Les signaux (pas si faibles) de la guerre (inévitable) qui vient

Repenser la scission léniniste (de 1914-1917)
Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#416, le 21 février 2024

Repenser la scission léniniste (de 1914-1917)
Contre le socialisme de collaboration (atlantiste).

Posons les causes de cette guerre (inévitable) et déjà en gestation (laissez la vivre !).
La crise économique : la dépression rampante, l’impossibilité de satisfaire les promesses faites au grand moment de la lutte anti-communiste, le développement, l’american way of life, la croissance, l’enrichissement pour tous, l’ascenseur social, etc.
Comme il n’est plus possible de tenir le mensonge de l’enrichissement et de la consommation impériale, il devient nécessaire de bifurquer sur la voie de l’autoritarisme accru, le double de l’austérité permanente ; dès lors qu’il ne sera jamais question de sortir de l’économie, de la forme de vie petite bourgeoise, de la propriété absolue et du despotisme d’entreprise (étendu à toute la société) ; dès lors qu’il ne sera jamais question de développer la démocratie.

Pour des références simplificatrices et imagées : autoritarisme style Allemagne de 1930 (le conservatisme Hindenburg Papen d’avant le nazisme) ou le retour à la Monarchie de Juillet ; la répression interne de plus en plus sanglante, jusqu’à juin 1848.
Mais comme la répression, sociale et policière, peut s’avérer problématique, résistances, manifestations, émeutes, insurrections, il faut déployer un autoritarisme militarisé : propagande massive et basculement vers la propagande de guerre, soutenant une militarisation de la société (une remise en ordre, rien que l’ordre, sans contrepartie économique).
C’est un thème hyper classique qu’un régime théologico-politique (économique) fasse de la guerre, et de la mobilisation afférente, le moyen principal de son pouvoir autoritaire.
Le grand simulacre, manière Philip Dick.
Posons que nous sommes quelque part vers 1910, un peu avant 1914 : la guerre est « impensable », et un spectre hante l’Europe, le socialisme (parlementariste, mais encore social, sinon prolétarien !), qui rappelle 1848 (sinon 1871). Pour actualiser : remplacer socialisme par écologisme, avec les mouvements insurrectionnels.
Comment ingérer ce (dit) socialisme (l’écologisme de lutte) ? En préparant une grande guerre patriotique ! Qui, nous le savons, mènera au « socialisme traître », de collaboration nationale (aujourd’hui à l’écologisme atlantiste, Joschka Fischer – rompre le pacifisme).
La crise économique rampante, la baisse permanente de la productivité (la tertiarisation), ne permet plus « le partage » des fruits de cette productivité (en berne). Pour que la richesse des riches (le 1% !) soit maintenue (au pire) il faut que les pauvres (les 99% !) soient appauvris ; et cela hors de tout schéma écologiste décroissant : la structure despotique oligarchique étant renforcée.
Il faut renier la promesse du développement : promesse qui n’a plus lieu d’être, la menace « communiste » s’étant volatilisée.
Les riches ont fait sécession, se sont séparés, avec tout l’arsenal institutionnel qui permet de protéger cette sécession : l’austérité appuyée policièrement.
Mais depuis les châteaux, il fait tenir les manants, qui commencent à deviner le mensonge (du rêve américain).
Quoi de plus habituel que de susciter une nouvelle menace « existentielle », déplacée, pour cacher, voire forclore, les menaces sociales ou écologistes, à la limite ingérables ou insurrectionnelles. Trouver un substitut à la menace « communiste » : bienvenue en Russie !
Écoutez les roulements assourdissants de la propagande de guerre ! Ces beuglements qui ont pour fonction de clouer le bec en criant plus fort !
La question écologique ? Aucune importance ! Si l’on comprend bien que la survie de l’humanité importe peu : ce qui importe est la protection des sécessions, le maintien de la richesse des riches, la défense des châteaux (et des propriétés, la défense du propriétarisme cupide).
Évacuez l’exigence écologique ! S’il est possible de maintenir, de manière spectrale ou à titre de croyance profonde, le mensonge de la croissance, s’il est possible de continuer à fournir l’opium économique de la consommation (de plus en plus inégalitaire), alors pourquoi pas ? Pourquoi ne pas balayer les fariboles écologiques ?
Mais face à la gravité de la crise économique et à la fin anticipée de l’occident impérial, face au déplacement vers l’est des sources productives, les masses laborieuses exploitables, la répression doit, sans cesse, se renforcer. Jusqu’à la mobilisation pour la guerre et « les sacrifices nécessaires » : du sacrifice austéritaire au sacrifice existentiel.
Comme l’exploitation maintenue, maintenir le taux de profit et la distribution aux actionnaires, implique une austérité durable et croissante, nous sommes revenus à un jeu à somme nulle, pas de croissance suffisante, et que cette austérité inégale rompt le pacte « anti-communiste » du développement, l’embrigadement de tous dans la société de consommation n’ayant plus de sens, l’american dream n’étant plus qu’un rêve, voire un cauchemar, il va bien falloir renouer avec les instruments machiavéliques : répression et propagande, propagande et répression.
Écoutez les roulements de tambour de la propagande pour la guerre. Oubliez les petits tracas et les désirs de vie saine ! Bientôt les bombes à uranium appauvri seront votre pain quotidien !
Vous serez les cadavres les plus exquis de la défense des châteaux ; comme les Ukrainiens sont la chair, dont on fait des cadavres délicieux, des oligarques et des acteurs rémunérés du théâtre de la sécession des riches.
Nous sommes quelque part vers 1910, et la guerre se prépare ; l’autoritarisme croît lorsque la croissance économique décroît.
Soyons « conscients » (woke !) : il n’y a plus de question écologique qui tienne, lorsque la richesse des riches est en jeu, et qu’il faut, encore, maintenir l’illusion (évanescente) de la richesse pour tous. Au diable les « contraintes écologiques » !
Face à la guerre écran ou au simulacre qui s’annonce que reste-t-il ? La guerre civile, l’insurrection contre la richesse des riches, contre les propriétés et le despotisme économique.
Reprendre la leçon léniniste de 1917 [1].

Que « pèsent » les sécessions champêtres (écologiques) ou sylvicoles (néo-traditionnalistes) devant LA GRANDE sécession, celle des riches, devant le simulacre de démocratie et la réalité oligarchique, devant le nouvel ancien régime avec ses châteaux dominants.
Avec un narcissique incompétent président, qui peut se cacher dans « son domaine réservé ».
La manière dont a été conduite l’expédition sahélienne, depuis l’Élysée et sans débat, peut faire craindre le pire pour l’aventure ukrainienne et la guerre qui arrive.
D’abord la répression, toujours la répression, le militaire plutôt que le politique, l’enrégimentement dans la guerre écran [2] et pour la réunification « nationaliste » forcée.

Le véritable pacifiste est celui qui prêche la guerre civile.
Contre toute guerre « nationale », ce simulacre pour l’union forcée.
Et cherche à mettre « en marche » la question sociale, égalité et démocratie radicale, bien avant la question de l’immigration, cet autre simulacre, ce détournement fasciste des imaginaires, bien avant la question écologique, cette dernière ne pouvant jamais être séparée de la question sociale de l’inégalité : pas de « solution écologique », décroissance et appauvrissement économique, SANS « solution sociale », sans démocratie sociale radicale.

[1Relire, pour plus de détails, Sortir des Cercles Vicieux de la Souveraineté, LM 333, 4 avril 2022.

[2La guerre simulacre pour cacher l’offensive réactionnaire, pour déplacer et effacer la guerre civile.
Voir texte de la note 1.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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