No-Tav, en avant !

Des nouvelles du Val de Suze

paru dans lundimatin#249, le 29 juin 2020

Le monde d’avant ne s’étant jamais arrêté, il recommence à vouloir creuser la montagne du côté de la Vallée de Susa, pour réaliser le Grand Projet Inutile et Imposé de liaison Lyon-Turin. Mais ses opposants, cette valeureuse population de la vallée et ses sympathisants de partout, ne s’arrêtent pas non plus, ils sont même plus nombreux et résolus que jamais. Ci-dessous, on pourra lire successivement une « Lettre de la Vallée » qui fait un résumé de la situation, un appel de la Coordination des comités à un été de résistance (quel plus beau déconfinement que d’aller lutter sur les cimes ?), et un récit issu du cœur du campement des résistants, assiégé par rien moins que des troupes spéciales de contre-guérilla des carabiniers.

Et dès ce jeudi, vous pouvez rejoindre la vallée pour quatre jours de camping au grand air, de débats et de luttes.

[Photos : Diego Fulcheri Zografos]

Lettre de la Vallée

Le 20, après plusieurs jours durant lesquels nous sont arrivées des informations sur la réservation par la police, les carabiniers, etc, d’hôtels et de restaurants, durant lesquels ont augmenté les contrôles policiers et où nous entendions depuis le matin le bruit des hélicoptères au-dessus de nos têtes, au cours desquels du matériel a été accumulé, à l’intérieur et à l’extérieur de la clôture du chantier et sont arrivés de nouveau engins mécaniques, grues, excavatrices, etc., nous nous rendons compte que quelque chose se prépare, nous réunissons la coordination, lançons l’appel que je t’ai envoyé [cf. ci-dessous], et décidons d’installer aux Moulins dans la zone de Clarea [proche du chantier, où une centaine de no-tav ont acheté chacun un lopin de terre pour ralentir son expropriation, NdT] un presidio, poste de surveillance permanent.

Le temps de le construire et la nuit suivante, l’ennemi avec plus de 600 hommes et femmes des différents corps d’occupation, occupe la zone entière, bloque les accès du côté de Chiomonte et du côté de Giaglione, la préfecture émet une ordonnance élargissant la zone rouge, encerclant ainsi le campement du poste de surveillance. L’objectif propagandiste et militaire est de construire un pont qui permet de passager au-dessus de Clarea, d’élargir la zone des travaux pour arriver à la construction d’une bretelle d’autoroute pour transporter des hommes et des engins sans utiliser les routes ordinaires, de démontrer que les travaux se poursuivent et que la Vallée est pacifiée, et d’obtenir la reddition des occupants du presidio par manque d’eau et de nourriture.

La semaine dernière, la résistance s’est développée autour du presidio, manifestant une force et une vitalité très importantes de la part du mouvement.

Chaque jour, on se retrouve à 18h à Giaglione et on descend en cortège jusqu’aux clôtures, on frappe contre elle, crie des slogans, tandis que de petits groupes réussissent à rejoindre le presidio pour le ravitailler et assurer la relève des occupants.

Cela, malgré les lacrymogènes, utilisés comme toujours en abondance, et les forces spéciales des carabiniers de Sardaigne et de Calabre [utilisées auparavant en Afghanistan et pour débusquer les mafieux dans les maquis de montagne – NdT]

L’assemblée générale de vendredi dernier a connu une grande affluence, telle qu’on n’en avait pas vu depuis longtemps.

La lutte se déplace sur le territoire, avec des manifestations à Susa et à Rosta contre les troupes d’occupation, un cortège hier à San Didero, une initiative de femmes no-tav hier du côté du portail de Chiomonte [voir photos] pour "élever un cri contre un système patriarcal qui opprime les femmes et détruit notre terre-Mère

A partir de jeudi va démarrer le presidio en mouvement, dont je t’envoie l’affiche(1), quatre jours de camping et de lutte, le calendrier de l’été est plein pour chaque fin de semaine des initiatives sont prévues.

Si l’Etat et les intérêts économiques mafieux continuent à dévaster des portions de territoire, une fois encore la Vallée résiste et répond à l’agression.

Nous te/vous attendons.


Traduction de l’affiche :
Presidio en mouvement - Contre le tav et tout ce qui nous empoisonne
du 2 juillet à 15h jusqu’au 5 juillet - Jeudi et vendredi : travaux collectifs
Vendredi après-midi : El Trio Churro Compagnia ; Chien barbu mal rasé
Samedi : bavardages sur les perspectives de lutte
Samedi soir : Musique Rebetico des périphéries
Dimanche : débat sur la pandémie, l’urgence et ses conséquences
Amène ta tente, tes assiettes et tes couverts
Val Susa pour Info sur les lieux et ajournements, écouter RadioNoTav.info et Radio Blackout

Le mouvement No Tav, réuni en coordination des Comité le 20 juin lance l’appel suivant :

Arrêter ça, c’est possible, arrêter ça, c’est à nous de le faire

Appel pour un été de mobilisation No Tav

Cette vallée a souffert, comme le reste du pays, durant la période du confinement.

Elle a payé un prix, en termes de vies et de pertes des affects, elle a attendu avec inquiétude des amis, des enfants, des frères et sœurs, des parents contraints de travailler dans des conditions dangereuses, parce que c’étaient des travailleurs dans des services essentiels. Après la réouverture, beaucoup de gens sont restés sans travail ou avec des perspectives inquiétantes pour l’avenir, au point d’ignorer comment boucler la fin du mois.

Les mêmes personnes qui, avec de grosses lacunes, nous disaient de rester à la maison et organisaient tant bien que mal ce qui a survécu aux coupes des dernières années dans la santé publique, appuient aujourd’hui sur l’accélérateur pour la reprise de la construction de la liasion Lyon-Turin, en appelant de leurs vœux une « débureaucratisation » et donc une accélération de tout le processus de ce Grand projet inutile commede beaucoup d’autres.

La pandémie, la souffance, l’évidence qu’un modèle économique mortifère était dépassé, n’ont rien enseigné aux politiciens qui auraient pourtant dû apprendre beaucoup. De fait à quelques semaines de distance, dans la bouche des affairistes et politiciens Pro-Tav ne s’exprime que l’intérêt partial et le désir de profit au bénéfice de quelques-uns, ce que représentent tous les Grands projets, sans exception.

Nous parlons d’un système qui, pour se renouveler, a besoin de dévorer des ressources, de détruire des territoires, de polluer et de bétonner.

Il semblait encore, voilà quelques semaines, que quelque chose devait, pouvait vraiment changer, on espérait qu’une profonde crise mondiale comme celle qui venait à peine de se déclancher, pouvait vraiment pousser à des réflexions plus profondes et à des changements pour la protection de la planète et de a santé des personnes qui y vivent.

Le Tav, projet inutile, polluant et non soutenable aurait dû être parmi les premiers à être sacrifiés sur l’autel de la justice sociale et de l’opposition aux changements climatiques, alors que nous en sommes tujours là, à écouter et lire les mantras habituels, à devoir affronter la même hypocrisie qui nie ce qui est désormais sous les yeux de tous : le Tav est un crime environnemental et un gaspillage énorme d’argent public.

La Cour des comptes européenne est venu à notre secours quand elle a, sans trop de manières, rejeté le projet en le définissant comme coûteux, inutile et polluant. Malgré cela, ses défenseurs continuent à foncer, parce qu’ils ne connaissent pas la honte et n’ont certes pas à cœur l’avenir de la collectivité.

De toute manière, quoi qu’il arrive, ils n’auront pas à payer et resteront impunis, à la différence de ceux qui comme nous se batent depuis des années pour la défense de cette vallée et de nos vies.

Le gouvernement et ses dignes représentants (à quelques rares exceptions No Tav prés), fait la sourde oreille au moment où une entreprise privée comme Telt essaie d’avancer, de gagner de l’espace et du terrain, d’acheter, exproprier comme un véritable envahisseur, par tous les moyens, toutenue par les forces de l’ordre et les militaires.

Pendant des années, nous avons expérimenté à nos dépens la violence des « gardiens de l’ordre » et de la magistrature avec qui ils vont bras-dessus bras-dessoous, et alors que dans le monde entier s’élèvent des protestations contre la police et le fait qu’elle soit au service des pouvoirs les plus racistes et sexistes d’un système qui produit l’injustice sociale, dans la vallée, nous continuons à subir leur présence aussi injustifiable que les intérêts qu’ils défendent.

Et maintenant, venons-en à nous, peuple indompté qui durant toutes ces années, a résisté aux attaques d’un système tyrannique, sourd aux raisons de ceux qui depuis trente ans ont à cœur l’avenir de toutes et tous.

Nous qui sommes encore ensemble à réfléchir sur un avenir différent et qui n’acceptons pas que notre vallée devienne la tire-lire de crapules qui ont passé depuis longtemps leur date de péremption.

Précisément parce que nous savons qu’arrêter le Tav, c’est possible et que, aujourd’hui comme hier, c’est à nous de le faire, nous lançons cet appel pour un été qui nous verra mobilisés sur le territoire de la Vallée de Susa dans un projet de surveillance attentive et de Résistance contre chaque tentative de la part du système Tav pour détruire et attaquer notre territoire.

On se voit dans la Vallée de Susa !

No Tav en avant !

En direct du campement assiégé de Clarea

Du Facebook de notre camarade Diego Fulcheri Zografos, nous traduisons le post suivant :

Depuis des jours, nous sommes à Clarea, dans la zone des Moulins, pour résister à un élargissement imminent du chantier TAV à Chiomonte. La zone est un hameau abandonné depuis des dizaines d’années, sans électricité ni eau potable, sans chauffage et avec des bâtiments en danger d’effondrement. Bien que nous ayons l’usufruit de la propriété (des centaines de militants et sympathisants ont acheté quelques mètres carrés de terrain pour empêcher l’extension), la police empêche de toutes les façons possibles notre liberté de mouvement. La zone a été interdite par un décret préfectoral semblable à ceux de la quarantaine CoVid. La Digos (police politique) surveille les routes des villages voisins et arrête quiconque lui paraît suspect. Ils ont fermé le sentier principal avec un portail de 4m de hauteur, soudé et entouré de barbelés. Nous sommes contraints de suivre des sentiers secondaires ou carrément de couper à travers les bois pour apporter l’eau, la nourriture et pour que certaines personnes prennent la place d’autres aux moulins, en nous mettant en danger car la zone est très escarpée, avec des gorges profondes. En plus des difficultés naturelles, la police lance des lacrymogènes sur les gens qui passent. Les « chasseurs de Sardaigne », corps d’élite des carabiniers specialisés dans les infiltrations, les planques et les attaques rapides sont en train d’arriver pour nous déloger.

La nuit, pour qui dort au campement, est un énorme stress. La police tourne autour de la zone, feignant des attaques plusieurs par nuit, nous obligeant à rester réveillés et en alerte à des heures improbables, et quiconque s’éloigne un peu du groupe, ne serait-ce que pour faire ses besoins, est interpellé et renvoyé au village.

Dans tout cela, notre résistance a toujours été exclusivement passive. Pas une pierre n’a été lancée, pas un feu d’artifice tiré, nous ne nous postons pas dans les bois pour surprendre les ouvriers du chantier ou la police. Nous voulons simplement rester à surveiller notre terrain avec la possibilité de boire et nous nourrir et de rentrer chez nous sans risquer notre vie dans les bois. Si la police ne nous veut pas ici, qu’elle nous évacue tout de suite et montre son vrai visage avec les conséquences médiatiques qui suviront, au lieu d’essayer de nous faire renoncer par la fin et l’épuisement. Les tabassages, les charges, les comportements racistes, le G8 (de Gênes 2001) ne sont que la pointe de l’iceberg d’une violence qui, au contraire de ceux qui parlent de moutons noirs, est intrinsèque aux forces de l’ordre comme bras armé d’un pouvoir qui, tout reconnu et disciplinant soit-il, n’a pas toujours raison, ce qui se passe depuis 30 ans dans la Vallée de Susa en est l’exemple le plus clair.Si vous vous êtes indignés et êtes descendus dans la rue pour les violences de la police dans chaque pays, indignez-vous de la militarisation de notre vallée de Susa et de la répression subie pardepuis des années par celles et ceux qui la défendent contre la spéculation et la dévastation.

Pour prendre part à la protestation NOTAV, le rendez-vous est chaque jour à 18h au terrain de sport de Giaglione. Il faut de l’eau, des vivres de longue conservation, et que ceux et celles qui peuvent remplacent des personnes du campement. Il est important de se munir de chaussures de marche, de sacs de couchages et de vêtements épais, les nuits sont froides.

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