Sur le nouveau gouvernement - Par Nathalie Quintane

« Qui n’y voit pas malice : une autoroute, comme on dit, s’ouvre devant lui sous nos yeux, et quelques gêneurs. Que des gênés aux entournures, et pas des révolutionnaires patentés, puissent à la fois foutre le zbeul et calculer leur rage, gérer un biz et calligraphier de la banderole, livrer des pizzas tout habillés de noir, co-voiturer pour trente euros et faire des molotov (etc.), c’est une perspective. »

paru dans lundimatin#105, le 23 mai 2017

Nathalie Quintane écrit des livres. Le plus récent s’intitule « Que faire des classes moyennes ? » paru aux éditions P.O.L.. Comme nous l’aimons beaucoup, nous lui avons demandé son avis sur ce gouvernement fraîchement constitué.

Il est possible que l’habileté et la bonne humeur du nouveau gouvernement quel que soit le nouveau gouvernement, à condition qu’il soit cauteleux et assuré, forme enfin un adversaire compact et lisible, parce qu’il vient après les autres qui nous ont fatigués, parce qu’il parade sans retenue mais sans arrogance spéciale, n’ayant jamais à vaincre puisque toujours gagnant, et parce que de mémoire, qui n’est pas une mémoire d’homme, il n’a plus souvenir d’avoir vu ni entendu pour de vrai ces gens dont il pense que tant qu’ils auront des kebabs ils ne se révolteront pas. De fait, le motif de la faim est depuis si longtemps l’élément déclencheur du conte - on raconte encore qu’on a achevé 68 en remplissant les frigos vides, dans le Nord -, qu’on ne sait plus qu’on a décollé des têtes pour bien moins que ça, et avec le ventre plein.
Supposons que les Compagnies Républicaines voient devant elles des excités, au mieux des hippies, des jeunes qu’on calmera à l’eau froide et de vieux manipulateurs (ceux qui, je cite « instrumentalisent politiquement »), des inutiles et des paresseux, c’est-à-dire supposons qu’elles voient ni plus ni moins ce qu’à peu près tous y voient, de loin, en France, pays où chacun-chacune est ponctuellement capable de se changer en Compagnie Républicaine de Sécurité le cas échéant, si besoin est, à l’occasion, seule la bonne humeur invincible du gouvernement, productrice de décisions en rafales et du grand chambard qui s’en suit, est à même d’interrompre un flow français déjà hésitant, qui ne cesse pas de tiquer par youtube interposé à tel ou tel mot un peu too much lâché par le petit ou grand personnel du nouveau gouvernement, qui n’y voit pas malice.
Qui n’y voit pas malice : une autoroute, comme on dit, s’ouvre devant lui sous nos yeux, et quelques gêneurs. Que des gênés aux entournures, et pas des révolutionnaires patentés, puissent à la fois foutre le zbeul et calculer leur rage, gérer un biz et calligraphier de la banderole, livrer des pizzas tout habillés de noir, co-voiturer pour trente euros et faire des molotov (etc.), c’est une perspective.

Le soir avant la télé, dans toutes les petites familles, mes Chers, et depuis des années que nous avons la chance d’avoir de nouveaux gouvernements, on finit tous par dire ou par entendre que ça va péter. Le témoin direct que je suis peut dire que le ça-va-péter est dit ou entendu avec de plus en plus d’intensité, de force de conviction, d’attente - assorti du rappel descriptif que les Compagnies n’ont affaire devant elles qu’à des excités, hippies, jeunes, vieux manipulateurs inutiles et paresseux. Une façon de cohérence n’est pas encore atteinte, donc.
Mais les révoltes, si elles sont logiques, sont-elles cohérentes ? On pourra se révolter sans cohérence, le ventre plein, et ce sera logique. Pour le moment, organiser des events, spectaculaires pour peu, et qui prennent de la viande (vous taillez dans notre viande, mes Chers), ne redonne pas le moral à tous les coups.

Pour prendre date, ie. voler le calendrier, il y faudra les retraités, le débordé de la cégète, les non-éligibles à l’emploi, que les facs visitent l’ESSEC, un pique-nique chez LVMH ou alors un gros tag, un défilé Whirlpool lors de la fashion-week, une benne de choux de Bruxelles devant le Quai d’Orsay (etc., liste non-close) - généralisation de la rencontre du parapluie et de la machine à coudre, c’est ça qui fait boum et boum.
Bientôt bien-sûr.

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