Cinq nuances de despotisme économique

La campagne présidentielle vue par Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#98, le 28 mars 2017

Cette semaine, Jacques Fradin, abolisseur de l’économie, analyse les programmes de nos cinq candidats et leur souffle quelques conseils.

0.

Il n’existe pas de ligne politique réaliste qui ne soit pas un programme économique.
Et, par « ligne politique réaliste », nous entendons une confédération parée pour la compétition électorale.
Aucun candidat qui n’accepte pas le règne de l’économie.
Que faut-il entendre par règne de l’économie ?
Le fait que le régime politique soit le régime politique de l’économie.
Dont le modèle est le régime constitutionnel économique de l’Europe, de la communauté économique européenne.
L’organisation économique s’imposant comme centre de gravité, attracteur pesant, de l’ensemble de la vie, et de la vie politique en particulier (avec sa soumission aux évangiles économiques).
Que contiennent ces évangiles ?

D’abord un ensemble de normes comptables et de procédures d’évaluation. Les fameuses règles budgétaires ou les normes des déficits autorisés, etc.
Ensuite une lourde bureaucratie de contrôle de ces normes. De l’Eurogroupe aux troïkas en passant par des agences de notation privatisées.
L’obligation faite à chacun, à quelque niveau que ce soit, de l’État aux particuliers, de bien tenir et bien gérer ses comptes. Comptes qui sont toujours des comptes EN banque.
Et, pour bien suivre cette obligation, d’entrer dans un système spécifique d’endettement, dans un circuit monétaire.
Avec le rôle suréminent des créanciers.
Le rétablissement du plus vieux pouvoir financier ou des propriétaires ou des riches prêteurs.
Le rôle mystique dévolu aux entreprises. Sans tenir compte de l’écart immense qui sépare les petites et les grandes, les autoentreprises mythifiées et les multinationales camouflées.
Car ce qui importe est le rétablissement de l’autorité, ce retour passant par le renforcement de l’autorité patronale.

Avec ces jeunes désobéissants et débauchés qui retrouveront le bon chemin de la vraie vie, lorsqu’employés jetables desdites entreprises miraculeuses, ils devront bien se soumettre au règne de l’économie et de ses patrons saints.
L’économie est ce qui reste pour conserver une apparence d’unité. Pour exercer l’autorité légitime.
Ce qui reste pour obtenir la soumission. Et convertir cette soumission en illusion de liberté. Convertir en argent (supposé) libérateur – en bons points – le bon comportement.
Entrer dans les circuits monétaires, sous l’œil attentif des banques, pour devenir les écureuils affolés de la roue de la fortune, de la roue qui broie, du moulin satanique qui tourne sans repos.
Tout cela constituant un ordre despotique. Le despotisme économique. Et, pour nous, ici et maintenant, le despotisme européen.
Avec son laboratoire grec.
Mais nous sommes tous des Grecs, tous des animaux du grand laboratoire européen.

1.

Et, finalement, qu’est-ce que l’ordre économique, l’ordre politique économique, l’ordre politique de l’économie ?
Un gigantesque système d’intégration, de subsomption (pour parler en « vieux marxiste »), de conscription.
Avec deux options.
La principale, la plus ancienne et la plus durable, consiste dans la soumission contrainte, contrainte par l’absorption dans les circuits monétaires, dans les réseaux qui génèrent de l’argent. Inclusion toujours effectuée sous la menace de l’exclusion.
Le fameux « contrat social » est un contrat léonin !
La seconde option est secondaire, passagère. Une simple parenthèse à l’intérieur de l’autre option principale. C’est l’option de l’intégration par l’achat (le clientélisme féodal), par la séduction (mensongère), par la promesse (qui n’engage que ceux qui sont obligés d’y croire) de la participation. C’est l’option du bonheur fantasmé que devrait apporter la richesse économique de tous – s’il y avait bien une richesse pour tous !

Aucun candidat réaliste, donc, qui n’accepte pas cet ordre, qui ne se précipite pas pour le défendre, l’approfondir ou (prétendre) l’améliorer.
Nommons « un macron » un tel candidat fidèle au despotisme économique.
Macron, lui-même, n’étant qu’un macron central, un pivot-macron, autour duquel tout tourne.
Et, sans doute, le meilleur interprète du chant économique.

Cinq nuances de despotisme économique peuvent être, alors, déclinées ; dans les gris délavés.

2.

Autour et proche de Macron, du macron central donc, Fillon en hyper-macron ou macron hype.

Fillon le macron hype, le spécialiste des embrouilles [1]. Et l’ami des petites entreprises fantasmées.
Présentons, avec respect, à ce macron hype, une proposition, de plus, gratuite.
Pourquoi ne pas supprimer les cotisations sociales des entreprises, les fameuses charges ?
Du reste beaucoup d’entreprises oublient de les payer. Voilà donc des fraudeurs sociaux à amnistier.
Pourquoi ne pas permettre à ces entreprises de transformer, librement, si elles le souhaitent, ces charges horripilantes en suppléments (démagogiques) de salaires ?
Proposition parfaitement libertarienne. Disons même anarchiste. Mais nous savons que notre macron hype est un anarchiste filochard (cf. note 1).
Les employés salariés décident alors, tout aussi librement, de l’usage de ces revenus miraculeux.
Et la suppression des institutions de l’État providence (les fonctionnaires heureusement licenciés) liée à cette proposition, sécurité sociale, caisses de retraite, etc., ferait encore plus anarchiste. Anarcho-capitaliste comme on disait autrefois.
Si l’assujetti libéré ne veut plus envoyer ses enfants à l’école publique, et, donc, ne veut plus payer l’impôt tutélaire de l’école obligatoire, il peut le faire maintenant.
Pour tomber dans les mâchoires des assureurs aux aguets et autres financiers intéressés, ou dans les pièges des entrepreneurs branchés de l’éducation par internet.

3.

Symétriquement au macron hype, par rapport à l’axe du macron central, nous trouvons un hippo-macron (ou un hypo-macron).
Hamon l’hippo-macron.

Le reflet du macron hype.
Comme nous l’avons fait pour l’hyper-macron, présentons avec déférence, une nouvelle proposition, toujours aussi gratuite, pour l’hippo-macron.
Comment défendre le capitalisme, injustement attaqué de toutes parts, et surtout par lui-même ?
En incluant toutes et tous dans le grand moulin de l’argent.
En définissant un revenu minimal garanti à toutes et à tous. Un revenu monétaire attribué à tous, inconditionnellement.
Cette distribution généreuse, mais qui, cependant, doit-être calculée de manière réaliste, limitée donc – autant que l’économie est l’éthique des limites – permettant de retrouver les propositions libertaires (libertariennes) précédentes, celles faites au macron hype, l’anarchiste pilleur de bourses publiques.
L’attribution de ce revenu pour tous, qui permet, par exemple, de participer à toutes les manifs pour tous, cette attribution universelle autorise la simplification administrative, le dégonflement de la bureaucratie providentielle, la suppression des empilements à la Prévert et incompréhensibles, l’accumulation des aides et des accumulations [2].
De nouveau pour la fortune des assurances.
Au nom de l’autonomie économique.
Autonomie d’incorporation aux circuits monétaires.
Maintenant ouverte à tous : tous capitalistes !

4.

Plus à l’écart de macron central, au-delà, mais pas très loin du macron hype, nous découvrons le macron national.
Le Front (bleu marine) du macron national.

L’extrême au-delà de l’hyper-macron.
Où, soudain, apparaît en pleine clarté la nature politique de l’économie.
Car, ici, il n’est plus question de faire des propositions programmables et comptables, même avec admiration.
Il est plutôt question de trouver un moyen ingénieux de détourner les regards fascinés par l’argent, par l’économie, par les parvenus, par les anarchistes filochards.
Détourner les regards pour mieux maintenir dans une pénombre grise ce qui ne saurait être défait (mais que l’on promet de défaire), le pouvoir économique de l’argent.
Comment faire pour que les gens ne lisent plus Paris Match chez leur coiffeur ? Et ne suivent plus, avec passion, les aventures people des demi-princes et des demi-sel, des forbans financiers et des politiques coureurs automobiles et châtelains dans le besoin (pour tenir les écuries) ? Comment faire pour que ces gens ne soient plus collés à la réussite imaginaire ? Et exigent d’y participer ?
Comment cacher le pouvoir oligarchique ? Ou comment cacher la fortune économique des actionnaires familiaux du Front ?
En désignant des êtres monstrueux et menaçants. L’inversion des forbans financiers (à protéger). Êtres insupportables qu’il faudra chasser.
En devenant ainsi chasseur, en étant pris par la chasse, le lecteur des magazines people et joueur de loto, oubliera le règne économique et ses oppressions. Despotisme économique qui pourra se maintenir en toute quiétude derrière le voile de l’ignorance et la chaleur de la chasse à courre.
Bien sûr, le macron national promet que la défense des valeurs patriotiques, contre les êtres monstrueux, permettra une encore meilleur économie, plutôt nationale que nationalisée.
Et une économie encore plus despotique.
Cette fois-ci protégée par des milices : interdiction des grèves ou des manifestations, etc. État d’urgence illimité oblige !

5.

Symétriquement au macron national, à l’autre bout de la partition économique, paraît le fondu-macron.
Mélenchon le fondu-macron.

Comment faire revenir la splendeur de l’économie, le lustre de l’imaginaire (économique) de l’enrichissement pour tous, de la croissance (raisonnée) qui nous sauvera, par la planification écologique ?
Le fondu-macron dévoile la vraie nature de l’économie : le calcul, la programmation, la planification, la prévision, les projets bien tarifés, etc.
Alors que le macron national tente de voiler l’horreur économique, en en proposant une autre plus intense (et plus jouissive), le fondu-macron tente de recolorer cette horreur, de la sortir du gris (des paradis fiscaux) et des quatre autres nuances de gris.
Le fondu-macron cherche une économie aimable, heureuse, une économie pour tous. En proposant des réformes économiques, bien documentées et bien structurées.
Le fondu-macron est ainsi un comptable, affable certes, presqu’affectueux, mais qui cherche, par le renouvellement d’une bonne économie, à rétablir le bonheur de l’unité nationale d’avant.
Eau ! Notre bien commun !

Tableau résumé des Cinq Nuances de Despotisme économique

Le Front Macron national
Fillon Hyper-macron

MACRON Pivot-macron

Hamon Hippo-macron
Mélenchon Fondu-macron

Par Jacques Fradin

[1Lire dans Lundi Matin un texte sur Fillon l’anarchiste, Pénélopegate, un détail de l’histoire.

[2Toujours dans Lundi Matin, lire article sur le revenu universel, Le revenu universel citoyen ou l’éternel retour du serpent.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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