Thierry Metz (1956-1997), l’expérience du travail
Successivement manœuvre, maçon, et ouvrier agricole, Thierry Metz écrit durant ses périodes de chômage. Son écriture porte l’expérience du travail vécu, de l’usure. L’idée du temps contraint aussi, entre gravas et silence, avec la puissante intuition que quelque chose existe ailleurs, au-delà de l’enceinte.
Le chef ne fait que dire le chantier. Rien d’autre. Si on écoute : où est le monde ? qu’est-ce qu’on fait ? Comment savoir ? On parle de rien ici. C’est comme ça tous les jours.
Le travail nous force à laisser le monde couler sous une pelle. A s’y enfermer. Et le temps répétée de l’aliénation, la vitesse qui enchaîne les corps, tout cela efface jusqu’aux mots appris, jusqu’à la langue.
On passe d’une chose à l’autre. Très vite. Pas moyen de s’arrêter une seconde pour désigner le nuage. Et plus loin : les violences. Personne ici ne pourrait parler du feu. Tout reste entre nous. Jamais dit. On n’est convié à rien puisqu’on n’a pas de mots.
Que des outils... C’est tout.
La poésie comme émancipation
Pourtant, derrière les heures passées les mains dans le feu, et malgré les conditions ouvrières, le poème creuse un chemin de résistance. On ne parle ici que sur le mode de la négation :
J’en connais un qui ne veut pas. Qui le dit. Un copain. Je l’avais perdu de vue. Je l’ai retrouvé aujourd’hui, il passait devant le chantier. On a fait des boulots ensemble, de l’usine.
Je me rappelle la fois où, trop saoul pour travailler, il s’était caché sous une bâche. Il avait fini par s’endormir. On s’était fait virer le soir même. Il rit en y repensant.
Mais une fois ce geste de résistance effectué, comment vouloir ? Et où trouver l’espace d’une liberté ? C’est à ces questions que s’attaque Thierry Metz, lui, qui ne dispose que d’une intuition, et qui dès lors, se fait l’explorateur des quartiers silencieux.
Quand on explore les petites rues autour du chantier, on comprend vite : les gens n’ont pas beaucoup d’argent. Pas assez pour s’en sortir. Vivre ici ne donne lieu à rien. On a échoué. C’est fini. On piétine. Dans le plus simple. Pourtant, il y a quelque chose. Là. Tout près...
Alors on ne sait pas, on ne comprend pas. On a tout jeté dehors.
La parole ici ne pèse pas lourd.
Tout jeter dehors
Relire Metz, c’est rappeler que le travail ne nous prive pas seulement de temps, mais aussi du regard. Bloquer, c’est jeter dehors cette aliénation, pour conquérir enfin les espaces de liberté que le poète ne faisait qu’entrevoir.
Alors oui, tout bloquer pour tout jeter dehors : reprendre les espaces de liberté que le poète ouvrier entrevoyait.
Rémi Letourneur