Le rêve d’une Europe réensauvagée

Un point de vue écoféministe

paru dans lundimatin#261, le 3 novembre 2020

La diplomatie subversive. En découvrant le livre L’Europe réensauvagée : Vers un nouveau monde de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, paru cette année, en 2020, je m’attendais à y trouver une redéfinition radicale ou du moins substantielle du terme « réensauvager » que je connaissais de par mes recherches sur l’environnementalisme et la restauration écologique. Mon anticipation positive, joyeuse même, provenait du fait que le livre est préfacé par Baptiste Morizot, auteur des Diplomates : Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant (2016). Il n’était donc pas incongru – pour la primate dotée du sens de la ruse que je suis et que jusqu’à nouvel ordre, nous sommes tous, auteurs et éditeurs y compris – d’anticiper un retournement de la situation ou une subversion des codes et définitions actuellement en cours. [1]

En effet, j’imaginais un livre qui plongerait le réensauvagement dans des récits particuliers, précis, de diplomatie c’est-à-dire de tension et de rapprochement entre écologistes, animaux et habitant·e·s humain·e·s (ne fut-ce qu’eux·elles, c’est le minimum). Le livre visiterait ces lieux expérimentaux où, effectivement, en Europe, d’autres rapports de cohabitation interspecifiques sont fabriqués [2]. Il ferait part des nouvelles alliances singulières en train d’être forgées. Le réensauvagement ne serait alors plus le projet volontariste et massif porté par le mouvement Rewilding Europe et autres associations de conservation qui visent la création de parcs naturels dotés d’initiatives écotouristiques et de programmes de réinsertion d’espèces disparues [3], mais il serait ancré dans la complexité politique et existentielle qui le caractérise nécessairement. Tant il est évident qu’une Europe campagnarde désertée – mais non vide – ne se laissera pas aussi docilement remettre au goût du jour par des écologistes qui souhaitent maintenant la réensauvager.

Bref, le projet classique du réensauvagement qui consiste en un partage entre le monde métropolitain densément anthropoïde et le monde laissé aux forces et dynamiques des écosystèmes enfin libérés de l’empreinte humaine, ensauvagés donc, serait pour le moins questionné. Car, faut-il le préciser, ce projet écomoderniste qu’on appelle aussi le « half-half world » [4], est pauvre en imagination diplomatique. Il n’a pas besoin qu’on réfléchisse aux articulations fines que requiert la fabrication d’une cohabitation interspécifique, toujours singulière. Il est, disons-le, ambitieux et simpliste. J’imaginais donc un livre qui viendrait le titiller, le complexifier, le problématiser.

Mais au lieu de tout cela, j’ai lu un inventaire chiffré des succès réalisés en matière de réintroduction des espèces disparues et d’accroissement des espèces rares, avec quelques passages d’autoréflexivité exaltée, sans qu’à aucun moment les tensions et les critiques suscitées par le réensauvagement sur le terrain ne soient abordées. J’ai lu un livre missionnaire et scientiste, comme le sont si souvent les écrits des écologistes qui se mettent à rêver d’un nouveau monde. L’Europe réensauvagée n’affaiblit pas, ni ne subvertit, le projet du « half-half world », il le nourrit et ce, au sein même des réseaux éditoriaux et académiques qui ont les ressources pour le penser et le problématiser autrement. Au final, j’ai lu un livre provincial qui, au nom de l’idéal de la réhabilitation de la nature, ne se donne même plus la peine de vérifier sur internet ce qui est dit du réensauvagement et qui ne cherche même plus à savoir comment il est traité et investigué par les collègues.

Il est temps de se décentrer.

Un monde préservé

Commençons par le territoire. La définition du continent qu’il s’agit de réensauvager, est pour le moins maladroite. Aucune pensée décoloniale ne semble être passée par là pour intimer aux auteurs qu’il y a une différence entre d’une part, la singularité d’un territoire auquel on peut être attaché et que l’on peut vouloir célébrer, et d’autre part, l’élection d’un territoire qui de par sa singularité se trouverait tout-à-coup choisi par le destin écosystémique. Ainsi, du point de vue de l’écologie décoloniale [5], il est insensé de dire que l’Europe est « bénie ». Certes, en tout lieu dudit continent, la mer est proche, et c’est là une singularité tectonique et hydrique qui mérite d’être soulignée, puisqu’elle a des effets, mais cette singularité – ni aucune autre d’ailleurs – ne permet pas d’affirmer une quelconque élection climatique ou biotique du continent (« L’Europe bénie des cieux » [6]…)

A vrai dire, à la lecture des descriptions que font les Kremer-Cochet du continent, on se croirait naviguer parmi les rêves et les projections des colonisateurs des États-Unis pour qui la campagne anglaise étaient l’idéal auquel le paysage nouvellement conquis devait correspondre, avec tous les désastres qui s’en sont suivis [7]. Non pas que les auteurs rêvent de la campagne anglaise mais ils rêvent c’est-à-dire qu’ils confondent systématiquement attachement et idéal. Ils transforment l’attachement né de leur pratique de naturaliste c’est-à-dire de randonneur et d’observateur du monde sauvage – entendez : les montagnes, les forêts, les réserves et les parcs naturels français et puis européens – en l’idéal d’une alliance interspécifique enfin retrouvée. Ce faisant, ils esquissent un horizon fait de clichés sublimes et spectaculaires où nous retrouverions « notre place originelle, au milieu de la faune sauvage (sic) » [8], ou, plus modestement, à proximité de celle-ci :

« Retrouver la proximité avec la faune sauvage (…), observer les comportements de nos compagnons de planète dans leur environnement naturel, voilà un bel objectif qui comblerait de bonheur le promeneur contemplatif. Ainsi, voir des ours bruns pêcher, le saumon atlantique dans la péninsule de Kola (…) ou, plus au sud, dans les Pyrénées et la cordillère Catabrique, serait du domaine du possible. À nous de faire en sorte que l’abondance et la protection permettent de tels spectacles. » [9]

Du promeneur contemplatif à l’humanité tout entière, il n’y a qu’un pas que les auteurs franchissent aisément et fréquemment. Selon eux, l’humanité apaisée cohabitera harmonieusement avec la nature libérée [10]. C’est dire que le nouveau sujet historique, pour le moins original, est calqué sur le randonneur des grands sentiers que nous sommes tou·te·s appelé·e·s à devenir afin que nous puissions nous reconnecter à la nature c’est-à-dire contempler le majestueux théâtre de la vie sauvage qui peu à peu se repeuple des grands mammifères et espèces-clés tels le loup, le castor ou le bouquetin. L’abondance que nous serions appelé·e·s à admirer, à méditer, serait produite par les parcs et les réserves elles-mêmes, dès lors qu’elles sont protégées. L’écosystème la produit dès que les puissances natives en sont libérées, explique Morizot dans la préface et il poursuit :

« Ce n’est pas que [les auteurs] sont de nature optimiste : c’est qu’ils connaissent intimement la puissance de la vie, de reprise, de regain, qui anime le vivant en nous et hors de nous. Il s’agit simplement de lui donner l’espace et le temps pour s’exprimer. De se mettre humblement à son service. » [11]

Le préfacier tient là une caractéristique cruciale du réensauvagement classique. Du même coup, il annonce un changement de cap pour le champ de la philosophie environnementale. Il ne s’agit plus de fabriquer de la cohabitation en confrontant les ethogrammes et en accordant les sensibilités ou les accroches territoriales des espèces en présence – comme l’a argumenté Vinciane Despret et dans son sillage, le préfacier, en tous cas dans ses premiers travaux [12] – mais il s’agit dorénavant pour les humain·e·s de faire preuve d’humilité en se retirant et en délimitant des lieux protégés et libérés. Autrement dit, un glissement s’opère, de l’éthique de la relation et de la friction à l’éthique de la délimitation et de la protection. À terme, l’Europe serait ce continent utopique où les proportions des zones protégées et non protégées seraient inversées c’est-à-dire où :

« Les zones de prédation humaine seraient ‘mises sous cloche’ pour cloisonner et limiter efficacement les nuisances environnementales. (…) En somme, on vivrait dans un monde préservé, avec quelques concessions pour les activités de prélèvement. Ce serait l’étape ultime du réensauvagement. » [13]

Comme il est dit dans un TedTalk consacré au réensauvagement, par voie de slogan, il y a moyen de faire de l’Europe un continent où nous aurions tou·te·s un Serengeti au pas de la porte [14]. Les êtres déconnecté·e·s que nous sommes pourraient y redécouvrir les bienfaits psychologiques que procure le contact avec un monde imprévisible et non maîtrisé par les êtres humains. Plus stratégiquement, et l’orateur du TedTalk nous invite à nous y accrocher, l’horizon d’une Europe réensauvagée donnerait aux environnementalistes une raison d’espérer. C’est dire que les Kremer-Cochet ne sont pas les seuls à rêver. Le mouvement du réensauvagement tout entier vise à réinsuffler le rêve. Et tel est bien le problème, car le rêve rend bête.

Une belle humanité

J’ai souvent été interpellée par l’absence de référence aux travaux réalisés par les académiques et activistes sur le « sauvage (wilderness) » dans un mouvement qui cherche à réensauvager. Comment le mouvement peut-il être si ignorant ? Comment peut-il à ce point nier les écrits, débats et acquis produits par les études environnementales au sujet des parcs naturels, du sublime et du goût du spectacle, dont il a pourtant été démontré qu’ils participent au désastre écologique [15] ? Mais depuis la lecture de L’Europe réensauvagée – c’est peut-être là le bienfait du livre – je ne m’en étonne plus. Les cartes sont sur table. L’étoffe psycho-sensible du projet devient palpable. C’est parce qu’il rêve que le mouvement du réensauvagement peut se permettre d’ignorer les discussions et les critiques en cours. Le rêve semble même requérir un tel aveuglement. Élaborons ce point.

Le rêve du réensauvagement doit ignorer toute forme de problématisation. Il se doit d’être provincial c’est-à-dire dénué d’articulations à l’altérité parce que celle-ci viendrait sinon le complexifier et annuler sa belle simplicité [16]. Ainsi, les Kremer-Cochet disent de l’Europe, après en avoir énuméré les caractéristiques naturelles, qu’elle est, « en somme, l’Europe du général de Gaulle, « de l’Atlantique à l’Oural » » [17]. Cette citation apparemment maladroite et politiquement démodée, est en fait astucieuse. En se référant à de Gaulle, les auteurs tracent les contours d’une Europe œcuménique où les clivages politiques seront enfin transcendés et où les peuples seront réunis après s’être rendus compte de leurs erreurs passées (nazies, communistes pour le général, prédatrices pour les Kremer-Cochet). « Imagine all the people… respecting the entire world » [18] fredonnent encore les auteurs, pour ceux·celles qui hésitent. Comme quoi, l’ignorance est l’attelage de l’espoir.

D’aucuns diront que le rêve est nécessaire à l’action politique et que le simplisme est le prix à payer pour l’obtention d’un message mobilisateur, bref, qu’il faut être stratégique. Mais à ceux-là, je réponds qu’il faut aussi apprendre à regarder la situation en face. L’Europe a déjà trop souvent fait l’objet de rêves. Elle en a trop produits. Le désastre environnemental est fait de rêves [19]. Au-delà du contenu très problématique du rêve présenté ici – le partage entre l’humanité et la nature, l’une libérant l’autre « humblement » (nous atteignons là le point culminant de l’arrogance des modernes !) – c’est le fait que les environnementalistes puissent encore vouloir projeter et planifier une utopie, qu’iels puissent encore penser que le rêve, l’horizon, l’espoir et le regard orienté vers le futur, soient d’une quelconque utilité pour un agir rebelle, qui pose problème. Le progressisme ambiant sur lequel l’environnementalisme continue à s’appuyer, en lequel il continue à avoir foi, doit être questionné.

Dans L’Europe réensauvagée, le progrès est le fait du « génie humain » [20] qui aujourd’hui, grâce aux dernières avancées dans la connaissance des écosystèmes et du rôle qu’y jouent les espèces-clé, est devenue capable de concevoir des nouveaux ouvrages, réensauvagés donc. L’histoire commence avec Aristote « génie et créateur des sciences naturelles » [21], passe à la Renaissance qui permet aux « sciences naturelles à s’émanciper du carcan médiéval » [22], culmine avec Descartes qui offre les moyens « pour accéder à la vérité » [23], après quoi les Lumières font le reste. Toutefois, cette montée en puissance des sciences et à leur suite des naturalistes, ne se fait pas sans obstacle. Face au génie, se dresse la convoitise de cet autre « Homo sapiens qui préfère installer la pénurie plutôt que de laisser la nature lui offrir l’abondance » [24]. Concrètement, historiquement, il s’agit des gens (l’industrie n’est pas mentionnée) qui jusqu’à aujourd’hui, s’adonnent aux pratiques de prélèvement que sont la chasse, la (sur)pêche et le braconnage.

« La corne d’abondance débordait, nous l’avons vidée ! Mais heureusement, d’autres hommes, d’autres générations ont compris qu’en laissant faire la nature et en restant en mode contemplatif, les réparations se font toutes seules. Il faut bien se le dire, même si cela nous vexe, en matière de nature sauvage nous ne servons à rien ! Comme le spectateur devant un beau film. Il n’y a rien de mieux à faire que de se laisser porter par la grâce et la beauté. » [25]

Le danger braconnier est déjoué par la sagesse écologiste. L’humanité peut ne pas détruire le reste du vivant. Le réensauvagement porte un message humaniste d’amour et Morizot précise, en se basant sur la connaissance interpersonnelle qu’il a des auteurs : « Même lorsque Béatrice et Gilbert critiquent les humains, ils le font avec la tendresse qu’ont les parents pour des erreurs de jeunesse. Et comme un rappel de ce qu’il faut réapprendre à aimer. » [26] Là aussi, nous pourrions regretter que la discussion sur l’amour soit si étroite et qu’elle n’intègre pas le traitement qu’en ont fait les auteurs écoféministes et décoloniaux, ne fut-ce que ceux·celles-là [27], mais passons. L’important est de saisir qu’un progressisme enrobé d’amour bienveillant reste, comme toute autre forme de progressisme qui a les yeux rivés à l’horizon, très problématique. Il nous fait perdre notre sens critique c’est-à-dire notre capacité à envisager, au cœur des réflexions environnementales, les frictions et l’altérité.

Mondes multiples

Nous aussi, à l’instar du préfacier, nous pourrions nous attendrir de voir un couple de baby-boomers se préoccuper ainsi des brebis égarés de l’humanité. Nous pourrions sourire de les voir ainsi continuer à tracer aussi naïvement l’épopée des sciences naturelles. Nous pourrions même admirer la candeur avec laquelle ils invoquent Aristote comme notre Adam et Eve à tou·te·s. Mais c’est ignorer que la science comme quête de la vérité et le scientisme tout court, restent au cœur de bon nombre de projets et de rêves environnementaux [28]. C’est ignorer que la définition de l’Europe comme lieu où la connaissance des écosystèmes est née, disqualifie toute autre connaissance du monde vivant (l’histoire se répète) [29]. C’est ignorer, enfin, que nous serions bien seul·e·s à sourire à la lecture d’un tel récit aveugle et simpliste qui est écrit au moment même où, à travers le monde, les écologistes et les gardiens des parcs naturels font la guerre à toute forme de prélèvement, les formes indigènes et d’économie de subsistance y comprises [30].

Telle est peut-être la leçon la plus importante que le mouvement du réensauvagement aurait à apprendre des collègues activistes et académiques : il n’y a pas de hors-jeu. Voilà ce qu’iels sauraient s’ils cessaient de rêver, d’espérer, de se projeter, et se frottaient davantage à la critique de la modernité. La diplomatie qui s’oppose aux rapports de force – c’est ainsi que la définit Morizot [31]– est un mirage. Aucun lieu n’échappe aux rapports de force et certainement pas les espaces naturels libérés de l’homme. Les riverains restent présent·e·s aux alentours de ces espaces et iels s’inquiètent, se soucient et se préoccupent de ce qui s’y passe. Se sachant parties-prenantes de la situation (iels le sont de fait, qu’iels le veuillent ou non), la contemplation ne leur sied que très rarement.

Quelques clics de souris suffisent pour découvrir qu’aux Pays-Bas, près d’Amsterdam, le projet précurseur d’Oostvaardersplassen d’une surface de 56km2, réensauvagée depuis 1989, est aujourd’hui très contesté. Les riverain·e·s se plaignent de devoir assister sans pouvoir intervenir à l’agonie des chevaux sauvages Konik réintroduits jadis et dont une partie meurt de faim chaque hiver. Iels revendiquent le droit de s’ingérer dans les affaires de la réserve, de nourrir ces animaux voire même de les libérer de l’expérimentation folle et mégalomane qu’est selon eux·elles le réensauvagement. A l’opposé, l’initiateur et les gestionnaires d’Oostvaardersplassen revendiquent le droit de laisser faire la nature et accusent les riverain·e·s de sentimentalisme hypocrite et déplacé.

En outre, la réserve fait l’objet de procès au sujet des contrôles démographiques qui y sont menés par les gestionnaires, et qui sont contestés par l’initiateur du projet. Selon le jugement de 2019, dernier en date, basé sur l’étude des équilibres écosystémiques – ainsi l’explique l’initiateur, qui en est ravi – les contrôles démographiques doivent cesser. Les gestionnaires ne peuvent donc plus éliminer une partie des cerfs élaphes lorsque leur nombre trop élevé pèse sur l’équilibre de la chaîne alimentaire et sur leur propre capacité à se nourrir [32]. C’est dire qu’à Oostvaardersplassen, se négocie, parfois à couteaux tirés, l’art de vivre ensemble et de mourir dans des conditions décentes. C’est dire aussi qu’il est illusoire de penser qu’au cas où nous aurions tou·te·s un Serengeti au pas de la porte, on accepterait de rester détaché·e·s et inaffecté·e·s. Le half-half world aurait la vie dure.

Un autre projet de réensauvagement porté par Rewilding Europe dans l’embouchure du Danube, principalement en Roumanie, est, quant à lui, commenté par les Kremer-Cochet. Le projet combine la création d’un parc naturel avec des initiatives écotouristiques, double pari dont les auteurs se réjouissent pour conclure qu’il s’agit là d’« Un beau projet de développement durable gagnant pour la nature et gagnant pour les hommes. » [33] Sur papier du moins. Car si les auteurs, ou le préfacier, ou les éditeurs, avaient pris la peine de se renseigner, ils auraient découvert une appréciation plus critique du projet suivant les enquêtes de terrain menées auprès des populations concernées, par Mihnea Tãnãcescu, Stefan Constantinescu et Giulia Prelz Oltramonti [34].

Selon ces chercheurs, le réensauvagement tel qu’il est réalisé dans le delta du Danube manque singulièrement d’ancrage et de signification autochtones. Le plus souvent, les écologistes ne s’en rendent pas compte parce qu’iels ambitionnent non pas tant l’exploration de ce que pourrait être le réensauvagement pour ces gens en ces lieux en particulier, que la conversion de la population toute entière à la nouvelle vision que devrait susciter chez elle le réensauvagement. Les significations attribuées au territoire par les habitant·e·s et les écologistes ne s’alignent que très rarement, et la plupart du temps règne l’incompréhension, voire le mépris, de la part des écologistes à l’encontre de ces gens qui ne voient en la nature sauvage qu’un territoire de subsistance. Tãnãcescu conclut :

« Ce que l’implémentation des projets de réensauvagement montre jusqu’ici, est que cette vision politique doit apprendre à naviguer avec soin et attention sur le terrain sémiotique et de subsistance qui nourrit la vie des gens. » [35]

Tel sont les réels absents de L’Europe réensauvagée  : le sens que prend la campagne et les régions délaissées pour les gens qui y vivent ; les histoires et les pratiques pliées dans la terre pour les habitant·e·s qui ont affaire aux projets de réensauvagement [36]. Ni victimes, ni héro·ïne·s, ces habitant·e·s ne détiennent pas le secret de la vie campagnarde idéale qu’il faudrait maintenir telle quelle. Plutôt, iels nous forcent à penser et à complexifier les questions que suscitent le réensauvagement. Iels nous forcent à prendre le relais [37]. De ce fait et de ce fait seulement, iels rejoignent les peuples qui sont en première ligne des destructions environnementales, sur la crête de la rupture écologique, ceux-là mêmes que, selon les auteur·e·s écoféministes et décoloniaux, nous devons écouter [38].

Ainsi apprendrions-nous que pour tout rapport de cohabitation interspécifique, il est utile de partir de la prémisse selon laquelle la nature, les plantes et les animaux ont besoin des humain·e·s ; que l’agentivité humaine est comprise dans la nature. Il est utile de savoir qu’à travers l’histoire, la surface de la terre a été façonnée par une interpellation et une interpénétration réciproques entre les humain·e·s et les plantes, ne fut-ce qu’elles [39]. Comme le dit Mabel McKay, tresseuse de panier et ancienne du peuple Pomo de Cache Creek, citée par Starhawk : « Lorsque les gens n’utilisent pas les plantes, celles-ci deviennent rares. Vous devez les utiliser pour qu’elles reviennent. » [40] On est bien loin des certitudes misanthropes proclamées dans L’Europe réensauvagée, telle que « C’est une règle absolue : sans intervention humaine, la nature est source d’abondance » [41]. On est bien loin aussi des zones mises sous cloche [42].

Quoiqu’il en soit, que nous intégrions ou non ce fait historique d’une interpénétration et interpellation réciproques de longue date entre ceux et celles qu’on appelle encore maladroitement les humain·e·s et autres qu’humain·e·s, une chose est certaine. Les chiffres présentées dans L’Europe réensauvagée sont impressionnants et les réussites documentées sont réelles mais tant qu’on n’arrivera pas à les évoquer en même temps que les chevaux Konik qui meurent et la détresse des riverain·e·s qui les voient mourir à Oostvaardersplassen, le réensauvagement restera un nième projet colonisateur. Tant qu’on n’arrive pas à articuler les chiffres et les gains obtenus en termes de biodiversité à l’exaspération exprimée par une bourgmestre roumaine qui aurait préféré qu’on construise pour son village une route asphaltée plutôt que des bio-clôtures, le réensauvagement est et il restera un projet majoritaire auquel il faut continuer à s’opposer.

Benedikte Zitouni

[1MàJ : Dans une version antérieure de cet article, il était écrit que L’Europe réensauvagée avait été publié par les éditions Wildproject. C’était une erreur, il s’agit d’Actes Sud.

[2Voir Vinciane Despret, Bêtes et hommes, Paris, Gallimard, 2007, paru à l’occasion de l’exposition homonyme qui s’est tenue à la Grande Halle de la Villette à Paris, du 11 septembre 2007 au 20 janvier 2008, où une multiplicité de situations et de relations de cohabitation interspécifiques, certaines aventureuses et expérimentales, une grande partie d’elle située en Europe, étaient amenées à l’attention des chercheurs et du grand public.

[3Le réensauvagement est un courant particulier de la conservation écologique axé sur la réintroduction et/ou le renforcement d’espèces-clé et particulièrement des grands mammifères dans les zones à réhabiliter. Il a plusieurs origines en Europe, l’une d’elles étant la théorie de la conservation développée par le hollandais Frans Vera (voir son seul livre traduit vers l’anglais : Grazing Ecology and Forest History, CABI Publishers, 2000). L’approche hollandaise a été une source d’inspiration pour l’ONG Rewilding Europe créée en 2011 par quatre organisations, dont WWF Netherlands (Frans Schepers issu du WWF est aujourd’hui directeur de RWE), mais aussi pour des initiatives prises par d’autres associations ou institutions telles que, par exemple, au Royaume Uni, Trees for Life, ou au Danemark, l’agence nationale de conservation (voir le projet « Life+ » au Jutland).

[4L’expression circule depuis la parution du livre d’Edward O. Wilson, Half-Earth : Our Planet’s Fight for Life, New York, Liveright / W.W. Norton & Co. Publishers, 2016 (voir aussi half-earthproject.org). Le projet est similaire à celui porté par le mouvement du réensauvagement en ce qu’il s’agit de délimiter une portion de la terre et de la protéger des hommes pour que la nature puisse y reprendre ses droits. La même idée est prônée dans le Manifeste écomoderniste, publié en ligne en 2015, mais il s’agit alors de promouvoir non pas la cohabitation « harmonieuse » entre l’humanité et la nature (telle que les Kremer-Cochet le prévoient, voir plus loin dans cet article) mais d’un découplage entre l’humanité et son impact sur la terre : il y a moyen pour l’homme de se développer sans que cela n’impacte la nature, négativement ou autrement. Bref, l’homme et la nature vivront côte à côte.

[5Voir Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale : Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, Coll. Anthropocène, 2019. Voir aussi les travaux de Deborah Bird Rose dont deux textes viennent d’être traduits vers le français : Le rêve du chien sauvage : Amour et extinction, Paris, La Découverte, 2019 (or. 2012) & Vers des humanités écologiques, avec Libby Robin, Marseille, éditions Wildproject, Coll. Petite bibliothèque d’écologie populaire, 2019 (or. 2004). Plus généralement, voir les recherches sur l’injustice et le racisme environnementales, allant des travaux menés par Laura Pulido dès les années 1980 jusqu’à ceux menées par Michèle Murphy, Nick Shapiro, Max Liboiron aujourd’hui, ou encore les contributions des Southern Environmental Humanities dont une des figures de proue est Lesley Green, auteure de Rock Water Life : Ecology and Humanities for a Decolonial South Africa paru récemment, en 2020, chez Duke University Press.

[6Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, L’Europe réensauvagée : Vers un nouveau monde de, Marseille, éd. Actes Sud, 2020, p. 44. « L’Europe béni des cieux » est une des sous-titres qui scandent le premier chapitre intitulé « Les caractéristiques naturelles de l’Europe ».

[7Voir Mike Davis, Ecology of Fear : Los Angeles and the Imagination of disaster, New York, Henry Holt & co., 1998. Voir aussi les contributions dans William Cronon, éd., Uncommon Ground : rethinking the Human Place in Nature, W.W. Norton and Co., 1995 et plus particulièrement le texte de Wiliam Cronon « The Trouble with Wilderness or Getting Back to the Wrong Nature » (pp. 69-99, paru en français dans la revue Ecologie & Politique en 2009). Le livre de Mike Davis n’a pas été traduit mais les travaux de William Cronon sont disponibles en français : Chicago, métropole de la nature, Bruxelles, Zones sensibles, 2020 & Nature et récits : essais d’histoire environnementale, Dijon, éd. Dehors, 2016.

[8Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 79. Notez la différence avec les approches qu’on pourraient également qualifier de « réensauvagement » développées par des auteur·e·s tel·le·s David Abram et Starhawk.

[9Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 183.

[10Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., reprise de la conclusion de l’Avant-propos, p. 30.

[11Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 23.

[12Cf. la note 1, mais aussi, Vinciane Despret, Quand le loup habitera avec l’agneau, Paris, Seuil & Les Empêcheurs de penser en rond, 2002 ; Hans, le cheval qui savait compter, idem, 2004 ; Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ? idem, 2012 ; et avec Jocelyne Porcher, Être bête, Actes Sud, 2007. Pour les premiers travaux de Pierre Morizot sur les rapports interspécifiques, voir le livre mentionné en introduction de cet article : Les Diplomates : Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Marseille, Wildproject, 2016.

[13Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 296.

[14George Monbiot, “For more wonder, Rewilding the world”, Tedtalk, 2013. Voir aussi, du même auteur, Feral : Rewilding the Land, Sea and Human Life, Londres, Allen Lane Pub., 2013 (disponible chez Penguin Books).

[15Pour une des premières critiques de l’expérience blanche et coloniale de la nature, qui coïncide avec l’émergence de la Red Power aux Etats-Unis, voir Vine Deloria, Jr, Custer Died For Your Sins : An Indian Manifesto, 1969. Dans le champ de l’histoire environnementale, voir les travaux de William Cronon mentionnés dans la note 6 et ceux de Richard White, parmi lesquels “It’s your Misfortune and None of my Own” : A History of the American West, University of Oklahoma Press, 1991, et The Organic Machine : The Remaking of the Columbia River, Hill & Wang, 1995, et, plus récemment, le livre de Virginia DeJohn Anderson, Creatures of Empire : How Domestic Animals Transformed Early America, Oxfor University Press, 2006. Dans le champ des sciences sociales, voir les travaux de Giovanna di Chiro sur la justice environnementale : « Defining Environmental Justice : Women’s Voices and Grasroots Politics », Socialist Review, 1992, pp. 93-130 ; « Nature as Community » dans William Cronon, ed. op. cit, 1995, pp. 298-320 (les deux articles sont repris dans des recueils coordonnés par Emilie Hache, De l’univers clos au monde infini, éd. Dehors, 2014, pour le premier, et Ecologie Politique : Cosmos, communautés, milieux, éd. Amsterdam, 2012, pour le deuxième). Mais nous pourrions changer de continent et y ajouter les analyses faites par des médiévistes, entre autres, sur le rapport prémoderne à l’environnement, en Europe : voir par exemple, Stephen Wilson, The Magical Universe : Everyday Rituals and Magic in Pre-Modern Europe, London, Hambledon, 2000 (maintes fois cité par Silvia Federici dans Le caliban et la sorcière, d’abord paru en anglais en 2004) ou encore, les travaux de Léonard Dauphant sur la façon dont les Français appréhendaient la campagne, ses bruits, sa faune, dans Géographies : Ce qu’ils savaient de la France (1100-1600), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018. Bref, les voies vers une analyse critique de l’expérience blanche et contemporaine de la nature, sont multiples et la prise en compte d’une seule des références citées suffirait à faire bégayer le promeneur contemplatif.

[16Sur le problème de la simplicité du rêve et donc du projet politique abordé comme rêve – tant le rêve américain des blancs que le rêve inversé de l’État noir sont visés –, voir la critique portée par James Baldwin dans La prochaine fois le feu, 1963, et dans son sillage, par Ta-Nehisi Coates, Une colère noire, 2016 (or. 2015). Voir aussi le recueil d’essais de Toni Morrison Playing in the Dark : Whiteness and the Literary Imagination, 2007 (paru la même année, sous le même titre, Playing in the Dark, chez Christian Bourgeois).

[17Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 60.

[18Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 233.

[19Après la lecture de l’utopie du début du 17e siècle, New Atlantis, écrite par Francis Bacon et dont les idées figurent parmi les sources d’inspiration pour la création, en 1660, de la Royal Society of London for Improving Natural Knowledge (aujourd’hui, Royal Society), il devient difficile d’ignorer que le cauchemar environnemental et civilisationnel que nous vivons aujourd’hui, fut jadis le rêve utopiste de blancs progressistes européens œuvrant pour une mainmise mondiale sur la nature, les ressources et les êtres inférieurs – femmes, noir·e·s et peuples indigènes y compris -, pour l’avancement et le bien-être de l’Homme (blanc). Notons que le rêve a pour protagonistes les explorateurs, les commerçants et les scientifiques des temps modernes (le promeneur contemplatif n’est jamais bien loin). Pour une analyse critique des idées et épistémologies développées par Francis Bacon, voir Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology and the Scientific Revolution, San Francisco, Harper & Row, 1980. Plus récemment, sur la question du rêve moderne et de combien il a été efficace et mobilisateur : Ayesha Ramachandran, The Worldmakers : Global Imagining in Early Modern Europe, University of Chicago Press, 2015.

[20Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 167.

[21Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 53.

[22Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 54.

[23Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 56.

[24Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 64.

[25Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 192.

[26Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 21.

[27Voir les essais de James Baldwin, Chroniques d’un enfant du pays, Paris, Gallimard, 2019 (nouvelle traduction, or. 1955) et La prochaine fois le feu, Paris, Gallimard, 2018 (nouvelle édition, or. 1963), ainsi que la reprise et l’actualisation du thème dans le contexte français par Houria Bouteldja dans Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire, Paris, La Fabrique, 2016. En ce qui concerne les écoféministes, voir Deborah Bird Rose, Reports From a Wild Country : Ethics of Decolonisation, Sydney, University of New South Wales Press, 2004, et le numéro spécial édité avec Thom Van Dooren pour Australian Humanities Review, en 2011, sur le thème des « Unloved Others : Death of the Disregarded in the Time of Extinctions », ainsi que les travaux de Bird Rose mentionnés dans la note 4. Voir finalement, Donna Haraway, When Species Meet, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007, et Vivre avec le trouble, Lyon, les éditions des mondes à faire, 2020 (or. 2015).

[28Voir Catherine Larrère & Pierre Charbonnier, « Quelle philosophie de l’Anthropocène ? », conférence-débat organisée par l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses de l’Université Saint-Louis Bruxelles, le 28 février 2020 à Bruxelles. Voir, plus généralement, les travaux d’Isabelle Stengers : Au temps des catastrophes : résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2009 ; Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciences, Paris, La Découverte & Les Empêcheurs de penser en rond, 2013. Outre-atlantique, parmi bien d’autres, voir les essais, podcasts et articles de Natasha Myers, rendus disponibles via son site, et, la traduction d’un texte co-écrit avec Carla Hustak, Le ravissement de Darwin, Paris, éd. La Découverte, 2020 (or. 2012).

[29Voir, parmi d’autres monographies, celles de Samir Boumédiene, La colonisation du savoir : Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750), Lyon, les Éditions des mondes à faire, 2016, et de Jean Foyer, Il était une fois la bio-révolution : nature et savoirs dans la modernité globale, Paris, PUF, 2010.

[30Voir à ce sujet, un livre qui vient de sortir : Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert : Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Paris, Flammarion, 2020. Déjà, on s’en rend compte, ne fut-ce qu’en lisant deux livres qui circulent dans le champ des études environnementales francophones : Nastassja Martin, Les âmes sauvages : Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska, Paris, La Découverte, 2016, ou encore, Malcom Ferdinand, op. cit., 2019, et tout particulièrement la deuxième partie « L’Arche de Noé : Quand l’environnementalisme refuse le monde ».

[31Là est ma principale objection au livre Les Diplomates, op. cit., le fait que la diplomatie, le sauvage et le féral soient placés dans un champ qui semble relativement libéré des contraintes et des rapports à l’altérité. Voir pour cela, la façon dont l’auteur définit la diplomatie en l’opposant au rapport de force, p. 114 et suites, dans la partie « Rapport de force ou rapport de droit ». Voir aussi la façon dont l’auteur, à partir d’un geste amérindien, définit le « sauvage » et ensuite le « féral » comme un « être par soi-même », p. 84 et suites. Tout se passe comme si, dans un livre par ailleurs rempli de descriptions fines de cohabitations interspécifiques singulières, les moments de définition créent une table rase conceptuelle qui prépare le terrain pour l’adhésion au rêve du réensauvagement.

[32La description des litiges d’Oostvaardersplassen est principalement basée sur des articles néerlandophones parus suite au dernier jugement rendu en 2019, dans le journal hebdomadaire De Groene Amsterdammer et sur le site de De Stentor qui regroupe les articles de plusieurs journaux régionaux. Voir aussi Frans Vera, Is natuur een constructie ? Amsterdam, Elsevier, 2010. Dans la presse anglophone, voir The Guardian  : “Dutch rewilding experiment sparks backlash as thousands of animals starve” de Patrick Barham (27/04/2018), “About 1,000 deer to be culled at controversial Dutch rewilding park” de John Henley (20/09/2018), “‘Landscape of fear’ : what a mass of rotting reindeer carcasses taught scientists” de Phoebe Westin (8/7/2020), entre autres. Peuvent également être consultés : The New Yorker, NYTimes, etc. À ma connaissance, excepté pour un journal de chasse en France et un communiqué de presse Belga en Belgique, aucun article n’a été publié sur Oostvaardersplassen par la presse francophone. Finalement, pour un traitement théorique du cas, voir le cinquième chapitre dans Jamie Lorimer, Wildlife in the Anthropocene : Conservation after Nature, Minneapolis, London, University of Minnesota Press, 2015.

[33Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 200.

[34Mihnea Tãnãcescu (2017) Field Notes on the Meaning of Rewilding, Ethics, Policy & Environment, 20:3, 333-349. Stefan Constantinescu & Mihnea Tãnãcescu (2018) Simplifying a deltaic labyrinth : anthropogenic imprint on river deltas, Revista de Geomorfologie, 20, 66-78. Giulia Prelz Oltramonti & Mihnea Tãnãcescu (2019), The Criminalization of Informal Practices in the Danube : How and Why, In : Polese A., Russo A., Strazzari F. (eds) Governance Beyond the Law. International Political Economy Series. Palgrave Macmillan.

[35Mihnea Tãnãcescu (2017), op. cit., page 344. La phrase est la suivante : “What the implementation of rewilding projects so far shows is that this political vision of rewilding needs to carefully navigate the semiotic terrain that sustain people’s lives.”

[36Pour une tentative de prise en compte du sens, des histoires et des pratiques pliées dans la terre, en l’occurrence celles des jardiniers des potagers urbains à Bruxelles, le plus souvent situés dans les interstices de la ville, voir : Livia Cahn, Chloé Deligne, Nicolas Prignot, Noémie Pons-Rotbardt, Alexis Zimmer et Benedikte Zitouni, Terres des villes : enquêtes potagères aux premières saisons du 21e siècle, Paris, éditions de l’éclat, 2018.

[37Pour ma part, je l’ai appris de Chris De Stoop, journaliste et fils du pays qui prend le relais des agriculteurs·trices expulsé·e·s pour cause de réhabilitation écologique de l’Escaut, près du Port d’Anvers, et qui engage la discussion critique avec les écologistes flamand·e·s, dans son livre Ceci est ma ferme, éd. Christian Bourgeois, 2019 (or. 2015). A mon tour, je tente de prendre le relais en écrivant cette contribution-ci, ainsi que « The Promises of the New Wetlands » in Bruno Latour et Peter Weibel, éds., Critical Zones : Landing on Earth, MIT Press, 2020, pp. 304-307 ou « Résister à la disparition du territoire : le Musée ethnographique PolderMAS et l’extension du Port d’Anvers » in Aurore François, éd., Archiver les temps présents, Presses universitaires de Louvain, à paraître.

[38Starhawk, Quel monde voulons-nous ? Paris, éd. Cambourakis, coll. Sorcières, 2019 (or. 2002). Anna Tsing, Frictions : délires et faux-semblants de la globalité, Paris, La Découverte, 2020 (or. 2004). Voir aussi les contributions de David Jamar « Aux prises avec cette machine-là » et de Nicolas Prignot « Malgré Fukushima : Récits de culture improbables » in Didier Debaise et Isabelle Stengers, éds., Gestes spéculatifs, Dijon, 2015 : l’un mène l’enquête auprès des ouvriers d’une centrale nucléaire belge et rapporte leurs analyses de la sortie du nucléaire, en tension avec celle faite par les écologistes ; l’autre traite des agriculteurs·trices qui ont continué à cultiver leurs terres dans les zones interdites autour de Fukushima, après l’implosion de la centrale, au grand damne des écologistes. Voir aussi les nombreux travaux de Kate Brown sur les suites de Tchernobyl ou ceux de Sophie Houdart sur les suites de Fukushima, ou encore, le documentaire-série en cours et en ligne, Uncanny terrain de Juno Kajino et d’Ed Koziarski, ou encore, au sujet de la résistance aux parcs éoliens, Istmeño, le vent de la révolte d’Alessì Dell’Umbria (2015) ou encore, sur la résistance des femmes à l’implantation de barrages pour la production d’électricité (verte), Arpilleras : antigidas por barragens bordando a resistência du collectif Arpilleras (2015), ou encore, ou encore,… Les lieux et les voix dissidentes se multiplient au fur et à mesure que la transition verte, techniciste et capitaliste se met en place, souvent avec l’appui des écologistes. Les zones de catastrophe sont désertées et là aussi, cela se passe souvent avec le soutien des écologistes. L’idée ici est de dire que tout environnementalisme devrait au contraire prendre ces territoires contestés, endommagés, comme point de départ des analyses et revendications, ou du moins en tenir compte.

[39Pour une conception écoféministe du réensauvagement qui partirait de ce fait de l’interpellation et de l’interpénétration réciproques et qui accorderait une place à l’agentivité humaine, au même titre que l’agentivité non-humaine, puisque c’est la relation qui compte, voir un podcast en ligne : Susan Baker, “Ecofeminist Thought & Rewilding”, The Rewilding Series, Shed Sessions 2020 created by OmVed Gardens in London, hosted by Tom Broadhead. Sur le fait même de l’interpellation et l’interpénétration réciproques, voir les travaux de la biologiste Lynn Margulis, notamment le livre co-écrit avec Dorian Sagan, Slanted Truths : Essays on Gaia, Symbiosis, and Evolution (Copernicus Books, 1997), et de James Lovelock, Gaia : A New Look on Life on Earth (Oxford University Press, 1979). Finalement, pour un traitement philosophique et écoféministe de ce fait, voir les travaux de Val Plumwood et à sa suite, de Freya Mathews, Reinhabiting Reality : Towards a Recovery of Culture, Albany : State University of New York Press, 2005.

[40Starhawk, Quel monde voulons-nous ? Paris, éd. Cambourakis, coll. Sorcières, 2019 (or. 2002), p. 52.

[41Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, op. cit., p. 280.

[42De nombreux rêves écologiques présupposent une mise sous cloche des territoires concernés, voir le texte de Maarten Gielen & Lionel Devlieger, “Pockets of sustainability”, paru à l’occasion de l’exposition Behind the Green Door qui portait sur les tentatives et les projets d’aménagements durables des dernières décennies dans le champ de l’architecture et de l’urbanisme. L’exposition a été produite par l’association belge Rotor et elle s’est tenue du 19 septembre au 1er Décembre 2013, à Oslo. Le texte est disponible sur le site de l’association.

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