MAD MARX - La Websérie

« Une autre fin du monde est-elle possible ? »

paru dans lundimatin#158, le 24 septembre 2018

« Isolée de longues années dans une prison expérimentale, Romane découvre à sa sortie que le monde n’est plus qu’un vaste et dangereux champ de ruines. A la recherche de sa sœur, elle fait la connaissance d’un vieil excentrique surnommé Marx le Fou qui veut faire d’elle la glorieuse instigatrice d’une révolution fantasque. »
Voilà pour le synopsis de cette websérie pour le moins atypique et disponible sur youtube depuis le 15 septembre. On y découvre un monde post-apocalyptique dans lequel errent des mercenaires à la solde d’un pouvoir obscur, des zombies-gueux qui mangent des canettes de nourriture avariées et des espèces de survivants qui chiquent des restes de ceintures en cuir. Mad Marx n’est pas un film amateur potache et kitch tourné au caméscope par une bande de copains, la réalisation est soignée et le scénario inspiré. Les dialogues et le jeu des acteurs sont eux aussi très réussis, précis et drôles. Si cette websérie nous a beaucoup plu, c’est aussi qu’elle revêt un caractère expérimental dans sa forme, dans son processus de réalisation et dans la manière d’appréhender l’imaginaire et la question politique. Nous nous sommes entretenus avec son réalisateur Mathias Averty et Henry (Marx dans la série). Les quatre épisodes sont accessibles au fil de l’article.

Lundimatin : Comment vous est venue l’idée de réaliser cette websérie ? Pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions s’est passé le tournage et la réalisation ?
Mathias Averty :Mad Marx a été imaginé par une bande de potes de longue date. Une bande d’amis assez particulière qui regroupait à la fois des personnes de sensibilité libertaire, des fans de films de genre et des Metalleux. On a commencé à faire des courts-métrages amateurs un peu punk et provoc tous ensemble. Puis, constatant que le monde du travail et les responsabilités commençaient de plus en plus à grignoter notre temps libre, on a lancé le projet Mad Marx : un post-apo libertaire sur fond de Black Metal et de Punk Hardcore. Un film qui nous ressemblait, un idéal, un dernier soubresaut de révolte adolescente avant de se faire happer par la vie adulte qu’on voyait venir comme un linceul morose.

A la base, Mad Marx devait être un petit court-métrage de propagande de vingt minutes, muet et filmé avec une caméra old school avec des cartons anticapitalistes toutes les dix-secondes et des symboles kryptos marxistes dans chaque plan. Mais on s’est « un peu » emballés et Mad Marx est devenu une série parlante d’une heure et demie avec une vraie histoire.
Complètement auto-produite grâce à nos économies donc libéré de tout actionnaire Mad Marx était l’occasion ou jamais d’expérimenter des pratiques autogestionnaires sur le plateau et dans l’écriture.
Ce processus à été très long, c’était passionnant et épuisant : il a fallu harmoniser les styles d’écritures de chaque personne et regrouper les différents thèmes qui nous tenaient à coeur.
On s’est très vite rendu compte que si on voulait à la fois parler d’Anarchisme, de Féminisme, de Véganisme, d’écologie, de Lumpen prolétariat et de société de contrôle, il nous faudrait trois ou quatre saisons de Mad Marx.
On a donc décidé de se concentrer sur les 4 premiers épisodes pour planter le décors.
L’autre défi a été de diluer toutes ces notions très fortes dans une histoire intéressante, transformer le pamphlet libertaire que nous avions entre les mains en vrai objet de cinéma qui raconte la transformation d’un personnage.
Certains militants ont d’ailleurs quitté le projet parce qu’ils avaient l’impression qu’on édulcorait le message et le côté rentre-dedans du projet, j’étais aussi de leur avis, mais avec le recul, je trouve que le message est plus subtil mais bien plus fort ainsi, Mad Marx n’est plus un film de propagande, mais un film sur Romane, une femme qui se reconstruit, retrouve goût à la vie et s’ouvre aux autres grâce à des idéaux communistes (au sens large) dans un monde où tout est possible, puisque tout est à reconstruire.

Sur le plateau, on a également voulu tester des pratiques autogestionnaires dans un gigantesque jeu de rôle. L’idée était d’apprendre à faire du cinéma sur le terrain donc chacun avait la possibilité de changer de poste et de trouver son espace d’expression, de créer un personnage, un costume ou de proposer un plan. Considéré tacitement comme le showrunner puisque j’avais eu quelques cours de cinéma à la fac et que j’avais conçus toute la trame de Mad Marx, j’ai insisté pour qu’on soit plusieurs à s’essayer au rôle de réalisateur afin qu’il y ait plusieurs regards derrière la caméra. Là encore, ça a été difficile puisqu’il n’y a pas plus hiérarchique qu’un tournage de film. Le simple fait de dire Moteur est un ordre et tout doit s’accorder autour d’un chef d’orchestre avec une vision artistique forte et unique. Il nous a fallu beaucoup de temps pour accepter ça et trouver nos propres méthodes de travail en recherchant toujours des compromis entre l’horizontalité et l’efficacité sur le plateau. En effet, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas faire une AG suivie d’un vote à main levée pour valider chaque plan ou chaque réplique (rires). Petit à petit, Mad Marx s’est transformé en un plateau de tournage un peu plus traditionnel puisque chaque personne a adopté le poste de travail qui lui plaisait le plus, de mon côté, j’ai du assumer pleinement le rôle de réalisateur et je ne le regrette pas, ça a été une expérience terrifiante et passionnante. Mais ça n’a rien enlevé à l’aspect complètement punk et fauché de notre plateau de tournage, heureusement (rires).

Mad Marx - Episode 0 - Damoclès

La websérie s’intitule Mad Marx, pourquoi pas Mad Bakounine ? Y a-t-il eu des débats au sein de l’équipe ?
Mathias Averty : Ahah il y à eu des débats enflammés, des disputes et des scissions trotskistes (rires) tout au long du projet sauf pour le titre qui nous a tout de suite plu parce qu’il fait référence à Mad Max. Et puis même si on se sent peut etre plus proches des idées de Bakounine, Marx est une personnalité plus pop et un symbole très fédérateur de la critique du capitalisme ! Toute l’idée de notre projet de film était dans le mélange de Karl Marx et Mad Max : partir à l’assaut du Grand Capital avec des vieux blousons en cuir, des riffs acérés et beaucoup de second degré. Pour nous Mad Marx est le manifeste radical et personnel d’une extrême gauche énervée, sombre et rock n roll qui cherche à se réconcilier avec l’underground cinématographique et musical, trop longtemps laissé aux mains de l’extrême droite ou d’un apolitisme confortable.
Justement, d’un point de vue cinématographique, qu’elles ont été vos influences ou sources d’inspiration ?
Mathias Averty : Vaste question ! Personnellement je suis un grand fan de cinéma sud-coréen parce qu’ils arrivent parfaitement à mélanger les genres et à passer du comique au tragique. Donc Old Boy et J’ai Rencontré le Diable ont été une immense influence par exemple. En lançant Mad Marx j’étais aussi dans ma grosse période Tarkovski (Stalker, Andreï Roublev), dont chacun des plans est un tableau émouvant, du coup c’est de sa faute s’il y a des scènes contemplatives un peu longues dans Mad Marx (rires). La scène du rêve de Romane est même directement inspirée de celle de Staker.

Mais on a aussi été très inspirés par le visiteur du futur (pour le format Amateur/Websérie évidemment), Kaamelott, C’est Arrivé près de chez vous et le Seigneur des Anneaux, ça fait partie de notre culture ciné. D’ailleurs si vous prêtez bien attention aux dialogues, vous verrez que Marx le Fou parle comme Gandalf et le roi de l’Episode 3 parle comme Hubert de Montmirail dans les Visiteurs. Tout ça pour dire qu’on ne se reconnait pas du tout dans le cinéma de gauche traditionnel : les films militants de la Nouvelle Vague nous semblent ennuyeux, hermétique, nombrilistes et intello, on n’a jamais réussi à comprendre où ils voulaient en venir, pauvres geeks que nous sommes (rires). Avec Mad Marx, on voulait quelque chose de très radical mais aussi d’accessible et d’humoristique.

L’autre grosse inspiration de Mad Marx est musicale, j’ai écrit ma partie du scénario de Mad Marx en écoutant des groupes comme Year of No Light ou Blut Aus nord qui sont des groupes de Metal la fois sombres, atmosphériques et apocalyptiques. Mad Marx tire beaucoup de ses racines dans l’esthétique du Black Metal en fait, qui est un style musical avec un très fort potentiel anarchiste à mes yeux. Et même s’il est gangréné par la droite ces temps ci, une scène RABM émerge (Red and Anarchist Black Metal) en force et propose pléthores de groupes passionnants comme Iskra, Dawn’ Ray’d ou encore the Austrasian Goat, que nous avons la chance d’avoir dans la BO.

HENRY : Evidemment il y a aussi des films comme Mad Max mais aussi des livres comme la Zone du Dehors d’Alain Damasio, C’est un exemple de dystopie, une société qui n’est plus humaine, rappelons que la terre est condamnée et que c’est une colonie qui c’est implantée dans l’espace. Société qui n’est pas humaine car on nous rappelle constamment l’échec sur terre de la société humaine, du vieux monde. La zone du dehors nous montre l’échec de l’humain et sa mise au pas qui garanti la survie de l’espèce par son inhibition permanente.

Mad Marx - Episode 1 - Le Malheur des mondes

Lorsqu’elle sort de prison après 9 années de détention et de sédation, Romane l’héroïne principale, découvre un monde post-apocalyptique dans lequel errent des mercenaires à la solde d’un pouvoir obscur, des zombies-gueux qui mangent des canettes de nourriture avariées et des espèces de survivants qui chiquent des restes de ceintures en cuir. Dans l’épisode 1, « Marx le fou » raconte cet apocalypse que la jeune femme a « loupé » et évoque le « triomphe cruel du grand capital : les guerres chimiques et bactériologiques entre multinationales, la révolte des ventre creux… ». Pensez-vous qu’une autre fin du monde soit possible ?
HENRY : L’univers est vaste et recel des potentialités infinies d’apocalypses. Ces agents de la fatalité que sont les météorites et autres catastrophes stellaires ou bien plus simplement un soleil fatigué sont des scénarios potentiels d’apocalypses. (il suffit de voir la flopée de films catastrophes de films élaborés sur le sujet) Nous aurions pu aussi imaginer une invasion extraterrestre à la Indépendance Day. Mais toutes ces possibles apocalypses ont ceci en commun qu’elles ne sont pas provoquées par la main humaine mais par une fatalité du destin ou bien une imagination débridée. Or, pour Mad Marx, il était important, vital même, que l’apocalypse ait une origine humaine. pour nous, notre modèle sociétal, économique, politique et écologique va droit dans le murs et conduit inéluctablement à la ruine, nous commençons à croire que les nombreux livres de sciences fictions que nous avons lu (les troupeaux aveugles de Brunner par exemple) ne sont plus des oeuvres de fictions pures mais un reflet incroyablement réaliste du futur. Cependant, en parallèle, il était important pour nous de montrer aussi que malgré l’apocalypse, malgré une destruction totale de notre monde il était toujours possible de reconstruire et d’espérer mieux qu’une simple survie au jour le jour. Mad Marx c’est l’échec du vieux monde mais aussi (peut être) la naissance d’un nouveau plus chouette

Alors pour répondre plus simplement à votre question, oui une autre fin du monde est possible mais pour Mad Marx celle que nous avons choisie est idéale.

MATHIAS : Je partage la vision un peu sombre d’Henry. Il n’y a rien qui est vraiment rassurant autour de moi, j’ai l’impression d’être entouré de gens qui vont très mal dès lors qu’ils remettent en question leur place dans ce système. Le monde du travail est de plus en plus inhumain, les gens ne se font plus confiance, les militants font des concours de bibliothèque et se tirent dans les pattes, les artistes indépendants sont étouffés par la précarité et même les médias bénévoles sont menacés par les droit d’auteurs au moindre faux-pas. Nous n’avons plus de temps pour nos rêves, nos amis et nos familles. J’ai même l’impression que nous avons perdu internet qui n’est plus un lieu d’expression neutre libre et neutre mais un espace marketé où il faut tout monétiser pour exister. En fait, tout ce qu’on aime autour de nous est menacé quotidiennement par un système froid et par les gens qui le soutiennent par peur ou par conviction. En effet, la fin du monde imaginée dans Mad Marx nous a semblé plausible : des humains écrasés par les entreprises et des révolutions avortées.

Mad Marx - Episode 2 - Regarde le Capital Tomber

À la fin de ces quatre épisodes, de nombreuses éléments de l’intrigue restent en suspens. Romane retrouvera-t-elle sa soeur ? A quoi ressemble Monopolis, la ville dont Mad Marx a été chassé ? Le prolétariat et les gueux viendront-ils à bout du capital ? Préparez-vous une seconde saison ?
On a écrit beaucoup de choses utilisables pour la saison 2 mais on a encore un très long travail de scénarisation à effectuer pour la rendre palpitante. Et c’est seulement l’engouement des spectateurs qui nous donnera la force de continuer en oubliant les rides et les cheveux blancs accumulés sur le tournage de la première (rires). S’il y a une saison 2, elle sera sûrement plus mélancolique et violente, mais aussi très introspective. Je pense aussi qu’on fera apparaître des erzats de Bakounine, Nestor Mackno ou Louise Michèle. J’aimerais bien qu’on passe aussi quelques épisodes à présenter une micro-société anarchiste pour voir à quel point elle est envisageable, disséquer son fonctionnement, ses possibilités et ses écueils. Quant à Monopolis et la soeur de Romane, on ne les retrouvera qu’à partir de la saison 3 ahah. Il y a beaucoup de choses à raconter avant. L’aventure libertaire de Romane et Marx ne fait que commencer !

Mad Marx - Episode 3 - AKAB

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