Communiqué pour – non pas une grande marche arrière – mais une longue fuite en avant !

paru dans lundimatin#279, le 14 mars 2021

Compañera.o.s,
l’Armée Zapatista de Liberación Nacionale de Rodez vous jette un salut depuis les plaines aveyronnaises.
Nos cris de joie ricochent sur les causses du Quercy. Ils remontent déjà la Dordogne
et résonneront bientôt dans vos cœurs.

Certains d’entre vous songeront sûrement au sous-commandant Marcos et à l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) dans le Sud-Est mexicain, au Chiapas.
Nous le disons d’emblée : ici toute ressemblance serait fortuite.
Nous vivons la tête en bas depuis trop longtemps dans ce monde à l’envers.
C’est pourquoi nos fusils à cauchemar ont tiré sur le miroir déformant du néo-libéralisme.
Derrière cette vitre sans tain se trouvait prisonnière une certaine Alice.
Depuis – au Chiapas, comme à Rodez – le temps s’est assis sur un rocher.
Le lapin et le chapelier préparent déjà le service à thé.
Les armes sont cachées sous la nappe.

Nous entendons d’ici des voix s’élever :

— Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ? Des zapatistes à Rodez qui se prennent pour des mexicains ? N’importe quoi ! Et que viennent-ils faire dans notre région ?

C’est que l’Aveyron, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, la France toute entière, n’existent plus. Compadra.e.s,
vous êtes mexicain.e.s, mais vous l’avez oublié.
Oui, ami.e.s, l’occident a perdu toute sa réalité.
Et les vivants s’agglutinent dans ce no man’s land illusoire.
En vérité nous rampons tous dans la boue de la jungle Lacandone.

— Oh ! De mieux en mieux ! Et qu’y a-t-il sous vos cagoules ? De vrais guérilléros ? Il ne manquait plus que ça ! Des sauvages armés ! Comme si on avait besoin de violence !

N’ayez crainte, frères, sœurs. Pour l’instant nos fusils à cauchemar ne crachent que des fleurs.
Nos oreilles s’ouvrent mieux qu’une fleur de Jacaranda. Notre visage se cache pour mieux apparaître. Notre parole et nos yeux se mettent au service des bras et des jambes.
Il n’y a que nos bouches qui se chargent de bombes. Seul notre regard bande son arc.

— Des guérilleros avec des fusils à fleurs ! Haha ! Des clowns oui !

Nous préférerons le terme de « bouffon » si ça ne vous dérange pas. Des bouffons sans feu ni lieu.
Des acteurs, compadr.a.e.s. Non pas des comédiens. La comédie culturelle ambiante a trop fait le lit d’une tragédie plus grande encore.
D’ailleurs nous y sommes. Ça ne vous a pas échappé.
L’homme moderne s’est pris pour dieu et reçoit le châtiment des dieux.
La fin des temps a une odeur de station-essence.
En attendant la pluie de sauterelles, nous avons troqué nos vieux masques contre des
passe-montagnes.
Qu’avons-nous à faire de la fermeture des théâtres quand la vie se calfeutre entre quatre murs ?
Nos existences se heurtent depuis trop longtemps à des portes fermées.
Pourquoi porterions-nous l’étendard d’une culture en danger quand celle-ci n’est plus un danger pour personne ?
Nous sommes des acteurs, ami.e.s, et nous acterons.
Nous laissons à la comédie française la défense de son répertoire.
Pour les commodités de la guérilla, nous partirons sur les routes, chargés de seulement deux livres :
Le Don Quichotte de Cervantes !
Et un amas de pages, une sorte de roman non édité, à faire circuler sous les manteaux. Ce livre, nous l’avons écrit en marchant. Il est notre cadavre exquis, le miroir de nos aventures. Il s’appelle « Rodez-Mexico ».
C’est l’histoire de Marco, un jardinier communal qui vit dans l’unique pavillon encore debout à l’extrémité de la zone industrielle et commerciale du Grand Rodez. Un jour, la communauté d’agglomération lui apprend son expulsion imminente et, allez savoir pourquoi, il enfile un
passe-montagne et décide de se prendre pour le sous-commandant Marcos. Déguisés en guérilleros mexicains, lui et les siens reprendront leur terre.

Frères, sœurs,
le chemin n’existe pas. Nous le tracerons ensemble.
La première quinzaine du mois d’avril 2021 nous viendrons acter dans votre village,
y planter la graine millénaire de nos rituels.
L’inutilité de nos existences, nous en ferons notre bannière,
car nos chants n’entendent rien au langage des comptables
et c’est tant mieux !
Nous ne serons pas seuls. Quelques dizaines, voire centaines de camarades, forcé.e.s de fermer leurs lieux à double tour, se joindront à notre marche.
Oui, ami.e.s, puisque nous ne sommes plus autorisés à nous réunir dans les théâtres,
nous viendrons chez vous
et c’est tant mieux !

Et si les spectateurs se levaient, hein ?
Alors nous pourrions enfin nous assoir et écouter.
Et peut-être qu’ensemble nous remettrons sur le métier l’art difficile du mentir vrai,
qui est le seul bouclier valable face à l’omniprésence du mensonge.

Accepteriez-vous de mettre à notre disposition votre salle des fêtes ou votre local communal ?
Nous laisseriez-vous organiser des assemblées populaires sur la place de votre village mexicain ?
Nous autoriseriez-vous à y construire une cabane temporaire du peuple appelée La Realidad ?
Participeriez-vous au travaux ?
Les vice-roi et les planteurs de votre contrée s’y opposeront-ils ?
Et si nous invitions tous les sans-noms de votre commune à participer à la fête ?
Désirent-ils connaître ce qu’est un loto zapatiste, un carnaval mexicain ou un concert
d’anarco-mariachis ?

Nous rêvons d’écouter les récits de tous les non-nés de votre village — ceux dont la mort ne compte pas.
Accepteront-ils de nous ouvrir leur porte ? Se souviendront-ils de leur mexicanité ?
Viendront-ils chanter avec nous ?
Tolèrerez-vous la présence de notre radio libre ? Le placardage de nos communiqués ? Nos visages de professionnels de la violence ? Et notre caméra pare-balles ?

Salud et
comme dirait un camarade mexicain :
« Il est plus facile de retourner le monde
que d’apprendre à marcher sur la tête. »

Ya Basta !

Le Comité Indigène Révolutionnaire de Rodez : Sub-commandante insurgé Marco. Commandante Tacho. Soldatera Guadalupe. Juanito Granesitas. Juan Guillermo y Tristán – anarco-mariachis.

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