Les écrits féministes de Carla Lonzi enfin disponibles en français

Entretien avec les traductrices Muriel Combes et Patrizia Atzei

paru dans lundimatin#369, le 6 février 2023

Quiconque s’est intéressé à l’histoire du féminisme et à ses expressions théoriques les plus riches a rencontré le nom de Carla Lonzi. On s’y réfère souvent comme l’une des pensées les plus fines et audacieuse contre le monde des hommes, c’est-à-dire contre le monde tout court. Nous crachons sur Hegel est un livre culte mais pourtant très peu lu ; et pour cause, il n’avait jusqu’à présent jamais été traduit dans son intégralité [1]. 50 ans après sa publication en Italie, les Éditions NOUS le rendent enfin accessible au public francophone. Nous nous sommes entretenus avec ses traductrices, Muriel Combes et Patrizia Atzei qui ont eu l’amabilité de nous restituer le parcours de ce livre et de le réinscrire à la place qu’il mérite : notre présent.

Vous venez de traduire et de publier Nous crachons sur Hegel, Écrits féministes de Carla Lonzi (NOUS). Ce recueil dont les textes ont été rédigés entre 1970 et 1972 est considéré par beaucoup comme incontournable pour la pensée féministe, pourtant, il n’avait jamais été traduit et publié dans son intégralité en français jusqu’à présent. Comment expliquez-vous ce paradoxe, une aura de « légende » dans les milieux féministes subversifs et un désintérêt de fait dans l’édition française ? Pourquoi l’avoir traduit et publié maintenant  ?
La situation éditoriale paradoxale des écrits de Carla Lonzi n’est pas vraiment le symptôme d’un désintérêt. Sa pensée a toujours constitué un repère décisif dans l’histoire du féminisme radical, en Italie et au-delà, malgré un accès compliqué à ses textes. Cela renvoie à la fois au positionnement de Carla Lonzi vis-à-vis de la culture, et aux trajectoires éditoriales parfois déconcertantes de certaines œuvres, qui ne dépendent pas seulement des aléas de l’édition.

Tout d’abord cela s’explique par le parcours de Carla Lonzi, fait de ruptures et de désaffections, en particulier à l’égard du monde de l’art, mais aussi plus généralement à l’égard de la « culture », qui était pour elle synonyme de « culture patriarcale » et dont elle se tenait le plus éloignée possible.

A la fin des années soixante, Carla Lonzi a été critique d’art puis curatrice, elle a eu un rôle influent dans le monde de l’art de l’époque, qu’elle a abandonné suite à sa rencontre avec le féminisme, auquel elle consacre sa vie à partir de 1970. Dès lors, elle se trouve prise dans une tension, une sorte de conflit intérieur, entre la nécessité d’exprimer et de transmettre une parole libre, autonome — donc forcément subversive — et la réalité du champ politique et culturel tels qu’ils sont. La création de la maison d’édition Scritti di Rivolta Femminile (indépendante mais dotée de moyens modestes, qui fait dès le début partie intégrante du groupe « Rivolta Femminile ») a été une tentative de réponse à cette tension, bien que ce geste ne soit pas indemne des contradictions auxquelles toute pratique féministe est confrontée au sein de la culture existante.

C’est par le livre de la philosophe Catherine Malabou, Le plaisir effacé, paru en 2020 et qui consacre un chapitre entier au texte « La femme clitoridienne et la femme vaginale », que nous nous sommes rendues compte que le livre Sputiamo su Hegel n’avait jamais été traduit en français. Plus étonnant encore, nous avons réalisé qu’il était indisponible aussi en Italie, où il a été réédité à plusieurs reprises depuis sa première parution en 1974 chez Scritti di Rivolta Femminile, et plusieurs fois épuisé.

Cela fait partie de l’histoire non-linéaire et parfois tourmentée de l’édition. Peut-être cela dit aussi quelque chose du fonctionnement de la culture, d’une circulation des figures et des idées — car Carla Lonzi est depuis toujours citée, commentée, réappropriée — qui peut faire parfois l’économie de la lecture des textes eux-mêmes. Aujourd’hui, au moment de ce que l’on appelle la troisième vague du féminisme, où l’on assiste à un intérêt renouvelé pour des « classiques du féminisme » dont nous sommes les héritières pas toujours conscientes, il nous a paru important de donner accès au livre Nous crachons sur Hegel tel que son autrice l’avait conçu, de donner un accès direct aux textes eux-mêmes, d’une puissance rare et d’une actualité étonnante (ou déprimante, selon le point de vue), par-delà les commentaires et aussi par-delà une perception quelque peu mythifiée dont elle fait l’objet et qui est ce que Carla Lonzi a essayé de fuir pendant toute sa vie.

Paradoxalement le nom de Carla Lonzi circule beaucoup depuis une dizaine d’années dans le monde de l’art, que ce soit en Europe ou ailleurs, via un certain nombre de féministes (artistes, commissaires, théoriciennes, etc.) actives dans ce champ-là, et porteuses d’une démarche — qu’elles décriraient sans doute comme une tentative de subversion de l’intérieur — très différente de celle de Carla Lonzi elle-même.

Les lectrices et lecteurs de lundimatin connaissent probablement « les années 70 » italiennes, soit une situation insurrectionnelle latente qui dure une décennie. Ce que nous en retenons communément, c’est que l’une des plus grandes puissances du mouvement aura été de refuser les rôles sociaux assignés. Il ne s’agissait plus de négocier une reconnaissance et de meilleures conditions mais de prendre d’assaut les fondements même de la société occidentale. Les ouvriers contre le travail, les marges contre la norme, les femmes contre le patriarcat. Le mouvement féministe italien s’est donc constitué à la fois dans ce mouvement et contre lui, pouvez-vous nous dire en quoi Nous crachons sur Hegel et Rivolta Femminile y ont contribué ?
Le féminisme tel qu’il se dégage des écrits de Carla Lonzi émane d’une frustration, d’une déception, d’une désillusion vis-à-vis non seulement des institutions et des partis, mais aussi du mouvement de 1968. Il porte en lui une double polémique très précoce et pour ainsi dire originaire : à la fois contre la politique institutionnelle et étatique centrées sur la revendication des droits, et contre les formes existantes du militantisme politique. Celles-ci reposent selon Carla Lonzi non seulement sur une « mutilation » plus ou moins sublimée (puisque les femmes qui participent aux mouvements sont de fait secondarisées, renvoyées à une supposée subsidiarité, et puisque le cadre, les objectifs et les modalités des luttes sont l’apanage des hommes), mais aussi sur le leurre d’une conception de la politique comme champ radicalement séparé de la vie.

On pourrait dire que la portée révolutionnaire du féminisme c’est, entre autres, de mettre en danger une certaine manière de concevoir et de faire la politique. C’est ainsi que l’on peut comprendre le constat, à rebours de l’historiographie dominante de cette période (mais partagé par nombre de féministes italiennes) que le féminisme de la deuxième vague surgit « malgré 68 » et non grâce à lui. Et le constat que Lonzi formule avec sa capacité de concision singulière, selon lequel la lutte des classes est révolutionnaire vis-à-vis du capitalisme, mais réformiste vis-à-vis du patriarcat.

Les mouvements et les luttes foisonnantes et disparates qui ont bouleversé l’Italie du milieu des années 1960 jusqu’à la fin des années 1970 portaient ou impliquaient une transformation profonde des enjeux politiques ainsi que des subjectivités, une contestation ou une sortie des « rôles » — aujourd’hui on parlerait d’assignations sociales. On pourrait dire que ce que le féminisme de Carla Lonzi et de « Rivolta Femminile » apporte à cette époque, depuis son inscription polémique, c’est une exigence à la fois plus radicale et plus « conséquente » vis-à-vis de la révolution désirée : il met au jour un angle mort, à savoir l’emprise du patriarcat non seulement comme résultat logique du capitalisme, mais aussi comme impensé structurel dans les mouvements révolutionnaires eux-mêmes. Il pointe ainsi, très tôt, le danger que court le féminisme d’être instrumentalisé par certains discours progressistes ou révolutionnaires, qui s’en revendiquent de manière hypocrite ou au mieux superficielle, c’est-à-dire sans que cela ait de véritables conséquences.

Le marxisme, tout comme Hegel, n’étant plus les références théoriques majeures et massivement partagées qu’elles étaient à l’époque de l’écriture du livre, le scandale contenu dans le titre ne saute peut-être plus autant aux yeux. Cracher sur Hegel, pour Lonzi, semble avoir deux sens. Le premier c’est de cracher sur le dogmatisme des groupes politiques marxiste-léninistes, sur la petite machine idéologique qui pense pouvoir faire rentrer toute la complexité du monde, la digérer et recracher un programme, tout cela sans jamais considérer la question des femmes. Le second sens, c’est un rejet de la machine idéologique elle-même, en l’occurrence la dialectique, celle du maître et de l’esclave qui voit dans ce vis-à-vis, thèse anti-thèse, la possibilité d’un dépassement. Citons l’un des plus beaux passages du livre : « La femme n’entretient pas un rapport dialectique avec le monde masculin. Les exigences qu’elle met au jour n’impliquent pas une antithèse, mais supposent de se mouvoir sur un autre plan. C’est là le point sur lequel nous peinerons le plus à être comprises, mais il est essentiel de continuer à y insister. » Comment comprenez-vous cet appel à se mouvoir sur un autre plan  ?
« Se mouvoir sur un autre plan » est l’une des magnifiques formules qui ponctuent le livre et dont Carla Lonzi a le secret. On peut entendre dans cette phrase plusieurs strates de signification. Tout d’abord, cela signifie sortir de l’interlocution avec les institutions, avec l’État, refuser leur manière de poser les termes du débat – ce qui témoigne du décalage majeur du positionnement d’un certain féminisme italien par rapport aux modalités et au visées féministes alors émergentes. Cela signifie aussi se déplacer par rapport à la visée de la prise du pouvoir (« au niveau de la relation homme-femme, il n’y a pas de solution qui élimine l’un deux termes ; par conséquent, l’horizon de la prise de pouvoir s’effondre »). Ce qui implique une sortie du positionnement antagoniste, d’un vis-à-vis par rapport au pouvoir.

Mais cela suggère surtout que toute transformation globale passe par la transformation de soi, de son rapport aux autres et au monde. Se mouvoir sur un autre plan est en ce sens ce que permet la pratique de l’« autoconscience », qui repose sur l’affirmation du potentiel transformateur de la non-mixité, au cœur de la conception du féminisme de Lonzi. Cette transformation de soi, de notre manière d’habiter les relations et le monde, est posée comme la prémisse indispensable de tout changement véritable, et non comme la résultante de la révolution. Il s’agit d’une pratique révolutionnaire au présent, déjà là, à l’encontre d’une révolution à venir, sans cesse reportée au lendemain, « hypothétique » et surtout projetée par d’autres. « Il n’y a pas de ligne d’arrivée, il y a le présent », lit-on à la fin du texte « Nous crachons sur Hegel ». Un dernier aspect fondamental concerne bien sûr la culture. Se mouvoir sur un autre plan, cela signifie s’autoriser à recommencer de zéro, à faire table rase, sans chercher la validation patriarcale, mais aussi en abandonnant le leurre des « garanties culturelles » que le patriarcat offre aux femmes qui s’efforcent d’entrer dans le monde de la culture. La critique de la culture est l’un des aspects les plus originaux et les plus percutants de la pensée de Lonzi – peut-être aussi le plus dérangeant.

Ce qui fait la puissance de ces textes, c’est que Lonzi ne cherche jamais à ce que les femmes soient reconnues, considérées ou réhabilitées, elle ne réclame rien aux hommes et à leur monde, elle décrète la nécessité absolue de la fin du patriarcat, c’est-à-dire de sa destitution. L’un des exemples les plus marquants, c’est sa position sur le droit à l’avortement. Plutôt que d’y voir la possibilité d’une libération des femmes, elle y décèle la continuation de l’empire des hommes par d’autres moyens. Pouvez-vous nous expliquer sa position ?
Carla Lonzi ne parle pas de « destitution » du patriarcat, mais il est certain qu’elle visait sa destruction, ici et maintenant, depuis l’intérieur, c’est-à-dire au plan des subjectivités. Concernant l’avortement, comme sur beaucoup d’autres points, elle opère un renversement des termes du débat. Dans « La femme clitoridienne et la femme vaginale », après avoir expliqué que chez la femme le mécanisme du plaisir et le mécanisme de la reproduction « communiquent, mais ne coïncident pas », dans la mesure où le site du plaisir est le clitoris, elle écrit : « Avoir imposé à la femme une coïncidence qui n’était pas une donnée de sa physiologie a été un geste de violence culturelle qui n’a d’équivalent dans aucun autre type de colonisation. » Et plus loin : « Un sommet dans cette colonisation a été atteint lorsqu’on a interdit à la femme, privée de l’expression de sa sexualité propre et autonome, de recourir à des solutions abortives. Un processus de gestation non voulu est déjà en soi la conséquence d’un acte de domination — qui renvoie à la satisfaction sexuelle et psychologique de l’homme patriarcal. La négation du droit à interrompre ce processus a été un acte de domination de plus » (p. 79). Ce que Carla Lonzi conteste, ce n’est pas la légitimité des femmes à disposer de leur corps, et à avorter si elles le souhaitent — cela, c’est pour elle une évidence, ou plutôt cela devrait être un minimum. Mais elle s’efforce de montrer la manière dont les femmes ont été dépossédées de cette liberté, et que cette dépossession est historique.

« La femme clitoridienne et la femme vaginale » est le texte où Lonzi élabore la figure de la clitoridienne comme subjectivité autonome par rapport au monde masculin et à la culture patriarcale, c’est la femme qui sort du schème de la complémentarité. Au-delà de la question du plaisir comme question physiologique, il s’agit d’une auto-affirmation à partir de ce qui, dans le vécu, dans l’expérience des femmes, est porteur d’une puissance et d’une transformation globales du monde et de la culture qui les emprisonnent en les maintenant à une place définie par autrui. Le « sujet imprévu » qui avait émergé dans le texte « Nous crachons sur Hegel » est abordé ici sous l’angle du désir, des relations, de l’amour. « L’imprévu dans le monde n’est pas la révolution sexuelle de l’homme — c’est-à-dire la désinhibition qui conduit au renouvellement du prestige du coït au sein du couple, du groupe, de la communauté ou de l’orgie universelle —, mais la rupture avec le modèle sexuel pénis-vagin. C’est dans cet imprévu que réside la possibilité de dissoudre les nœuds insolubles créés par la culture patriarcale » (p. 138) — d’où l’ouverture à une critique de l’hétérosexualité et de la binarité, pour reprendre les termes des débats d’aujourd’hui, avec lesquels ces thèses dialoguent à nos yeux.

D’un côté, Lonzi insiste sur le fait que le patriarcat n’a pas attendu le capitalisme pour s’imposer et dominer, de l’autre, elle lie la condition contemporaine des femmes à l’organisation capitalistique du monde. Elle écrit notamment : « L’homme est replié sur lui-même, sur son passé, ses objectifs, sa culture. La réalité lui paraît épuisée, les voyages dans l’espace en témoignent. Mais la femme affirme que pour elle la vie doit encore commencer sur notre planète. Elle voit, là où l’homme ne voit plus. »

« La femme est soumise à la dépendance économique sa vie durant, d’abord vis-à-vis de la famille de son père, puis de celle de son mari. Cependant, sa libération ne consiste pas à atteindre l’indépendance économique, mais à démolir l’institution qui l’a rendue plus esclave que les esclaves. » Dans cette dernière phrase, selon vous, à quelle institution fait-elle référence ? L’économie ou le patriarcat ?

Dans le texte « Nous crachons sur Hegel », on lit que « l’oppression de la femme n’a pas de commencement dans le temps historique, [qu’] elle se cache dans l’obscurité des origines ». Et aussi que « l’Histoire est le résultat des actions patriarcales. » Le patriarcat est la plus ancienne parmi les formes de domination, d’autant plus durable qu’elle a su se rendre invisible et naturelle. Si on veut à tout prix l’identifier à quelque chose, il faudrait dire que le patriarcat coïncide, dans le raisonnement de Carla Lonzi, avec l’histoire elle-même.

Le passage que tu cites évoque l’idée que l’assujettissement économique est l’un des leviers du pouvoir patriarcal. A l’évidence, l’économie n’est que l’un des plans de cette mise sous tutelle des femmes que l’on désigne sous le vocable de patriarcat, et que Lonzi analyse dans toutes ses dimensions : subjective, sexuelle, intime, relationnelle, mais aussi au plan de la culture au sens large. L’institution qui nous a rendues plus esclaves que les esclaves, c’est bien le patriarcat, qui nomme un mode d’existence, une manière d’être au monde en accord avec une norme tacite imposée aux femmes pour qu’elles s’habituent « à recevoir le certificat d’être humain des mains de l’homme », à vivre en permanence sous le regard des hommes, dans le besoin de leur approbation.

Lonzi rejette les figures et objectifs du féminisme « mainstream », elle n’attend rien de la femme émancipée et voit dans la quête d’égalité le piège ultime du patriarcat : faire des femmes des hommes. Quelques passages :

« Nous détestons les mécanismes de la compétitivité et le chantage exercé dans le monde par l’hégémonie de l’efficacité. Nous voulons mettre notre capacité de travail au service d’une société qui en soit indemne. »

[…]

« Nous mettons en acte toutes les opérations subjectives susceptibles de nous ouvrir de l’espace. Par là, nous ne faisons pas allusion à l’identification : celle-ci a un caractère compulsif masculin, qui coupe l’éclosion d’une existence et la maintient sous un impératif de rationalité qui détermine dramatiquement, jour après jour, le sens de l’échec et de la réussite. »

[…]

« La pensée masculine a ratifié le mécanisme qui fait apparaître comme nécessaires la guerre, le chef de guerre, l’héroïsme, la rivalité entre générations. L’inconscient masculin est un réceptacle de sang et de peur. Ayant compris que le monde est traversé par ces fantasmes de mort, et ayant vu dans la compassion un rôle imposé à la femme, nous abandonnons l’homme afin qu’il touche le fond de sa solitude. »

Dans le manifeste de Rivolta Femminile, rédigé en juillet 1970, on lit : « Nous avons regardé pendant 4000 ans : maintenant nous avons vu ! ». En sommes-nous à 4053 ans ?

Cette datation est une approximation qui renvoie bien sûr au début des civilisations de l’écriture, au début de la culture et de l’histoire justement, en tant qu’elles se confondent avec le monde masculin, avec l’hégémonie du patriarcat. Mais ce « maintenant » n’est pas un point zéro, un commencement absolu. En témoignent tous ces passages où Carla Lonzi affirme que le féminisme a existé tout au long de l’histoire, au sens où les femmes ont lutté comme elles pouvaient contre leur domination à toutes les époques (ce qu’exprime avec humour l’idée que « dans la manifestation de la femme en tant qu’‘éternelle ironie de la communauté’, nous reconnaissons la présence de l’instance féministe à toutes les époques »). Comme nous l’avons déjà souligné, pour Lonzi la révolution est toujours au présent. Quand elle écrit à la toute fin du texte « Nous crachons sur Hegel » : « Nous sommes le passé obscur du monde, nous réalisons le présent », ce présent n’est certainement pas un an 01 du féminisme. C’est le moment où les femmes sont enfin en mesure de mettre en lumière, d’énoncer et de faire entendre quelque chose qui a toujours été présent dans l’histoire bien qu’invisibilisé — et qui est toujours à recommencer, à réinventer. Ce qui émerge alors, c’est ce « sujet imprévu » qui revendique une conscience de soi qui n’est pas celle prévue pour lui par les systèmes de pensée occidentaux (Hegel, Marx, Freud, etc.), qui avaient théorisé et prescrit quelle était et devait être la place, voire la nature ou l’« essence » de la femme. « Nous reconnaissons notre propre capacité à faire de ce moment une transformation totale de la vie. Qui sort de la dialectique maître-esclave devient conscient et introduit dans le monde le Sujet Imprévu. » Cette sortie et cet imprévu, qui ont eu dans la décennie 1970 une physionomie particulière, en ont une autre, en cours d’élaboration, aujourd’hui, depuis le mouvement #metoo.

Nous crachons sur Hegel
Écrits féministes

Carla Lonzi
Traduit de l’italien et présenté
par Patrizia Atzei et Muriel Combes

[1À l’exception de « Nous crachons sur Hegel », l’un des textes composant le livre éponyme paru aux éditions Eterotopia en 2017.

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