Vagabondage et confinement

« Le lien entre les mesures barrières et condamner quelqu’un à travailler gratuitement ? Aucun, si ce n’est cette condamnation au labeur du mauvais pauvre. »

paru dans lundimatin#240, le 1er mai 2020

Florian François-Jacquemin, avocat au bareau de Seine-Saint-Denis, expose ici les logiques Moyen-âgeuses qui relient les lois de 1351 contre les pauvres et les vagabonds à la verbalisation de la violation du confinement par l’article L3136-1 du Code de la santé publique. On fait même pire aujourd’hui puisque « l’imaginaire médiéval du vagabond rencontre celui du colonialisme ».

« S’il ne veut pas courber la tête, c’est qu’il a un os de vaurien dans le dos »
Liber vagatorum, 1510

Le 30 janvier 1351, Jean II Le Bon, Roi de France, ordonne que celles et ceux sans travail, ces habitués des tavernes et bordels, ces mendiants, ces truands qui jouent aux dés ou chantent dans les rues, s’ils sont valides alors de deux choses l’une. Soit ils trouvent une besogne, soit ils quittent « Paris et les autres villes de ladite prévosté et viconté, dedans trois jours après ce cry  ». Passé ce délai, si on les attrape, direction la prison pour quatre jours au pain et à l’eau. A la seconde incartade ils seront cloués au pilori. Enfin, en cas de troisième fois, on les marquera au fer et ils seront bannis. 

Les pauvres, même oisifs, avaient pourtant bonne presse à l’époque. Il fallait même les aider pour plaire à Jésus !

Néanmoins, ce poids culturel ne suffisait plus face aux impératifs économiques. Si aujourd’hui les plus riches chantent la main invisible du marché, celle-ci leur convenait beaucoup moins au milieu du XIVe siècle. La peste noire dévastait l’Europe, emportant 30 à 50 % de la population. Les vivants, moins nombreux, demandaient des salaires journaliers plus élevés qu’auparavant. La loi de l’offre et de la demande se retournait contre les possédants.

C’est pourquoi, en plus d’interdire l’oisiveté aux pauvres, l’ordonnance de 1351 fixa les rétributions maximums pour chaque profession. Elle baissa drastiquement les salaires tout en rendant, de fait, le travail obligatoire. En outre, sans sanction cette fois, elle incita les généreux donateurs à réserver leurs aumônes aux estropiés.

 Ainsi naquit le vagabond, catégorie juridique et représentation péjorative de celui ou celle, pauvre, qui se déplace. En 1427, les bohémiens arrivaient pour la première fois à Paris et enrichissaient l’image de ce nuisible social, que le droit sanctionne pour ce qu’il est et non pour ses agissements.

Alors que faire de ce mauvais pauvre ? Le mettre au travail évidemment ! Le travail forcé devint rapidement la sanction du vagabond. On le retrouve notamment aux rames des galères ou à curer les fosses.

 Puis en 1810 le Code pénal met de l’ordre. Article 269 : « le vagabondage est un délit  » ; 270 : « les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n’ont ni domicile certains, ni moyen de subsistance, et qui n’exerce habituellement ni métier, ni profession. » Les articles suivants prévoient une peine de 3 à 6 mois d’emprisonnement de ce seul fait.

 Ce délit qui sanctionne un mode de vie et non des actes fautifs sera abrogé le 1er mars 1994. Quelques mois auparavant, des maires inquiets avaient promulgué des arrêtés anti-mendicité, certes, mais la sanction pénale d’être dehors sans travail avait disparu.

 Le chemin semblait arrivé à son terme, et voilà que surgit l’article L3136-1 du Code de la santé publique. Dans un style tortueux, ce texte sanctionne une quatrième violation du confinement de «  6 mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général ». Tiens donc, la rengaine du travail. On peine à saisir le lien entre les mesures barrières et condamner quelqu’un à travailler gratuitement. Quel rapport ? Aucun, si ce n’est cette condamnation au labeur du mauvais pauvre.

Ce nouveau délit sordidement inconstitutionnel résonne avec la répression du vagabondage. Car de quoi est-il question ? Les mesures sanitaires en cours apparaissent légères en comparaison de celles qui encadraient les tuberculeux ou de celles pour éviter la propagation de la peste. Toutefois, ce qui est pénalisé ici, ce n’est pas de les enfreindre, ce n’est pas d’avoir un comportement qui favorise la propagation de l’épidémie – comme rejoindre une résidence secondaire. Ce qui est pénalisé ici c’est le fait d’avoir été verbalisé par la police hors de chez soi à quatre reprises. Peu importe que la verbalisation ait été juste ou non ? Qu’un juge l’annule ou la confirme, peu importe ! La police à quatre reprises a constaté que vous étiez dehors avec l’attestation mal écrite, ou au crayon de bois, ou sans justificatif, cela suffit pour que des procureurs réclament contre vous de la prison ou qu’on vous mette au travail gratuitement, feignants !

Surprise, en Ile de France on verbalise principalement des jeunes pauvres noirs et arabes. Eux seuls se retrouvent pour ce délit dans le box des comparutions immédiates. Alors sont-ils plus dehors ? Je ne sais pas, je ne pense pas à vrai dire, mais peut-être. Il est possible que la vie dans les logements trop peuplés les incite davantage à sortir. Il est possible qu’ils ont eu du mal à respecter les nouvelles exigences administratives. Allez comprendre que vous devez encore livrer pour uber ou deliveroo, que vos parents continuent à laver le sol, à mettre en rayon, à ramasser nos ordures ou soigner dans nos hôpitaux, mais qu’il ne faut surtout pas marcher en bas de chez vous.

Avant le COVID 19 on pouvait déjà être condamné par un Tribunal sans devenir « un délinquant », on pouvait aussi commettre des infractions jamais sanctionnées sans être « un délinquant ». En effet pour être assimilé à cette catégorie peu importe votre comportement, votre casier judiciaire n’est pas le critère. En 1836 déjà la Gazette des tribunaux parlait de cette « race distincte qui a le privilège de peupler les bagnes et les prisons ». Elle s’est colorée avec le temps et ceux que la police contrôlait systématiquement avant l’épidémie restent ceux qu’elle cible aujourd’hui. L’observation des prétoires donne l’impression que l’imaginaire médiéval du vagabond rencontre celui du colonialisme.

 Avec ce délit, d’une certaine manière, on sous-entend que c’est un peu de leur faute tout ça. Alors que le pouvoir se concentre toujours plus au niveau de l’Exécutif, celui-ci ne veut plus porter la responsabilité politique de ses actes. Il renvoie à des responsabilités individuelles, claironne qu’en réanimation on trouve celles et ceux qui n’ont pas respecté le confinement. Toujours la faute de l’autre, de l’individu.

Refusons cette logique. Au lieu que de réclamer des procès pénaux contre nos gouvernants, exigeons la démocratie et confrontons-les à leur responsabilité politique.

Florian François-Jacquemin est avocat au barreau de Seine-Saint-Denis

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