Tu n’as rien vu à Fukushima

Christine Ferret

paru dans lundimatin#285, le 26 avril 2021

On sait que, mettant un terme à sept années de débats sur l’usage des eaux de décontamination de la centrale sinistrée de Fukushima, accumulées à raison de 141 tonnes par jour, le gouvernement japonais a eu l’idée de génie de tout balancer à la mer : ce sont plus de 125 millions de tonnes d’eau contaminée qui vont être déversées dans l’océan. Si on a toutes les raisons de s’inquiéter pour les poissons et les algues, il semble que les humains ne soient pas mieux lotis, comme nous le raconte Christine Ferret, qui a longtemps vécu au Japon et suit toujours de près son actualité, en particulier nucléaire.

Le jeudi 25 mars, en l’absence de tout représentant étranger pour cause de pandémie, la flamme olympique est partie du J-Village, centre sportif du département de Fukushima, pour une traversée de 121 jours devant la conduire au Stade national de Tokyo, pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, prévue le 23 juillet.

Quelques semaines plus tard, le 13 avril, le premier ministre Yoshihide Suga annonçait le rejet dans l’océan Pacifique de l’eau contaminée provenant des réacteurs de la centrale nucléaire Fukushima Dai-ichi, alors que les capacités de stockage avaient atteint leur limite au sein de la centrale, avec 1,25 millions de tonnes d’eau contaminée.

Pour le gouvernement japonais, l’enjeu de la bataille lancée en 2017 consiste à faire revenir sur les lieux de la triple catastrophe du 11 mars 2011 une population qui a largement fui des zones toujours frappées par la radioactivité, et pourtant déclarées sans danger pour la santé. 160 000 personnes ont été évacuées au cours de la période qui a suivi le tsunami et l’accident nucléaire et 27 000 « évacués volontaires », ne résidant pas dans les zones d’évacuation forcée, ont perçu des aides au relogement jusqu’à ce que les autorités japonaises décident de repeupler à tout prix la région de Fukushima, en mettant fin aux allocations pour inciter leurs bénéficiaires au retour.

Si le repeuplement des zones sinistrées est si important pour les autorités japonaises, en dépit des alarmes lancées par l’ONU ou par Greenpeace sur la situation environnementale et l’échec des campagnes de décontamination (14 millions de mètres cubes de sol radioactif sont conservés dans des sacs en plastique), c’est avant tout pour préserver son image face à la communauté internationale et de montrer que la situation est « sous contrôle », alors que les JO ont été maintenus contre vents et marées et que la politique énergétique en faveur du nucléaire n’a pas été démentie malgré la défiance de la population.

Afin de rendre comme par magie certaines zones de nouveau habitables, le niveau officiel d’exposition annuel à la radioactivité a été relevé à 20 millisieverts, soit le taux maximum pour les travailleurs du nucléaire en France. Dans cette région du Tohoku très rurale et faiblement peuplée, 75% des territoires sont occupés par des forêts et la sylviculture constituait autrefois une ressource importante. Or il est impossible de décontaminer les forêts, frappées d’inaccessibilité pour des décennies, voire davantage.

Dans un tel contexte, les réfugiés du nucléaire sont exposés soit à la précarité, après l’interruption des subventions, soit aux radiations. En février 2021, on comptabilisait encore 41 000 évacués, dont 2000 résidant toujours dans des « logements provisoires ». Autre problématique : les réfugiés n’ont pas tous le même statut, avec d’un côté les réfugiés contraints de quitter leur habitation sur décision gouvernementale, et de l’autre les réfugiés « volontaires », qui ne vivaient pas dans des zones reconnues comme fortement contaminées. Selon les cas, le montant des indemnisations n’était pas le même, entraînant frustrations et rancœurs, en plus des symptômes post-traumatiques enregistrés : alcoolisme, dépressions, isolement, séparation des familles, dépaysement forcé suite aux reconstructions sans âme…

A l’heure actuelle, le niveau de peuplement de la région de Fukushima n’est que de 20 % par rapport à celui d’avant l’accident, déjà très faible, comparable à celui de la Corse. Face à l’échec de ses tentatives pour faire revenir en masse les populations, le gouvernement japonais a mis en œuvre un autre dispositif : des subventions allant jusqu’à 2 millions de yens (environ 16 000 euros) seront versées aux personnes issues des métropoles de Tokyo ou Osaka désireuses de s’installer pour au moins cinq ans dans l’une des douze communes à proximité immédiate de la centrale et d’y développer une activité. Pour les Japonais ayant quitté la région et souhaitant s’y réinstaller, les indemnisations pourront atteindre entre 1,2 million et 800.000 yens (9.500 et 6.350 euros). Le gouvernement financera pour les trois-quarts les créations d’entreprises.

Dans des villages où le lien social a déjà passablement été distendu par la catastrophe, les départs et relogements forcés qui ont suivi, l’arrivée massive de citadins guère familiers de cet environnement rural risque de ne pas être acceptée facilement par la population locale et de créer un nouveau sentiment d’injustice. Et il n’est pas certain que même à ce prix cher payé, le gouvernement japonais soit en mesurer de redorer totalement son blason vis-à-vis de la communauté internationale, au sein de laquelle les rejets d’eaux contaminées dans un océan partagé avec de nombreux pays a déjà créé un certain émoi…

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