De l’huile sur le feu

Belgique : 400 sans-papiers en grève de la faim depuis plus de 40 jours.

paru dans lundimatin#296, le 12 juillet 2021

Depuis fin mai, plus de 400 sans-papiers résidant en Belgique se sont mis en grève de la faim pour demander leur régularisation. Ce texte signé par des Actrices et Acteurs des Temps Présents, Bruxelles revient sur la récente annonce du secrétaire à l’asile et la migration de l’état-nation belge : il refuse de régulariser les grévistes afin « de ne pas mettre de l’huile sur le feu ».

De l’huile sur le feu

Le secrétaire à l’asile et la migration de l’état-nation belge a déclaré, par le biais d’un réseau social bien entendu, qu’il ne régulariserait pas les 450 sans-papiers qui sont en grève de la faim depuis plus de 40 jours maintenant dans une église et deux universités, afin, se justifie-il, « de ne pas mettre de l’huile sur le feu ». Sa motivation n’est très probablement pas le souci de l’intégrité de la démocratie. Tout, au contraire, tend à subodorer que sa motivation est plutôt le plus glacial et cynique calcul électoral.

Nous, pour notre part, nous déclarons que le secrétaire en question a dores et déjà des morts sur la conscience. S’il avait pris la peine de s’informer, il saurait qu’après une si longue période de grève de la faim, les lésions physiques sont irréversibles chez les personnes concernées et que, même si elles arrêtaient leur jeûne dans les jours à venir, le risque qu’elles succombent à une mort prématurée due à l’affaiblissement total qu’elles ont traversé planera pour le restant de leurs jours. Or, les grévistes iront jusqu’au bout parce que l’on ne leur laisse plus d’autre choix. Et nous sommes, de même, convaincus de la réaction du secrétaire à l’asile et la migration si une ou un gréviste décède prochainement : de son cynisme glacial. Son prédécesseur en a bien fait preuve après l’assassinat policier d’une réfugiée âgée de deux ans.

Nous déclarons en outre également qu’il est tout à fait incompétent. Il ne connaît absolument rien à la situation sur le terrain. Sinon il serait conscient de la violence mentale permanente à laquelle sont quotidiennement exposées des personnes ne possédant pas de titre de séjour. Et, pour rappel, nombre d’entre elles sont dans cette situation depuis parfois plus de dix ans. Il serait également conscient de la dureté des conditions de travail auxquelles elles sont soumises et qui sont de l’exploitation en bonne et due forme. Il connaîtrait la précarité inacceptable qui est le lot de leurs vies concernant la dignité humaine la plus élémentaire, notamment en termes basiques de logement et d’alimentation. Et il saurait que, quel que soit le point de vue, les personnes sans-papiers ont été victimes de la manière la plus impitoyable de la crise sanitaire, sans possibilité de travailler, dans accès aux soins de santé. Dès lors nous demandons : quelle est cette démocratie qui laisse un incompétent jouer avec la vie de plusieurs centaines de personnes ?

Avec cela nous déclarons aussi qu’il n’a aucune vision réaliste, et encore moins humaine, ni à court, ni à moyen, ni à long terme, tandis que les revendications des sans-papiers sont tout à fait réfléchies et réalisables. Au moment où nous écrivons ces lignes en extrême urgence, l’ouest de l’Amérique brûle et se consume sous la chaleur, le sud du Madagascar est en proie à la famine ; personne n’est donc plus en droit de refouler l’évidence que les réfugiés climatiques vont se mettre en marche d’ici peu. La solution n’est pas d’être obtus pour un intérêt personnel, mais de comprendre les enjeux de l’interdépendance des formes du vivant. Ensuite, si nous avons dit calcul électoral, se profile au-delà un autre problème, celui du pouvoir, qui est aussi celui d’un porte-feuille. Le secrétaire qui nous préoccupe songe vraisemblablement à un poste plus élevé à l’avenir. Son attitude actuelle ressemble curieusement à celle du président de la Turquie qui n’hésiterait pas à laisser mourir des prisonniers politiques kurdes grévistes de la faim. Et qui, c’est connu, est un exemple en matière de démocratie et de défense des droits humains.

Un contexte de grève de la faim est synonyme d’une violence et d’un désespoir inouïs. Non seulement pour les grévistes, mais pour toutes celles et tous ceux qui les entourent par conviction éthique, par souci d’un monde plus égalitaire et plus créatif. Un gestionnaire politique qui par son attitude pousse des personnes à se coudre les lèvres n’incarne rien d’autre que le discrédit.

Actrices et Acteurs des Temps Présents, Bruxelles

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