Mise au point - Cesare Battisti

« Mais comment a-t-on pu arriver à un tel degré d’ignominie ? »

paru dans lundimatin#250, le 29 juillet 2020

Les nouvelles de Cesare Battisti ne sont pas bonnes. Pour que son avocat, Davide Steccanella, un ténor du barreau qui en a vu bien d’autres, en vienne à lancer : « Si vous voulez rétablir la peine de mort aux dépens de Battisti, allez-y, ne perdez plus de temps. Dans cet Etat de non-droit, faire l’avocat est impossible », il faut vraiment que ce qui s’exerce contre lui n’ait plus rien à voir avec les normes judiciaires italiennes et universelles.

Comme il l’explique dans l’Appel qui suit, on a décidé à son retour de lui appliquer les six mois d’isolement auxquels il avait été condamné voilà 43 ans en sus de la perpétuité. Six mois ont passé, puis encore un an et il est encore à l’isolement. Ce qui signifie qu’il ne voit jamais aucun co-détenu et, comme la prison où il se trouve n’est pas équipée pour ce genre de détention, le seul moment où il a le droit de sortir de sa cellule pour une heure de "promenade", c’est celui de l’heure du repas. La conséquence est que le plat qu’on lui apporte, repas infect coutumier des prisons, en refroidissant est devenu immangeable. Constatant que la nourriture de la prison entraînait de graves conséquences pour sa santé, il a introduit une plainte pour demander à pouvoir disposer d’un réchaud comme les autres détenus, pour pouvoir cuisiner sa propre nourriture. Ce qui est devenu, dans le grand moulin à propagande médiatique : "Cesare Battisti se plaint du menu" . Et comme à chaque fois que le nom de Cesare apparaît dans les médias, on a interviewé le fils du commerçant-shériff Torreggiani, tué par les PAC, l’organisation dont faisait partie Cesare. Rappelon que le fils en question est sur une chaise roulante. Et comme chaque fois, on a laissé croire que c’était lui, Cesare, qui avait tiré la balle qui a rendu le fils paraplégique, alors que c’était son père qui l’a blessé en répliquant à ses assaillants. Et tout cela pour que le fils Torreggiani puisse se plaindre que Cesare "voulait manger des huîtres" ! Cette bataille pour le droit à une nourriture correcte n’est qu’un épisode d’une interminable bataille de Cesare contre les abus qu’il subit - le premier étant bien sûr qu’après avoir été enlevé dans des conditions totalement hors-la-loi en Bolivie, on lui applique une peine sans tenir aucun compte des circonstances historiques dans lesquelles il a mené les actions pour lesquelles il a été condamné. A cette bataille, nous sommes quelques-uns à vouloir prendre notre part. Vous en aurez bientôt des nouvelles. La torpeur de l’été post-confinement ne saurait justifier toutes les acceptations.
Serge Quadruppani

Mise au point

Par Cesare Battisti

La séquestration de personne perpétrée à Santa Cruz della Sierra le 12 janvier 2019 se poursuit actuellement en Sardaigne avec l’approbation des institutions « démocratiques » italiennes. A l’isolement forcé depuis 18 mois, classifié AS2 (Alta Sicurezza Terrorismo  : haute sécurité terrorisme) avec 41 ans de rétroactivité – ce qui est inconstitutionnel- privé de la plus grande partie des droits établis par le Règlement pénitentiaire. Un cauchemar dont même les mieux intentionnés ne savent plus comment me faire sortir. Les appels à l’autorité judiciaire ne servent à rien. A la demande de la défense pour connaître les motivations de telles dispositions, le Ministère répond qu’il s’agit de documents secrets. Nous sommes en temps de guerre ! Politicaillerie parlementaire et médias nationaux se dépensent inlassablement en insultes et propos réactionnaires.

Mais comment a-t-on pu arriver à un tel degré d’ignominie ?

Quand, en mai 2019, la Cour de cassation italienne a refusé la commutation de la peine de perpétuité en 30 ans de détention, alors que c’était ce que stipulait l’accord d’extradition de l’Italie avec le Brésil, accusant ainsi, pour l’en absoudre aussitôt, le gouvernement italien de recel d’une cargaison illicite en provenance de la Colombie, la Cour a de fait confirmé la déclaration de guerre de l’Etat contre Cesare Battisti. Depuis lors, tout est devenu licite pour me faire pourrir en prison comme il avait été publiquement promis au moment de mon débarquement. L’attaque frontale de l’Etat et la campagne de diffamation permanente orchestrée par lui ont été dévastatrices au point de faire reculer les instances et les personnes qui jusque-là avaient généreusement prodigué leur solidarité. Le coup porté par l’« Etat de la vengeance » était presque létal. Après des tentatives de se reprendre aussi timides qu’inutiles, on a fait le gros dos en attendant des jours meilleurs. D’une certaine manières, défenseurs et famille se sont fiés au temps qui apaise tout et malheureusement, à la croyance que l’Etat italien, quoique réfractaire à la défense des droits, saurait se montrer « charitable ». En attendant, les mois passaient, tandis que l’attaque de l’Etat ainsi que des médias assujettis se faisait toujours plus virulente. Refermant l’une après l’autre les fissures par où ma voix parvenait encore à passer.

Je dois malheureusement admettre que pendant trop de temps, j’ai dû investir toutes mes forces pour tenter de convaincre les plus proches que la tactique du silence était la pire qu’on puisse adopter. Avec les meilleures intentions, ma famille, exténuée par des décennies de menaces, se démenait pour que personne, par pitié, ne fasse de l’agitation parce ça aurait été pire pour moi. Ainsi ont été bloqués dès le départ les tentatives de construire des comités de défense ou quelque autre forme d’intervention qui, aux dires de certains, m’aurait ramené au cœur du typhon. On a est ainsi venu à créer un climat d’impunité et d’arrogance tel que, à tous les niveaux du pouvoir, personne désormais ne s’inquiétait plus de rencontrer de résistances, quels que fussent les abus commis.

Voilà des mois que je me démène pour faire comprendre cette situation aux proches, pour leur faire comprendre que, certes involontairement, ils me livraient en pâture aux geôliers. Il n’est pas facile de se faire comprendre quand on est Cesare Battisti, même de ceux qui n’ont jamais cessé de m’aimer. Mais il y a quand même quelque chose que n’importe quel détenu vous confirmerait sans réticence : s’agissant de sa défense, ce qui compte avant tout, c’est la parole du détenu, parce que lui sait comment ça se passe vraiment. Ceci devrait être un impératif universel. Et s’il avait été suivi, nous aurions mieux contenu le vil assaut de l’Etat.

Par bonheur, aussi bien la défense que les amis et camarades n’ont pas attendu le son des trompettes pour sortir à découvert. Malgré la situation désespérée, grâce à beaucoup d’entre vous, existent des moment de solidarité renouvelés et cela se fait sentir ici chez moi. Les autorités, ces derniers jours, se montrent moins arrogantes, mais elles ne lâchent pas. Nous savons que le gouvernement italien est en défaut permanent face aux instances du droit et de la justice internationales. Cela fait des décennies que l’Italie encaisse des camouflets des instances internationales pour son refus de s’aligner sur les normes universellement établies. Je le mentionne pour souligner le poids que pourrait avoir tout acte public au niveau international. L’Italie ne peut pas se permettre une mauvaise propagande sur le thème de la justice. A l’intérieur, les politiciens réactionnaires tiennent les médias en laisse, mais à l’étranger, il leur est plus difficile de les contrôler et cela peut endommager l’image nationale.

Ce qui me rend le plus furieux, c’est qu’avec leurs vexations, ils sont en train de me voler mon âme. C’est de bien d’autres thèmes que j’aimerais m’entretenir avec vous, plutôt que de continuer encore et toujours à parler de ma maudite incarcération. Mais comment se détendre un peu, écrire deux pages au-delà de l’immédiateté brutale autour de soi ?

Ça se passe pareil avec la mauvaise politique. Dans l’incapacité de regarder au loin, le regard limité du populisme prend le dessus !

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