Nos ancêtres les yamakasis

Lire le monde avec le cinéma

paru dans lundimatin#269, le 4 janvier 2021

Les guerriers antiques consultaient des oracles, les peuples avaient leurs sorciers. Certains observent le marc de café ou interrogent des charognes, d’autres tirent les cartes ou demandent à faire parler les astres. Nous lisons le monde dans les images spectaculaires, nous pratiquons la divination dans les entrailles du cinéma industriel. Nous avons revu à la lumière de l’actualité le film culte Yamakasi et nous avons trouvé qu’il éclairait une partie de notre présent.

La bande

Les yamakasis sont de jeunes athlètes banlieusards qui bravent tous les dangers, escaladent les immeubles, effectuent des sauts vertigineux. Ils vivent dans les zones urbaines réputées « dangereuses » et sont traités comme des « ennemis de la république ». Ils sont réunis autour d’une même condition matérielle et politique, d’une pratique commune bien précise : l’art du déplacement, du parkour, du freerun. Une discipline acrobatique qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels, par des mouvements rapides et agiles, une pratique d’origine populaire venant des quartiers de la banlieue parisienne. Ce groupe est une bande dans le sens ou il est « réuni pour un même but » et parallèlement parce que c’est un « groupe d’hommes armés, rangés sous la même bannière, guerroyant de façon régulière ou non » contre la police républicaine capitaliste et raciste.

Les yamakasis sont issus d’une représentation industrielle, plus ou moins bien inspirée des « jeunes de quartiers » : Ils sont pour la plupart racisés. Parmi eux il n’y a pas de femmes, comme dans le fantasme viriloïde et néo-coloniale de la bourgeoisie scénaristique blanche. Il y a deux blancs, un ouvrier d’usine et un employé de supermarché. Mis à part l’idéalisation du travail – les ouvriers, habillés de bleus immaculés dansent à l’atelier entre les machines ; au supermarché, les employés jouent au baseball pour ranger les produits en rayon – cette alliance objective entre ouvriers blancs et racisés peut être représentatif des quartiers populaires.

Ici, il faut soulever le scénario avec l’histoire qui seule permettra de comprendre que cette mystification du travail – dont l’exemple scandaleux est la mise en scène d’un contre-maître bienveillant et même complice de l’ouvrier – n’est possible que grâce à la défaite du mouvement ouvrier, à une réécriture de l’histoire par les vainqueurs et à un public détaché de son histoire syndicaliste et révolutionnaire. Les yamakasis sont les enfants de cette amnésie, ils la porte tout au long du film, et nous sommes leurs héritiers.

Chaque membre du groupe a son blase et sa spécialité : Baseball est un tireur précis, l’Araignée se déplace tel l’animal homonyme, la Belette échappe toujours aux keufs, Zicmu est toujours accompagné par la musique, Rocket est aussi rapide qu’une fusée, Tango est un danseur et Sitting Bull est le plus fort physiquement. Ces individualités sont des stéréotypes immobiles créés par l’industrie du cinéma pour répondre à ses propres exigences, ces personnages univoques ne sont que des pales copies de personnalités. Néanmoins, la bande existe dans le fait que des subjectivités particulières puissent coexister avec un être-ensemble soudé et exigeant.

Lorsque l’on arrive à voir entre les couches de propagande et de récits dominants, on peut distinguer une bande mixte racialement, sans chefs, qui parvient à conjurer les hiérarchies et dont l’amitié, la confiance, l’admiration restent des modèles de relations entre ses membres.

Bien qu’ils s’organisent ensemble pour résister face à un Ordre qui les accable, bien qu’ils soient menacés par une forme militaire hégémonique – la police nationale – ce groupe, s’il est une formation politique, se tient loin de toute forme partisane. Il est aussi étranger à la forme syndicale mainstream puisque s’ils organisent une résistance économique au capitalisme elle déborde le travail et existe pour protéger la vie, (la santé du petit Jamel).

La bande est capable d’apprécier un coucher de soleil ensemble, de maintenir des relations amicales et de l’humour sous la pression policière sans jamais se militariser complètement, mais elle sait se transformer à l’occasion en organe stratégique (lorsque les corps unis se penchent sur une carte pour préparer leurs actions) ou en force physique (quand il faut mettre la pression au directeur d’hôpital).

La bande échappe à la police parce qu’elle connait la zone dans laquelle elle évolue, qu’elle entretien un rapport particulier à cet espace urbain et à ces habitant.e.s. Comme une bonne guérilla, c’est la connaissance de son environnement, sa pratique commune de ce territoire et les liens qu’elle y tissent qui lui permet d’échapper aux forces de l’ordre.

Mi-capitaliste mi-alien

En s’intéressant de plus près aux subjectivités des personnages du film, on se rend compte à quelle point elles sont façonnées par le capitalisme néo-libéral qui s’affirme aujourd’hui. Les yamakasis sont les enfants du déclin de l’Etat-providence et de la sociale-démocratie dont nous vivons aujourd’hui les derniers moments. Dans le film, la police est en train de devenir une entreprise et le commissaire en charge de l’enquête est une pure figure managériale. Clin d’œil amusant à l’actualité : le petit Jamel qui est à l’hôpital va être transféré dans un couloir, par manque de lits disponibles. La privatisation de l’hôpital, les politiques d’austérité qui commencent préfigurent l’actuelle dégradation des services publiques. Mais déjà dans les années 2000, les banlieusards (citoyens de seconde zone) vivent la précarisation du service publique ; ils la vivent dans le film à travers l’impossible prise en charge par l’Etat de Jamel.

C’est d’ailleurs cet abandon qui déclenche le passage à l’illégalité et au cambriolage organisée de la bande au nom de la communauté. L’abandon de l’État n’est total qu’avec l’échec du « recours politique » porté par le personnage de Vincent. Le mépris du ministre pour la vie du petit Jamel et le jeu hypocrite dont Vincent est la victime contient tout l’échec de la démocratie représentative et « du politique » vécu par cette population de seconde zone. Un dégout qui tend à se démocratiser aujourd’hui. Lorsque Vincent et la bande s’affrontent verbalement sur le parking nous assistons à la défaite de l’idéal républicain : les convictions du policier, sa croyance dans les institutions n’ont pas suffit à sauver le petit Jamel, elles semblent ridicules et impuissantes face au problème rencontré. Avec les croyances de Vincent c’est aussi l’organisation démocratique, les institutions, la loi, qui deviennent inopérants.

Lors de cette dispute, face à la froideur institutionnelle et au vide de sa disparition, la bande n’oppose qu’une « loi du coeur » aussi floue qu’ambivalente. C’est d’ailleurs dans cet intervalle, entre l’obsolescence de la loi et l’idéalisme dont font preuve les membres de la bande, que les scénaristes parviennent à immiscer l’idéologie néo-libérale et à distiller sa morale capitaliste. Désormais, entre les yamakasis prévaut l’idée que « quand on veut on peut ». Leur communauté, par un « engagement morale » née d’une prétendue « responsabilité » par rapport à la chute du petit Jamel est mise au service d’une entreprise : trouver l’argent pour payer l’opération. Les yamakasis ont quelque chose à prouver tout au long du film, leur rentabilité. Cette éthique méritocratique, ils se la répètent entre eux et surtout au seul « gros » de la bande, qui pourrait devenir athlète comme les autres si seulement il mangeait moins. Mérite et responsabilité individuelle sont les nouveaux mots d’ordre de la bande.

C’est que finalement, leur pratique commune est avant tout sportive, performance. Si elle est autant valorisée par l’industrie du cinéma c’est que le sport, traduit dans une idéologie, est un moyen privilégié pour mettre au pas les corps. Et particulièrement les corps prolétaires ou les corps racisés qui sont des corps excentriques, surchargés. Si un des personnages a dans sa chambre tant d’images de sportifs qui ont réussis et si les yamakasis ont autant l’ambition de réussir, c’est qu’ils sont perméable à ce modèle particulier de réussite construit pour eux par l’idéologie de l’intégration. Le footballeur, l’athlète, issu de l’immigration et/ou des basse couches de la société, devient, par la canalisation de sa force extérieur (Yamakasi vient du Lingala qui veut dire : « Esprit fort », « Homme fort » ou encore « Corps Fort ») un héros de la société d’intégration. Dans cette logique néo-coloniale on va demander à ces corps indisciplinés – parce qu’échappant au contrôle de la police, échappant à la logique de l’espace urbain, échappant à la corporéité blanche et bourgeoise – de s’auto-discipliner. Dans ce sens, le sport est le phénomène de capture par la société intégrante de la pratique qui lui est à l’origine extérieure, étrangère. Une fois disciplinée, la force réelle de ces « corps échappant », de cette pure extériorité, peut être non seulement contrôlable par la police mais aussi transcodée dans le régime de valorisation capitaliste. Aujourd’hui la force des yamakasis à été complètement intégrée aux modèles publicitaires des grandes marques de vêtements de sport (addidas, nike …).

De façon moins directe, on retrouve dans l’imaginaire porté par les yamakasis les grandes thématiques que le néo-libéralisme à su imposer aujourd’hui : « l’art du déplacement » prône la mobilité ; la souplesse, la flexibilité. Les corps, mais aussi la narration et le montage yamakasi ne sont que fluidité, qui est une substance essentielle du néo-libéralisme. Chaque geste est précis, ajusté, millimétré, calculé, rentabilisé. L’image est propre, stabilisé, une plage musicale adapté recouvre l’action. Tout fonctionne à merveille. Le montage est fluide. Les yamakasis, souples – précaires, flexibles – agiles sont tout à la fois : Le cauchemars d’une institution policière en devenir-managériale mais encore rouillée et le rêve d’un nouveau capitalisme Uberisé en émergence.

Cependant, la bande est irréductible à cette idéologie rampante. Leur précarité est telle qu’ils sont poussés vers l’illégalité, le vol en bande organisée plutôt que vers Deliveroo et leur situation politique (de sous-citoyens) les oblige à la révolte et à l’auto-organisation. Tandis ce que leur extranéité culturelle mixte leur assure une voie de replis, l’agilité est avant tout une arme défensive dans la partie de chasse dont ils sont les proies.

La police

Dans le film, la police est cette institution vieillotte composée de types stupides et racistes, de méchants flics. C’est une institution ridiculisée qui paraît inoffensive tant elle est incapable : les flics sont ceux qui ont des voitures de mauvaises qualités (transcodé en langage médiatique : « ils n’ont pas assez de moyens »), qui arrivent trop tard (« à cause des lois trop contraignantes ») et qui sont nuls (« pas assez efficace »). Même modèle que dans les films taxis, également produits par Luc Besson : la police est une institution que l’industrie critique doucement en se moquant un peu mais qu’elle chérit du fond du cœur en lui attribuant toujours le meilleur rôle à la fin.

Dans ce film la police est, plus inconsciemment, une menace constante de bavure. Pour faire « film d’action », les policiers sur les toits tirent avec leurs pistolets sur les yamakasis et les poursuivent jusqu’à ce qu’ils risquent de se tuer en sautant. Deux yamakasis, acculés sur les toits par les policiers armés n’ont pas d’autre choix qu’un saut dangereux jusqu’à l’immeuble d’en face. Ils y parviennent mais auraient tout aussi bien pu faire une chute mortelle. Triste prémonition de la mort réelle de Zyeb et Bouna quelques années après, électrocutés sur un site EDF en essayant d’échapper à la police, et d’une longue liste de « bavures », un peu trop récurrentes.

La menace de « bavure » est sensible à chaque apparition policière à l’image, preuve de son caractère systématique. Pourtant dans le film, cette menace est banalisée : personne la remet en question et les policiers font même des blagues à ce propos. Quand un yamakasi – que des policiers sont venus chercher dans sa chambre sans mandat d’arrêt et sans motif apparent – fait mine de se jeter par la fenêtre, un policier dit : « oh, la bavure ! »

La police, c’est une logique coloniale de surveillance : le personnage de « Vincent » est policier, originaire du quartier, joué par un acteur racisé, il connait personnellement les yamakasis. Il fait tampon entre eux et le monde des blancs bourgeois et de leurs flics. Vincent c’est le fameux « flic de proximité » dont rêve encore quelques réformistes arriérés. C’est le bon flic, celui qui ne supporte pas le commissaire raciste mais qui lui obéit. Pour les yamakasis et pour les spectateurs, ce bon flic imaginaire est un vrai problème, il nous fait perdre un temps fou avec ces illusions idéologiques, il masque le vrai visage de la police (le méchant flic) et il vient gratter l’amitié pour mieux nous surveiller par la suite.

Surtout, il est l’avant-garde de la société raciste dans la bande, c’est lui le cheval de Troie de la morale bourgeoise dans le groupe. C’est grâce à ce personnage que l’industrie réussi un tour de force scénaristique majeur : Le film parvient à rendre responsable la bande – aux yeux des yamakasis eux-même mais aussi aux yeux des spectateurs – de la chute du petit Jamel quelque part dans une cour de récrée, de sa santé fragile, de l’insuffisance des services publiques, du mépris des dominants, de la société de classe et du racisme qui conduisent à l’isolement de la famille de Jamel et à son incapacité à payer l’opération nécessaire pour le sauver.

La société n’est pas vraiment mis en cause, la bande si. Et c’est le bon flic qui porte ce discours, qui arrive à enfoncer dans les têtes du quartier que la bande est responsable de ce qui arrive au petit Jamel. Mis à part que cette hypothèse policière « paranoïaque » est largement soutenu par le film – comme le ferait la TV si l’évènement était réel – qui lui concède une longue mise en scène dramatique de la chute, laissant croire que Jamel serait tomber en essayant d’imiter les yamakasis – il n’y a absolument rien de crédible dans cette hypothèse. Tout ce qui existe dans cette société est absorbé par les enfants, l’influence des yamakasis au moment du drame est surement moindre que celle des super-héros américains. Pourquoi dans ce cas, ne pas faire un procès à Hollywood dont l’influence sur les enfants est bien plus supérieure aux bandes de jeunes des cités ? Parce que le film est réalisé justement par l’industrie du cinéma elle-même, et que la bande est le parfait bouc émissaire pour la mauvaise influence que l’industrie porte par ailleurs.

Le bon flic, celui qui est proche de la population et qui sait comment la mettre au pas, parvient à mettre la bande au service d’une société qu’elle rejette et qui l’opprime. Jusqu’à leur arrestation, Vincent trahira d’ailleurs lâchement la bande en allant jusqu’à signaler leur position sur un toit à des hommes incontrôlables et surarmés. Avec l’expérience des yamakasis il apparaît clairement qu’il faut se débarrasser dés que possible du bon flic, qui fait partie intégrante du système policier.

Bien sûr, le vrai visage de la police est aussi dans le film. Par exemple il est dans la scène où deux agents viennent contrôler l’appartement d’une bourgeoise pour s’assurer que les yamakasis ne s’y trouvent pas alors même qu’ils réalisent un cambriolage chez elle au nez et la barbe des policiers. Les agents de police ne trouvant pas dans l’appartement leurs proies – qui sont trop rapides et trop bien cachés – deviennent libidineux et menaçant face à la propriétaire, leur comportement dévoile ouvertement que le viol est le rapport le plus évident entre les policiers et la femme. Ils sont inefficaces malgré leur force, ils sont armés, stupides et dangereux pour la bourgeoise elle-même, enfaite pour tous les dominé.e.s. L’autre face de ce visage policier se trouve dans la forme spectaculaire lors du cambriolage de la maison du ministre. L’opération semble assez facile pour les forces de l’ordre : les yamakasis ne sont pas nombreux et pas armés, pourtant, les policiers ramènent des armes de guerres et on dirait que toute les unités d’élite et d’intervention de la police parisienne sont présentes.

Des dizaines et des dizaines d’hommes cagoulés, casqués, armés comme pour la guerre, avec des armes lourdes encerclent la maison où sont réfugiés les yamakasis. La force de l’ordre est très hiérarchique, le chef obéit directement au ministre et ils ne connaissent qu’une seule stratégie : l’assaut. Les policiers passent à l’offensive, ils se ruent à l’intérieur, tirent des centaines de balles à tort et à travers. La scène nous plonge dans l’aspect militaire du maintient de l’ordre à la française, de l’état de guerre qui règne déjà dans la société française et que l’on connait aujourd’hui, épanoui. Cette scène nous parle aussi de l’état d’urgence comme mode de gouvernance permettant une telle réponse policière dirigé directement par un ministre. Cette opération qui ne s’arrêtera qu’à l’arrestation des yamakasis est symbolique du devenir des forces de l’ordre en France. Dans cette intervention paranoïaque et exagérée (on dirait qu’ils sont venus faire face à une armée, qu’ils auraient inventés) laissant libre cour à la folie policière, à ses fantasmes, témoignant de sa relative autonomie par rapport aux pouvoirs politiques (le chef remet à sa place le ministre), nous retrouvons la police d’aujourd’hui. Sauf que cette police indépendante n’est plus seulement utilisée contre les yamakasis, c’est-à-dire les jeunes pauvres et racisés mais aussi contre les syndicalistes, les étudiant.e.s, les opposant.e.s, les gilets-jaunes.

Dans cette scène, la police apparait dans une forme monstrueuse : pour atteindre son but, elle doit détruire de l’intérieur la maison du ministre en tirant à balle réelle sur ces murs, en démontant les meubles et perçant les plafonds. La police, agissant sur l’ordre du ministre (représentant la bourgeoisie et la démocratie), pour arriver à ses fins doit détruire l’intérieur et le luxe de sa maison, celle de la bourgeoisie : l’Etat de droits et la démocratie, jusqu’à sacrifier à l’autel de sa folie les plus anciennes libertés bourgeoises (aujourd’hui : le droit de manifester, ou le droit de circuler librement). Dans le creux de l’idéologie sécuritaire à la solution impossible on voit se dessiner la guerre civile d’un état autoritaire contre sa population.

Comme dans tout bon film industriel, plus la critique d’une institution bourgeoise est acerbe, plus on lui sauve la mise par derrière. C’est exactement ce qui ce passe ici : les yamakasis sont finalement arrêtés pacifiquement – dans la réalité (que nous connaissons bien) ils auraient été tués ou du moins tabassés par les flics. Puis, après un entretien avec le chef de la police lui-même charmant et sympathique, plein de bons sentiments, ils sont libérés grâce à son bon-vouloir. S’il ne croit pas à l’histoire racontée par les yamakasis, il veut se venger du ministre et semble avoir de l’empathie pour eux. Cette version hallucinée de la justice et de l’institution policière n’est possible que dans un film industriel français. L’institution policière ce monstre froid, et son autre face, la justice – le rouleaux compresseur d’humains – sont remplacés par un individu paternaliste et chaleureux, un bon flic blanc, qui rend justice par lui-même, selon son bon-sens et « sauve » les yamakasis d’une peine infini de prison.

Cerise sur le gâteau, le bon-flic de proximité, qui participa pourtant à leur arrestation, démissionne (ça ne vous rappelle rien ?). En dépassant à son tour la loi, il les « sauve » à nouveau leur permettant d’obtenir l’argent nécessaire auprès du médecin. Les deux bons flics sauvent surtout auprès du public l’institution policière et Vincent, le traître, continue à s’inviter chez eux pour les fêtes. En permettant une fin heureuse et rêvée aux yamakasis, les scénaristes (et autres bons flics) rachètent l’institution détestée, méchants compris, les assassins et bourreaux resteront impunis.

Les yamakasis

La force véritable des yamakasis réside dans leur capacité à éviter l’affrontement direct dans lequel ils seraient perdants. Dans la bataille, ils sont agiles, dans leur pratique de déplacement comme dans leurs buts. Face au capitalisme leur empêchant, en tant que prolétaires, de payer l’opération nécessaire pour sauver le petit Jamel, ils volent la bourgeoisie et cambriolent des médecins à leurs domiciles. Cagoulés, ultra-discrets, les yamakasis en binôme pénètrent les maisons bourgeoises pour y dérober tous les objets précieux. Lorsque les propriétaires sont là, le but des yamakasis est de ne pas se faire surprendre. Ils inventent milles stratagèmes pour que l’homme qui se lève et va prendre une douche ne les découvre pas sur son chemin. Ils lui glissent ses pantoufles sous le lit, se cachent dans des coins etc. C’est avec ce jeu amusant et chargé de suspense que le spectateur devient complice des yamakasis au dépens des personnes cambriolés.

Face à la police ou aux chiens d’un propriétaire (ce qui est quasiment pareil), les yamakasis adoptent une même stratégie : ils frappent et fuient. Les flics ne les voient pas agir. S’ils sont découvert, ils s’échappent grâce à la rapidité, la justesse et l’agilité de leurs gestes. Quand ils sont pris au piège dans la maison du ministre et assiégés par toute la police française, ils gardent leur calme. Ils remontent, étage par étage en construisant des barricades, retardant et gênant l’avancée des forces de l’ordre. Alors que le ministre voulait les sacrifier, que la policer faillit les tuer, ils sauvent dans l’urgence les enfants de la bonne, c’est-à-dire les enfants du prolétariat. Lorsque un garde du corps est neutralisé, une arme est récupérée. Elle n’est employée qu’une fois pour briser un lustre qui, en s’effondrant sur un policier et le blessant, immobilise les assaillants. L’arme est utilisée comme moyen, pour gagner du temps et de l’espace, elle n’est pas fétichisée. Plus tard, avant la capture, elle est abandonnée.

Les yamakasis s’organisent, préparent, courent, sautent, se séparent, évitent les balles, escaladent, se regroupent, cambriolent, disparaissent et en garde à vue ils racontent une même fausse version des faits. Ils sont insaisissables, furtifs. Mais lorsqu’il s’agit de menacer le directeur d’hôpital, les corps se font plus menaçants, plus présents, plus lourds. Jamais les yamakasis ne sont lâches, ils trouvent simplement la bonne mesure à la situation qui leur est faite, ils trouvent la position la plus avantageuse dans l’affrontement inégal dans lequel ils sont engagés. Les yamakasis sont des combattants de guérilla et des stratèges.

Grâce à leur pratique collective de l’espace urbain les yamakasis parviennent à nuire à la classe dominante elle-même en tenant à bonne distance ses chiens de garde ; ils sont devenus maîtres de l’effraction et entrent littéralement par la fenêtre de la propriété privée. Les yamakasis jouissent d’une extranéité culturelle dont ils sont les créateurs et les défenseurs. Pour la bande, cette extériorité à la société bourgeoise – à moitié consciente et à moitié construite – cette contre-culture des banlieues – repose sur l’art du déplacement mais s’exprime aussi par la musique. Les yamakasis entretiennent un rapport particulier à la musique, avant l’ascension d’une tour, ils remettent en place les écouteurs dans leurs oreilles et partagent avec le spectateur un son de Joey star écrit pour l’occasion. Lors d’un cambriolage particulièrement réussit, alors que le bourgeois est dans sa douche et écoute la radio, ils mettent une cassette de rap avant de partir et laissent un mot dans le coffre fort vide : « écoute ça bouffon ». Ils construisent leur appartenance culturelle comme une offensive. Par ailleurs, la précision des mouvements et le rythme des yamakasis s’écrit comme de la musique, on pourrait même dire que le mode d’organisation des yamakasis, comme le montage qui les accompagne est musical.

Les yamakasis revendiquent une autonomie culturelle et matérielle, c’est par leurs actions qu’ils vont sauver le petit Jamel, un enfant du quartier. Cette partie du scénario pourrait aboutir à une vrai proposition politique – mais n’oublions pas que le film est produit par l’industrie du cinéma. Il manque aux yamakasis une véritable autonomie morale leur permettant de s’affranchir de « la responsabilité » et de « l’honnêteté », ce qui leur aurait permis de sauver le petit Jamel par une solidarité confortante. Les biens volés à la bourgeoisie, dont le butin dépasse largement le coût de l’opération, au lieu d’être échangé dans un désintérêt stupide et idéaliste aurait pu être investi dans plus d’autonomie matérielle du quartier, dans une coopérative locale, dans un journal, dans des armes, dans des moyens de subsistances remplaçant le travail salarié et aliéné, dans un album de rap.

Dans les entrailles du film éventré d’où sortent les poisons de la société bourgeoise nous voyons ces éléments qui nous concerne : Soyons des yamakasis autonomes, organisés dans nos quartiers, débarrassons nous des bons flics infiltrés, des rêves réformistes, de la morale bourgeoise, de leur responsabilité frauduleuse et de leur honnêteté trafiquée.

Signé X

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