L’autre-mental de Pierre Déléage

Figure de l’anthropologue made in France en polygraphe réactionnaire. Par Oiara Bonilla, Jean-Christophe Goddard, Guillaume Sibertin-Blanc

paru dans lundimatin#254, le 14 septembre 2020

L’article qui suit est une lecture critique du livre de Pierre Déléage paru il y a quelques mois à La Découverte dans lequel l’auteur compare les méthodes de plusieurs anthropologues (Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939), Benjamin Lee Whorf (1897-1941), Carlos Castaneda (1925-1998) et Eduardo Viveiros de Castro (né en 1951)) à celles de la science-fiction et notamment de Philip K. Dick. Si l’oeuvre de Déléage nous est inconnue, celle de Viveiros De Castro nous l’est un peu moins, raison pour laquelle ce billet nous a intéressé, quoique la polémique en question soit quelque peu restreinte au champ de l’anthropolgie (entre les auteurs qui défendent ici une anthropologie au service des luttes, notamment amérindiennes et une tendance plus cognitiviste qui prétend remettre les points sur les i).

Les Blancs, eux, ne rêvent pas aussi loin que nous. Ils dorment beaucoup, mais ne rêvent que d’eux-mêmes. Leur pensée demeure obstruée et ils sommeillent comme des tapirs ou des tortues. C’est pourquoi ils ne parviennent pas à comprendre nos paroles. 

Davi Kopenawa, Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, chapitre 17, « Parler aux Blancs », Plon, 2010, p. 412.

Sous le titre L’autre-mental, l’anthropologue français Pierre Déléage vient de publier à La Découverte un brûlot intégralement voué à salir la réputation de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro. « Anthropologue ventriloque », ce dernier, puisant sa matière dans « les philosophies du Quartier Latin », se foutrait bien de ce que « les Amérindiens » pensent, et, « débarrassé de tout scrupule épistémologique", comme au fond de tout scrupule moral et politique, n’hésiterait pas « à recouvrir leurs voix par la sienne » – forcément française et germanopratine, puisque, comme chacun sait, seule une voix française et parisienne est assez puissante pour recouvrir la voix des autres –, œuvrant ainsi à la « perpétuelle recolonisation » des peuples amazoniens.

Peut-être s’agit-il d’une plaisanterie, puisqu’il s’est trouvé un recenseur pour trouver L’autre-mental « plaisant ». Il est vrai que Pierre Déléage, pour avoir d’abord proposé son manuscrit aux éditeurs du maître ouvrage de Viveiros de Castro en langue française, Métaphysiques cannibales, ne semble pas dénué d’un certain sens de la facétie. A moins qu’il se soit agi de réhabiliter l’art de l’invective dans le champ trop policé du débat universitaire. Et Déléage ne manque effectivement pas d’être insultant. Mais alors, il faut avouer que, sous cet angle, L’autre-mental fait plutôt penser à une version augmentée, remaniée et mise au goût académique du jour, de la lettre jalouse et comminatoire adressée à tous les écrivains célèbres à fort tirage par Paul Hilbert, l’Erostrate moderne de la nouvelle éponyme de Sartre qui voulait devenir illustre en illuminant le monde d’une flamme destructrice, « violente et brève comme un éclair de magnésium » et, pour cela, s’était acheté un revolver : « une de ces choses qui peuvent exploser et faire du bruit ». On connaît l’histoire : le type finit lamentablement par tirer à l’aveugle dans la foule et n’aura vraisemblablement l’honneur que d’un entrefilet dans la rubrique des faits divers.

Plutôt que d’envoyer sa lettre aux cent deux écrivains contemporains dont les livres sont lus « avec gourmandise », le Paul Hilbert de l’anthropologie française, plus économe, écrit à l’adresse d’un seul auteur vivant auquel il fait, bien involontairement, l’honneur d’en valoir cent. Mais, comme le Paul Hilbert de Sartre, l’Erostrate de la rue du Cardinal-Lemoine est d’abord en mal d’un acte éblouissant capable de briller à travers les siècles de la luminescence pérenne du « diamant noir ». Il le confesse à satiété : il lui faut des idées « stupéfiantes », « sidérantes », des perspectives « fabuleuses », des schèmes conceptuels « fascinants », « excitants », des « bombes » théoriques dont l’effet de souffle serait capable d’entraîner un profond et durable « vertige cognitif ». Comme la schizophrène asthénique de Minkowski qui confesse à son psychiatre une perte du « pouvoir créateur » et une incapacité corrélative à envisager l’avenir autrement que comme la répétition du passé, et qui, profitant d’un moment d’inattention, met le feu à ses vêtements « pour se procurer des sensations vives qui lui font entièrement défaut », Pierre Déléage s’enflamme à la lecture de toute une série d’écrivains de fictions théoriques ou romanesques, Gilles Deleuze, Alfred North Whitehead, de Howard P.Lovecraft, Franz Kafka, Edogawa Ranpo, Jorge Luis Borges, Christopher Priest, Steven Millhauser, Marc-Antoine Mathieu, Brian Evenson, Alfred Bester, Philip K. Dick, William S. Burroughs, James G. Ballard, Alan Moore, Greg Egan, Saul Kripke, Hilary Putnam, Gregory Bateson… tous originaires (à l’exception notable d’un argentin) de ce que l’écrivain congolais Sony Labou Tansi appelle le « Nord-Monde » ou, plus exactement, pour donner toute son extension géographique au cannibalisme culturel occidental, la « Cannibalomanasie ». Que des mecs, bien-sûr. Sans doute par fidélité au paradigme de l’intersectionnalité en vigueur dans la pensée critique contemporaine dont Pierre Déléage est un brillant représentant. 

C’est que, comme le disent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie ? – que l’anthropologue, d’abord philosophe, a sans doute (comme beaucoup) confondu avec un manuel de formation littéraire, de succès éditorial et de réussite sociale –, la philosophie propre à l’Occident « ne consiste pas à savoir, ce n’est pas la vérité qui l’inspire, mais d’autres catégories, comme celles d’Intéressant, de Remarquable ou d’Important », et que l’écrivain des Suds a une toute autre tâche que d’épater. Situé de l’autre côté de la ligne de partage abyssale par laquelle les sociétés métropolitaines s’isolent partout des sociétés colonisées afin d’épuiser seules le champ de la réalité pertinente et de les produire comme non-existantes, il lui revient, comme le martèle Labou Tansi, héritier kongo de Césaire et de Fanon, de rompre le silence qui lui a été imposé depuis des siècles (n’aurait-il pas dû déjà depuis longtemps parler au lieu de faire parler de lui) et d’« appeler les choses par leur nom », de « faire descendre le scandale » et de « donner mauvaise conscience à qui de droit », ce qui ne va pas sans engager la vérité – et certes pas comme quelque chose d’intéressant, de remarquable, d’excitant ou de stupéfiant. Pas étonnant dès lors que le philosophe-anthropologue français, déçu, juge l’anthropomorphisme (ou si l’on veut, l’animisme) amérindien théorisé par Eduardo Viveiros de Castro « assez pauvre », le résultat de la « bombe théorique perspectiviste » castrienne « bien triste et étriqué ».

C’est comme si Déléage semblait découvrir que Viveiros de Castro est brésilien et que contrairement à ce que l’académisme étatique français, structurellement colonial et stupidement universaliste, a planté dans la tête de ses administrateurs, un anthropologue carioca – c’est-à-dire qui appartient à la terre d’une ville située encore suffisamment au Nord du Brésil pour être une terre du Sud – n’est pas un anthropologue parisien. Car, en matière de poétique théorique, c’est d’abord avec Oswald de Andrade, Guimarães Rosa, Joaquim de Sousândrade, et bien-sûr la plus grande philosophe brésilienne, Clarice Lispector, que pense Viveiros de Castro. Autant d’auteurs brésiliens qui n’écrivent dans la langue et les syntaxes du colonisateur que pour traduire les racines afro-indiennes du Brésil réel et défaire par toutes les symbioses d’imaginaires qu’elles opèrent toute tentative de fixation de leur propre identité blanche comme de toute identité nationale par la bourgeoisie coloniale qui s’est auto-proclamée propriétaire du Brésil. Aussi ne s’est-il jamais agi pour Viveiros de satisfaire aux attentes de l’imagination fictionnante occidentale conçue sur le mode bergsonien d’une réparation du déficit (à vrai dire chronique) de contact vital avec le réel : compenser par d’éclatantes hallucinations, un feu d’artifices d’idées neuves, les inattentions à la vie d’une conscience exténuée.

La fiction théorique amazonienne sert une fin autrement libératrice, qui est d’imaginer et d’incarner d’autres formes d’habiter le réel que celles qui ont été importées en boîte par la colonisation européenne continue du Brésil, et de même qu’Oswald de Andrade a contaminé la modernité brésilienne par l’anthropophagie tupinamba et Guimarães Rosa l’Académie brésilienne des Lettres par le Sertão, Viveiros de Castro se propose de contaminer l’Institution philosophique par les cosmologies amazoniennes. Et s’il met tout particulièrement en œuvre son projet dans le champ de la philosophie française, c’est, pour résumer en une phrase la longue analyse décoloniale réalisée par le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga dans La crise du Muntu, parce que ce sont les français qui ont fait de la philosophie « le secret de la force » coloniale, c’est-à-dire « la force de la force », et que le Brésil est, du point de vue académique, en grande partie une colonie philosophique française. Il faut être un français singulièrement imbu de francité pour s’imaginer qu’un penseur brésilien de l’envergure d’Eduardo Viveiros de Castro ait eu pour ambition, comme le croit Déléage, de commettre un « coup d’Etat disciplinaire » dans l’Institution académique nationale française. Il ne s’est agi de la France que parce qu’il s’agissait du Brésil.

Si Déléage reproche à Viveiros de Castro d’avoir doublé les voix de son film amazonien avec un texte philosophique français, c’est que, incapable de faire autre chose que de s’écouter parler français quand un brésilien parle, il n’a pas entendu les voix amazoniennes que Viveiros traduit dans le langage de la philosophie occidentale pour y porter d’autant plus le trouble qu’il n’est pas possible, comme le sait tout traducteur, de transposer un texte dans une autre langue sans la recréer presque intégralement. L’écrivain africain qui écrit en français par manque de traducteur le sait fort bien. C’est pour cela d’ailleurs que la francophonie finit par être plus son affaire que celle des français. Il semble bien, à la lecture de L’autre-mental, que Déléage n’est pas prêt à admettre que l’anthropophonie devienne l’affaire d’un traducteur brésilien de cosmologies amérindiennes. En fin de compte son souhait est que chacun reste là où il est – c’est-à-dire à la place qui lui a été assignée dans le partage manichéen de l’humanité institué par l’ethnologie coloniale : d’un côté, l’indien avec la diversité factuelle de ses récits, que l’on va filmer chez lui et qui, comme dans le théâtre de Charcot, vous fait un numéro inédit (en réalité, exactement ce qu’on en attendait), ou que l’on fait venir spontanément chez soi, dans son bureau parisien, avant de le renvoyer chez lui outre-Atlantique ; de l’autre, l’ethnologue blanc accumulateur sur le dos du premier de données ethnographiques exotiques et créateur de fantasmes anthropologiques stupéfiants destinés à épater son lectorat. On comprend le scandale castrien qui est, à travers le travail intellectuel le plus difficile, celui de traducteur, de redonner vie, pour reprendre les termes de James C. Scott, à la « symbiose oppositionnelle » qui rapporte l’une à l’autre, au point historique et géographique de leur rencontre, la pensée systémique (et non totalisante) des espaces non(ou pauci)-étatiques et la pensée systématique (toujours d’une façon ou d’une autre unifiée sous un principe cardinal) des espaces métropolitains ; au point que la pensée minoritaire (indigène), et les formes de vie qui la réalisent, puissent d’une manière ou d’une autre affecter conflictuellement la pensée majoritaire et devenir pour elle une possibilité, et que la pensée indigène, en retour, puisse, conformément à ce qu’elle est, se régénérer au contact critique de son autre et le produire de même comme une possibilité acceptable. Ce qui constitue bien la seule véritable entreprise décoloniale – le colonialisme moderne ayant précisément consisté, par le tracé d’une frontière civilisationnelle infranchissable, dans l’empêchement de cette relation symbiotique multimillénaire, en Asie, en Afrique ou sur la terre d’Abya Yala.

C’est un fait : la presque totalité des grands traités de la modernité occidentale, en matière de pensée économique, politique, et de métaphysique, sont nés d’une réaction des élites intellectuelles aux récits de voyage des multiples missionnaires et explorateurs coloniaux colporteurs au sein de la classe cultivée métropolitaine d’une potentielle critique indigène de la société européenne. Adam Smith ou Rousseau en sont a minima des exemples flagrants. Il en va par exemple ainsi de la théologie inspirée du cordonnier théosophe Jacob Boehme, que Hegel considère comme le fondateur, plus que Descartes, de toute la philosophie moderne, et celui qui aura livré pour la première fois sous une forme poétique la vérité qu’il a lui-même entrepris d’exposer conceptuellement dans une œuvre systématique qui jouera, comme le sait tout diplômé de philosophie de San Francisco à la presqu’île de Kamtchatka, un rôle prépondérant dans la définition de la pratique et l’administration de la discipline. Boehme confesse, en effet, au tout début de L’Aurore naissante n’avoir écrit son livre que pour répondre à la menace que faisait peser sur sa foi chrétienne le scandale de la « prospérité » (précolombienne) des peuples « païens » du Nouveau Monde. La métaphysique européenne institutionnalisée au 19e siècle – d’abord dans l’Université philosophique allemande, avant que celle-ci ne colonise l’espace intellectuel français – n’existe pour une grande part que par l’urgence d’un contre-discours sur la pensée et les sociétés « primitives » véhiculé par toute une anthropologie non académique, pour ainsi dire « d’en bas » (pour le Schelling de la Philosophie de la Mythologie, il s’agira des Voyages dans l’Amérique méridionale de Felix Azara).

Or, le procédé est depuis des siècles à peu de choses près le même. La réception de la publication en 1704 par le célèbre explorateur français anti-colonialiste Lahontan de ses Dialogues avec Kandiaronk, un grand homme politique et un intellectuel huron critique du système juridique et économique européen, est exemplaire : Lahontan n’avait évidemment rien fait d’autre que substituer à la parole de Kandiaronk (comment celui-ci aurait-il pu être aussi inamical envers ses civilisateurs ?) son propre discours critique intégralement généré à partir de la tradition théorique européenne. La figure injurieuse de « l’anthropologue ventriloque » tant affectionnée par Pierre Déléage n’est pas nouvelle. Son usage sous la plume des polygraphes réactionnaires du 18e siècle, journalistes ou anthropologues jésuites, s’accompagne d’ailleurs presque immanquablement d’une allusion aux mœurs sexuelles déréglées de celui qui l’incarne : le libertinage de Lahontan et l’allure « castanédienne » de Viveiros de Castro qui, selon Déléage, l’apparente au « gourou » exerçant son emprise autoritaire et spermatique sur un gynécée envoûté - un petit harem de « sorcières » vouées comme celles de Castaneda à disparaître sans laisser de trace, et dont on retrouvera peut-être un jour quelques ossements dans les dunes de la vallée de la Mort.

Car, c’est dans le monde de L’autre-mental sans doute là que les femmes ont leur place. Il va de soi qu’en tant qu’autrices de science-fiction, de philosophie ou de théorie anthropologique, elles ne sauraient être suffisamment excitantes, et, que, de toute façon, pour inséminer la pensée des jeunes prétendants à la science royale, il faut, comme chacun sait, de puissantes érections spéculatives dont les femmes sont bien incapables. Il est vrai, à la décharge de Déléage, que la fazenda dans laquelle il a choisi de faire carrière s’illustre encore malheureusement par la monoculture des épistémès viriles et des nombreuses manières de faire disparaître les femmes. Mais, où est donc passée dans L’autre-mental Marilyn Strathern, qui fut pour Viveiros de Castro une inspiratrice et une interlocutrice de premier plan ? Où est donc passée Anne-Christine Taylor avec laquelle Viveiros de Castro a co-écrit en 2006 un texte magistral pour le catalogue de l’exposition inaugurale du Musée du Quai Branly ? Où sont passées Donna Haraway et Marisol de la Cadena avec lesquelles il n’a cessé d’être en dialogue ? Où est passée sa collègue au Museu Nacional de Rio, Aparecida Vilaça, dont l’ethnographie des Wari’, en mettant en évidence l’instabilité des positions de proie et de prédateur, a pourtant contribué à l’élaboration de son concept de perspective ? Il est vrai qu’elles ne sont pas seules à avoir été ainsi absentées de L’autre-mental, où Philippe Descola, lié à l’anthropologue brésilien par une estime réciproque vieille de plus de trente ans, n’est pas même digne d’être nommé mais seulement très allusivement évoqué (à l’intention des professionnels de la profession) comme un plat typologiste ? Où sont les autres illustres interlocuteurs de Viveiros, Marshall Sahlins ou Roy Wagner (qui a postfacé The Relative Native, pourtant cité par Déléage) ? Où sont Martin Holbraad, Eduardo Kohn, Bruce Albert, Casper Jensen, Kaj Arehm, Andrew Gray ? Et Joanna Overing, Peter Rivière, Patrick Menget, Anthony Seeger, Manuela Carneiro da Cunha, Roberto da Matta… ? Il y a beaucoup de monde enfoui sous les dunes de cette vallée de la mort épistémique au milieu de laquelle Déléage ne laisse subsister qu’Eduardo Viveiros de Castro, comme unique cible vivante de ses attaques. C’est qu’il sera beaucoup plus facile de faire passer la notion de perspective, et son ancrage dans le corps, pour la fiction personnelle et malhonnête d’un auteur fantasque en isolant celui-ci des multiples interlocutions collectives passées et actuelles qui lui ont permis de la faire émerger et de la façonner problématiquement à partir de son terrain et du champ de l’ethnologie régionale sud-américaine, en débat avec les plus grandes figures de l’anthropologie contemporaine. Mais, silencier ces interlocutions savantes revient surtout à silencier les plus nombreuses encore et non moins savantes interlocutions internes aux sociétés étudiées sur lesquelles les premières prennent appui. Ce sont des peuples entiers que Déléage enfouit sous le désert aride de son ressentiment. 

A l’enquête historique sur l’origine et le devenir d’un concept, qui oblige à croiser les apports et les sources, bref à lire une abondante littérature scientifique (à commencer par celle de son auteur) et à mener de nombreux entretiens, Pierre Déléage oppose une thèse bien plus excitante et surtout plus économique : c’est en discutant avec une étudiante, Tânia Stolze Lima, que Viveiros de Castro a eu subitement, au beau milieu des années 1990, l’idée de génie, de subvertir et de révolutionner l’anthropologie occidentale par l’invention d’un pseudo-perspectivisme amazonien. L’une des anthropologues amazonistes les plus importantes au Brésil avec Manuela Carneiro de Cunha et Aparecida Vilaça, Tânia Stolze Lima, la seule femme de L’autre-mental, se trouve ainsi ravalée au statut d’étudiante - et, conformément à l’habitus patriarcal universitaire, d’une étudiante à qui le maître piquerait plus ou moins ses idées. Une subalternisation odieuse qui a pour effet d’occulter que la mise en valeur de cet aspect de la pensée amérindienne, que Viveiros, empruntant à Kaj Arhem, a désigné comme sa « qualité de perspective », était déjà au coeur de sa thèse soutenue en 1984 et publiée en 1986 sous le titre Araweté : os deuses canibais, dont L’autre-mental ignore superbement les apports théoriques (autant, d’ailleurs, que ceux de A inconstância da alma selvagem, et singulièrement de Métaphysiques cannibales), mais à laquelle se réfère principalement Tânia Stolze Lima en 1996 (qui enseigne à l’Université Fédérale Fluminense depuis 1988) dans l’article qui témoigne de sa discussion avec Viveiros de Castro, O dois e seu múltiplo : reflexões sobre o perspectivismo em uma cosmologia tupi, pour faire valoir, à partir de son terrain Yudjá (Juruna), une compréhension du perspectivisme divergente de celle de Viveiros. Intimement associé au rejet structurel de toute totalisation qui caractérise la pensée amérindienne (Viveiros de Castro le répète constamment à qui veut bien l’entendre : « tous les animaux sont des humains, sauf la tortue »), comprenant la perspective seulement comme une potentialité, intotalisable et équivoque, en constante discussion entre tous ceux qui l’alimentent intellectuellement, individuellement ou collectivement, le perspectivisme amazonien n’est certainement pas un modèle de pensée critique inventé de toutes pièces par un seul homme pour s’opposer, comme le pense Déléage, de manière systématique (et naïve) à la pensée occidentale - si tant est qu’elle existe. Ce que l’auteur de L’autre-mental semble bien croire pour s’inquiéter à ce point de devoir la défendre.

Le présupposé de cette vieille rhétorique haineuse que Déléage ne fait que délayer tout au long de sa trop longue lettre « hilbertienne » à Viveiros de Castro, et qui inspire par ailleurs sa propre ethnographie (qui s’autorise avant toute chose, comme il l’écrit en ouverture de ses Lettres mortes, du rejet de la « traduction ventriloque à laquelle se réduit la plupart des travaux ethnologiques contemporains »), est, en effet, qu’il existerait une « pensée occidentale » séparée du contact colonial avec le reste du monde, susceptible d’offrir prise à la critique seulement sous une forme préalablement et indûment « appauvrie ». Une manière détournée de naturaliser l’illusion rétrospective, répandue chez tous les idéologues de la métaphysique (ceux qui, comme le dit Viveiros de Castro, « connaissent le numéro de téléphone et l’adresse de l’être en tant que tel »), d’une identité et d’une supériorité intrinsèque de la métaphysique occidentale douée d’une force de formation intérieure (ce que les allemands appellent « Einbildungskraft ») suffisamment puissante pour engendrer ses propres transformations. Un fantasme de gestation et de parturition onaniste caractéristique de l’inconscient patriarcal, qui explique la prégnance chez les identitaires de la métaphysique occidentale, sous une forme ou sous une autre, du schème théologique chrétien d’un engendrement du Fils dans le Père. En contradiction flagrante avec le rapport réel, symbiotique, qu’entretinrent les intellectuels européens et les intellectuels non-européens. On sait ce que Leibniz doit à la pensée politique chinoise (également admirée par Christian Wolff), mais on sait peut-être moins qu’ami et admirateur de Lahontan, il fonda sa propre critique de Hobbes sur la critique par le huron Kandiaronk du droit politique européen. Et que dire de ce que la tradition critique allemande (kantienne) doit à la formulation du concept de « chose en soi » par le ghanéen Anton Wilhelm Amo ? Impossible d’en sortir : le texte « occidental » que l’anthropologue ventriloque mettrait dans une bouche indigène est pour une large part déjà un texte indigène. Si tant est qu’on puisse parler avec le ventre, il y a tout compte fait peu de Blancs dans le ventre du ventriloque. Beaucoup d’Araweté, de Krenak, de Yanomami, etc., mais aussi de caboclos, de quilombistes, de sertanejo, etc. dans le ventre d’Eduardo Viveiros de Castro. Beaucoup de non-blancs qui, eux-mêmes, ont déjà depuis longtemps déglutis quantité d’européens – lesquels ne sont ainsi dans le ventre de l’anthropologue qu’en vertu de cette déglutition. Au fond, seul l’anthropologue ventriloque brésilien sait parler du ventre, quand l’Erostrate du 5e arrondissement ne parvient qu’à contracter les muscles du visage pour se donner l’air respectable qui sied à un chercheur patenté tout en faisant vibrer les cordes du provincialisme ethnocentrique le plus éculé.

Ce que délaye Déléage n’est en fin de compte que cet hygiénisme épistémique qui s’est installé dans les académies européennes à partir du 19e siècle, pour construire la fiction de l’Europe comme biotope de la philosophie. Ce qui n’allait pas, on le sait, sans la mise en place d’un processus d’identification raciale discriminatoire. L’anthropologue ventriloque ne l’est-il pas d’abord parce qu’on le suppose incapable d’échapper à une détermination historique et culturelle à ce point essentialisée qu’elle semble bien relever d’une appartenance raciale ? Comment un Blanc pourrait-il faire autrement que de recouvrir la voix des non-Blancs sous celle des Blancs ? Le racisme est bien d’abord, comme le disait James Baldwin, le problème des Blancs. Sa première et plus impérieuse exigence est, en effet, la nécessaire blanchité des Blancs – c’est-à-dire leur nécessaire participation au club fermé des exploitants du reste de l’humanité. Un paysan haïtien qui s’adresse après le tremblement de terre de 2010 à un GI noir lors de l’invasion US de son pays pour lui demander « blanc, fais-moi cadeau de quelques dollars ! », ou un universitaire de Port-au-Prince qui qualifie son collègue européen intellectuellement engagé à ses côtés de « peau-l’envers », effondrent bien plus sûrement le principe même du racisme blanc que celui qui accuse, de la façon la plus perverse qui soit, un anthropologue blanc de ne pouvoir être qu’un salaud de Blanc dans le seul but de dénier aux non-Blancs qui ont façonné sa pensée avec la leur la moindre possibilité d’exercer une influence sur le cours de l’histoire intellectuelle.

Car « Blanc » n’a à voir avec la couleur de la peau que dans la mesure où une petite partie de l’humanité a historiquement fait et continue de faire de la clarté de sa peau une marque de reconnaissance de soi et de son droit à affirmer sa supériorité sur le reste de l’humanité en décidant unilatéralement de ce qu’il faut admettre comme existence humaine valable sous les catégories autoréférentielles de « culture », de « savoir », de « civilisation », d’« histoire », de « technique ». « Blanc » est le nom de cette prétention, qualifie exclusivement ceux qui la partage et agissent en conséquence. La fameuse sentence d’Eduardo Viveiros de Castro, « nous sommes tous des Indiens, sauf ceux qui ne le sont pas », dit bien en quelle mesure les Blancs sont d’abord une minorité d’hommes et de femmes retranchés en marge de l’humanité qui, par une pure inversion du sens réel de la brève histoire de leur émergence, requalifient en existence minoritaire et marginale l’existence vécue par la presque totalité de l’humanité depuis des millénaires. C’est pourquoi le Blanc est d’emblée et sans répit effrayé à l’idée de cette contamination réciproque des imaginaires et des formes de vie que ne peut manquer pourtant d’engendrer chacune de ses expéditions invasives, d’autant plus violentes que le risque grandit à chaque fois un peu plus pour lui d’être indianisé, africanisé, créolisé… Le procès fait à Eduardo Viveiros de Castro dans L’autre-mental est une des trop nombreuses pièces à verser aux archives de cette peur.

Et Déléage a de bonnes raisons d’avoir peur. S’exprimant en 2016, à Paris, devant un parterre de philosophes de carrière Viveiros de Castro a été très clair : son objectif est de mettre l’anthropologie au service de « la lutte des peuples dans la théorie ». Aux amateurs français d’autres métaphysiques qui apprécient les cosmologies exotiques de l’Amazonie comme des variations encore inchoatives des si subtiles métaphysiques latines et germaniques de la modernité européenne, il a rappelé, en bon lévi-straussien, que si les premières sont des variations des secondes, alors les secondes sont aussi des variations des premières – c’est-à-dire peuvent être considérées de leur point de vue. Evaluer les cosmologies amazoniennes à l’aune des « philosophies européennes » est une chose, mais poser la question de savoir quelles sortes de transformations les métaphysiques occidentales modernes font subir aux métaphysiques amazoniennes en est une autre. Car, tout aussi inséparables que ces dernières de leurs conditions matérielles de production, leur genèse est indissociable de cette gigantesque entreprise historique de destruction de la vie commune et de domestication des corps au service du travail, productif, reproductif, sexuel, intellectuel, qu’a été et que continue d’être l’accumulation du capital, et la question portera alors, pour le dire vite, sur le type de métaphysique qui, dans une Europe déforestée, peut encore être faite sans être seulement la métaphysique de la déforestation. La variation, pour être autre chose qu’une altération et une perte, devra être critique et créatrice.

En ramenant le projet castrien d’une « contre-anthropologie » a une querelle d’amphithéâtre universitaire, Déléage semble ignorer (ou feint d’ignorer) que le terme de « contre-anthropologie » traduit d’abord le concept de « Reverse Anthropology » (« anthropologie inversée » ou « retro-anthropologie ») forgé par l’anthropologue nord-américain Roy Wagner pour désigner la manière dont les non européens, mis en situation d’étude par la violence du choc colonial prolongé, cherchent, pour y résister, à comprendre l’ordre stérile du capitalisme européen qui fait intrusion dans leurs mondes. A l’inverse de l’anthropologue académique, l’anthropologue indigène de cette anthropologie inversée ne vise pas à conforter une suprématie épistémique en fournissant la matière d’un enseignement, ou d’une polémique interne au Collège des vainqueurs, mais, agissant pour ainsi dire sous le régime de la défaite, met en œuvre la compétence « extrospective » propre au savoir chamanique perspectiviste pour prendre la position de l’ennemi blanc et révéler ce faisant le type d’humanité agonistique qu’il est, substancier la différence de potentiel prédateur qui le définit au sein de l’ensemble des divergences de perspectives qui constituent le cosmos. La manière dont Déléage suggère que l’ensemble des présupposés ontologiques du perspectivisme amazonien ne serait qu’une petite fabrication logique d’un anthropologue marionnettiste blanc (sans doute a-t-il trop lu Platon) est d’abord une insulte aux stratégies cognitives et préventives mises en œuvre par des peuples en résistance contre le mode d’existence – ou plutôt de dé-existence – du plus lamentable (et à ce titre seulement redoutable) ennemi qu’ils aient jamais rencontré : un ennemi narcissique anti-perspectiviste, plutôt ridicule et bavard, peu intelligent, que l’on peut bien marier à sa sœur avant de le boucaner, comme ce « délicieux petit français » du film de Nelson Pereira dos Santos, Como era gostoso meu Francês, mais qui, ne sachant rêver et parler que de lui-même et de sa formidable ingénierie culturelle, ne constituera pour aucun Amérindien une authentique altérité, un « Dehors » ou un « destin ». Puisqu’il n’est pas un « vrai étranger » comme l’est un guerrier indien ennemi, d’autant plus « étranger » qu’il est lui-même en relation extrospective avec des « étrangers », avec un autre Dehors, quand l’ennemi blanc n’accorde le droit à l’extériorité, plus ou moins effrayante, plus ou moins amicale, qu’à son alter ego, c’est-à-dire à son seul double. Ce qu’explique fort bien le chaman yanomami Davi Kopenawa, l’auteur avec Bruce Albert de La chute du ciel, dont Viveiros de Castro a préfacé l’édition brésilienne, et qu’il considère comme un grand traité de métaphysique amazonienne contre-anthropologique adressé aux Blancs. Un livre que Déléage attribuera sans doute à la ventriloquie de son collègue de l’IRD.

Comme le Paul Hilbert de la nouvelle de Sartre, et un certain René Descartes, Déléage observe les hommes du haut de sa fenêtre et ne voyant que des manteaux et des chapeaux, jamais les corps, s’imagine qu’ils sont mus par des ressorts. C’est particulièrement flagrant s’agissant du chapitre qu’il consacre dans L’Autre-mental à l’auteur de science-fiction Philip K. Dick, qui ayant inventé de toutes pièces une « ontologie perspectiviste » en bricolant avec des éléments de psychiatrie empruntés à Minkowski fournit la preuve, s’il en fallait une, que le perspectivisme amazonien est une invention de Viveiros de Castro. Peu importe, évidemment, que le perspectivisme tupi-guarani ait peu à voir avec l’« enchâssement des subjectivités » caractéristique de l’imaginaire schizophrène du romancier californien. Le plus frappant est que, vu depuis cette perspective plongeante, l’imaginaire schizophrène de l’auteur de science-fiction semble ne rien devoir à la schizophrénie pourtant réellement vécue par Philip K. Dick que rapporte son personnage hétéronyme, Horselover Fat, dans le roman autobiographique SIVA – que Déléage se garde bien de citer puisqu’on y apprend que les commutations temporelles accompagnées de xénolalie et de précognition qui foisonnent dans l’œuvre de l’écrivain ne sont nullement des ressorts d’écriture, les ficelles conceptuelles d’une dystopie littéraire faite pour exciter l’imagination asthénique d’un étudiant parisien, mais, en l’occurrence, un savoir schizo, esthétique, direct et lucide, de l’Empire dystopique du capitalisme américain qui, en faisant péter de vraies bombes sur la tête des peuples colonisés, garantit aux amateurs occidentaux de science-fiction le confort nécessaire à leur lecture. A force de ramener l’écriture théorique à des stratégies discursives purement fictionnelles et interchangeables, hiérarchisables selon leur degré de prouesse cérébrale, on finit (si tant est qu’on n’ait pas d’emblée chercher à le faire) par la dépolitiser entièrement. La célébration par L’autre-mental, du modèle formaliste de l’étude de Gregory Bateson sur les dauphins comme caractéristique d’une attention à « la pensée des autres » (opposée à la recherche-invention d’une « pensée autre »), dit bien, d’une part, le projet de renaturalisation cognitiviste de sa discipline que soutient Déléage, et comment ce projet, d’autre part, passe par une nécessaire dépolitisation - c’est-à-dire un négationnisme politique -, quand on sait que l’étude de Bateson anticipait de peu les recherches financées par l’armée US afin d’explorer la possibilité d’utiliser les mammifères marins comme agents d’espionnage et armes de guerre.

De même le grand chaman wayana Pilima auquel notre anthropologue fictiomaniaque consacre une étude dans Lettres Mortes, initiateur d’un cargo contre-anthropologique au début des années 60 en Guyane française – le culte de l’avion Tenkowa –, est-il d’abord pour Déléage un habile manipulateur charismatique. Du langage critique et politique du cargo, pas un mot. Faut-il l’attribuer aux anthropologues ventriloques ? Notre lanceur d’alertes aurait-il – pour préserver l’intégrité politique des indiens – encouragé les gendarmes à chercher, comme ils l’ont fait, chez les anthropologues la machine à écrire qui avait servi à frapper le discours fondateur des luttes autochtones guyanaises prononcé par le Kali’na Felix Tiouka en décembre 1984 à Awala ? Il est vrai qu’il est convaincu qu’il n’existe « aucun fossé conceptuel » entre lui et un quelconque Amérindien « qui ne puisse être comblé avec un peu de persistance amicale ». Il est clair que le discours radical des militants anti-coloniaux de la Jeunesse Autochtone de Guyane (JAG) en lutte contre l’extractivisme et la négation du droit des peuples guyanais à disposer de leur terre et de leurs langues, s’explique par un manque de « persistance amicale ». Nulle doute que si Christophe Yanuwana Pierre, l’un des leaders Kali’na de la JAG, peut mettre en scène dans le film qu’il vient tout juste de réaliser, Unti, les origines, une discussion sur la « bêtise » des Blancs qui veulent tout gouverner, c’est parce que Déléage n’aura pas persisté assez longtemps en Guyane sa « persistance amicale ». L’auteur de L’autre-mental est passé maître dans le redressement des inversions fallacieuses. Sa plus grande réussite aura été d’avoir inversé l’indianisme à rebours qui inspire stratégiquement l’anthropologie critique d’Eduardo Viveiros de Castro, pour rétablir la figure de l’Indien amical, rationnel au quotidien, finalement moins étranger à soi que son voisin de palier – c’est-à-dire plus inoffensif.

C’est sans doute à ce titre que, dans une singulière note de bonne conscience ajoutée au bas de la dernière page de l’introduction de L’autre-mental, il salue les « prises de position » d’Eduardo Viveiros de Castro « en faveur de la défense des droits et des territoires des Amérindiens », « fondamentalement justes à l’heure où le Brésil est dirigé par un gouvernement particulièrement néfaste ». Il est vrai que pour Déléage c’est un maximum auquel il n’a pu lui-même se résoudre. Reste qu’il est de plus en plus étonnant, à l’heure des puissantes luttes indigènes qui ont pris corps dans toutes les régions du Globe, et jusque dans les plus proches périphéries des centres historiques du capitalisme colonial, de voir des intellectuels progressistes européens (comment ne le seraient-il pas ?) rendre honneur au monde académique de « prendre position » pour la défense des peuples primitifs réputés vulnérables. Un honneur d’autant plus remarquable que ces derniers sont agressés par un gouvernement réprouvable – qu’on préfère évoquer par une périphrase plutôt que de lui donner son nom (« fasciste » ou « nazi ») de peur, sans doute, d’évoquer sa proximité complice avec l’histoire européenne récente. Mais Eduardo Viveiros de Castro n’a pas attendu l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro pour s’impliquer dans les luttes « socio-environnementales » et s’opposer activement à la logique appropriatrice et structurellement raciste de l’Etat-Nation brésilien envers l’Amazonie. Engagé déjà comme étudiant dans la cause indienne, il a joué, comme expert, son rôle dans la délimitation - et donc la protection - des terres indigènes Araweté et Kulina et a réalisé un important rapport sur l’ethnocide dans le contexte de la lutte contre la construction du tristement célèbre barrage de Belo Monte. Il fut aussi l’un des participants au lobby pré-Constitution qui a permis de rédiger l’article 231 de la Constitution brésilienne de 1988, article fondamental pour la garantie des droits amérindiens au Brésil jusqu’à aujourd’hui. Co-fondateur de l’Instituto Socioambiental, son action s’étend bien au-delà d’une « prise de position » – en tous cas de celle que s’autoriserait seul un académique blanc, puisque c’est toujours aux côtés des grands leaders Raoni Metuktire, Ailton Krenak, Davi Kopenawa, et de leurs collectifs que Viveiros de Castro milite contre la prolétarisation et la paupérisation des Indiens, et pour leur affranchissement du poison de la citoyenneté brésilienne. Pierre Déléage jugera peut-être que ce sont encore des idées de philosophes du « Quartier Latin ». 

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