VAINCRE ! — De l’insigne faiblesse de l’oligarchie

Voilà donc relancé, une nouvelle nouvelle fois, la marche du despotisme.
Marche qui sera une nouvelle nouvelle fois contrecarrée.

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#103, le 9 mai 2017

A l’heure où les cris « Macron président » se mêlent de plus en plus étroitement aux « Macron démission », Jacques Fradin nous explique d’où viendront les larmes du nouveau chef de l’Etat.

Il va falloir s’opposer frontalement aux marcheurs de la marche sur Paris.
À cette nouvelle manifestation de la France versaillaise.
Il va falloir se lever, une nouvelle fois, contre l’oligarchie économique.

Mais cette oligarchie est faible qui doit recommencer sans cesse (disons depuis 1930) la même tentative de séquestration économique.
Tous les opposants à l’économicisation forcée, au despotisme économique, se retrouverons dans la rue pour VAINCRE une nouvelle fois.

Le projet du despotisme économique, très ancien, de faire de la France « une économie moderne », saine, libérée, ouverte, innovatrice, etc., ce projet mimétique, en miroir du modèle (supposé) de l’Allemagne, l’Allemagne cet adversaire que nous « hainamourons », auquel nous sommes liés par un mélange morbide de répulsion et d’envie, ce projet persévérant a toujours été défait.
Et désigne la France, à l’admiration du monde, comme « le résistant universel », l’opposant générique aux menées de l’oligarchie économique.
Le monde entier compte sur les émeutiers français pour dissoudre les désirs de l’oligarchie.

Le projet de l’oligarchie est simple, simpliste même.
Il s’agit de réaliser (« en réalité ») le modèle économique de la concurrence pure, le modèle néoclassique défini comme norme politique ou but à atteindre.
Ce modèle économique est fondé sur l’inégalité, censée fouetter « la motivation » ou la cupidité, ce modèle est appuyé sur la misère comme « stimulant matériel » et contrainte au travail, ce modèle repose sur l’absence d’entraves à la fluidité ou à la flexibilité et implique la neutralisation des syndicats honnis et de toute autre forme d’organisation anti-économique (comme les ZAD), ce modèle exige la transformation de toute personne en chômeur potentiel ainsi apte à accepter de devenir un rouage lubrifié de l’économie triomphante.
Modèle d’un gouvernement autoritaire fondé sur la gestion par la peur.
Voilà donc relancé, une nouvelle nouvelle fois, la marche du despotisme.
Marche qui sera une nouvelle nouvelle fois contrecarrée.

Le plus ancien projet de « modernisation », porté depuis 1930 par un conglomérat, le complexe médiatico-politico-financier, nommé par dérision « synarchie » et que nous nommerons « complexe français », ce projet a sans cesse été contrarié, et sans cesse relancé en vain, faisant dire aux « synarques » que la France est « conservatrice », INGOUVERNABLE.
Si 1940 succède à 1936, si 1958 succède à 1945, si la « sarkollande » filloniste d’après 2000 succède à 1968, à l’envers, à chaque tentative de coup de force, les opposants à l’économicisation intégrale, à la soumission au modèle économique de la concurrence, finissent par VAINCRE.

La succession des échecs du projet des « synarques », 1936, 1945, 1968, 1995, 2005, etc. et le choix d’une stratégie de « grignotage » montre que l’oligarchie française est faible et qu’il est toujours possible de la contrer.
Et que, finalement, l’opposition à l’économicisation est toujours la plus forte.
Mais la lecture du Prince de Machiavel montre, aussi, qu’un pouvoir faible et peu sûr de lui, peut dominer en utilisant toutes les ficelles du « machiavélisme » : mensonge, camouflage, ruse, désinformation, propagande, appel aux affects religieux, etc.
Par exemple en mobilisant ses journaleux.
C’est pourquoi se lever contre la régression oligarchique (déguisée inversée en « progressisme ») implique de contrer l’ensemble des manipulations de l’hydre despotique.
Tout mouvement écologiste, de défense de la nature, tout mouvement de constitution de zones non économiques, tout mouvement pour une démocratie véritable (une sortie du monarchisme), tout mouvement de lutte des chômeurs, tout mouvement pour l’égalité économique (ou même la reconnaissance des droits égaux), toute cette constellation de luttes constitue un filet qui étouffera le Gulliver de la grande marche sur Paris.

Comme ce projet (si nécessaire !) de « modernisation » est sans cesse remis, sans cesse rejeté, il est facile d’imaginer l’exaspération de l’élite patronale du complexe français. Exaspération chauffée par les journaleux de la strate médiatique du complexe (qui ne digèrent pas la gifle de 2005).
La guerre de l’oligarchie contre le peuple des incroyants (en l’économie) ressemble à la guerre de Joffre, le ventripotent généralissime : grignoter l’ennemi, intérieur comme toujours.
Mais chacun sait que la stratégie du grignotage, menée par les apparatchiks du « néolibéralisme », ne connait pas, en France, de véritable achèvement.
Il est temps, plus que temps, de frapper un grand coup.
Fillon l’avait promis.
Macron le réalisera.
Macron le nouveau généralissime délégué à « la percée décisive ».
Et qui subira le même sort que tous « les chefs » préposés à la guerre économique (pour le redressement des mécréants) : son départ pour Limoges.

On peut bien voir l’exaspération du parti de l’économie en relisant les programmes jumeaux des deux candidats porteurs du même projet de « modernisation », Fillon & Macron ; les deux candidats pour le nettoyage thatchérien à la française.
Mais le thatchérisme national remonte aux années 1930 et renvoie à « la révolution nationale ».
Quoiqu’il en soit, l’ordre de reprise de l’offensive (à la Nivelle cette fois-ci) est lancé.
Le gouvernement de la revanche va essayer de profiter du trou des vacances et (peut-être !) de « l’état de grâce » pour imposer de force son projet régressif d’arasement.
La sphère médiatique est, du reste, déjà mobilisée pour effectuer un tir d’écrasement (par la propagande) en alignant les tics orwelliens (comme autant de pièces d’artillerie psychique) :
inversion récupération générale, Macron devient un « progressiste » faisant « la révolution », où la contre-révolution s’inverse en révolution (la révolution nationale) et où son caractère régressif et réactionnaire est baptisé, crié « progressiste ».
Macron n’ayant que ce terme à la bouche : je suis un « progressiste ».
Dès que l’on comprend que le but est d’imposer, définitivement si possible, le schéma économique, tout ce qui conduit à ce but est déclaré révolutionnaire, progressiste, moderne, avancé, et tout ce qui s’oppose à la marche des marcheurs est critiqué comme ringard, dépassé, régressif (voire dépressif), archaïque, etc.
Ce qui est, ici, remarquable est l’absence d’invention ou d’innovation de cette technocratie du complexe français.
Sans parler des journaleux obséquieux !
Comment se fait-il que l’idée fixe pétainiste de l’imposition du modèle économique (la modernisation) ne soit pas considérée comme ringarde ?
Derrière la résistance à l’offensive d’été, il s’agit de promouvoir la démocratie, qui est nécessairement un mouvement social anti-économique.
Il faut lancer un grand appel au soulèvement contre le despotisme économique, contre l’autoritarisme souriant du Grand Marcheur de la marche sur Paris.
Boycotter les élections qui viennent (les législatives) en popularisant ce refus de « la participation » à sa propre soumission.
Répondre systématiquement à chaque mesure despotique, néolibérale offensive, d’abord par une dénonciation de la propagande orwellienne, ensuite par des manifestations permanentes.
Pas un jour d’état de grâce ne sera accordé.
C’est tout de suite qu’il faut résister.
Rejoindre l’opposition à la grande digestion économique.

Comment alors « finir » ce qui ne peut jamais finir et qui est « l’âme immortelle » de la Conjuration des Égaux ?
Conjuration qui destitue toute force despotique, technocratique ou économique.
On ne peut résumer une telle logique. Car elle ne peut être que la création de tous ceux qui s’engagent.
Mais peut-être est-il possible « d’énoncer des prescriptions élémentaires » (et toujours en rester à cet élémentaire minimaliste et contestable).
Ces prescriptions, on peut en énoncer au moins sept, qui suffisent à distinguer la politique démocratique de l’inauthentique économique, le soulèvement de son chemin de réalisation par une série de simulacres :
1- Une constitution ductile d’institutions auto-destituantes, exprimant une démocratie aussi directe que possible, est requise.
2- La prescription nationale est secondaire et n’est pas l’objet premier de la politique authentique. La prescription première concerne la puissance communale (amitié, hospitalité).
3- Le but premier des pays riches (du Nord) doit être d’éradiquer la misère et la souffrance des pays (du Sud) et de faire d’eux leurs égaux. Abolition des conditions des migrations économiques par l’égalitarisme altermondialisé.
4- L’Égalité est une valeur supérieure à la Propriété (à l’efficacité économique). L’ignoble idée « d’équité » (l’égalité “rabougrie” à la Rawls, rendue compatible avec l’efficacité posée comme terme premier) doit être combattue et refusée.
5- La Liberté Collective doit être développée de manière illimitée : il est impératif de libérer la liberté de création politique et, donc, institutionnelle. Contre « les libertés commerciales et industrielles ». Contre l’innovation technologique canalisée (vers toujours plus de Puissance).
6- L’économie (ÉthoNomie éco-Nomique) doit être marginalisée ; plus « qu’humanisée », mise en résidence surveillée (« réencastrée »), puis abolie (nouvelle abolition des privilèges). De l’abolition du salariat à l’abolition du travail et à l’abolition de l’économie.
7- L’atypie d’une commune combattante et d’un système politique, toujours en devenir, qui souscriraient à l’ensemble de ces prescriptions (axiomatiques) est vérité exemplaire pour ceux qui n’y souscriraient pas.
Si nous pensons en termes « altermondialistes » radicalisés, non nationalistes ni internationalistes, hors d’Europe donc, et selon l’axiomatique ni économique ni technocratique du communisme an-archique des partageux, le monde “donné” (notre “situation”) étant majoritairement un monde de PAYSANS, prolétaires et damnés, qui ne deviendront jamais les ouvriers industrieux du « développement », la seule révolution concevable, en termes « réalistes », est celle de la paysannerie condamnée, contre sa mort infernale programmée. Le communisme ne peut venir après le désastre écologique.
Toute les forces communistes et, en particulier de l’Europe urbanisée civilisée, doivent s’engager pour le Tiers-monde, pour le Sud, pour un alter monde non-européen, hors de l’imaginaire économiste du « développement industriel économico-technique », pour promouvoir la puissance des communes rurbaines fédérées.
Que donc la rurbanité communiste est le « futur progressiste » du mouvement éthique.
Alors, quel avenir pour l’humanité prolétaire ?
Le bidonville globalisé du monde infernal (de Mike Davis) ou l’agronomie rurbanisée de la démocratie communiste ?
La misère inégalitaire efficace des « communautés économiques » se mobilisant techno-militairement pour « la richesse » de milliardaires toujours plus riches, la puissance motrice des incitations « matérielles », ou la pauvreté égalitariste de la beauté légendaire des inventeurs collectifs sans auteurs du rurbanisme (des villes jardins) où chaque un sera le cultivateur de l’Homme ?
Combien de poèmes épiques, combien d’hymnes ou de dithyrambes faudra-t-il pour surpasser la massivité morbide des slogans de la vulgarité européenne, de ses rues commerçantes muséifiées, sa promesse de la richesse pour les nouveaux riches, ses facilités incultes pour les trafiquants, la laideur illimitée des « zones » inhabitables.

Appelons à l’épopée du sans futur (pour l’économie).

Pour que vive l’invention créatrice de mondes, l’invention réelle des hommes en communes imaginant l’autre histoire.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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