Le consentement, ce n’est pas dire oui

Le consentement c’est connaître son désir

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

Un article que nous avons publié la semaine dernière et qui évoquait un un procès aux assises pour viol, a suscité cette réponse de l’une de nos lectrices. Sans revenir sur le procès ni sur la question de la punition, cette dernière réagit aux réflexions de l’autrice quant à la notion de « consentement ».

Après l’article de la semaine passée, je ne peux m’empêcher de parler à mon tour. Plus par déception que par colère, ceci dit. Un bel article qui présente les choses en partant d’un point de vue rarement évoqué, empli de doutes et de questions, qui ose les poser au milieu de l’ambiance #Viveladélation, ça devrait faire plaisir. Mais c’est un plaisir qui a voulu aller trop vite et qui, maladroitement, nous dépossède de nos désirs, en parlant du consentement. Quel dommage que de tomber dans la notion la plus à la mode du féminisme institutionnel (et pas très loin du féminisme radical) sans la requestionner : le consentement.

« Parler du consentement n’implique pourtant pas de discussions perçant les tabous de la sexualité.
Le consentement, c’est la chose la plus simple de toute :
une personne qui dit non est non consentante ;
une personne qui se tait ne dit pas si elle est consentante ou non, le seul moyen de le savoir est d’en parler avec elle, et avec bienveillance ;
une personne qui dit oui n’est pas forcément si consentante, il faut tout de même s’en assurer avec la bienveillance ;
c’est ça le consentement : une personne qui affirme un oui explicite. »

Des affiches anti-harcèlement dans le métro aux vidéos préventives sur internet en passant par la morale de la prof d’éducation sexuelle, nous n’en pouvons plus d’entendre parler de consentement. Comme si cette rutilante notion venait d’apparaître et allait résoudre l’épineuse question du viol. Je dis que nous n’en pouvons plus, dans le sens d’un épuisement. Nous sommes en train d’épuiser un mot, on le martèle sans arrêt, comme une évidence. Comme si le consentement, au fond, c’était simplement dire OUI, un grand oui, bien établi, énoncé, vérifié et revérifié.

On le traite comme si le consentement était une chose, le sexe une autre, qu’il était possible de discuter l’un sans déranger l’autre. Arrêtons là cette farce.

Je suis épuisée de m’entendre dire qu’il faut que j’affirme « Oui, je te veux, MAINTENANT ». J’ose imaginer ne pas être la seule à ne pas gérer mon désir, mon sexe, mon corps de cette manière. Le doute, c’est ça aussi qui fait que nous désirons.

Je ne cherche pas ici à clore une discussion, au contraire, je ne prône pas l’implicite, l’évidence ou le silence. Je cherche un réel dialogue, je veux pouvoir hurler « oui » et chuchoter « Euh.. Là je ne suis plus trop sûre », je veux aussi pouvoir dire que je suis trop fatiguée, que je n’ai pas envie, puis me laisser porter par des caresses jusqu’à hurler de cet orgasme qui surprend. Pouvoir parler pendant des heures que oui, non, peut-être, je ne sais pas, c’est peut-être ça qui fait que ou alors plutôt ceci qui voudrait dire que, ah non, finalement c’est ça qui me dérange ; la caresse ou le frisson ?

Le désir, il complique tout, il oblige à se repasser les scènes, à penser à la suite.. Pas très Carpe Diem malgré ce que nous avons tendance à en penser.

Ou ce qu’on cherche à nous faire croire sur nous-même : « il faut être bien sûre, la moindre hésitation et c’est le drame ! » qu’on répète aux petites filles qui ne comprennent pas pourquoi. Pourquoi ne pas leur dire franchement ce que nous pensons « tu sais, c’est ça qu’ils cherchent, eux là-bas en face, les mecs ; ils cherchent à te faire ça. ». Alors sur tes gardes, ma belle, mais en selle tout de même !

Nous voyons bien le point d’arrivée de ce martèlement : si les hommes (parce que, soyons honnêtes, c’est bien d’eux dont il semble être question) finissent par avoir, ancré en eux la notion de consentement, le jeu sera peut-être à nouveau possible, l’hésitation ne sera plus un tabou et, surtout, les regrets ne seront plus une affaire d’état.

Alors, on simplifie, il faut demander, ne jamais prendre les choses pour acquises et attendre le oui, ne pas pousser, ni forcer et surtout ne pas interroger. Et le nouveau Graal à atteindre pour le mec propre sur lui : le consentement. On passe du « Dans quelques jours c’est dans la poche, j’aurais sa chatte » à « Dans quelques jours c’est dans la poche, j’aurai son consentement ». Excellent, grande avancée.

Mais je ne crois pas qu’en répétant un concept désincarné, si loin de nos sexualités, celles-ci s’en retrouvent changées. On ne vas pas rééduquer les hommes, ni la population ou je ne sais quoi. Et ce n’est certainement pas en répétant une connerie qu’elle va prendre sens. Certes, c’est terrifiant de parler de désir, parce que nous risquons à chaque instant de regretter l’affirmation formulée auparavant, parce qu’il semble toujours nous échapper. Mais ne méprisons pas nos désirs à ce point, peut-être est-il temps de leur faire honneur, au contraire.

Pour ne pas être trop butée ou trop encline à la contradiction dans son simple appareil, je veux bien jouer le jeu du consentement. Tout du moins, théoriquement. Alors, je dirais que le consentement, ce n’est pas dire oui, c’est connaître son désir. Parce qu’au milieu du tableau complètement flou qui est fait du désir, il y a bien évidemment, des moments de simplicité, de vérité et d’accalmie, c’est simplement que ce ne sont pas ceux qui nous posent vraiment question.

Tout en écrivant cela, je me rends bien compte que je n’ai pas une recette toute prête, mais c’est justement ce que je reproche à cette approche désincarnée du désir.

Il faut mettre au clair la différence que nous faisons entre désir et consentement. De manière schématique, le consentement peut apparaître comme une Loi, une limite indépassable et immédiatement punitive. Alors, je vois déjà les cœurs et les mâchoires se serrer face à cette affirmation, oui, je sais quelles dérives sont permises par ce qui est écrit ici. Pour autant, je préfère mille fois des heures de bataille sur un terme à un Manuel du sexe pour les nuls. Le désir, en face, c’est la connaissance, ou tout du moins la curiosité qu’on peut chercher à pousser un peu.

Comment le consentement pourrait, par exemple, répondre à l’abandon ? Comment peut-on vouloir formaliser froidement l’état de prise de risque de s’en remettre quasi-totalement à l’autre ?

Alors, peut-être que tout cela n’est qu’une bouteille à la mer, que c’est de SM dont il s’agit ici et non pas de sexualité ’ordinaire’. Mais si ce n’est pas le cas, je me contenterais de dire, par pur esprit de provocation – et parce qu’il n’y a qu’à voir comme l’État se réapproprie si simplement cette notion pour savoir que nous sommes en train de nous planter : Nique le consentement.

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