Bruno Latour - La fuite planante sans atterrissage

« Les compromis, les accommodements, le parlementarisme ! » - Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#274, le 8 février 2021

Comme à son habitude, Jacques Fradin nous fait part d’une analyse politique précieuse. Si le développement est assez long et serré, il n’en est pas moins urgent au vu de la vitesse de propagation de ce qu’on pourrait appeler le « latourisme de gauche ». L’article montre en quoi Latour, qui refuse constamment les catégories de la modernité, prophétise en fait comme un penseur naïf des Lumières, comme si ses bonnes idées allaient se réaliser par elles-mêmes et par le biais des consciences qu’elles convertissent. Plus profondément, il n’y pas, chez Latour, de pensée du conflit, de l’antagonisme, pourtant premier selon Fradin, qui fait jouer contre « Saint Bruno » une référence à l’opéraïsme italien. Au lieu de ça, c’est la diplomatie, la discussion, le parlement comme mode de vie que tente de penser Latour.

Très récemment, fin janvier 2021, le très connu philosophe médiatique Bruno Latour a publié une sorte « d’appel » ou de programme messianique, dont il a la spécialité.
Où suis-je ? Leçons de confinement à l’usage des terrestres, 21 janvier 2021.
Ouvrage qui doit se lire avec un ouvrage précédent, du même style « annonciateur » ou évangélique ˗ mais y a-t-il un autre style chez Latour ?
Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ? Octobre 2017.
Bien entendu, en notre époque de désorientation radicale [1], parler « d’orientation » ou de réorientation, ne peut être qu’un article vendeur.
Et pour Bruno Latour, un article tête de gondole ou de promotion de « l’hypothèse Gaïa » (James Lovelock, 1970, ce que nous nommerons « écologie intégrale », l’écologie de l’Encyclique Laudato si, de 2015).
Tout le monde connaît la richesse et l’inventivité de Bruno Latour, autour de cette « hypothèse Gaïa » [2].
Mais ce qui va nous intéresser ici est la dimension proprement politique des inventions de Latour ; « politique » étant pris (par Latour) au sens le plus conventionnel « d’application » de thèses générales (le programmatisme) ; politique étant donc pris en un sens positiviste (ce qu’il est plus habituel, selon Foucault Rancière, de nommer « police ») [3].

A priori, mais après une longue méditation de plus de 10 ans (à étudier les thèses de Latour), « la réorientation politique » que vend Latour, quoique ayant un programme ébouriffant « écologiste radical », bien qu’étant un programme maintenant « commun », celui d’une ontologie plate, « au-delà de la nature et de la culture » (Descola), cette supposée « réorientation politique » s’avère d’un « traditionalisme » déconcertant [4], voire d’un conservatisme prétendument « apolitique ».
Et, ici, le terme « traditionalisme » n’est pas pris au sens « révolutionnaire » que voudraient lui donner Bruno Latour ou Pierre Caye (voir note 3), mais au sens le plus bête (ou plat), celui d’un défaut d’invention politique.
Et voilà la contradiction (qui va guider notre critique) : à une invention évangélique (messianique) époustouflante se conjugue un conservatisme politique écrasant.
Et plutôt que d’inventer un nouveau monde « idéal » ou « thétique », il vaudrait mieux inventer de nouvelles formes politiques ; de nouvelles formes de lutte. Nouvelles formes qui ne sauraient être le recyclage des plus « traditionnelles » ˗ en politique « l’économie circulaire » (des circuits) est mortelle ; il s’agit toujours de « retours » réactionnaires.
Autant Bruno Latour met en musique symphonique, à la Bruckner, l’écologie intégrale style Pape François, autant sa fameuse (mais fumeuse, sinon fumisterie) « réorientation politique » s’avère « traditionaliste », au mauvais sens de conservateur ; une politique d’universitaire bien trop normative (et morale).
Nous sommes face à un corps mystique lumineux, mais un « corps sans organes » ou, au moins, sans bras ni main (réactivant le plus vieux débat sur « les mains sales »).
Le corpus de « la réorientation politique » s’avère décevant, exactement « déceptif », mensonger.
Car Latour ne propose rien de mieux qu’une « rénovation parlementariste », un parlement étendu ou une salle de discussions généralisées et « diplomatiques » ˗ la diplomatie étant le motif central de la politique de Latour ; sans que les compromis et les compromissions ne soient pensés comme contradictions, et, donc, antagonismes.
Il semble exister une fracture, que nous analyserons comme contradiction (ou aporie), entre l’appel évangélique, le grand poème lyrique pour Gaïa, et la réorientation messianique que cet appel devrait induire, réorientation qui, cependant, ne se ramène à rien d’autre qu’à une remise en route du « réformisme » le plus classique.
Réformisme positiviste « moderne » qui se heurte à la profession de foi « anti-moderniste ».
On sait que cela est le défaut mortel de toute l’écologie inventive ou poétique ; se voulant « en même temps » programme politique concret, positif, affirmatif, cette écologie « réaliste » tombe (ou retombe) dans l’idéalisme le plus éculé, celui qui croit en la possibilité de convertir par les idées. Celui qui pose (encore) que « nous sommes en démocratie ».
Parce que la question politique est prise de la manière la plus classique, c’est-à-dire positiviste, d’abord formuler des thèses (éthiques disons, thétiques exactement) puis ensuite penser aux applications, le prophète Bruno Latour s’inscrit dans une longue lignée « moderne », réaliste, lui qui est un fervent critique de la modernité (mais d’une modernité qu’il a bien encadrée pour effacer son modernisme politique, son pragmatisme).
La fracture entre l’appel évangélique et la réorientation politique se double d’une aporie, l’aporie du moderne anti-moderne.
Quelle est la contradiction qui brise le corpus de Latour ? La croyance « moderne » en la possibilité de « convertir les consciences » sans autre appareil que la trompe de Jéricho, par la seule « force » des idées (« géniales »).
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée. Mais jamais les murailles ne tombèrent !
Misère de l’évangélisme trop affirmatif (et il faudra revenir sur le caractère de Latour, d’être un philosophe chrétien).

Pour Bruno Latour, de manière trop moderne ou trop positiviste, la politique vient APRÈS les formules normatives (ou les sonneries des trompettes de la renommée) ; elle s’expose alors comme police, gestion, éthique appliquée, morale politique.
Bruno Latour a manqué la révolution opéraïste (qui n’est certainement pas son « horizon »), révolution (post-moderne si l’on veut) qui implique qu’il faut toujours penser le conflit, l’antagonisme AVANT (avant toute éthique qui ne serait pas éthique du conflit, éthique politique).
La politique de Latour, n’étant pas une politique des luttes et des antagonismes, ne peut certainement pas nous « réorienter » (Latour a une très mauvaise vue sociologique).

Notons, de plus, que Latour évite ou contourne la question du déni, de la dénégation, de la forclusion, évite la question du conflit avec ceux qui refusent volontairement de s’ouvrir à la conscience (comme les climatosceptiques militants). Contrairement à ce que pense Latour (et à ce que d’autres pensaient, au début) le confinement n’a pas été un opérateur de « conversion » idéologique, par exemple en retournant l’inconscience écologique (souvent volontaire, cynique) en conscience « claire » des « limites écologiques ». Au contraire, le confinement a exacerbé les positions négationnistes, climatosceptiques ou coronasceptiques. Au contraire, le confinement a exacerbé la violence (objet qui n’existe pas dans le vocabulaire politique de Latour ˗ Latour mise tout sur la diplomatie). Le confinement a exacerbé le conflit entre ceux qui veulent continuer (à gagner leur vie) et ceux qui veulent bifurquer. Ceux qui veulent continuer (veulent le retour à la croissance) se sont radicalisés, poussés souvent par le désespoir ; leur inconscience (écologique) est une conscience (économique), c’est une inconscience volontaire, l’inconscience du « je ne veux pas savoir, il faut que je survive ».
Comment alors se comporte Latour devant le négationnisme organisé politiquement ?
En quoi peut nous aider sa réorientation, lorsqu’on jeté au milieu d’un grand conflit, grand conflit que Latour refuse d’analyser ?

Aujourd’hui, la forme la plus parfaite de ce que l’on nommait, dès le 19e siècle, « réformisme », ou, aujourd’hui « extrême centre », cette forme épurée paraît sous le nom de Bruno Latour.
Nous nous ne intéresserons donc pas à l’ontologie de Bruno Latour (voir note 2), ni, surtout, à son recyclage d’idées écologiques maintenant bien connues, l’idée du système Gaïa, idées, du reste, repeintes aux couleurs chrétiennes ˗ après le christianisme social, paraît le christianisme écologique (de « l’écologie intégrale ») ; à quand le Jean Paul II de la chasse aux théologiens de l’écologie ?
Nous nous intéresserons à ce que les philosophes allemands, Habermas en particulier, Habermas qu’il faut toujours lier à Latour, à ce qu’ils nomment « contradiction performative ».
Définissons cette « contradiction », que nous avons déjà introduite, avant que de l’analyser un peu.
Contradiction performative de Bruno Latour : chacun sait que Latour a pour bête noire « la modernité » et les « modernes » (« Modernes » avec une majuscule dans le dernier ouvrage messianique Où suis-je ?) ; et qu’il tente de penser un mouvement rétrograde (ou de fuite) « anti-moderniste », mais mouvement qui ne serait pas réactionnaire, au contraire, puisqu’il donnerait toute sa place à une intégration plus universelle ˗ disons un mouvement vers un nouveau « totémisme », pour suivre les classifications de Philippe Descola ; néanmoins, dans ce mouvement de critique du modernisme (ou du « naturalisme », toujours pour suivre Descola), il y a un reste de modernisme non critiqué, il y a un nœud moderniste que Latour ne parvient pas à dépasser, parce qu’il ne le pense pas (il n’y a pas de pensée politique chez Latour) ; ce nœud moderniste, que Latour ne pense pas, est, justement, le thème de la critique ; et, exactement, le thème, si moderniste, que la critique aurait, d’elle-même ou en elle-même, un effet politique ; que la critique serait le vecteur de « la conscientisation », que la critique « servirait » à conscientiser puis à mobiliser.
Vieux thème marxiste, que le marxisme repensé a dû critiquer ou déconstruire !
Car la politique (de la critique) de Latour méconnaît autant la déconstruction que le post-modernisme : pourquoi ce qui vient après la modernité ne serait-il pas la post-modernité, et non pas une bifurcation imaginaire entre les catégories (descriptives) de Descola ?
Il n’y a rien de plus classique (et réformiste) que la politique de Latour, parce qu’elle se place au niveau de l’analyse critique, mais sans critiquer cette position critique. La politique de Latour se place au niveau des projets ou des programmes, projections (éthiques normatives) qui restent virtuelles ou idéales, comme on aurait dit autrefois. Le matérialisme de Latour ne s’étend pas au politique.
Mais, maintenant, contrairement aux vieux marxistes et à tous ceux qui partagent les mêmes croyances que Latour (en l’efficacité de la critique) ˗ tous les réformistes intégrés au système des dialogues parlementaires ˗ « nous savons », « nous » qui avons vu passer la tornade fasciste, nous savons que la critique est impotente, que la critique est sans effectivité ou efficacité, critique de la raison critique !
Latour maintient donc ce qui est une pièce essentielle de la modernité, la croyance en la force politique de la critique (ce qui nous ramène au 19e siècle ultra-moderne).
Voilà donc la contradiction performative : alors qu’il critique sans relâche le modernisme (au nom d’un nouvel « ensauvagement »), Bruno Latour maintient un nœud essentiel du modernisme, la croyance en la vertu du dialogue argumenté ou de la critique développée.
Là où Latour se révèle habermassien.
Cette contradiction pourrait se nommer « nouvel idéalisme ». La contradiction ne se tient pas au niveau de ce qui est dit, le magnifique poème lyrique à la Terre Mère, ou la grande synthèse écologique (qui, encore une fois, n’est pas propre à Latour), mais au niveau ce qui est fait, qui, pour Latour, consiste à introduire une nouvelle discussion de salon universitaire.
Latour ne peut « nous orienter » parce qu’il ne voit même pas la guerre en cours (entre l’économie et l’écologie, disons).
La structure du messianisme de Latour est tout à fait moderne (« hugolienne »), héritière intégrale des Lumières (tamisées), mais certainement pas des Lumières radicales.
Latour parle souvent de « magie », sans doute se rêve-t-il « magicien » (à l’ancienne) ; lorsque l’on pouvait encore croire au pouvoir magique du langage critique ; sans avoir besoin d’investissement ou d’organisation politique.
Au lieu de nous orienter, Latour nous désarme et nous rend incapable de prendre parti dans le conflit qui enfle. Il laisse la voie libre aux forces négationnistes.
Les magnifiques pensées « retournantes » de Latour doivent toujours se lire au second degré : ce qu’il dit est certes amusant (les républiques des termites), mais ce qui importe est ce qu’il peut en résulter (la réalisation) : comment ce messianisme poétique peut-il advenir ?
En « oubliant » totalement la question de la réalisation (qui s’effectue « par magie ») Latour se rend incapable de penser le monde, qui est le monde de la lutte.
Latour ne se positionne même pas comme « un grand poète » ; il se place comme un stratège politique !
Mais comment devenir stratège lorsque l’on évite, comme la peste noire, les questions de conflit, d’oppositions (vite armées), la question de l’antagonisme ?
Latour est en recul par rapport au marxisme qui lie, depuis toujours, contradiction et lutte, armée le cas échéant.
Ici, précisément, la contradiction performative ne pouvait se résoudre que par la constitution d’une force ; tout langage n’est performatif que par force : Latour retient ce thème pour critiquer la modernité (qui place les jeux de force au centre de la pensée, comme l’exploitation coloniale) tout en voyant pas que la critique qu’il adresse à la modernité s’applique à son propre discours, dont il ne thématise pas « la vanité ».
Latour n’est pas capable de voir la difficulté immense de cette question de « la force », il préfère l’éviter (ne se plaçant en aucune manière au niveau de Carl Schmitt ou d’Agamben, penseurs de la souveraineté).
Latour se range alors dans le camp des gentils réformistes démocrates (théorisés par Habermas). Ceux des négociations (mais comment négocier avec ceux qui ne veulent pas négocier et préfèrent les actions suicides ? Comme les consommateurs « possédés » ?). Ceux des petits pas ou ceux de l’éducation critique (mais nous sommes renvoyés au 19e siècle d’avant le fascisme). Tous les écologistes inventifs, poétiques, programmatiques (« décroissants »), mais qui attendent « les tartares » (ou qui construisent des abris face au désert qui croît).
On peut, du reste, reformuler la contradiction performative (de Latour) de la manière suivante : Latour critique la modernité comme position « hors sol », la position de l’Univers contre celle de la Terre, ; mais son discours est infiniment moderne qui ne voit pas sa propre position « hors sol », virtuelle ou idéale. Certes, « le sol » n’est pas le même dans chaque cas ; mais la question est bien celle de savoir de quel « sol » il faut d’abord parler : de la lutte ou de l’amour (chrétien) ?
« La Terre » n’est pas un lieu dialogique habermassien où se rencontrent des « diplomates » ˗ on sait que « la diplomatie » est une figure habermassienne centrale pour Latour, le dialogue, la discussion, la conviction rationnelle et finalement la conversion qui ne serait pas le fruit d’une offensive armée. Comment Latour peut-il imaginer que ce qu’il reproche à la modernité (sa violence) ait disparu comme par « magie » (la magie de Latour) ?
« La Terre des Hommes » est le lieu de la guerre éternelle. La Terre est bien plus dangereuse (et vide de sens) que l’Univers.
« L’Homme » n’est pas un « vivant » comme les virus, les microbes ou les loups, l’homme est le chasseur qui a muté en guerrier.
L’imaginaire moderne de la conviction ou de la conversion rationnelle argumentée se heurte à ce massif gigantesque, auquel s’est déjà heurté le marxisme humaniste et bienveillant, réformiste, parlementaire ˗ le thème parlementaire ou diplomatique si essentiel pour Latour ˗ le massif de la guerre.
Et si Badiou met « la réalisation » et donc la violence constructive (la souveraineté) au centre de sa description du Siècle, Latour, façon nouveaux philosophes, fait tout ce qu’il peut pour enjamber le thème de la révolution.
Nietzsche aurait dit de Latour : c’est un décadent !
Autrefois, lorsque le modernisme commençait à se critiquer lui-même (façon Nietzsche), on aurait posé la question qui résume tout : combien de divisions ? ou encore : où mettez-vous les luttes des classes ?
Encore une fois, la lutte, la guerre, le conflit, l’antagonisme, voilà tout ce qui manque à Latour.
Et qui fait qu’il n’est ni philosophe, ni sociologue, ni prophète.
Et qui fait que son écologie intégrale reste emprisonnée dans un mirage (on aurait dit) humaniste, ou, plutôt, chrétien, « la bonne volonté » ou « la bonne foi ».
La bonne volonté (cible ironique de la psychanalyse) qui soutient (à vide) le modernisme refoulé de Latour, voilà ce qui caractérise « la gentillesse » de Latour : l’absence totale de signification du projet de Latour.

Quelques commentaires d’extraits choisis de "Où suis-je ?"

Bruno Latour propose une politique en termes de « description » et non pas de conflit ; ce qui signifie qu’il ramène la politique à un jeu de rôles, tout à fait virtuel (avis aux entrepreneurs de starts up ludiques). Ou, peut-être, Latour ramène-t-il la politique à une réunion des alcooliques anonymes (avec la diplomatie nécessaire) ? Ou des Témoins de Jéhovah ?

« On approche du milieu, il faut se décider, on se révèle, on va parler de soi, ou, mieux, de ce qui fait vivre. »

« Le centre du creuset se trouve à l’intersection exacte d’une trajectoire qui va du passé, tout ce dont j’ai bénéficié pour exister, pour croître, parfois même sans m’en apercevoir, sur quoi je compte inconsciemment et qui, peut-être, s’interrompra avec moi, par ma faute, qui n’ira plus vers l’avenir, à cause de tout ce qui menace mes conditions d’existence et dont je n’avais pas conscience non plus. » (104)

Encore une fois cet appel à « la conscience » ou à « la conscientisation », devenir éveillé, lucide, dégrisé, tout cela est très moderne.
Opposons le premier Sloterdijk, critique de la raison cynique, 1983, et suivons la trajectoire du Sloterdijk suivant, devenu, évidemment, cynique. Et père de famille.

« C’est un jugement que vous portez avec les autres qui vous aident à jouer sur cette marelle, en répondant aux questions sur ce qui vous fait vivre, ensuite sur ce qui vous menace et, enfin, sur ce que vous faites ou ne faites pas pour contrer cette menace. Rien de plus simple, rien de plus décisif. » (106).

Encore une fois pour les entrepreneurs de jeux virtuels, renvoyons au jeu de « la conscientisation » des pages 106 à 110.
Avec un titre possible : apprendre le dialogue et la diplomatie.
Le messianisme de Latour est donc à la fois très mode et très consensuel (la nécessité du consensus).
Mais ce messianisme mode se place au milieu d’une démultiplication « sauvage » des formalisations écologiques, autour de Gaïa ou de La Terre (Mère) ou du système Terre (avec ses interdépendances maternelles ou bouddhistes).
Ce qui est alors frappant (et exige une analyse de second degré) est cette démultiplication commerciale, cette pulvérisation de l’offre.
Néanmoins il existe un centre commun à cette démultiplication de l’offre écologiste : l’exhalaison d’une odeur catholique assez insupportable, une transpiration rance qui vient du commentaire générique de l’Encyclique Laudato si, avec son écologie intégrale (que formalise Latour) et sa visée de sauvegarde de la création (toute la création).
Latour critique « les Modernes » au nom de l’écologie intégrale Terrestre ; mais il reste enfermé dans la définition (Moderne) du politique comme espace de résolution pacifique des conflits par le dialogue argumenté (ou par « l’agir communicationnel »).
Le pas de côté messianique de Latour s’inscrit dans la bonne vieille croyance (Moderne) de la force des idées.
Sans surprise la politique de l’écologie intégrale implique que le conflit doit se dissoudre ou se résoudre par des institutions de « discussion » ˗ parlementaristes ou des sortes de tribunaux de paix.

« S’il y a superposition et empiètement [les effets externes des économistes] il doit y avoir quelque chose comme un problème public et donc une forme d’institution capable de reprendre la question de la répartition des formes de vie, inexorablement intriquées. » (99)

« De telles institutions n’existent pas. Très bien, nous savons maintenant où nous situer : les Terrestres se sont remis du crash de l’Économie et ils s’installent pour bâtir de nouvelles institutions. » (100)

Quoi de plus moderne que cette reprise du thème du pouvoir constituant ?
Mais reprise irénique. Certainement pas léniniste !
« Pour commencer que chacun reprenne langue avec son voisin. »
Et, encore, jamais n’est soulevée la question politique de l’impossibilité de « cette prise de langue en commun » [5].
À quoi ressemblerait une diplomatie des holobiontes ? (Nous laissons le lecteur découvrir ce qu’est un holobionte).

« C’est bien la nature même de la diplomatie de saisir les limites de toute notion de limite. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de cet art si ancien (la diplomatie) les ressources de la négociation viennent toujours de la redéfinition de ces fameuses lignes rouges. À chaque fois, l’art subtil des diplomates [du Vatican, par exemple] vient de ce qu’ils modifient les intérêts en modifiant les identités. On ne fait pas rentrer les holobiontes, ces superpositions de monades, à l’intérieur des frontières. » (137)

Ajoutons : à chaque fois l’art subtil des diplomates, la discussion, la négociation, se volatilise ˗ si le diplomate n’est pas pris en otage.
L’art de la diplomatie : il faut que cesse la guerre, une temporisation, pour que la discussion reprenne, jusqu’au prochain conflit.

« Les arts de la diplomatie retrouvent simplement leur vocation première en sachant que chaque limite en dissimule une autre. » (139)

Ajoutons : les arts de la diplomatie retrouvent leur vocation première de négocier (parlementer) des traités, lorsque les guerres s’interrompent ; mais le diplomate sait qu’il accompagne les jeux de force et que les discussions, négociations, parlotes, lorsqu’elles ne sont pas des mascarades ou des ruses, ne sont que des moments passagers entre les guerres infinies ˗ comme les institutions ne sont que des armistices pour permettre à la guerre de reprendre.

Bruno Latour, politiquement (au sens de : comme application virtuelle de son éthique normative), ne propose rien de moins qu’une « bifurcation révolutionnaire » (qui, certes, ne lui est pas propre), qu’une bifurcation d’une manière d’être à une autre, ou d’une réalité à une autre.
Ou, plus précisément, en suivant Philippe Descola, une bifurcation d’une manière de répartir continuités et discontinuités entre l’homme et son environnement, à une autre manière ; et, par exemple, toujours en suivant les classifications de Descola, Bruno Latour ne propose rien de moins qu’une bifurcation révolutionnaire hors du « naturalisme » (définissant l’Occident) et vers, disons, « le totémisme », bifurcation d’une formule d’être à une autre ˗ de nouveau un retour (si classique) à une sorte de « primitivisme », cette fois-ci hyper conceptualisé [6].
Cela nous menant bien au-delà des classifications anthropologiques, qui ne sont que descriptives, des classifications de Descola (nous retrouvons alors le plus vieux problème « moderne », positiviste, et même marxiste, de la transformation d’une science empirique descriptive, l’histoire par exemple, en technologie politique, avec les lois de l’histoire pour suivre l’exemple marxiste).
Latour imagine que « la redescription », par exemple la mobilisation du totémisme (ou de toute forme « primitive »), peut devenir « le socle » d’une révolution ˗ toujours l’idéalisme.
Alors que le problème, indépendamment du contenu merveilleusement éthique (de la bifurcation promise ˗ il faudrait parler longuement des promesses messianiques), est celui de la possibilité de la révolution.
S’il y a révolution ou bifurcation, chez Latour (mais y a-t-il une telle pensée ?), elle reste complétement emprise dans une vision technique, moderne, un art de la discussion, des négociations diplomatiques, bref Habermas.
Vision qui nous ramène (voilà le primitivisme) au plus vieux conflit, réactualisable à la demande, entre réforme et révolution (la révolution n’est plus à la mode, c’est tout ce que l’on peut dire ; mais les modes changent, par définition).
Encore une fois, qu’est-ce qui manque à Latour ? Tout simplement une pensée politique ! Alors qu’il parle sans cesse de politique (sans savoir de quoi il s’agit). Mais ne parle en fait que de normes idéales qui devraient s’imposer par leur valeur morale !
Croyance idéaliste que la beauté morale (« platonicienne ») d’un projet suffit à assurer son efficacité ! Suffit au rassemblement des « bonnes âmes » !
Quitter la modernité, c’est abandonner ce type de croyance (positiviste), et mettre au point de départ (« matérialiste ») l’antagonisme ˗ la beauté morale du programme est subordonnée à la capacité à se mettre en lutte (reprendre Comment généraliser la révolution copernicienne opéraïste, LM 108, 13 juin 2017).

Finalement Bruno Latour n’est ni philosophe, il ne pense pas la réflexivité (il ne se critique pas lui-même et n’analyse pas ses limites, politiques), ni sociologue ou anthropologue, ses descriptions sont trop normatives et préorientées, ni politiste, il y a une absence bruyante de toute pensée politique, autre qu’une reprise non thématisée (non réflexive) des plus vieux conflits politiques du 19e siècle (Latour connaît-il l’Opéraïsme ?).
Le christianisme d’appareil, qui parle par la bouche d’or de Saint Bruno (relire l’Idéologie Allemande), s’exprime toujours par un discours de paix, vantant les discussions et les négociations (le fond de commerce du Vatican, aujourd’hui, que l’Église n’est plus une force politique), alors que cet appareil a été partie prenante de conflits les plus désastreux (on retrouve l’idée que la diplomatie vient après la guerre, en attendant la prochaine ˗ voilà pourquoi l’art diplomatique est « insubmersible » : la guerre est illimitée).
Maintenant, si l’on met l’antagonisme, la lutte, le conflit, au point de départ des analyses (le réel est le conflit), alors il faut « bifurquer » hors des constructions idéales poétiques et accéder au véritable matérialisme de l’antagonisme [7].

Finissons par une énigme.
Posons une question (ou un problème) style philosophie analytique.
Soit le slogan : vous voulez vivre une « vraie vie », « pleine », dynamique, aventureuse, en prise sur la réalité, loin des abstractions (ou prises de tête) philosophique, une vie toute d’efficacité, une vie réorientée, ENGAGEZ-VOUS !
Chez les SS par exemple !
Comment Bruno Latour, qui connaît bien la philosophie analytique américaine (branche philosophique qui aime les devinettes), « analyserait-il » ce slogan ?
Précisons un peu (quoique l’objet de l’énigme soit de laisser le lecteur à la méditation) :
Comment Bruno Latour « analyserait-il » (en termes de philosophie analytique) la RÉSISTANCE à l’idée (abstraite et philosophique) de bifurcation écologique ?
[Élément de réponse : on retrouve la contradiction performative ; l’idée de bifurcation est normative, bien que cachée par sa beauté aguicheuse ; elle ne peut qu’impliquer la guerre, surtout si elle se pense comme norme absolue. Ou « diabolise » les ennemis de La Terre.]
Comment « analyser » la résistance (au programme écologique « incontestable ») ou le rejet, rejet d’autant plus fort que l’idée mirobolante prétend à la concrétisation (toute de corruption ˗ il faut examiner en détail comment le programme se réalise) ?
L’alliance sociale démocrate écologiste s’affirmera-t-elle, par petits pas réalistes, et convertira-t-elle les consciences ? Au terme d’un mouvement historique convergent (eschatologique) la conspiration écologiste intégrale deviendra-t-elle hégémonique ? Et favorisera-t-elle le transport (avec traduction) du bouddhisme en occident ?
Le militantisme classique, celui que reconduit Latour, mais sans critique ni réflexivité, ce militantisme positiviste, basé sur le principe (à la Auguste Comte) de la réalisation d’une idée, et donc constitué comme procédure technique, ce militantisme peut-il auto-critiquer son appartenance à la modernité ? Et donc se prévaloir de porter la paix plutôt que la guerre (auquel cas il devrait changer de registre) ?
Voilà une liste limitée de présupposés, ou d’évidences, que Bruno Latour, contre lui-même, pousse à déconstruire.

Notes de rédaction

Suite à un article de Médiapart :
Bruno Latour pense le confinement comme une répétition générale, Joseph Confavreux, 31 janvier 2021 ;
Suite à l’étude d’un (nouvel) ouvrage sur « la décroissance » :
Ekaterina Chertkovskaya, Towards a Political Economy of Degrowth, Transforming Capitalism ;
J’ai recherché (et retrouvé) un (plus) ancien ouvrage sur les fondements philosophiques des mouvements écologistes radicaux :
Michael Zimmerman, Contesting Earth’s Future, Radical Ecology and Postmodernity,
Ouvrage de 1994.
Puis je suis revenu sur la question de la politique liée à cette écologie radicale :
Michael Oliver, Deconstructing Undecidability, Derrida, Justice and Religious Discourse.
L’ouvrage de Michael Oliver n’étant qu’une introduction pratique à la question de « la réalisation » (des appels prophétiques), question également traitée (mais de manière différente) dans les deux ouvrages précédents.
Ensuite, ainsi préparé, je me suis mis à relire le dernier (récent) ouvrage (toujours prophétique) de Bruno Latour :
Où Suis-je ? leçons du confinement à l’usage des terrestres.
Bruno Latour prophète (ou messie) dans la grande famille des prophètes écologistes (souvent apocalyptiques, ou « collapsionnistes » collapsonomes).
D’où la reprise de cette si vieille question des politiques « eschatologiques », religieuses ou sécularisées.
Question que je théorise depuis si longtemps (comme critique du marxisme prophétique).

Mais je n’ai pas cherché à reprendre toute la question : ce serait impossible (et il faudrait toujours remonter au christianisme antique, d’avant la normalisation impériale de Justinien).
Donc j’ai isolé Bruno Latour (fervent papiste), tout en le considérant comme un élément générique représentatif de ce courant prophétique (si typique de l’antiquité chrétienne, là où s’est déchaînée « la concurrence des messies », ou encore « la concurrence des évangiles » si l’on suit Sloterdijk, Sloterdijk que je mettrai à contribution ; « concurrence » que l’on retrouve dans l’écologie – et il serait tout à fait intéressant de comparer « les temps apocalyptiques »).

Mais, spécifiquement, j’ai été piqué ou énervé par ce cliché, repris par Bruno Latour, cliché selon lequel le confinement, et donc l’épidémie (fléau de dieu), serait un accélérateur de changement des « consciences », rendues « écologistes » (avant on aurait dit : converties à la peur de dieu, ou à la morale chrétienne, ou, soyons marxiste, converties à la révolution par la crise générale, etc.). Cliché éculé donc !
Car rien n’est plus faux, que cet imaginaire de « la conversion ».
Renvoyons aux impasses du marxisme qui attendait la crise. Et a reçu le fascisme !
Il est donc totalement faux de croire que le confinement est un accélérateur de quoique ce soit (sinon d’une nouvelle réorganisation du travail, encore plus despotique).
On pouvait croire cela en mars ou avril 2020.
Il y a même eu une logorrhée vomitive sur ce thème. Mais logorrhée médiatique qui n’indiquait qu’un manque de pensée historique (des anciens chrétiens aux marxistes, l’apocalypse n’est jamais survenue).
Je n’ai jamais cru à ce cliché du « retournement des consciences », pas plus que je n’ai jamais cru à ce cliché (marxiste) que la révolution était au bout de la crise.
Maintenant tout est plus clair (sauf pour le pauvre Saint Bruno, qui aurait dû réécrire son appel prophétique).
Maintenant nous sommes (revenus) à la période « du lâche soulagement ».
Soulagement : rien ne changera, tout va redevenir comme avant (et mes sports d’hiver ?).
Vive la technique (sotériologique) !

Il m’a semblé important d’analyser l’ERREUR de diagnostic de Bruno Latour (Saint Bruno considéré comme élément générique d’une tribu de prophètes écologistes).
L’erreur de Saint Bruno est une erreur commune dans l’écologie, disons « realo », ou dans la gauche alternative de gouvernement (je renvoie aux textes « délirants » de mars avril 2020).
Cette erreur étant celle du marxisme apocalyptique, il était évidemment facile de l’analyser ; il suffisait de déplacer les plus vieilles disputes (sur la crise, révolutionnaire ou pas, sur le réformisme historiciste ou quiétiste, puis collaborationniste, l’accélérationnisme avant la lettre).
Résumons : l’erreur de Bruno Latour est une erreur d’analyse politique, exactement une erreur d’analyse DU politique.
Et si l’on « corrige » cette erreur (ce qu’a fait tout le marxisme post-opéraïste), c’est TOUTE la pensée prophétique de Bruno Latour qui est mise en cause.
Spécifiquement, c’est « le réalisme spéculatif » étriqué de Bruno Latour qui est critiqué (toute la « sociologie » des holobiontes devient sans signification).
J’ai essayé de faire penser que TOUT le système Latour (de « l’écologie intégrale ») était à critiquer.

Mais je laisse la tâche de la critique complète à d’autres ; je me contente d’en définir l’axe principal.

L’ouvrage sur la décroissance (degrowth), cité au début de cette note, est particulièrement important, comme « évangile concurrent », mais beaucoup plus réflexif (ou auto-critique) que l’évangile de Latour (qui est plein de vanité, ce péché essentiel).
Je n’ai pu parler de cet ouvrage important (et des autres cités au début) parce que cela m’aurait obligé à rentrer dans les détails des programmes prophétiques concurrents.
Ces programmes n’ont, finalement, pas d’importance ; et, donc, il ne servait à rien de gâcher du papier (et des forêts).
Il faudra, sans doute, que quelqu’un reprenne le travail de Michael Zimmerman.
Mais le problème qui importe est celui de « la réalisation de ce réalisme (magique) ».
Et de sa corruption si prévisible. Les compromis, les accommodements, le parlementarisme !
Renvoyons, pour finir, au conflit allemand entre les realos (réalistes) et les fundis (puristes).

[1Sur cette question cliché de la désorientation générale, reprendre la chronique de Paul Preciado, Médiapart, en particulier le dernier épisode, Assaut contre le Capitole, Retour sur l’esthétique néofasciste des pilleurs, Médiapart du 1er février 2021.

[2Comme il ne saurait être question ici de présenter les thèses « écologistes intégrales » de Bruno Latour, nous renvoyons à un ouvrage d’introduction de Graham Harman, un des protagonistes du « réalisme spéculatif »,
Bruno Latour, Reassembling the Political, 2014.
Voir aussi :
Bruno Latour, Graham Harman, The Prince and the Wolf, Latour and Harman at the LSE (London School of Economics), conférence de 2008, publiée en 2011.

[3Cet article est le complémentaire de celui sur la révolution Grothendieck (LM 272, 25 janvier 2021) :
Révolution Grothendieck : introduction de la puissance réelle, penser en réel, penser que toute réalisation est corruption ;
Rétrovolution Latour : penser en termes d’immanence absolue, penser qu’il y a une ligne continue qui mène du réel (l’invention poétique de l’écologie intégrale) à la réalisation, un plan d’immanence continu.
Latour ne se pose ni la question de la rupture (contradiction) réel / réalité (ce réel n’est pas introduit, tout est de l’ordre de la réalité ˗ par exemple, Latour rejette la psychanalyse), ni, a fortiori, celle de la « dialectique » réel / réalité ; il imagine que l’invention poétique peut se réaliser « sans biais » et au simple titre de « la prise de conscience ».
Latour n’analyse pas réflexivement la question de la corruption, qu’implique toute réalisation ; question qui se pose pourtant pour cette « politique diplomatique » faite de compromis et de compromissions : que va faire « la diplomatie » des projets messianiques ?
Pour utiliser une classification à la Descola (anthropologue qui inspire Latour) nous pouvons dire que Latour appartient à la classe de « la philosophie standard » (moderne) ; classe que l’on peut résumer sous le nom de « première phénoménologie », celle, classique, de Husserl, mais que l’on retrouve encore chez Sartre (l’existentialisme).
Et bien que relié à la sous classe du « réalisme spéculatif » (Graham Herman) ˗ « spéculation » dont Latour ne fait rien, étant trop positiviste ˗ Latour reste totalement étranger au champ de « la philosophie non standard », champ auquel appartient pourtant le « réalisme spéculatif ».
Latour reste donc un « témoin » (au sens géologique de « butte témoin ») de l’ancienne philosophie standard, celle qui porte le positivisme ou le pragmatisme et qui imagine que de l’idée à la réalité il y a un chemin sans précipice.
Latour est-il un témoin aveugle, voire aveugle volontaire, qui ne veut pas voir la coupure (et donc la révolution) qu’introduit la philosophie non standard ?
Tout l’aspect « pépère », ou social-démocrate réformiste allié aux écologistes, découle de cette « inconscience volontaire ».
Sa posture auto-déclarée révolutionnaire est donc essentiellement médiatique : c’est du bluff !
La classe « philosophie non standard » peut encore se nommer « nouvelle phénoménologie » ; avec la sous classe principale de « la déconstruction » (Derrida) et celle du « matérialisme transcendantal » (Zizek). Au centre de cette philosophie non standard se trouve la question lacanienne du réel ; cette question est introduite en opposition à la position phénoménologique standard (Husserl et « les choses mêmes ») qui imagine qu’existe un espace plan (une ligne ou un plan d’immanence) reliant le réel (mais non thématisé ou défini comme virtuel, idéal) à la réalité réalisée des réalisations (il suffit de penser très fort ˗ la question de l’intentionnalité ou de la volonté).
Si donc Latour est un champignon du plus ancien phylum philosophique, en aucune manière il ne peut essaimer dans les terres nouvelles.
Ce pourquoi il ne laisse aucune place à la conflictualité antagoniste ou à la contradiction.
Pour une introduction politique à cette philosophie non standard :
Comment généraliser la révolution copernicienne opéraïste, LM 108, 13 juin 2017.
En politique Latour est anté-copernicien.
La voie pauvre, LM 186, 9 avril 2019.
Pour un messianisme alternatif.
L’insurrection des Gilets Jaunes et la Révolution de la Révolution, LM 192, 21 mai 2019.
Et pour chasser sur les terres « confinées » :
Déconfinement, LM 242, 12 mai 2020.

[4Sur cette notion de « tradition » il faudrait lire Pierre Caye en même temps que Bruno Latour ; ou, plutôt, critiquer Pierre Caye en même temps que Bruno Latour.
Pierre Caye, Durer : Éléments pour la transformation du système productif, octobre 2020 ;
Critique de la destruction créatrice, Production et Humanisme, avril 2015.
Indiquons le nœud de la critique, que nous développerons : comment peut-on imaginer convaincre et convertir les agents économicisés (lire la section 7 de Où suis-je ? qui parle de 3 siècles d’économicisation) alors même qu’ils ont été transformés en militants de l’Économie (avec la majuscule de Latour), c’est-à-dire en « possédés » (de la possession) ? Les idées éculées de « prise de conscience » et de « conversion » sont des idées « modernes » (du 19e siècle positiviste), idées contradictoires avec « l’anti-modernisme » de Latour.
Le conservatisme politique de Latour ne s’accorde pas avec sa fulgurance poétique.
C’est tout le système « écologiste intégral » de Latour, dès qu’il se déploie en politique, qui devient incohérent.

[5Pour une analyse plus complexe (et « post-moderne ») du « commun » renvoyons à Jean-Luc Nancy. Et, d’abord, plus simplement à l’idée que « la langue » est génératrice du commun ; et ne peut donc pas être un outil de négociation (seulement de mensonge).
Renvoyons à la révolution Grothendieck.

[6Sur ce thème du « primitivisme », sans renvoyer au débat sur « le communisme primitif » (Christophe Darmangeat et Alain Testart), proposons comme lecture : Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement, Entretien avec Pierre Madelin, LM 272, 25 janvier 2021.

[7Ce « véritable matérialisme » (de l’antagonisme) est l’objet des « bifurcations » philosophiques depuis le réalisme spéculatif (que l’on relie à tort à Bruno Latour, via Graham Harman) jusqu’au matérialisme transcendantal (de Zizek).
Nous retrouvons l’idée de conflit jusque DANS la philosophie : renvoi à Althusser, la philosophie est un champ de bataille, la neutralité diplomatique est impensable.
Insistons ˗ parce que la pensée (politique) écologique est gangrénée par l’idéalisme positiviste (et la collaboration avec les institutions parlementaires du dialogique) et ne peux penser de manière auto-critique ˗ ce ne peut jamais être la beauté du programme (écolo-chrétien de protection bouddhiste de la création ˗ l’hypothèse Gaïa est bouddhiste, la corrélation ou le samsara, l’ensemble de ce qui circule) qui décide des capacités de lutte.
Pascal : à défaut de pouvoir fortifier la justice (ou la beauté), nous ne pouvons que justifier (ou embellir) la force.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :