le cadre intellectuel unilatéral de ces positions sur une terre à deux faces, celle des peuples autochtones et de migrants. Affirmer l’absence de peuple autochtone ou de lignée mohawk sur l’île de Tiohtià:ke est (i) un refus direct de reconnaître la vision du monde et le savoir oral du peuple kanien’kehá:ka ainsi que l’histoire de la confédération Rotinonshón:ni, et (ii) une ignorance délibérée de la complexité des guerres, des épidémies et des mouvements continus de populations autochtones qui ont eu lieu pendant les siècles de colonisation au milieu desquels Chomedey de Maisonneuve a fondé la ville de Montréal.

 

La mécanique du déni conduit à l’impossibilité de considérer l’autre et son mode de vie comme légitime sous quelque forme que ce soit. Une grande partie de ce processus de négation repose sur l’opposition systématique aux arguments de l’autre en utilisant un cadre intellectuel situé exclusivement dans votre propre système de références. La revendication de la propriété d’une terre ’inhabitée’ et l’absence de preuve de la ’lignée de sang’ ethnique des Mohawks avec les Iroquoiens d’Hochelaga qui vivaient sur l’île, compriment la revendication des Mohawks en une revendication de colonisateur basée sur les concepts occidentaux de propriété et de souveraineté.

La cosmologie des Rotinonshón:ni réfute la propriété de la terre car ils considèrent que "nous appartenons à la terre" au même titre que "nous appartenons à notre mère". "Le principe féminin ayant, chez les peuples matrilinéaires, un lien intrinsèque avec la terre". Cette définition de l’humain comme lié et appartenant à la terre rompt également le lignage ethnique à celui des caractéristiques spécifiques d’une terre et d’une manière d’y vivre, c’est-à-dire les logiques par lesquelles nous habitons une terre donnée (la définition de l’écologie - eko (habitat), logos (logique)). La nature même du lignage est donc complètement différente puisqu’elle repose sur une appartenance éthique qui se transcrit à la fois dans les caractéristiques d’une terre mais aussi dans l’esprit de l’animal auquel on appartient dans un clan. Cela explique en grande partie les réseaux fragmentés et extrêmement mobiles qui constituent le mode de vie des peuples autochtones sur l’île de la Tortue et leur brassage au-delà de l’appartenance "nationale" qui révoque la conception moderne de l’enclos communautaire associé au droit du sang de naissance (Natio) sur un territoire donné [6].

 

En ignorant cette histoire orale, la revendication des kanien’kehá:ka, désormais compressée dans une vision coloniale, doit alors se justifier par des arguments politiques et juridiques sous les exigences de l’écologie du colon. Un tel refus de reconnaître l’écologie de l’autre documente l’histoire de Montréal et des fondations modernes du Québec. Pendant plusieurs décennies, le nationalisme québécois s’est considéré comme une victime des colonisateurs britanniques, et a depuis lors construit sa relation à la terre et aux peuples autochtones par l’invisibilisation de leur lutte : les autochtones étaient l’affaire du gouvernement fédéral et non les véritables victimes de la colonisation, tout comme les Québécois se considéraient comme une minorité écrasée et conquise par la majorité anglo-saxonne.

 

Le mouvement séparatiste et nationaliste a été confronté à cette contradiction lorsqu’il a pris le parti, après des décennies de résistance fragmentaire à travers le FLQ (Front de Libération du Québec), de ’convertir leur séparatisme en souverainisme’ dans le sillage de la crise économique des années 1970. Abandonnant la minorité fragmentée de sa lutte séparatiste initiale, le nationalisme québécois s’est transformé en une ambition majoritaire d’atteindre une indépendance ’logistico-institutionnelle’ en ’conquérant les forces de la nature’. Comme indiqué plus haut, les nombreux projets de développement ont contribué au chantage et à l’invisibilisation des communautés autochtones et de leurs modes de vie.

 

Enfin, l’observation du chantage au développement lors de l’essor de l’industrialisation nationale du Québec peut nous aider à mieux comprendre le processus de modernisation de Montréal. Le documentaire Main basse sur la ville révèle comment, dans les années 1970, les quartiers historiques de Montréal ont été détruits avec aussi peu de soin et de considération que les témoignages archéologiques originaux de la présence autochtone. Le livre d’Henry Aubin, Une ville à vendre, retrace la généalogie de la façon dont les financiers internationaux ont pris Montréal d’assaut dans une mêlée de développement à la suite des grands projets de modernisation lancés dans les années 1960. Grâce aux richesses accumulées et volées aux pays africains colonisés, les gratte-ciel de Montréal étaient construits par les mêmes financiers européens et les mêmes sociétés coloniales financées par les États qui ravageaient le monde sur le plan économique et écologique.

 

Le développement de Montréal dans les années 1970 n’a jamais eu pour but d’améliorer la vie des citoyens des sociétés de colons, et encore moins celle des peuples autochtones parqués dans les réserves adjacentes. Comme l’explique l’éditeur James Lorimer, l’étalement urbain et les coûts privés engendrés par ce nouveau mode de vie ont été ressentis comme une profonde perturbation par la population. Pourtant, les inconvénients de ces développements n’ont jamais été remis en question, l’argent et les privilèges étant utilisés comme un adoucisseur permanent de ce nouveau mode de vie. La spéculation constante sur les terres pour perpétuer l’expansion d’un mode de vie invivable est encore un jeu financier entre les mains de quelques familles de Montréal [7]. Accumulant du capital et réalisant des profits sur le dos de toute possibilité de repenser le développement et les modes de vie durable, ces industriels et gouvernements refusent de respecter l’histoire des peuples, de leurs communautés ou des origines de Tiohtià:ke. Une prison de béton continue d’être élevée, noyant dans le ciment l’histoire de l’île.

Projet New Vic : ré-habiter l’espace colonisé 

Le projet New Vic est une parfaite représentation du refus des pouvoirs institutionnels publics et privés de repenser le modèle sur lequel ils s’appuient dans la métropole coloniale de Montréal. L’institution McGill, fondée par un commerçant de fourrures devenu spéculateur foncier et propriétaire d’esclaves, le citoyen le plus riche de Montréal, détient une dotation de 1,892 milliard de dollars (au 30 avril 2021) et ses riches donateurs industriels et les membres de son conseil d’administration favorables aux énergies fossiles[8] continuent de financer une économie qui refuse tout espace pour les écologies autochtones et perpétue le déni extractiviste des sociétés de colons.

La validation du projet New Vic dans le cadre du financement de 787 millions de dollars du gouvernement du Québec pour la rénovation des institutions d’enseignement post-secondaire, s’inscrit dans la tradition du chantage au développement. Bien qu’il affirme dans ses sept principes directeurs qu’il "reconnaîtra le passé (et non le présent) autochtone du site de New Vic et l’honorera" (cinquième principe), le projet réaffirme l’hégémonie de l’écologie des colons sur les terres des peuples autochtones en affirmant comme premier principe qu’il s’agit d’un projet ’pour Montréal, le Québec et le Canada’, et non pour les autochtones. Son programme de recherche est axé sur la mise en place d’une "expertise unique en science et en ingénierie pour le développement durable, avec les sciences humaines et l’élaboration de politiques publiques, afin de transformer le savoir en action". 

Pas une seule fois, il ne cède le pas aux connaissances ou aux modes de vie autochtones réels, à la prise en compte de leur importance séminale et historique dans la préservation d’un environnement vivable et durable sur l’île de Tiohtià:ke, sur la terre de Kanien’kehá:ka et au soi-disant Canada. L’hypocrisie totale du vernis de réconciliation est à l’œuvre dans chaque page du projet New Vic et de ses annonces publiques. Des déclarations de reconnaissance superficielles aux promesses de ’relations respectueuses avec les peuples autochtones’ en passant par l’intégration de ’thèmes autochtones’ dans le projet [8], le message est clair : la présence autochtone est un motif du passé qui ne mérite que d’orner les murs d’un projet de développement flambant neuf comme des souvenirs d’une époque révolue.

De plus, la façon dont l’administration de McGill a traité les demandes répétées de collaboration et d’enquête de la kanien’kehá:ka kahnistensera concernant les graves allégations de tombes non marquées et de sites archéologiques sacrés sur le site des travaux d’excavation, démontre le manque de considération des colons pour la légitimité des revendications autochtones. 

1 - Institut Mémorial Allen (AMI)
2 - Les écuries de l’AMI où ont eu lieu la plupart des expériences mortelles du criminel présumé Dr. Ewan Cameron.
3, 4 & 5 - Zones d’excavation demandées pour des tombes potentielles non marquées d’enfants tués pendant les expériences psychiatriques Mk-Ultra.
A - Zone du projet New Vic et emplacement des multiples sites archéologiques potentiels tels qu’analysés par Arkeos pour la consultation publique de l’OMCP.
B - Bâtiments dont la démolition est prévue dans le cadre du projet New Vic.

Si le projet New Vic a vraiment pour but de s’attaquer "aux plus grands problèmes de notre temps en sortant des sentiers battus", selon les mots de la directrice et vice-chancelière Suzanne Fortier, alors proposons une série de connaissances indigènes concrètes qui se transforment directement en action. Nous avons besoin de solutions qui puissent répondre au besoin publiquement reconnu de réconciliation et de réparation sérieuses de nos peuples. 

En nous appuyant sur l’écologie autochtone que nous avons décrite en cours de route, nous pouvons imaginer comment les réparations peuvent véritablement être mises en œuvre dans ce contexte particulier. Comme les sociétés de colons commencent seulement à accepter l’existence persistante de "l’autre" - ces peuples ingouvernables et fragmentés qui ne possèdent pas cette terre mais en font partie - un changement doit se produire pour permettre l’existence d’un terrain d’entente. Si les colons - une fois migrants, avant de s’embrouiller l’esprit avec des illusions de découverte, de propriété et de destin sur cette terre - acceptent d’écouter et de donner un espace vital à d’autres écologies, alors peut-être que les trahisons successives des traités passés pourront être surmontées et l’attitude du double-tricheur rejetée et condamnée.

 

Pour ce faire, il faut d’abord cesser d’imposer systématiquement "l’autre" à notre propre cadre intellectuel. Cela ne peut se faire que si nous sommes prêts à rectifier le tir en restituant des terres et en écoutant les appels légitimes des peuples autochtones qui souhaitent que de grandes parties du territoire que nous prétendons posséder soient rendues à leurs traditions. 

Le retour aux traditions ne signifie pas l’effacement de toute la modernité, c’est une hypothèse absurde souvent exprimée par des experts qui simplifient la vision du monde des autochtones dans une perspective faussement “rousseauiste” et dite “naïve” de l’histoire. La véritable demande des peuples indigènes est de rétablir un système de valeurs qui mesure la richesse d’une communauté donnée en fonction de la santé de son habitat, et la réussite de ses membres par la solidité des relations entretenues au sein de la communauté et auprès des êtres vivants de notre environnement. Les paroles de Tekarontakeh, un aîné kanien’kehá:ka, lors du lancement du livre La Mohawk Warrior Society : Manuel de Souveraineté Autochtone, renforcent cette affirmation et ce qui est au cœur de la reconquête des modes de vie autochtones : 

« Nous n’avons fait d’aucuns des citoyens, nous avons fait de vous des égaux et c’est ce qui devrait se passer dans le monde entier. (…) Ce ne devrait pas être à des petits groupes d’individus de décider. C’est pourquoi nous nous sommes battus, nous connaissons ce mode de vie, nous connaissons ces enseignements, nous continuons à y adhérer du mieux que nous pouvons, mais nous sommes constamment opprimés, ce génocide est constamment commis. »

Ce qui est demandé ici, c’est de récupérer (reclaim), c’est-à-dire "de se réapproprier ou de réhabiliter quelque chose qui a été partiellement perdu, ou nié de manière à être modifié par ce nouvel apprentissage" [9]. Au cœur de Tiohtià:ke, cela peut être accompli si nous écoutons les demandes des kanien’kehá:ka kahnistensera. En tant que mères de clan, elles détiennent, par le biais de la ceinture de nomination des femmes (Ka’shastnsera Kontihwe Ne Iotiian:shon), une responsabilité sur le territoire non cédé qui constitue une revendication juridique et politique légitime sur Tiohtià:ke.

Par conséquent, en solidarité avec les kanien’kehá:ka kahnistensera et suite à certaines de leurs demandes de longue date, nous avons décidé en tant que comité de conclure cette réflexion sur une série de propositions à court et long terme pour surmonter l’écologie des colons intégrée dans le projet du New Vic, afin d’appeler à l’action et de mettre en œuvre un projet qui répare réellement les actes. Ceci n’est qu’un premier pas vers des actions et des moyens plus vastes pour rétablir un mode de vie ancré dans la terre kanien’kehá:ka sur laquelle Montréal réside actuellement. 

Si nous voulons agir selon nos paroles et respecter les accords originaux sur lesquels les peuples autochtones, plus précisément ceux de la confédération Rotinonshón:ni dans le cas de Tiohtià:ke, nous ont accueillis sur Anowarà:ke, ou l’île de la Tortue, nous devons d’abord et avant tout réhabiliter le Tehiohate (Wampum des deux rangs), le protocole et la ceinture d’alliance des Rotinonshón:ni pour les relations avec les colons. 

Cet accord, conclu d’abord avec les colons hollandais, puis avec les Anglais et les Français, permet de comprendre l’entente selon laquelle nous, les migrants, avons été accueillis sur cette terre : comme des navires sur un fleuve, nous devons nous déplacer et vivre côte à côte en tant que communautés pour “rester parallèles” et nous abstenir de croiser le mode de vie de l’autre. Comme l’explique Philippe Blouin : “Cette conception paradoxale de l’alliance par la séparation ne s’applique pas seulement aux relations avec les colons, mais entre tous les groupes sociaux, y compris les nations non humaines, en assurant leur respect mutuel dans la diplomatie” [10].

Sur l’île de Tiohtià:ke et ses environs, cela signifierait une façon de renégocier la terre sur un espace colonisé pour rendre des parties de l’île à une présence indigène qui pourrait former une écologie en réseau de chemins non sédentaires de Kahnawà:ke à Tekanontak, à Kanehsatà:ke et au-delà. Une telle renégociation rétablirait la ligne de terre autochtone et la porte orientale de la confédération Rotinonshón:ni. 

Retirer la croix de Tekanontak, rendre le mont aux soins du peuple kanien’kehá:ka et mettre en œuvre un patrimoine foncier à partir des dépossessions effectuées par le vol serait une première étape. La prochaine étape serait de concevoir de nouveaux leviers et contrepoids juridiques, économiques et sociaux permettant un développement à deux rangs des modes de vie sur le territoire, de Montréal à Québec, jusqu’au Canada cédant la place à une terre à deux bords avec des territoires égaux pour Tiohtià:ke, Rotinonshón:ni et les peuples autochtones en général.

Pour ce faire, nous devons cependant commencer localement en cherchant comment reconsidérer l’urbanité, les institutions et le territoire au-delà de la seule imposition d’une écologie coloniale.

Propositions de réhabilitation souveraine en solidarité avec les Kanien’kehá:ka Kahnistensera

Les demandes locales les plus urgentes découlent du double piège d’un projet comme le New Vic. Si McGill souhaitait vraiment impliquer et reconnaître les terres indigènes, elle suivrait des propositions conséquentes telles que celles-ci : 

Une première réponse à court terme serait d’aider à mener une enquête externe complète sur les terrains de l’Allan Memorial Institute et de l’hôpital Royal Victoria. Cette enquête utilisant des outils médico-légaux tels que ceux proposés par Forensic Architecture, étudierait les allégations de tombes non marquées et de multiples sites archéologiques présumés présents par le rapport Arkeos[Arkeos, Société d’expertise en recherches anthropologiques, Royal Victoria Hospital Site : Archaeological Potential Study, novembre 2016, En ligne : https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P116/3-1-8_arkeos_inc._site_de_lhopital_royal_victoria_-_etude_de_potentiel_archeologique.pdf [consulté le 11 octobre 2022].]. 

Une deuxième réponse à court terme serait d’établir, si les kanien’kehá:ka kahnistensera en décidait, un emplacement pour une maison longue qui servirait de centre d’archives et culturel dans la tradition de la confédération Rotinonshón:ni. Si la croix est enlevée, le mont Tekanontak pourrait devenir un élément clé du processus d’assainissement de l’île de Tiohtià:ke. 

Dans une approche à plus long terme, McGill devrait accepter une véritable enquête externe et rendre le terrain au “domaine public” en le confiant aux kanien’kehá:ka afin de mettre en place un projet architectural basé sur les orientations des recherches archéologiques établies lors de la consultation publique. McGill “ancrerait” ainsi son projet dans la collectivité tout en se réconciliant avec les autochtones qu’elle ignore systématiquement lorsqu’elle déclare vouloir interagir avec la collectivité des “voisins, Montréalais, Québécois et Canadiens”, omettant une fois de plus d’identifier la présence du peuple kanien’kehá:ka, alors qu’elle reconnaissait quelques pages plus tôt qu’il s’agissait bien de leur terre.

La réalité est que les institutions privées comme McGill, ainsi que les institutions publiques comme la ville de Montréal, ne veulent toujours pas admettre que leur rôle de redresseur de torts nécessite une action réelle de réparation. Les vraies solutions à long terme, comme le don de fonds de recherche et de terres, actuellement détenus et gérés par McGill, aux kanien’kehá:ka pour transformer les désirs formulés de ’reconnaissance et de réconciliation’ en actions concrètes, ne se produisent jamais. L’hypocrisie du déni extractiviste est plus saillante que jamais dans les attitudes et les propositions du projet New Vic et la façon dont McGill autant que les institutions publiques l’ont traité.

Etats des lieux

Nous sommes conscients que de telles propositions ne seront pas prises au sérieux, car la gravité du déni dans les sociétés de colons reste profondément ancrée. Pourtant, en tant que comité de soutien des kanien’kehá:ka kahnistensera ici à Tiohtià:ke, nous croyons qu’il est de notre devoir, en tant qu’alliés, de trouver des moyens de rétablir la possibilité de coexistence entre deux rangs et de réparer le statu quo après des siècles de trahison et de déni. 

Mais surtout, à la lumière de l’audience du 26 octobre et du risque que McGill commence les travaux d’excavation sans tenir compte des appels des kanien’kehá:ka kahnistensera, nous nous devons de continuer à agir et soutenir l’appel urgent à l’action tout en proposant des réparations concrètes. Il est de la plus haute importance de soutenir la kanien’kehá:ka kahnistensera pour bloquer et résister à ce projet de développement. L’action symbolique d’enfumage de la croix a été menée par les membres du comité de solidarité en parallèle à la publication d’un appel à l’action contre le projet de construction du New Vic de l’Université McGill. Ce projet de modernisation risque de profaner des sites archéologiques, des lieux de sépulture sacrés et de mettre fin aux enquêtes sur les victimes potentielles (autochtones et allochtones) de la torture psychiatrique pratiquée par l’Allen Memorial Institute lors des expériences MK-ULTRA. 

Pour l’instant, un passé qui n’est pas encore révolu est toujours présent dans les traumatismes incarnés par notre héritage capitaliste et colonial. Ne pas penser à un remède est une pure folie. Alors que nous continuons à nier la violence qui sévit encore sur la scène, nous ne pouvons oublier, même si les condos se multiplient et que les bulldozers s’acharnent sur un sol endurci : que la structure de la société des colons n’a jamais été moralement supérieure ou économiquement plus efficace que celle des peuples qui appartiennent à cette terre. Ceux-là vivaient de manière équilibrée et entretenaient de véritables relations avec leur environnement. Loin d’idéaliser quelque peuple que ce soit, ce que les activistes indigènes ont réclamé et pour lequel ils continuent de se battre, c’est un retour à la prise de conscience du lieu où se trouvent la véritable émancipation et liberté, au cœur des relations libérées entre la terre, les vivants et nous-mêmes, afin de ne pas sombrer dans l’obscurité des cœurs qui convoitent des illusions pour lesquelles ils versent volontiers des rivières de sang. 

Sur cette île de passage, où ont résidé des nomades autochtones, des travailleurs migrants et des âmes errantes, et où, dans le passé, des signaux de fumée informaient régulièrement les territoires Rotinonshón:ni environnants des nouvelles de la porte orientale, un signal a été envoyé à tous les peuples de l’île de la Tortue. Pour rappeler à ceux qui l’oublient cruellement que l’irrésolution des terres non cédées sur l’île de Tiohtià:ke et ses environs ne peut être ignorée. L’action visant à restaurer des modes de vie qui coïncident à nouveau avec la terre et le wampum à deux rangs auquel nous, les colons, avons donné notre parole pour ensuite la trahir, doit revoir le jour une fois de plus pour trouver une issue à une société qui a dépassé le point de non-retour dans la catastrophe climatique et l’effondrement écologique. 

NOTES

[1Pour obtenir les dernières mises à jour sur le procès, vous pouvez suivre le compte de médias sociaux du comité de solidarité : @TakeBackTekanontak : https://www.instagram.com/takebacktekanontak/
Pour plus de détails sur la lettre envoyée au juge concernant le manque de respect des directives de Vérité et Réconciliation, Cf. Kan1enkehaka. ’UPDATE MCGILL QUEBEC ARKEOS FAKE INFORMATION | Mohawk Nation News ’. En ligne : https://mohawknationnews.com/blog/2022/10/11/update-mcgill-quebec-arkeos-fake-information/ [consulté le 18 octobre 2022].

[2Concernant l’occupation du chantier et le vandalisme d’Arkeos par des anarchistes colons : Arkéos, abandonnez le contrat McGill maintenant ! 2022. En ligne : https://mtlcounterinfo.org/arkeos-drop-the-mcgill-contract-now/ [consulté le 18 octobre 2022].

Concernant la réponse des kanien’kehá:ka kahnistensera (Mères Mohawk) : ’ AVIS IMPORTANT CONCERNANT LA SOLIDARITE | Mohawk Nation News ’. En ligne : https://mohawknationnews.com/blog/2022/10/16/important-notice-regarding-solidarity/ [consulté le 18 octobre 2022].

Enfin, concernant la vigile de Divest McGill du lundi 17 octobre : https://www.instagram.com/p/Cj3Cv3MMBre/ [consulté le 18 octobre 2022].]

[3« C’est vide » : Un groupe de femmes Mohawk de Montréal dénonce les excuses du pape | Montreal Gazette. En ligne : https://montrealgazette.com/news/quebec/its-empty-montreal-mohawk-womens-group-slams-popes-apology [consulté le 11 octobre 2022].

[4Le projet du Nouveau Vic franchit une nouvelle étape. En ligne : https://www.mcgill.ca/newsroom/fr/article/mcgill-dans-la-ville/le-projet-du-nouveau-vic-franchit-une-nouvelle-etape [consulté le 11 octobre 2022].

[5Pour lire toutes les dépositions et affidavits pour l’injonction et le procès qui aura lieu le mercredi 26 octobre, Cf. ’MOHAWK MOTHERS FILE CASE AUG. 25/22 | Mohawk Nation News ’. En ligne : https://mohawknationnews.com/blog/2022/08/27/mohawk-mothers-file-case-aug-25-22/ [consulté le 11 octobre 2022].

[6Op.Cit. Séparer les séparatismes [Québec], in Liasons, Recherche Partisane Transocéanique, Au nom du peuple ’, Notions communes, Ed. Sabotart, 2018, p.24-25.

[7Aujourd’hui encore, la corruption et le secret dans les secteurs de l’immobilier, de la construction et du transport à Montréal restent un fait bien connu. Le MTQ (Ministre des Transports du Québec), par exemple, a agi comme un ’ État dans l’État ’, contournant toujours les consultations publiques des citoyens ou même les promesses de politiques publiques faites par les élus, comme l’explique David Hanna (professeur en études urbaines, Université du Québec de Montréal). Montréal est la ville qui a construit le plus d’autoroutes dans le plus court laps de temps (15 ans). Ce faisant, elle a aligné sa politique publique sur les intérêts des industriels qui investissent des capitaux dans des immeubles de grande hauteur, des constructions en béton, etc. Le maire précédent, Gérald Tremblay, a démissionné au cœur de scandales de corruption. Malgré son départ, il s’est assuré de laisser un cadeau à ses amis promoteurs : le démantèlement des limitations de zonage sur les tours pour l’ensemble du centre-ville. Maintenant, dans la tradition continue du développement urbain colonial corrompu de Montréal, des condos en hauteur sont construits dans tous les coins et recoins des derniers espaces respirables du centre-ville. Les familles responsables de ces projets de construction et de ces spéculations foncières à Montréal et à Laval sont les quatre mêmes, décrites dans le documentaire Main Basse sur la Ville : les familles Kotler, Tartaglino, Borsellino et Saputo. Pour plus d’information voir : Main basse sur la ville, Martin Frignon, « Films de l’Oeil ». En ligne : http://filmsdeloeil.com/main-basse-sur-la-ville/ [consulté le 12 octobre 2022].

[8Pour toutes les informations sur le projet New Vic de McGill telles qu’elles ont été publiées par l’établissement, vous pouvez consulter la page Web et la brochure suivantes : Deschamps, Richard. Un grand pas en avant pour le projet New Vic. 2022. En ligne : https://reporter.mcgill.ca/a-major-step-forward-for-the-new-vic-project/ [consulté le 11 octobre 2022]. & Le New Vic, Fall 2021, Digital Brochure, En ligne : https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P116/3-2-1-1_fr_-_new-vic_digital-brochure_aug2021_-_digital.pdf [consulté le 11 octobre 2022].

[9Hache, Émilie (dir.), Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux », Ed. Amsterdam. 2012. Chapter II, Reclaiming democracy, p.107 

[10For the Children Lost and Yet to Come : Restitution and the Indigenous Genocide’, PoLAR Blog : Revue d’anthropologie politique et juridique. 2022. En ligne : https://polarjournal.org/2022/03/31/for-the-children-lost-and-yet-to-come-restitution-and-the-indigenous-genocide/ [consulté le 11 octobre 2022].

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