L’actualité, la gestion sécuritaire de l’épidémie, la gestion policière du terrorisme, la mobilisation émotionnelle, les tentatives verticales de ressouder « l’union nationale » autour de l’imaginaire de « la laïcité » ou autour de la défense de « la république », tout cela oblige à interpréter les signaux, de moins en moins faibles, qui indiquent qu’une « radicalisation » de l’autoritarisme est en route, à coup d’états d’urgence démultipliés.
Il faut, donc, s’intéresser de nouveau à la thèse du despotisme [1], thèse affirmant qu’il faut accepter l’hypothèse du despotisme (et non pas celle de la démocratie ou de la république) pour donner sens à l’actualité (du glissement vers un autoritarisme accru).
Nouvelle étude sur le despotisme qui sera présentée comme un jeu ; jeu autour du thème : peut-on distinguer la démocratie (ou la république) du despotisme ?
Cette étude, sous forme d’un jeu, s’appuiera sur une analyse inversée.
Nous partirons de ce qu’affirme la propagande « libéraliste » (républicaine, démocrate, libérale) sur le despotisme (souvent désigné en termes de dictature ou de totalitarisme).
Notons d’abord que, pour cette propagande, le despotisme est toujours ailleurs, en Russie, en Chine, en Iran, c’est un vice « oriental », mais que jamais on ne peut le trouver « chez nous », en Occident.
Pour cette propagande, le despotisme (oriental) se caractérise par la corruption généralisée : par exemple, « les chefs » (souvent des militaires, comme « les gardiens de la révolution ») s’en mettent plein les poches, souvent pour leurs femmes (les femmes des dictateurs) et ont perdu, depuis longtemps, toute « vertu » (cette vertu étant supposée constituer la base morale d’une véritable république, non despotique [2]).
Nous allons, alors, inverser les choses et déployer une analyse inversée : si la corruption est (posée comme) le meilleur indicateur du despotisme, il suffit alors de montrer que les démocraties libérales ou les républiques (comme « la France ») sont gangrénées par la corruption généralisée pour jeter le doute sur la nature « démocrate libérale » de ces républiques.
De Cahuzac à Sarkozy, puis à Kohler et Moretti, tout un défilé de grands personnages (les chefs républicains) « qui interrogent ».
Notre analyse inversée permet de renverser le discours de propagande sur la vertu républicaine. Et ainsi permet de repenser (avec suspicion) les nouveaux objets majeurs du républicanisme offensif, la si fameuse laïcité, le terrorisme, l’épidémie, la vertu, la discipline.
Ce texte propose un jeu : par jeu, nous allons adopter une vieille tradition de la critique par gros temps de despotisme, celle de l’allusion, de l’euphémisme ou du roman à clé.
Étant incapable d’écrire une fable ou des Lettres Iraniennes [3](mais avis aux amateurs) nous allons donner les éléments d’un faux roman à clé (il ne s’agira pas d’un roman, mais l’idée centrale du roman à clé, un jeu, découvrir un personnage caché, est conservée).
Dans un roman à clé (mais ceci n’est pas un tel roman) la clé de l’histoire est une personnalité publique connue et reconnue, personnalité qui bien que reconnue cache des zones grises ou noires ; zones que le roman tente de mettre en pleine lumière. La personnalité publique, intégrée à un jeu de pistes, joue alors un rôle central dans l’analyse.
Mais comme ce qui suit n’est pas un roman, c’est l’analyse, par inversion des thématiques du roman à clé, qui donnera les indices pour avancer dans le jeu.
Soit donc le jeu : qui est Moriarty ?
Bien entendu, le nouveau despotisme n’agite plus la menace de l’embastillement (quoique). Comme il s’agit d’un despotisme économique (« libéral ») fondé sur l’idée qu’il faut taper au porte-monnaie plutôt que sur les corps (quoique) la menace envahissante est celle de la mise en faillite, de la ruine, par exemple par l’intimidation ou la censure préalable par des procédures baillons (SLAPP : Strategic Lawsuit Against Public Participation, première occurrence de l’abus de droit, exemple de cette corruption qui définit le despotisme économique, par essence). L’inégalité ou la dissymétrie qui constitue le pouvoir s’exprime (dans le despotisme libéral) par la possibilité de payer des armées d’avocats (de service) et de soutenir les aléas d’un long périple judiciaire jusqu’à épuisement des ressources de l’action civique ou publique, jusqu’à la ruine des tenants d’une action de dévoilement des sales petits secrets qui cimentent le despotisme (deuxième apparition de la corruption qui définit le despotisme, le secret protégé par la loi et la chasse aux « lanceurs d’alerte » – chasse qui peut, évidemment, dépasser les seules sanctions monétaires, l’embastillement revenant si nécessaire, cas Assange et de bien d’autres). Avis préalable et menaçant aux lanceurs d’alerte ou simplement aux personnes horrifiées par les transactions despotiques, par les procédés sous-la-loi (et secrets) de l’oligarchie néo-féodale de ce nouvel ancien régime nommé, ironiquement, « démocratie » (reprendre l’affaire Véolia-Suez ou toutes les facilités données aux sociétés pour gorger leurs actionnaires, les autoroutes, les aéroports, etc., tout ce qui peut être privatisé [4] – facilités entre copains coquins et qui tentent de rester des sales petits secrets).
Ce qui importe désormais (ou depuis toujours) est de rejeter l’idée martelée que « nous sommes en démocratie ».
Et donc, de rejeter l’idée qu’il est possible de mener une action civique ou politique, « républicaine », tellement cette idée, sympathique, « citoyenne », a été torturée par les apprentis dictateurs (et les « hommes politiques », irresponsables juridiquement).
Aujourd’hui, dans le despotisme glissant lentement mais sûrement vers la dictature (par l’extension des états d’exception « imparables »), l’action civique est immensément plus exigeante et plus risquée. Et doit couvrir un spectre plus étendu de pratiques, de la critique de l’idéologie économique à la critique même des pratiques politiques qui restent enfermées dans la croyance démocratique (comme l’électoralisme ou la mobilisation pour des élections – même si cela peut avoir un intérêt tactique, cela n’a jamais d’intérêt stratégique – la critique de « l’ingénierie électorale » devient tactiquement essentielle en cette époque des trumps triomphants ; l’organisation électorale, l’enfer se logeant dans les détails d’un saucissonnage électoral, par exemple, se transformant en un monstre, en un objet à scruter en détail).
Ce grand néoconservateur bien connu, Léo Strauss, a écrit deux ouvrages importants pour notre jeu :
La persécution et l’art d’écrire, 1952 puis De la Tyrannie, 1954.
Ce dernier ouvrage se présentant comme un dialogue avec Alexandre Kojève, le maître de la pensée française des années 1950 (Lacan a appris Hegel par Kojève).
Si l’on peut rester admiratif devant « le style » de Léo Strauss, justement le style d’une pensée qui se déploie par temps de despotisme, ironie, exposés denses et cryptiques voire ésotériques, synthèses époustouflantes – Léo Strauss le disciple de Nietzsche – érudition complexe, fascination pour le théologico-politique et ses arcanes, par contre son conservatisme religieux, bien connu, et son élitisme radical (également nietzschéen), son opposition acharnée à la science sociale et à la sociologie en particulier (science sociale accusée de promouvoir la volonté d’égalité et l’éducation populaire, le modèle scientifique – mais le risque est faible !) font de Léo Strauss un adversaire essentiel, qu’il faut longuement étudier (comme Friedrich Hayek), peut-être plus que Carl Schmitt [5].
Mais ce qui nous importe ici est son analyse historique des conditions d’expression de la pensée (expression supposée libre, surtout quand on n’a rien à dire) dans les régimes despotiques avec des formes de persécutions les plus diverses et variées. Pour nous, essentiellement, les formes de l’abus de pouvoir, abus de biens ou de droit, le conflit d’intérêts, les menaces financières (la presse contrôlée), la protection du secret, jusqu’au « secret défense » étendu, tout ce que nous pouvons résumer sous le terme de « corruption ».
Corruption, comme l’abus de pouvoir, qui constitue une persécution, une répression menée contre l’exercice de la liberté civique (l’asymétrie de l’abus de pouvoir mettant en cause l’isonomie démocratique).
Corruption qui peut, de manière métonymique, se ramener au conflit d’intérêts, ce qu’autrefois on aurait appelé absence de sens moral ou civique (l’esprit Moriarty, cynique), mépris de l’intérêt général – mais le libéralisme défend l’idée révolutionnaire que l’intérêt général n’existe pas ou est une invention des « communistes », les ennemis de toujours, et le libéralisme défend cette idée « individualiste » pour légitimer la dictature de l’économie – voilà le grand conflit, placé au centre de notre jeu : comment définir la dictature ou son ombre, la démocratie ?
Il faut, hélas, toujours recommencer par la même rengaine : la rengaine !
Le matraquage par la propagande, ce si vieux thème, inusable.
La propagande est une opération de police ou de guerre (psychologique), opération mortelle ; et qui ne devrait pas exister dans ce qui est appelé « république » ou « démocratie », si la « république » ou la « démocratie » étaient conformes à ce qu’énoncent leurs slogans trompeurs sur « la liberté d’expression » [6].
À quand l’indépendance des médias ? À quand l’indépendance de la justice ?
À quand une formation « civique » (et critique) des journalistes ? À quand une formation des juges à l’autonomie ? À quand la dissolution des écoles de journalisme (incorporées dans les universités), de l’ENA (simplement supprimée) ou de l’École de la Magistrature (fusionnée avec un département universitaire de philosophie ou de psychanalyse) ?
Tout a été dit sur l’inanité sonore et volontaire des médias qui font tourner leurs slogans ou leurs énoncés de catéchisme (économique) en boucle ; partout les mêmes discours, tous identiques, tous unis pour une seule et même défense de l’ordre économique (ou de la démocratie libérale).
Quand une autorité gouvernementale assène, sans réplique, une absurdité économique ou un mensonge éhonté (plus c’est gros plus ça passe), un verset du catéchisme libéral, tous les journalistes de ménage se lèvent ensemble, les yeux langoureux et le sourire satisfait, et chantent : quelle science géniale, quelle pratique parfaite ou impeccable, le plus grand des économistes profère la vérité indiscutable et, surtout, sans réplique possible.
Stalinisme à tous les étages médiatiques. Courtisanerie dénoncée depuis si longtemps : l’incapacité à porter « la liberté d’expression » ou la liberté critique.
Première occurrence d’un élément qui définit le despotisme : la vérité contrôlée ; avec son appareillage de diffusion concédé et ses légionnaires de la foi économique.
L’occupation de la pensée, comme on occupe un territoire, par les contre-vérités permanentes, par le mensonge le plus diffusé [7] ; la statistique comme l’art supérieur du mensonge, le catéchisme économique le plus indiscutable, l’évidence sans support assénée, « le vrai faux », etc. Et cette occupation, cette invasion, peut mener à l’opération la plus sensible de la guerre psychologique, instiller la peur, la répétition en échos réverbérés que « la menace est bien là », tout en clamant qu’« il ne faut surtout pas avoir peur » (le double bind psychotisant).
Peur virale inoculée tout en déclamant qu’il faut vivre sans peur, avec le virus, avec les terroristes, etc.
Mensonges et, en particulier mensonges par omission (ou, forme déployée, le secret), double langage permanent, énoncés contradictoires, « fake news » par oubli, tout ce qu’Orwell désignait comme les éléments de la propagande « totalitaire ».
Double langage qui s’exprime si bien à propos de la décapitation terroriste d’un enseignant qui parlait, dans ses cours, de la liberté d’expression.
Gloire à ce héros de la liberté d’expression. Avec l’autocensure nécessaire ou la répression administrative directe de « la libre parole », lorsque cette « libre parole » ne s’inscrit pas dans les tuyaux de la religion d’État (l’économie libérale) avec sa vénération de l’économie toute puissante. [8]
« La laïcité » n’étant que le nom de la nouvelle religion économique imposée. Quand verrons-nous apparaître « la véritable laïcité », celle de la liberté non seulement des opinions et des expressions, mais celle des constructions institutionnelles ? Il ne s’agit pas d’opposer une religion contre une autre ou contre l’absence de croyance, l’athéisme, et de gérer cette opposition (ce qui nous renvoie au 16e siècle), il s’agit de gérer l’opposition de systèmes économiques constructibles, il s’agit de « laisser libre » (liberté d’expression) de développer une société communiste expérimentale.
Hélas, encore et encore, l’actualité permet d’observer « le despotisme en action » [9].
Observer le despotisme en action ?
Mais qui voit cette action ? Qui peut dépasser la dénégation tranquillisante ?
Lorsque l’objet de la propagande invasive est de produire « une réalité alternative », la vision d’une liberté chérie.
Lorsqu’un président, qui veut se faire passer pour un « philosophe », énonce cette absurdité démontée depuis presque cent ans (Keynes critique des libéraux conservateurs) : seule la baisse des salaires (des charges ou des coûts salariaux, directs et indirects – la désintégration de la santé publique) permet de diminuer le chômage. Ah, le bon sens populaire ! Au profit du patronat !
La franche rigolade des « fake news » (l’énoncé présidentiel que nous venons de citer ne rentre-t-il pas dans cette catégorie hilarante des « fake news », ici des énoncés non soumis à la critique et, en fait, qu’il est interdit de critiquer, des dogmes religieux ?). Et la croisade, si bien orientée, de Laetitia Avia ! [10]
Le despotisme en action.
Ou, pour en rester aux grands classiques de « l’éducation morale et civique », républicaine et anti-totalitaire, nous voilà propulsés au cœur d’une pratique despotique, voire dictatoriale et exhibée par Orwell [11], le rassemblement massif émotionnel, « la journée de la haine » avec ses variantes, « marche blanche » ou « journée particulière ».
Journées de mobilisation « populaire » et, surtout, journées émotionnelles (l’émotion étant ce qui fait bouger et se déplacer : il faut pleurer les morts et chanter les saints « laïcs »), journées « des larmes », tellement nécessaires pour recimenter, sans cesse et à nouveau, un esprit unifié ; reconstituer sans cesse l’unité menacée à coup de propagande, de discours de chagrin et de mobilisation dirigée (contre les boucs émissaires, contre les islamistes, contre les islamo-fascistes ou les islamo-gauchistes, contre les casseurs, contre les pédophiles, contre tout ce que « la bigoterie nationaliste » désigne comme des « ensauvagés »).
Recréer l’imaginaire de l’unité républicaine ; puisqu’une telle unité, union, voire union sacrée, n’est qu’un fantasme, un imaginaire, plaqué sur une société fracturée, il faut sans arrêt nourrir le fantasme en montant le spectacle de l’horreur.
Certes cela exige, généralement, un tribun enflammé, un chef charismatique au pouvoir de séduction implacable. Voilà pourquoi de telles manifestations, organisées par les gouvernements, font glisser le despotisme anonyme vers la dictature personnifiée (la personnalisation de la politique, transformée en concours de beauté, ou d’amour, étant un élément de ce glissement insensible et continu).
Mais peut-on imaginer un gendre charmant (style le voilà), séduit (par le catéchisme économique – un technocrate), dans le costume du séducteur charismatique des masses hypnotisées par les médias hallucinants ?
Quoiqu’il en soit du « grand leader charismatique » à venir, nous sommes toujours piégés par le vieux truc des « tyrannies populaires » (ou populistes ?) : l’agrégation émotionnelle des masses, que décrivait déjà Freud il y a cent ans, l’agrégation grégaire et gluante des agents, par ailleurs, et par l’économie, atomisés, la colle par le bouc émissaire (de René Girard), par l’ennemi désigné par la propagande, les sorcières autrefois, les impies de la république (ceux qui pensent que « la laïcité » cache l’autoritarisme de la religion économique – tous ces ennemis qui, par mimétisme, toujours Girard, peuvent tomber dans le piège tendu, en se prêtant au jeu ou en jouant le jeu du « vrai méchant » ou de l’extrémisme suicidaire. Le fondamentaliste à la ceinture d’explosifs, et qui permet le tir sans sommation, est un personnage orwellien : le conflit agrégatif des despotismes en miroir [12].
« Nous sommes tous Charlie ».
Surtout ceux qui détestaient l’anarchisme potache et scatologique de (l’ancien) Charlie Hebdo ; et le massacre criminel a eu cette fonction essentielle d’incorporer, désormais, un hebdo qui tirait sur tout ce qui bouge, de l’incorporer au flux unitariste de la défense de la république « laïque » : la valse de Val à Valls (future couverture de Charlie ressuscité).
« Nous sommes tous des enseignants (de morale républicaine) ».
Surtout ceux qui ont toujours détesté l’école et ses relents avariés de moralisme petit bourgeois (économique républicain) ; moraline à la Benjamin Franklin, embrigadée comme force d’appui pour la défense nationale des oligarchies prédatrices, ces oligarchies qui méprisent ces serviteurs zélés de la république (leurs petits bourgeois de service).
Moralisme très encadré et généralement peu critique.
Et la politique de la ville ? Depuis le scélérat Tapie ?
Et la conformation économique obligatoire ? Qu’en est-il de l’inégalité ? De la relégation sous la pression de la gentrification ?
Pourquoi la catéchisation à la morale civique républicaine, mais bien économique, n’est-elle pas dévolue aux nouveaux enseignants croyants de SES ?
Une fois n’est pas coutume.
Pour une fois nous avons abandonné le style cartésien mathématique du jardin à la française pour un style plus vagabond et plus anglo-saxon du jardin anglais (ou de la friche en attente de régénération).
Ce changement de style s’expliquant, comme nous l’avons dit, par l’épaississement de l’atmosphère.
Il est temps de percevoir l’urgence (ce qui se caractérise par « l’état d’urgence permanent ») : le despotisme habituel devient dictature exceptionnelle, mais destinée à perdurer comme le nouvel état des choses. Tout cela sans que rien ne change visiblement (sauf les restrictions de liberté au prétexte sanitaire, mais que l’on peut imaginer passagères) grâce à la bonne vieille méthode de la division ou de la classification. Méthode antique de la division qui a prouvé une fois encore sa puissance en séparant « eux », les juifs, ou les judéo-bolchéviques, en reprenant l’exemple nazi, les « subversifs » en général, de « nous », les honnêtes citoyens travailleurs et respectueux, grossière division que l’on peut ensuite subdiviser dans le détail.
Un des grands thèmes de l’anarchisme est le rejet des coutumes et des traditions.
Mais au nom d’un rationalisme constructiviste, lui-même lourd de nouvelles traditions essentialistes ou fermées. Rationalisme constructiviste qu’il faut dépasser, en repensant ce que veut dire politique (et en passant de l’affirmatif au négatif).
Adoptant cette ligne (de dépassement du constructivisme affirmatif) nous nous sommes plutôt placés du côté des dérives ou des errances (la liberté d’expression est une liberté d’errance) de l’épistémologie anarchiste de Paul Feyerabend et du côté de l’analyse scientifique considérée comme modèle politique : modèle du refus des traditions imposées ou des croyances non critiquées, liberté infinie de la critique, y compris de la critique des rêves anarchistes rationalistes. Mais aujourd’hui, l’urgence, c’est la république ou la démocratie (ces slogans politiques évidés) qui doivent fixer notre attention.
Attention titillée, par exemple, par cette blague potache nommée « Printemps Républicain » et qui devrait se lire « hiver despotique » (winter is coming).
Comme le disaient mes grands-parents : tout est bon dans le cochon.
Tout est bon pour le tentaculaire système de propagande qui cherche à nous faire croire que « nous sommes en démocratie » (ou « en république », les deux termes démocratie et république étant supposés interchangeables).
Tout est bon pour cacher ou légitimer la nouvelle vague du despotisme, vers de plus en plus de dictature (état d’urgence, état d’exception).
Avec le mensonge déconcertant, le martèlement du rythme républicain, avec le prétexte imparable, du terrorisme à l’épidémie et retour [13].
Quoi de mieux qu’un passage à l’acte terroriste (et pathologique) plus que minoritaire, parfois isolé (et manifestant de la démence), le fameux « loup solitaire », pour justifier et renforcer l’état d’urgence (et le renforcement autoritaire de toutes les surveillances) ? Et, ainsi, masquer la dissymétrie qui existe entre un système nullement menacé et l’action épouvantable (de stupidité) d’un individu isolé ou lié à un groupe ultra-minoritaire (un groupuscule comme on disait) ; groupe minoritaire « haineux », mais surtout « habité par la rage » d’être exclu (du monde économique de la richesse qui se pavane ou de la consommation petite bourgeoise).
Donnez-moi « une bonne politique de la ville » (détruisez les quartiers de relégation) et je vous promets l’intégration heureuse : cette idée ancienne (de Tapie à Borloo !) étant sans cesse ignorée ou rejetée, puisque mettant en cause le principe déterminant de la république, celui de l’inégalité économique motrice.
Alors l’humiliation par l’exclusion sociale économique se retourne maladivement en colère meurtrière, jusqu’au suicide kamikaze.
Comme le dit Zizek à propos de Heidegger : c’est très bien de s’engager en politique à condition de ne pas se tromper de direction ou de méthode ; et s’il est essentiel de s’engager, de rejeter l’étouffoir démocrate républicain, il est aussi important de trouver « le bon chemin » (suivez l’exemple de Zizek et devenez une vedette médiatique du communisme « yougostalgique »).
La voie du suicide kamikaze ne peut être considérée comme une méthode politique subversive. Si l’idée de contre-culture ou de contre-société court depuis le 19e siècle des mouvements socialistes ou communistes, elle n’élimine en aucune façon les ambiguïtés ou, pire, les récupérations réactionnaires, religieuses intégristes ou nationalistes « völkisch ». Les sociétés historiques, culturelles (et sportives) ou intellectuelles (ou spirituelles) courent toutes le même risque de détournement ou de corruption.
De même qu’une démocratie ne peut se définir uniquement par sa forme abstraite (ou par le vote) ou par des règles trop générales et uniquement procédurales, qu’elle exige, pour être pensée ou sentie, d’avoir un contenu précis, une substance, comme construire l’égalité, mettre au pas les sécessionnismes économiques (la sécession des entreprises multinationales ou des élites économiques, les fraudeurs fiscaux), placer le mouvement de la critique au centre de ses préoccupations (la critique venant toujours avant la construction – rejet du slogan : il faut être constructif), introduire le droit à l’insurrection (même s’il faut repenser le droit pour cela), une contre-culture se juge à son contenu, en particulier à la place donnée à « l’athéisme », à bien comprendre, radicalement (et en opposition complète au monde contemporain), athéisme anti-économique (puisque l’économie est une religion politique) autant qu’anti-religieux.
Mes ancêtres « bouffeurs de curés » (ou d’imams) seraient transformés en « écologistes radicaux », partisans de la décroissance et de « la sortie de l’économie ».
Le terrorisme offre un prétexte imparable pour ne rien changer au despotisme, et mieux pour le renforcer par des lois sécuritaires de plus en plus étendues, jusqu’à absorber la totalité du prétendu « État de droit », de quel droit parle-t-on ?
Comme l’épidémie a été un tel prétexte imparable.
Alors même que la question était celle de l’organisation économique, des entreprises, des services publics, des hôpitaux, « le choc » du terrorisme ou de l’épidémie a permis de réactiver le mensonge déconcertant de la république ou de la démocratie.
Inutile de retourner aux causes économiques ou à l’analyse de l’épidémie virale comme « production économique » [14]. Inutile de penser, de réfléchir, d’analyser, de poser un diagnostic, tout cela étant censuré et recouvert par l’émotion sans pensée, par ce qui met en mouvement grégaire mécanique (gestion des masses spontanées), « la dictature du chagrin » emporte tout.
Pas de place pour le refus (surveillé policièrement) ou pour le retrait hors de la communion nationale autoritaire.
C’est toujours la même question immémoriale, la question théologico-politique de l’union, de l’unité, du dieu unique, du peuple uni, de la nation unifiée. L’unité métaphysique qui appelle un fascisme rampant et qui irrigue tout despotisme, en particulier celui qui se nomme démocratie libérale ; mais démocratie appuyée sur l’unité économique, sur la forme unique autorisée d’organisation économique, démocratie qui nomme un système économique imposé et ainsi s’expose comme autoritarisme (ou libéralisme autoritaire). Il s’agit toujours de défendre l’économie unificatrice, quels que soient les méandres qu’il faut suivre, comme mettre l’économie en confinement pour mieux la protéger, schéma d’économie de guerre.
Partons alors d’une proposition critique, comme point de départ pour un voyage dans les terres despotiques : il est impossible d’analyser, d’expliquer, de comprendre ou de théoriser le terrorisme, de chercher alors à se mettre à la place des terroristes (ethnographie du terrorisme) sous peine d’être accusé de faire « l’apologie du terrorisme » ; c’est impossible parce qu’il est interdit de mener une telle ethnologie [15].
Et voilà les termes barrières : apologie du terrorisme, apologie du communautarisme, apologie de la sécession (celle d’en bas, celle des riches étant une pratique non punissable), apologie du communisme, voilà les mots policiers qui enferment la pensée.
La démocratie caricature la libre recherche en bulletin d’offensive ; chercher à comprendre, c’est déjà participer (l’analyse participante ou participative étant dénoncée comme association de malfaiteurs).
Il est temps de retourner les arguments.
Et de décrire la démocratie de manière non participative.
L’un des plus sûrs indices du glissement de la démocratie vers la dictature, glissement qui indique que démocratie et dictature participent d’un même univers, l’espace du despotisme, parce que ce glissement se produit à l’intérieur même de l’enveloppe démocratique (au moyen de lois d’exception votées démocratiquement sous le coup de l’émotion), l’un des plus sûrs indices de la dictature qui vient est la question récurrente de la corruption.
Il est impossible, ici, d’analyser cette galaxie pathologique morbide [16]. Mais la corruption doit être mise au centre de toute analyse critique, pour penser que la démocratie est une espèce du despotisme.
Pour caractériser de manière superficielle cette corruption, disons que la France glisse silencieusement vers une forme russe, d’oligarchie néo-féodale appuyée sur et par la religion (voir note 1).
On s’attendrait à ce que l’énervement suscité par les restrictions autoritaires imposées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, en particulier le confinement ou le couvre-feu, on s’attendrait à ce que cet énervement se transforme en une plus durable exaspération, puis en révolte assumée politiquement, contre tous les signaux hurlants qui indiquent que « notre démocratie » est agonisante ou, plutôt, est déjà embaumée.
Et plus que les trop visibles états d’urgence ou états d’exception, même établis de manière permanente, c’est le déchaînement sans frein de la corruption protégée autoritairement (par le secret, par exemple) qui est le grand signal de cette impunité nouvelle, de cette immunité féodale (le despotisme est un féodalisme immunitaire, un régime mafieux), de ce retour évident à l’ancien régime. Retour à l’ancien régime, c’est-à-dire effectuation du passage discret vers les formes les plus autoritaires du despotisme éclairé ou technocratique [17].
Cette question de la corruption et de l’oligarchie irresponsable (au sens juridique de disposant d’une immunité) est généralement enfouie (au sens de la dénégation). Cette dénégation (non, ce n’est pas si grave) n’étant qu’une manifestation de « la liberté des modernes », de la liberté économique. Contrairement au couvre-feu, la corruption concerne à la fois tout le monde (comme contribuable) et personne en particulier ; la corruption apparaît comme un bruit de fond, une musique discordante venant « des hautes sphères » de l’oligarchie ; bruit qui, donc, ne perturbe pas la vie quotidienne (ce référent essentiel pour les modernes et leur liberté de trafiquer – la corruption du haut justifiant celle du bas, l’exemple venant d’en haut !).
Du point de vue de la liberté des modernes, la corruption est normale ou insignifiante. Mais du point de vue de la liberté civique ou du républicanisme critique cette question de la corruption qui, encore une fois, ne concerne pas les libres agents économiques modernes (la corruption est une fonction économique), cette question de la corruption met en cause toute forme de vie collective ou politique, met à mal toute cité.
Toute réalisation est rongée par la corruption et devient ainsi de plus en plus autoritaire.
La dépolitisation de l’agent économique, rendu ainsi fonctionnel (les touristes consommateurs ne font pas de politique), cette dépolitisation, qui est un trait marquant du despotisme, encourage la corruption (il n’y a rien à craindre et les procureurs moraux seront humiliés).
Le « je n’y comprends rien » ou le « ça ne me concerne pas dans mon espace privé », comme le « puisque je n’ai rien à dire, pourquoi voulez-vous que je sois concerné par les lois d’exception », « pourquoi voulez-vous que je sois menacé, je n’ai rien à cacher », toutes ces sentences sont des slogans politiques qui illustrent la dépolitisation des agents du despotisme.
Intéressés par leurs affaires, les agents modernes font fonctionner le despotisme. Et encouragent la corruption au centre de ce despotisme (encore une fois se rapporter aux exemples russes, algériens ou chinois, là où la corruption est dénoncée pour cacher « la nôtre », où, donc, il est plus facile de la voir [18]).
Étant dans l’impossibilité d’écrire un grand traité de la corruption, depuis son sens philosophique d’effectuation réalisation jusqu’à son sens politique de mépris ou d’arrogance féodale, nous en resterons à deux traits actuels :
Le retour en masse du secret et des affaires secrètes ou des conventions secrètes ; avec l’utilisation abusive du secret des affaires et du secret défense [19].
Et le conflit d’intérêts (avec l’abus de pouvoir, pour masquer, et le mensonge, pour dénier) à tous les étages de l’administration ou du gouvernement.
Depuis la fameuse affaire Cahuzac jusqu’à l’affaire Kohler.
L’affaire Kohler, glissée sous les tapis des palais de la république monarchique, n’étant que la dernière illustration d’un océan de corruption.
Marchés truqués, pots de vin, accords mafieux (et avec les mafias, renvoi à la note 8, Laurent Mauduit, Éoliennes dans la Baie de Saint-Brieuc, c’est la mer qu’ils veulent privatiser, 19 octobre 2020, l’entreprise espagnole Iberdrola et ses liens mafieux, la face sombre d’Iberdrola, Iberdrola clairement liée aux mafias), autoroutes, aéroports, passe-droits et dérogations (aux règles écologiques), tout un bestiaire à la russe dont il faudrait faire la zoologie.
Qui sera le Buffon de la corruption ?
Finissons alors par répondre à notre question : qui est Moriarty ?
Mais c’est bien sûr mon cher Watson, Moriarty n’est qu’un nom commode pour un désigner un système entier mu par la corruption. Une personnification simplificatrice. Une allégorie.
Et ce système (économique) entier, sans doute est-ce un système « humain ». Mais qui caractérise le despotisme.
Et si, mon cher Watson, tu désires plus de détails concrets, étudie l’affaire Sarkozy [20].
Et, clairement alors, un avatar de Moriarty est (Dupond) Moretti (Moriarty c’est Moretti).
Mais Moriarty est une figure aux myriades d’avatars.
Avatars ou agents économiques qui peuplent le despotisme.
Et pour compléter, pour ceux qui savent entendre ou développer des lignes d’inférence (un jeu logique conseillé), il faut comprendre que la thèse du despotisme (relire l’introduction) contient ou s’appuie sur une réfutation de l’idée, sympathique et libérale, « d’auto-organisation », la société civile. Réfutation générale de l’idée, bienheureuse, d’harmonie.
Le grand œuvre de la théorie néoclassique walrasienne a été de tenter de « démontrer » que pouvait « exister », se tenir et s’entretenir, un ordre harmonieux spontané, ordre « auto-organisé » par les relations économiques des agents économiques libres, la société civile.
Ce que l’on nomme théorie économique néoclassique tourne autour de cette « démonstration » (de l’existence, théorique ou utopique, d’une société civile, telle que postulée par les Écossais) et occupera cette doctrine économique pendant plus de cent ans. L’hyper libéralisme autoritaire de Hayek repose entièrement sur l’hypothèse que les néoclassiques ont bien « démontré » cette existence d’une « auto-organisation ».
Or la tentative (idéale ou intellectuelle, ou utopiste) néoclassique s’est soldée par un échec.
Mais par un échec qui a permis de comprendre la supériorité de la pensée physiocrate par rapport à celle de Smith : le libéralisme économique est nécessairement un autoritarisme, son analyse, comme l’analyse de l’économie, doit d’abord être politique, et l’idée de despotisme caractérise au mieux le régime économique du libéralisme économique.
L’examen de tous les « axiomes » qu’il faut introduire pour opérer « la démonstration » de l’existence d’une auto-organisation est, en réalité, l’examen des principes de base du despotisme. Le despotisme est l’ensemble des « axiomes » qu’il faut introduire pour « démontrer » (papier crayon) qu’est possible une « société civile ».
Si l’on veut, de manière abstraite, le despotisme répond à l’impossibilité de construire une société civile auto-organisée (est-ce la vengeance de Hobbes ?).
Le despotisme répond donc au problème : comment est-il possible d’ajuster, d’hétéro-organiser, les actions (supposées) spontanées d’agents (supposés) libres ?
Actions qui ne sont jamais spontanément « auto-ajustées » (résultat négatif de la théorie néoclassique).
Ou, encore, comment est-il possible de construire, de fabriquer, une « société civile » qui se croit libre ou auto-organisée ?
Le despotisme est la solution à l’échec du rêve libéral de l’anarchisme économique.
Et la réponse, au problème de l’impossibilité de l’auto-gestion spontanée, est bien : il faut former à la vertu républicaine, il faut conformer tous les agents et les réduire à un modèle unique, faire qu’ils soient tous « normalisés », disciplinés et respectent des normes strictes de comportement (normes pratiques en contradiction absolue avec les discours idéologiques sur la liberté).
Une société civile peut paraître auto-organisée ou libre, mais uniquement libre de mener des opérations économiques, cependant fort déstabilisantes, dès lors qu’existe un gouvernement d’instituteurs de l’économie (et de la vertu républicaine), gouvernement nécessairement doublé d’un corps policier d’inspecteurs (ou de commissaires du peuple) assurant le respect des bonnes mœurs économiques et de la discipline sanitaire (biopolitique).
Ce gouvernement se nomme despotisme éclairé (des savants économistes, des médecins, des technocrates de tout poil).
C’est ce gouvernement technocratique qu’introduit l’économie physiocrate pour permettre le meilleur développement économique.