ARCANES & PANOPTISME

Le renseignement pour défendre le secret (et les petits secrets)

paru dans lundimatin#26, le 29 juin 2015

Le syndrome despotique.

Tous les gouvernements sont enferrés dans l’impasse économique.
La promesse spectrale du bien-être (toujours) pour tous.
En libérant (toujours plus) le monstre capitaliste.
Sa corruption, la fraude généralisée, l’agiotage, les conflits d’intérêts, le mépris des droits.
Le despotisme féodal des corporations.
Que, désormais, chaque État soutient sans faiblesse.
Étendant le despotisme mercanti à la société entière.
Gouvernement de la panique.
Que faire d’autre que persévérer (diaboliquement) dans la voie économique ?
Pourtant catastrophique.
Comment maintenir l’obéissance qui s’évapore ?
Alors que chacun connaît la destination (la dévastation).
Toujours plus de richesse (ultra) concentrée, la motivation perverse censée dynamiser le développement destructeur.
La sécession des riches. Et le luxe obscène.
Entrainant le retour au féodalisme, en guise de « modernisation ».
Et il s’agit de détourner le regard du problème du « grand bond en arrière », de l’inégalité, du désastre écologique.
Plutôt que l’affronter, se voiler la face.
Gouvernement de la paralysie intellectuelle.
Qui aime jouer de l’inversion orwellienne systématique des termes : où le conservatisme transi se présente comme réformisme « modernisateur ».

Que pourrions-nous observer depuis 10 ans (depuis la félonie de 2005) ?
Une succession de putschs froids.
Organisés comme une vaste offensive coloniale.
La guerre économique contre le gouvernement grec (une mouche importune) en étant le dernier exemple.
La nouvelle stratégie de la canonnière (relire l’histoire de l’Argentine) avec son arsenal économique.
Où il s’agit de reprendre, une par une, les bastides dans lesquelles pouvaient se protéger les protestants.
Depuis l’annulation du référendum (malheureux !) sur la constitution économique européenne.
Une série serrée de lois liberticides (sécuritaires).
Combinée à une suite entêtée et patiente de lois de démolition sociale.
Qui n’ont rien à envier à la détermination d’un Richelieu, exécutant tous les refuges qui entravaient la longue marche vers l’unité du royaume (aujourd’hui vers la communauté économique, le grand marché « libéré »).
Les lois sécuritaires étant l’envers des lois de destruction atomique du social.
Endroit sécuritaire & envers déconstructeur formant une même frappe.
La marque du grand retour de l’ancien régime du despotisme libéral économique. Érigé en régime absolu.
Despotisme libéral absolu.

Il faut impérativement mettre en système la protection du secret, la liberté absolue des (petites) affaires & la surveillance généralisée, panoptique, la « préemption » sécuritaire, la contre-insurrection préventive.
Car le chemin unique du redéploiement panique de l’économique (schistes bitumineux, gaz de schiste), avec ses indicateurs grossiers (profit, croissance, chômage) – le plus grand mépris pour la finesse qualitative des « nouveaux indicateurs », la double satisfaction de procurer des emplois dégradés, le cynisme de la manipulation de la peur – cette voie, à sens unique et en impasse, dont plus personne ne veut sortir (les gouvernements et les élites de la haute administration pantouflarde convertis zélotes du néolibéralisme autoritaire), ce chemin halluciné prépare nécessairement les grandes révoltes à venir (et sous une forme impensable, comme le saccage de Rome).
Ces révoltes qui obnubilent les élites ; ces révoltes que le gouvernement attend, anticipe, « préempte » par sa contre-insurrection préventive.
Plutôt que de négocier une nouvelle pensée pour sortir de l’impasse, plutôt qu’expérimenter une nouvelle voie, les élites de ménage préfèrent se donner les moyens de la répression, agiter la menace paralysante.
Tout ce qui entraînera un écroulement plus radical (pensons au Bas Empire, puis à l’Ancien Régime, cet ancien régime en reconstitution).

Arcanes et panoptisme.

Il est donc impératif de mettre en système le secret & la surveillance, le secret des affaires et la surveillance générale des oppositions.
Mais ceci n’apporte rien de nouveau. Ou de « moderne ».
Car nous retrouvons les plus anciennes combinaisons autoritaires : secret d’État, secret défense, secret des affaires, secret du secret, secret des alcôves & mouchards, renseignements intrusifs, retournement des repentis, jusqu’à la provocation, l’usage des guerres d’opérette.
Ces plus anciennes manœuvres réactivent le despotisme qui attendait son heure autoritaire (après le moment « libéral » économique).
Pourquoi parler de « gouvernance algorithmique », d’une chose proche de la science-fiction (ou de la politique fiction), alors que l’usage de l’empirisme statistique (l’épidémiologie politique des populations) a plus d’un siècle et demi d’existence ? L’induction statistique, sans théorie préalable, étant le plus pur produit (« scientifique ») du darwinisme social, du triage des caractéristiques (politiques ou autres). Méthode, au reste, liée à une (ancienne) phase autoritaire du libéralisme, celle de l’accumulation primitive (qu’il faut recommencer) ou du redressement des irrationnels (thérapie sans cesse à reprendre).
Une analyse généalogique de cette (dite) gouvernance nous ramènerait directement à l’histoire longue (et zigzagante) du despotisme (« éclairé » à l’économique) et de ses appareils de surveillance (à commencer par la comptabilité, sans laquelle nulle « numéricisation » ne serait concevable).

Qu’est-ce qui a donc pu faire sursauter les gouvernements crachant le verbe de « la démocratie » ?
Le dévoilement des secrets, des grands et des petits secrets.
L’affirmation (réaffirmée par Assange) qu’il ne peut y avoir de compatibilité entre « la démocratie » & « le secret ». Cette affirmation proprement révolutionnaire, clamée lors de la révolution française (contre l’arbitraire despotique masqué par le secret), que les thermidoriens de tous poils (« il faut gouverner » !) ont vite enterrée (sous les quolibets).
Wikileaks, Luxleaks, Swissleaks, Snowden, Assange, l’héroïque Manning, Falciani, etc.
L’irruption de « l’alerte éthique » qui met en cause le décor démocratique.
Pourquoi déclarer Manning « traître à la patrie » ?
Comment gouverner agréablement lorsque le secret disparaît (lorsque tout acte d’État peut être débattu) ?
Comment diriger une corporation sans secret d’entreprise, sans secret professionnel, sans secret des affaires, sans corruption cachée, sans lobbying d’alcôve ?
Comment continuer de mentir, « même moins », (être un « homme politique ») si le mensonge risque d’être exposé (affaire Cahuzac) ?
Comment pantoufler gentiment, utiliser à plein comme méthode de gouvernement les conflits d’intérêt (affaire Pérol), si la circulation administration entreprise banque risque, à tout instant, d’être dévoilée ?
La surveillance, le renseignement, les actions intrusives des « services secrets » (les sicaires du despotisme) sont des mesures « préemptives » (d’intervention préalable), des mesures contre-insurrectionnelles anticipée, pour interdire la divulgation des secrets d’État (et de tous les petits secrets qui font le gouvernement).
Bien entendu, dans la gigantesque boîte à outils du despotisme (cette boîte qui enfle démesurément avec le temps) l’usage des « guerres imaginaires » a la plus ancienne priorité.
Quoi de mieux qu’un « attentat » ?
Certainement prévu, sinon provoqué, mais dont l’utilité (ancestrale) est si grande qu’il convient de « laisser faire » ou de simuler l’incompétence.
Quoi de mieux qu’une « action terroriste » pour basculer dans un état d’urgence soigneusement préparé de long terme ?
Pour camoufler (encore le secret !) le mouvement autoritaire en cours (et au long cours, indépendant des « actes terroristes » bienvenus) ?
Stratégie militaire adaptée à la police économique (au redressement des irrationnels).

ce qui est visé sont les mouvances politisées, les « strates entières prêtes à basculer dans la violence. »

L’examen des rapports d’écoute rédigés par la NSA et examinés lors du vote par le congrès américain de la nouvelle loi USA Freedom Act (qui restreint les pouvoirs de la NSA), cet examen montre que l’objet des lois sécuritaires (du type Patriot Act, comme la nouvelle loi française sur le renseignement, nouvelle loi qui, ironiquement, imitant les lois américaines d’il y a 15 ans est « préemptivement » critiquée par la dernière loi américaine – mais il est facile d’anticiper ce qui se passe en France, c’est ce qui s’est passé aux États-Unis quinze ans auparavant !) n’est pas la protection des résidents ; les nouvelles délibérations américaines montrent que l’objet des lois de sécurité n’est en aucune manière « la lutte contre le terrorisme », mais la surveillance des « ennemis intérieurs ».
Du reste l’inefficacité dans le domaine de la lutte « anti-terroriste » est si criante que cela suffit seul à mettre en cause le dogme officiel (de lois nécessaires à la lutte contre ce terrorisme d’origine extérieure, succession de lois de plus en plus autoritaires).
L’examen à la loupe du rapport Urvoas-Verchère dévoile l’objectif politique (de police politique) de ces lois sur le secret (de surveillance pour protéger les secrets).
Soit le Rapport d’information, Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration générale de la République, mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, mai 2013 [bien avant janvier 2015], Pour un État secret au service de la démocratie, Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.
Dès le sommaire, p.3, l’affaire est menée :
« Des moyens légaux notoirement insuffisants, des interceptions de sécurité insuffisamment nombreuses, l’inutile complexité des systèmes de réquisitions des données techniques de connexion, l’importance stratégique de la surveillance des fichiers… »
Le cadre est précisé p.124 :
« Il faut un quadrillage efficace du territoire afin de capter le renseignement de faible intensité. »
Nous pouvons lire, p.136 en bas :
« Sa mise en cause dans l’affaire de Tarnac a refroidi les ardeurs de la DCRI lorsqu’il s’agit de s’engager dans la surveillance de ces mouvances politisées prêtes à basculer dans la violence.
Dans la même optique, le dossier Notre-Dame-des-Landes illustre parfaitement la difficulté qu’éprouve le service à surveiller toute une mouvance, avec les moyens intrusifs que cela suppose. »
Puis p.137 :
« Avec l’acuité croissante de la crise, la montée des contestations, il paraît irréel de se priver de renseignement sur des strates entières de la société prêtes à basculer dans la violence. »
P.138 :
« Reconstruire le renseignement de proximité, rebâtir une véritable filière dédiée au renseignement de proximité. »
Ainsi ce qui est visé sont les mouvances politisées, les « strates entières prêtes à basculer dans la violence. »
Notons (pour ce « terrorisme de l’intérieur » en priorité visé) que les Renseignements Généraux, plus connus comme RG, qui doivent fournir au gouvernement des renseignements d’ordre politique, social et économique, ces RG ont connu leur heure de gloire avec le gouvernement de Vichy (1941-1942).
On peut ici relire Didier Daeninckx, Itinéraire d’un salaud ordinaire :
« Clément Duprest, brillant étudiant en droit, intègre la police nationale en 1942. Contrairement à certains de ses collègues, Duprest ne “fait pas de politique” ; il va se contenter de mettre au service de ses patrons son intelligence et son sens de l’observation. Au sein de la brigade des propos alarmistes, il est chargé de repérer et de neutraliser les individus hostiles à Vichy… »
Ce livre de Didier Daeninckx devant se lire avec son « symétrique », Missak, Missak Manouchian l’ennemi de l’intérieur (bien étranger !).
Depuis 1942, date de la création de la direction de la sécurité générale et des renseignements généraux, l’objet des « services » est la défense des intérêts fondamentaux de l’État, intérêts sociaux et économiques. Intérêt de l’obéissance passive.

Masques et Simulacres.

Il s’agit de cacher la domination économique, le servage, le despotisme économique étendu à la totalité de la société (au nom de l’efficacité), la mécanisation du social.
Et donc de paralyser « les lanceurs d’alerte » (les individus hostiles à l’ordre économique tel quel) au sens large de critiques du despotisme économique (et de ses arcanes).
Critiques d’abord au titre de l’éthique, de la défense des droits humains INDIVISIBLES, le despotisme économique propriétariste ne connaissant que les droits de première génération (1789, droit de propriété absolu) et rejetant les autres droits de seconde génération (1793 puis 1848, droits sociaux) ou de troisième génération (droits environnementaux). Puis, finalement, critiques au titre de l’éthique politique, de la rébellion ou de l’insurrection (article 35 de la constitution de 1793).
Ce pourquoi, par exemple, les écologistes (« extrémistes »), les écologistes pas encore corrompus par des strapontins dans les palais royaux, sont des cibles privilégiées.

Comment prévenir la « chienlit » de Sivens ?
Relire la p.136 du rapport Urvoas-Verchère.
La défense de l’ordre républicain, l’acceptation de sa hiérarchie et des délégations indiscutables et de toutes les inégalités, injustices, forfaitures, mensonges, petits secrets, voilà l’objet des lois panoptiques (si anciennes !).
Protéger la royauté du soulèvement des jacques.

C’est ce rejet armé de toute conflictualité qui est la source du déploiement sécuritaire

Disons-le haut et fort : un gouvernement d’un régime capitaliste n’est pas inféodé au patronat !
Mais baptisé dans l’église économique la plus intégriste, il est le zélote (le fanatique) du développement économique : profit croissance emploi, le théorème de H. Schmidt, chancelier SPD.
Ce théorème peut se nommer « dogme démocrate » (social-démocrate converti).
Et, ainsi, ce démocrate est persuadé fanatiquement que le patronat tient les clés de cette croissance mystique, que donc les « entreprenants » doivent être systématiquement favorisés, « libérés » (des entraves des droits humains, de seconde génération et de troisième génération).
C’est pourquoi un tel gouvernement, comme structurellement celui des États-Unis, dès que le bon moment se présente, se doit de détruire, par tous les moyens, manipulation, mensonge, propagande, inversions orwelliennes, surveillance, provocation, etc. les droits sociaux.
Sans aucun état d’âme d’avoir à piétiner son grand article de promotion, la déclaration des droits INDIVISIBLES.
La mise en pièce des droits sociaux est une mise en cause VIOLENTE de l’indivisibilité des droits humains. Plus encore, peut-être, un rejet épidermique de leur nature conflictuelle.
C’est cette mise en cause violente, cette violence d’État fanatique, ce rejet armé du conflit des normes (et de toute conflictualité) qui est la source du déploiement sécuritaire.
Le signe indubitable du despotisme.
Et « le terrorisme » n’est qu’un simulacre permettant, en douce, d’avancer masqué et de déployer toujours plus de violence économique (sous le masque de la lutte contre la violence).
Quel est l’objectif de la NSA ? Ou de la future NSA française (quinze ans après !) ?
La guerre.
La guerre économique.
Donc la guerre sociale.
La guerre contre « son propre » peuple.
Pour le redressement économique.

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