La chute des mondes

Le regard crépusculaire de l’extrême-droite littéraire
Ce qui vient (3)

paru dans lundimatin#423, le 19 avril 2024

Nous continuons, à tâtons, notre suivi du fascisme qui vient. L’affaire Tesson, dans le cadre du Printemps des Poètes, avait remué le monde littéraire. Mais nous n’étions passés qu’en survol au-dessus de Tesson. Grâce au livre de François Krug, Réactions françaises, on peut essayer de poser quelques éléments d’analyse au service de notre voyage en « pays réel ». L’une des hypothèses qui apparaît ici : notre époque est régie par une logique non pas historique, mais spatiale, une logique non pas dialectique, mais remplaciste – dans la dialectique le même et l’autre peuvent se réconcilier ; dans le remplacisme, un corps ne prend la place d’un corps qu’en l’éliminant. Pas d’hybridation, pas de dépassement, pas de synthèse, pas d’alliance.

Notre camp n’a pas de grands récits. Mais, il faut le reconnaître : l’adversaire non plus. Tout l’antagonisme semble posé narrativement autre part que dans l’Histoire.

Ou plutôt, leur camp a un grand récit. Un grand récit d’angoisse. Un grand récit d’angoisse raciale. Mais c’est un grand récit qui n’appartient pas à l’Histoire. Où il ne s’agit pas de temps. Un grand récit où, justement, il s’agit d’espace et de démographie. D’espaces qui se raréfient. De multiplicités qui pullulent. L’espace devient dangereusement étroit. La multitude d’en face nous submerge. Un récit où il n’y a plus d’espace dans l’espace et où deux corps se substituent mais ne se côtoient pas. Un grand récit de la distance. Le grand récit du remplacement. Mais ce récit, ce récit n’est pas non plus une Histoire. Car nous vivons des temps où il n’y a plus d’Histoire. Nous vivons la fin des temps, qui n’est pas la fin de tout, qui n’est pas la fin du tout, mais les débuts d’une pensée posée à partir de l’espace.

Les îles ne communiquent pas

Ce n’est pas si anodin qu’un écrivain voyageur vienne cristalliser et incarner la filiation entière de l’extrême droite littéraire. L’affaire Tesson, aussi passionnante, primordiale, fantastique qu’elle soit, aussi maladroit qu’ait été notre camp à cette occasion, Sylvain Tesson peut nous en apprendre long sur la nature spéciale du fascisme présent, de la Nouvelle droite, en tant qu’elle se présente en réalité comme un grand récit de l’espace.

Comment être raciste sans hiérarchiser ouvertement les races inassumées telles ? Placez-les dans l’espace. Hiérarchisez non à la verticale : supérieur, inférieur. Mais à l’horizontal : dedans, dehors, proche, loin et à quelle distance se tient le cerisier sauvage ? Il ne s’agit plus de sang. Il peut bien être mêlé. Sur ce point l’empire cosmopolite a déraciné la race de son creuset de sang. Mais il nous reste une distinction : chez nous, chez eux. « Selon Tesson, c’est aussi ce qu’a découvert Ulysse en errant d’île en île, chez les Sirènes, les Cyclopes ou les Lotophages : « Les îles ne communiquent pas. Voilà l’enseignement homérique : la diversité impose que chacun conserve sa singularité. Maintenez la distance si vous tenez à la survie du divers ! » (Krug) L’océan n’est pas une surface de communication, de flux et de mouvements. L’île n’est pas un fragment d’archipel aux circulations errantes sise à l’aléa complexe de systèmes marins, coralliens et d’échanges brumeux. L’Odyssée n’est pas une affaire de multiples rencontres et de palabres. Pour Tesson : la diversité est la diversité des essences incommunicables – des identités closes. C’est une affaire de… « survie ». Les Stoïciens distinguaient deux types de mélanges : le mélange par interpénétration totale des éléments divers ; le mélange par conservation des différences. Tesson est plus rudimentaire : il distingue les îles des continents, ce qui signifie pour lui, la singularité et le mélange. La diversité est celle des singularités insulaires, des identités essentielles prises en un sens spatial : la substance, au sens de « se tenir dessous », l’île sous les corps. Il n’y a pas plusieurs mélanges : mélange homogénéisant, mélange hétérogénéisant. Il y a la singularité ou l’homogénéité. La diversité moins le mélange.

Pour Tesson, le « paysage » insulaire commande l’incommunicabilité des singularités. Soit. La question hiérarchique n’apparaît pas immédiatement. Chacun chez soi. Mais, très vite, le « paysage » recèle des objections contre l’égalité et en faveur de la supériorité et de la hiérarchie. 2022, Blanc, traversée dans les Alpes : « Le paysage répondait à son principe de distinction, de hiérarchie, de pureté […]. Politiquement, il était étrange que les esprits éveillés ne se fussent pas plus tôt insurgés contre la symbolique du paysage de montagne. La verticalité constituait une critique de la théorie égalitaire. » Certes, il n’y a pas de races. Mais il y a des îles et des montagnes. Le temps, la filiation, le sang qui se transmet : soit, ils ne légitiment rien. Mais alors : n’y a-t-il pas de grands monteurs de sommets ? Dans le journal, on peut lire qu’un « catholique de droite », qui déteste l’Église, multimillionnaire, vrai « Largo Winch français », avide d’intensités et de hauteurs, fervent macroniste, est devenu le 5 560° humain à être monté en haut de l’Everest. « Il y a une boulimie de vie chez lui, dit sa sœur, […], journaliste de télévision. Frédéric est le genre d’homme qui n’aime entrer dans le train que quelques secondes avant que les portes se ferment. Il ne veut rien manquer et met de l’intensité dans tout ce qu’il fait. » Quitte à jouer au trompe-la-mort. Des embouteillages au sommet de l’Everest causent régulièrement le décès de grimpeurs, exsangues d’être bloqués par – 40 °C. Lorsqu’il se lance dans l’ascension, c’est ce qu’il se passe. « J’ai enjambé trois cadavres gelés et un alpiniste est mort d’épuisement en revenant du sommet dans une tente à côté de moi », se souvient celui qui est aussi colonel de réserve dans l’armée de l’air. Le 23 mai 2019, il devient le 5 560e être humain « le plus haut de la terre ». » [1] Si l’on revient sur Tesson : voilà des verticales qui hiérarchisent son homme. Les verticales spatiales de la performance sportive. Les verticales performatives subordonnée à l’extension. La verticalité qualitative du sang et de la race, voyez qu’elles se reportent sur les sommets : verticalité performative de l’espace où s’élèvent les êtres humains d’exception.

La chute des mondes

Si la figure de Tesson est signifiante, c’est parce qu’il est voyageur. Il s’inscrit dans une vaste tradition : le récit viatique. Le récit de voyage. Et le voyageur a affaire non à l’Histoire mais à la Géographie. C’est le paysage qui symbolise sa mentalité, sa mentalité qu’il projette sur le paysage. Depuis 1945, le récit de voyage a muté plusieurs fois. L’après-guerre est marquée par un refus de l’exotisme petit-bourgeois qui s’accompagne d’une généralisation du regard sceptico-nihiliste : le monde n’est pas un jeu, on n’y voyage pas. « Je hais les voyages et les explorateurs » dit Lévi-Strauss. Et Sartre : La Nausée : « L’échec du voyage coïncidait avec la déception d’un monde qui ne réservait plus de surprise  ». À partir des années 60, Perec, Butor, Barthes, Debord : expérimentations de voyages où c’est l’espace lui-même qui voyage en lui-même. Laps d’espaces, dérives, expérimentations. Puis, dans les années 1980, on assiste à un retour au « classicisme » pré-guerre, avec Nicolas Bouvier, ou les récits nostalgiques d’aventure « d’antan » (« Étonnants voyageurs » de Michel Le Bris). Il n’y a plus d’unité de style ou de sens, autre que la satisfaction de l’élément consommable déterminé par le marché éditorial. Le tournant du siècle ouvre le temps des micro-voyages confinés ou arbitrairement contraints (Jean Rolin, Maspero, Augé). Enfin, selon Guillaume Thouroude, dans La Pluralité des mondes, le XXI° siècle fait apparaître, pour le genre viatique, ce double rapport : 1) récit de l’exploit sportif ou récit d’une performance plutôt que d’une aventure ou d’une découverte ; 2) fausse conscience, à style « d’aphorismes de sous-préfecture », prônant le dénuement et la sobriété du voyage tout en s’assurant une médiatisation à outrance et des sponsors. Et celui de qui Thouroude qualifie le style « d’aphorismes de sous-préfecture », c’est, justement Sylvain Tesson.

Quel regard Sylvain Tesson jette-t-il sur les mondes qu’il traverse lors de ses voyages ? Le même que celui qu’il admire chez Jean Raspail : « Jean Raspail a une vision du monde que j’aime : crépusculaire. Il est sensible à l’esthétique de l’engloutissement, de la chute des mondes, ce moment où l’on contemple quelque chose pour la dernière fois dans les feux d’un soleil moribond. » écrit Tesson. Dans l’Himalaya : « Partout la vallée est jonchée de détritus et d’immondices […]. Dans l’air flotte des remugles nauséeux, et du sol imbibé transpire une sanie infecte. La montagne elle-même dégage une odeur de mort et de déjection […]. Tout le parcours est conchié par ce passage du “camp des saints”. » Ce contre-exotisme de l’abjection et des mondes finissants, donc, enveloppé dans l’intertexte de Jean Raspail et son Camps des Saints, pose le regard occidental comme regard du soleil couchant (« occident » : crépuscule) sur l’immondice des peuples barbares, parfois compensés par quelques rencontres parfaitement clichées avec le visage de l’humanité. Cela indique au moins deux choses : 1) le monde n’est pas aimable ; 2) il n’est pas non plus voué à être conquis. Au contraire, la logique veut que l’on ne voyage que pour la posture et la performance, et qu’il faut que l’aventure ne nous apprenne, comme sa leçon, qu’une seule chose : chez nous, c’est mieux – au moins parce que c’est chez nous. Par exemple :

« En septembre 2021, Tesson participe à Paris à une soirée de soutien à la population du Haut-Karabackh, l’enclave séparatiste arménienne en Azerbaïdjan, et objet d’un conflit meurtrier entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’écrivain en a fait une cause personnelle. La guerre entre ces deux pays lointains est en réalité une guerre de civilisations, répète-t-il dans la presse : « L’Arménie est un verrou chrétien au milieu de l’ancien Empire ottoman […]. Qu’elle tombe et il en cuira à la vieille Europe dépositaire de la culture judéo-chrétienne qui a donné au monde la démocratie, la liberté, ses arts et sa science. » La soirée est organisée par SOS Chrétiens d’Orient, une ONG très proche de l’extrême droite : son président, Charles de Meyer, est assistant parlementaire de Thierry Mariani, député européen du Rassemblement national  ; son directeur général, Benjamin Blanchard, a été assistant du député d’extrême droite Jacques Bompard et animateur sur Radio Courtoisie ; Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles, siège au conseil d’administration. »

Propos qui, en sous-texte, pose la problématique de l’existence occidentale blanche sur le modèle d’une citadelle assiégée et en passe d’être submergée. La pureté propre de l’occident encrassée par les dehors. Inversion fantasmatique du mouvement colonial.

Jean Raspail avait posé les jalons narratifs de cette stylisation de l’existence blanche :

Le Camp des saints 1972 :

« L’histoire commence en Inde. Les pauvres y rêvent d’une vie meilleure. Un million d’entre eux embarque dans des bateaux, vers l’Europe. À bord, ces malheureux révèlent leur bestialité. Ils vivent dans leurs excréments et, les esprits s’échauffant, s’accouplent comme des animaux : « Ainsi, dans la merde et la luxure, et aussi l’espérance, s’avançait vers l’Occident l’armada de la dernière chance. » Ils traversent la Méditerranée. Ils approchent des côtes françaises. Les gouvernants, aveuglés par les idéaux universalistes, décident d’accueillir ces pauvres Indiens. La population ne s’inquiète pas, abrutie par « la putain nommée Mass Media ». Un éditorialiste lucide alerte, en vain : « Personne n’a souligné le risque essentiel, à savoir celui qui découle de l’extrême vulnérabilité de la race blanche et son caractère tragiquement minoritaire. Je suis blanc. Blanc et Occidental. Nous sommes blancs. Que représentons-nous, au total ? Sept cents millions d’individus, principalement concentrés en Europe, et cela face à plusieurs milliards de non-Blancs, on n’arrive même plus à en tenir le compte à jour. » Les Indiens débarquent entre Nice et Saint-Tropez : « Les bateaux se vidaient de toute part comme une baignoire déborde. Le tiers-monde dégoulinait et l’Occident lui servait d’égout. » (François Krug)

Et :

« Les nouveaux arrivants font régner la terreur. Ils imposent leur loi, ils tuent, ils violent : « Chaque quartier d’immigrants possédait alors son cheptel de femmes blanches, dont chacun pouvait user. » Ils remontent vers le nord. L’armée se défile. De toute façon, c’est trop tard : « Les rats ne lâcheront le fromage “Occident” qu’après l’avoir dévoré tout entier et, comme il était de grasse et belle taille, ce n’est pas pour demain. » La France, puis l’Europe entière sont submergées. Lorsque le roman s’achève, seule la Suisse est préservée, pour encore quelques heures. Des Français y sont réfugiés « pour tenter d’y prolonger ce qu’ils aimaient : une vie à l’occidentale, entre gens de même race ». Ils peuvent y méditer la morale de cette histoire : « Maudite sera la race blanche le jour où elle renoncera à exprimer les vérités essentielles ». Lorsque Jean Raspail publie Le Camp des saints, en 1972, l’immigration n’intéresse encore pas grand monde en France. » » (François Krug)

La société secrète de Jean Raspail

Mais l’occident est une façade pour les insatisfaits. Jean Raspail, écrivain réactionnaire, auteur de Le Camp des Saints (1972), récit du grand remplacement des occidentaux par les indiens, maître et coach littéraire du jeune Tesson, avait inventé un Royaume fictif de Patagonie, en terre de feu, dont il était le « consul général autoproclamé ». Ce n’est pas depuis l’Occident réel, soit inexistant en tant que forme unique, ou figure spirituelle, que le remplaciste des débuts écrit. C’est depuis une hétérotopie ou une société secrète. Contrairement à l’époque de Tesson, celle de Raspail est celle des pionniers de l’idée remplaciste. En tant que telle, l’idée est soumise au processus d’installation colonial classique : une avant-garde, secte ou société secrète, installe un contre-monde dans le monde, et s’allie par serments et cooptations, un peuple particulier. Les Patagons ne sont d’abord qu’un prétexte amical à la réunion.

« Lorsqu’il avait l’âge de Tesson, Raspail a pagayé du Québec à la Nouvelle-Orléans, sur les fleuves et les lacs, en hommage aux explorateurs français de l’Amérique. Il a remonté le continent américain en voiture, de la Terre de Feu à l’Alaska. Il a exploré l’ancien empire des Incas. Il en a tiré ses premiers livres, des récits de voyage. Ses romans sont peuplés d’aventuriers héroïques. Les fans de Raspail l’appellent « notre consul général », et se désignent eux-mêmes comme « Patagons ». C’est un jeu résultant d’une blague de l’écrivain. Il s’était autoproclamé consul général en France du royaume fictif de Patagonie, à la pointe sud de l’Amérique. Des centaines de lecteurs lui ont demandé à être naturalisés. Raspail leur a accordé la citoyenneté patagonne, et des titres : parmi les plus célèbres, l’écrivain Michel Déon est devenu vice-consul en Irlande ; l’explorateur Paul-Émile Victor, vice-consul en Polynésie ; ou Michel-Édouard Leclerc, le patron d’hypermarchés, ministre des Finances de ce pays imaginaire »

Mais cette Patagonie, devient, chez Tesson qui, lui aussi, porte en lui son royaume fictif, un point de ralliement inquiétant : « Votre œuvre est nécessaire à nous tous, membres de votre société secrète, plus nombreux que vous le pensez » lui explique-t-il en 2019 (cf. Krug). La diversité des personnes venues à son enterrement en atteste : « Dans l’assistance, on repère surtout les représentants de la droite extrême : le souverainiste Philippe de Villiers, la larme à l’œil ; Marion Maréchal-Le Pen ; l’homme d’affaires Charles Beigbeder, frère de Frédéric, l’écrivain, et mécène de la jeune droite identitaire ; d’anciens compagnons du Parti des forces nouvelles, le mouvement néofasciste que Raspail avait soutenu, comme Jean-Pax Méfret, le chanteur préféré de l’extrême droite, ou Anne Méaux, la communicante qui conseille une partie des patrons du CAC 40 ; ou encore, une délégation de l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Personne ne remarque cet homme en blouson de cuir et casquette sur la tête, qui évite les photographes : Sylvain Tesson est venu rendre un dernier hommage à Jean Raspail. » Des Patagons au cercle des amis venus rendre hommage au défunt, l’articulation est celle d’un fantasme narcissique de consulat monarchique entre élites aux prolégomènes d’un mouvement de masse qui affecte toutes les parties de la société réelle. Si les fantasmes de submersion ne datent pas de Jean Raspail (en 1905, Jack London faisait état d’une crainte d’invasion chinoise), on pourrait néanmoins faire remonter à sa figure une stylisation de l’expérience fascisante du monde. Et, dans le contexte français, on pourrait voir dans la société secrète des Patagons, ce « cristal de masse » (pour reprendre un concept de Canetti) à partir duquel les masses populaires adeptes du remplacisme se sont constituées. Soit : un royaume fictif de Patagonie superposé à la France effective depuis lequel s’est préparé le télescopage des dimensions. De même que chez Tesson, l’Arménie devient le faire valoir de la race blanche – le royaume fictif de Patagonie est l’archétype imaginaire de cette topologie psychique et symbolique idéale, sauvée du déferlement boueux du monde.

La bibliothèque de Tesson

Dans son livre Réactions françaises, François Krug analyse la photographie d’un entretien de Tesson dans Paris Match. On y voit sa bibliothèque. Si la topologie imaginaire est déterminante dans la spatialité fascisante, ce qui constitue le fascisme de la proto-aristocratie, c’est son raffinement et son capital culturel : la bibliothèque est le miroir des tendances de l’élite sociale. « À l’été 2017, Sylvain Tesson reçoit chez lui un journaliste et un photographe de Paris Match. L’objet de leur reportage, c’est la bibliothèque de « l’écrivain baroudeur ». Le journaliste remarque dans les rayonnages, « serrés l’un contre l’autre, Héraclite et Lucky Luke, Apollinaire et le manuel d’entretien d’une motocyclette ukrainienne », mais aussi « deux mètres linéaires » réservés à Ernst Jünger. » À côté de Jünger, figure aventureuse de la révolution conservatrice des années trente en Allemagne, on aperçoit les livres de Jean Mabire, une des grandes figures, elle, de la Nouvelle Droite : « C’est bien ça : La Division Charlemagne, La Brigade Frankreich, les deux tomes de La Division Wiking. On ignorait que Tesson était lecteur de Jean Mabire (1927-2006), un écrivain d’extrême droite principalement connu pour ses livres sur l’histoire des SS. » Jean Mabire, connaissance d’enfance du père de Tesson, et proche de Dominique Venner, est membre du GRECE.

Puis, plus la plongée dans l’image se fait précise, et plus apparaissent les liens livresques et sociaux, avec l’extrême droite politique et littéraire :

« Zoomons à nouveau sur la photo de Paris Match. Dans la bibliothèque de Tesson, à côté des livres de Mabire, on repère J’ai choisi la bête immonde, une autobiographie politique publiée en 2000 par Martin Peltier, ce journaliste passé du Quotidien de Paris au FN et à l’hebdomadaire National Hebdo, un temps contributeur de la revue néo-hussarde Rive droite. Peltier se souvient qu’au Quotidien de Paris, il avait été chargé par Philippe Tesson de chaperonner les stagiaires, dont son propre fils, Sylvain. Plus loin dans le rayonnage, voici La Nuit de Jéricho, un roman d’anticipation cosigné en 1991 par Alain Sanders, journaliste au quotidien Présent, et Serge de Beketch, ancien directeur de la rédaction de Minute, vedette de Radio Courtoisie à l’époque où Tesson y animait lui-même une émission. Comme dans Le Camp des saints de Jean Raspail, la France est envahie par des étrangers ; dans cette Nuit de Jéricho, en revanche, de courageux résistants prennent les armes et affrontent les envahisseurs. Quelques livres plus loin, on découvre une autre curiosité : Race et identité, un essai publié en 1977 aux Éditions Copernic, la maison d’édition du Grece. »

On ne juge pas un livre à sa couverture, mais on peut juger un homme à sa bibliothèque. On peut au moins s’en faire une idée. L’idée qui apparaît ici se constelle d’éléments d’une droite qui semble chercher sa vigueur et son dynamisme dans les héros de guerre de la période nazie, son grand récit dans le remplacisme (Camp des Saints ou Nuit de Jéricho), ses amitiés dans le Grece et la nouvelle droite, son obsession dans la race et l’identité.

Quels sont nos grands récits de l’espace ? Grands récits par rapport à l’espace ? Si l’extrême-droite, hors de l’histoire et dans l’espace, pose des races topologiques de distances et de sommets, races qui ne sont pas dans un rapport dialectique, mais un rapport d’espace, soit un rapport de migrations/envahissement, de « submersion » du « chez soi » idéal, de souillure. À la fin de l’histoire, il n’y a plus que des rapports d’espace. Mais puisque cet espace des droites est lui-même symbolique et essentiel, l’espace des droites n’a pas de place – l’espace des droites est peu spacieux.

[1https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/12/26/frederic-jousset-l-art-effrene-des-affaires_6107311_4500055.html « Tourbillon de montages financiers à neuf chiffres, ascension du Shishapangma, au Tibet, randonnée à cheval dans la pampa, chasses au Tadjikistan, parties de ski dans le Caucase et pointes de vitesse sur les pistes du Mans au volant de son AC Cobra de 1964. Autant d’exploits qui lui valent d’être dépeint par la presse économique en Largo Winch français, ce héros de BD milliardaire casse-cou. Soudain, il se penche, œil brillant et bichant : « Il y a trois semaines, j’ai failli mourir. » »

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